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08/03/1988 | CJUE | N°84/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 8 mars 1988., Marcel Erpelding contre Secrétaire d'État à l'Agriculture et à la Viticulture., 08/03/1988, 84/87


Avis juridique important

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61987C0084

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 8 mars 1988. - Marcel Erpelding contre Secrétaire d'État à l'Agriculture et à la Viticulture. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Grand-Duché de Luxembourg. - Prélèvement supplémentaire sur le lait. -

Affaire 84/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 02647

Conclusions de l'a...

Avis juridique important

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61987C0084

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 8 mars 1988. - Marcel Erpelding contre Secrétaire d'État à l'Agriculture et à la Viticulture. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Grand-Duché de Luxembourg. - Prélèvement supplémentaire sur le lait. - Affaire 84/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 02647

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Comme dans l' affaire 61/87, l' article 3, alinéa 1, point 3, du règlement n° 857/84 du Conseil ( 1 ) constitue la disposition ( 2 ) soumise à votre examen . Il s' agit ici de déterminer dans quelle mesure ce texte, qui, rappelons-le, autorise, dans certaines situations exceptionnelles, les producteurs à choisir, à l' intérieur de la période 1981-1983, une autre année de référence que celle retenue sur le plan national, exclurait toute autre option telle celle d' une année théorique calculée par
extrapolation ou celle d' une année antérieure à ladite période .

2 . A l' appui de sa thèse, le requérant au principal invoque l' application en l' espèce de la notion de force majeure . Position que la Commission conteste en faisant observer que les possibilités ouvertes par le texte sont limitatives . Le Conseil partage cette analyse, mais relève que d' autres dispositions de la réglementation communautaire sont de nature à permettre d' allouer des quantités supplémentaires à un producteur se trouvant dans une situation analogue à celle du requérant .

3 . Relevons tout d' abord que le texte à l' examen, qui prévoit que "les producteurs ... obtiennent, à leur demande, la prise en compte d' une autre année civile de référence à l' intérieur de la période 1981-1983", ne présente aucune ambiguïté . Il exclut le choix par analogie d' une année de référence antérieure à la période considérée ou un calcul par extrapolation sur la base de l' évolution de la production de l' intéressé . Au surplus, en tant qu' apportant une dérogation aux règles normales
de détermination des quantités de référence, ce texte ne saurait recevoir qu' une interprétation restrictive . Et nous ne pensons pas davantage que la notion de force majeure pourrait ici autoriser ce qu' un libellé clair et précis conduit à fermement écarter .

4 . Tout d' abord, la solution revendiquée par le requérant est techniquement distincte des effets traditionnels de la force majeure qui consistent à libérer des conséquences de l' inexécution ou du non-respect d' une obligation . L' avocat général M . Capotorti l' a rappelé dans ses conclusions dans l' affaire IFG/Commission ( 3 ), où vous deviez adopter son analyse ( 4 ):

" On sait que, dans les systèmes juridiques nationaux, la force majeure est généralement considérée comme un élément de nature à justifier l' inexécution par le particulier d' une obligation positive ou de l' interdiction qui le lie ..."

Or, il s' agit en l' espèce non pas de justifier l' inexécution d' une obligation, mais d' obtenir une autre année de référence que celle résultant du mécanisme prévu par la réglementation .

5 . Soulignons surtout que le requérant au principal ne demande pas l' application par analogie du texte en cause, mais que soit dégagée une solution seule de nature à prendre en compte, selon lui, les spécificités de sa situation . C' est donc en quelque sorte une disposition "inventée", s' affranchissant de la volonté expresse du législateur, qui est de vous sollicitée .

6 . Quelle que soit la méthode d' interprétation retenue, on ne saurait adopter la démarche qui vous est ainsi suggérée . Si la règle de droit est flexible, sa plasticité ne saurait autoriser pareille interprétation que l' équité expliquerait sans la légitimer .

7 . Au cours de la procédure écrite et de l' audience, ont été évoquées différentes dispositions, inscrites aux articles 3 et 4 du règlement n° 857/84, de nature à permettre l' octroi de quantités supplémentaires ou spécifiques ainsi que la compensation interrégionale prévue à l' article 4 bis .

8 . On ne saurait méconnaître l' intérêt pratique que de telles possibilités présentent au regard d' une situation analogue à celle du requérant au principal, d' autant qu' elles témoignent du souci du Conseil de "prendre en compte la situation particulière de certains producteurs" ( 5 ) et même d' "atténuer la rigueur des mécanismes communautaires" ( 6 ). Il ne vous appartient évidemment pas de rechercher dans quelle mesure l' intéressé remplirait les conditions pour en bénéficier . Cependant, un
tel examen, qui incombe au juge national, devrait être effectué à la lumière de votre arrêt Klensch ( 7 ), où vous avez affirmé que les États membres, lorsqu' ils disposent, dans le cadre de la mise en oeuvre de la réglementation en question, de plusieurs modalités d' application, sont tenus de respecter le principe de non-discrimination . Certes, il s' agissait dans cette affaire d' une mesure à caractère général, à savoir le choix de l' année de référence . Mais une solution différente ne saurait
être adoptée dès lors qu' il s' agit de mesures individuelles . Votre arrêt Eridania ( 8 ) a affirmé à cet égard que "le respect de principes généraux du droit communautaire s' imposait à toute autorité chargée d' appliquer des règlements communautaires ". Aussi souscrivons-nous aux observations du Conseil selon lesquelles les facultés de choix entre plusieurs modalités d' ajustement des quotas individuels reconnues aux États membres ne sauraient pour autant les affranchir du respect du principe de
non-discrimination . Et, selon nous, il revient au juge a quo d' appliquer, le cas échéant, un tel principe .

9 . Cependant, compte tenu de la réponse qu' appelle le strict libellé de la première question, nous devons procéder désormais à l' examen de validité du texte au regard de l' article 39, sous a ) et b ), du traité . Vos arrêts Balkan ( 9 ) et Roquette/France ( 10 ) énoncent les principes d' appréciation à retenir à cet égard :

" Attendu que l' article 39 du traité énumère différents objectifs de la politique agricole commune;

que, dans leur poursuite, les institutions communautaires doivent assurer la conciliation permanente que peuvent exiger d' éventuelles contradictions entre ces objectifs considérés séparément et, le cas échéant, accorder à tel ou tel d' entre eux la prééminence temporaire qu' imposent les faits ou circonstances économiques au vu desquels elles arrêtent leurs décisions ."

10 . Assurément, le régime du prélèvement supplémentaire, visant à rétablir l' équilibre entre l' offre et la demande sur le marché laitier, repose sur la limitation de la production, entraînant une stabilisation du revenu de la population agricole concernée . Mais il est tout aussi manifeste que sont ici poursuivis des objectifs de développement rationnel de la production laitière, voire de maintien d' un niveau de vie équitable de la population agricole . La disposition en cause doit être
appréciée au regard de ce contexte d' ensemble et il apparaîtrait paradoxal de la considérer invalide alors même qu' elle introduit, en faveur des producteurs, une plus grande souplesse dans la détermination de l' année de référence .

11 . Bien que le juge a quo ne les ait pas expressément visés, le requérant a invoqué la violation des principes de proportionnalité et de non-discrimination . Pour sa part, la Commission suggère de procéder à un examen au regard de l' article 40, paragraphe 3, du traité, d' où elle conclut d' ailleurs à la validité du règlement .

12 . Afin de donner effet utile à votre réponse à cet égard, compte tenu de la logique sous-jacente aux questions qui vous sont déférées, nous vous proposons de confronter le texte à l' examen à l' article 40, paragraphe 3, du traité . Cette disposition, on le sait, prohibe toute discrimination entre producteurs de la Communauté et prévoit l' adoption de mesures nécessaires à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune, formulation dans laquelle on s' accorde à voir la traduction
du principe de proportionnalité en la matière .

13 . S' agissant de ce dernier, il faut tout d' abord souligner que le Conseil, en adoptant la disposition dont il s' agit, a précisément entendu éviter les rigidités injustifiées qu' aurait comportées un mécanisme par lequel il aurait été impossible, en toute hypothèse, d' obtenir une autre année de référence . On s' accordera à reconnaître là une traduction évidente du principe de proportionnalité . Certes, d' autres solutions auraient été concevables . En témoigne la proposition, un moment émise
par la Commission, d' élargir la période d' option des producteurs à l' année 1980 . Mais on ne saurait perdre de vue que toute extension du choix des intéressés comporte de sérieux inconvénients . Ainsi, le risque existe de voir les producteurs opter pour une année de référence qui, pour ne plus être seulement représentative, se révélerait en définitive d' un rendement très remarquable . Mesuré à l' aune du nombre des producteurs communautaires, pareille conséquence ne saurait être tenue pour
négligeable .

14 . Le législateur communautaire doit tracer un équilibre entre les intérêts en cause . Et la situation particulière d' un producteur ne saurait, à elle seule, affecter la validité de la disposition critiquée, alors qu' elle vise précisément à satisfaire aux exigences du principe de proportionnalité . Rappelons ici que vous avez jugé, dans votre arrêt Balkan Import ( 11 ), que

" si les institutions doivent veiller, dans l' exercice de leurs pouvoirs, à ce que les charges imposées aux opérateurs économiques ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs que l' autorité est tenue de réaliser, il ne s' ensuit cependant pas que cette obligation doive être mesurée par rapport à la situation particulière d' un groupe déterminé d' opérateurs" ( 12 ).

15 . En ce qui concerne une violation éventuelle du principe de non-discrimination, elle supposerait une différenciation de traitement reposant sur des critères arbitraires . Ouvrant le choix des producteurs à la période 1981-1983, le Conseil pouvait estimer qu' une telle faculté était statistiquement de nature à assurer une quantité représentative aux producteurs . En tout état de cause, il apparaît que pareille option ne déborde nullement le cadre que vous avez tracé dans votre arrêt
Roquette/Conseil ( 13 ) en affirmant :

" Lorsque la mise en oeuvre par le Conseil de la politique agricole de la Communauté implique la nécessité d' évaluer une situation économique complexe, le pouvoir discrétionnaire dont il jouit ne s' applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation de données de base en ce sens, notamment, qu' il est loisible au Conseil de se fonder, le cas échéant, sur des constatations globales ."

Et vous avez réservé votre contrôle aux hypothèses d' erreur manifeste, de détournement de pouvoir ou de dépassement manifeste des limites du pouvoir d' appréciation .

16 . Au regard de ces indications, on ne saurait faire peser sur le législateur communautaire une obligation de résultat quant à la prise en compte de tous les cas fortuits, de toutes les spécificités individuelles . Tel est d' ailleurs le sens de votre arrêt Maïzena ( 14 ), où, alors que le requérant invoquait une discrimination dans la fixation de quotas qui auraient ignoré les limitations d' investissements volontairement consenties par certains producteurs d' isoglucose, vous avez affirmé :

" ... L' on ne saurait reprocher au Conseil de ne pas tenir compte des options commerciales et de la politique interne de chaque entreprise individuelle lorsqu' il arrête des mesures d' intérêt général en vue d' éviter qu' une production non contrôlée d' isoglucose ne mette en péril la politique sucrière de la Communauté ."

C' est une solution analogue que nous proposons d' adopter ici, faisant nôtre à cet égard les conclusions de l' avocat général Roemer dans l' affaire Oehlman ( 15 ):

" ... Relevons avant tout qu' il n' existe aucun principe de droit exigeant que les pouvoirs publics arrêtent une réglementation à la faveur de laquelle les intéressés seraient toujours placés dans la situation où ils se seraient trouvés si le cas de force majeure ne s' était pas produit ."

16 . Nous vous proposons en conséquence de dire pour droit :

" L' article 3, alinéa 1, point 3, du règlement n° 857/84 ne permet pas, dans le cas d' un producteur dont la production a été sensiblement affectée au cours de la totalité de la période 1981-1983 par suite de situation exceptionnelle, la prise en compte de la production d' une année antérieure à cette période ou d' une production théorique calculée par extrapolation; cette solution ne fait nullement obstacle à ce que la situation de l' intéressé fasse l' objet d' un examen particulier au regard des
dispositions de la réglementation communautaire dont il remplirait les conditions .

L' examen de la disposition précitée ne fait ressortir aucun élément de nature à en affecter la validité ."

( 1 ) Règlement n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l' application du prélèvement visé à l' article 5 quater du règlement ( CEE ) n° 8O4/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers ( JO L 9O/13 du 1.4.1984 ).

( 2 ) La question préjudicielle vise également l' article 3 du règlement ( CEE ) n° 137/84; cependant, cette disposition se limite à compléter la liste des situations permettant la prise en compte d' une autre année de référence . Elle n' apparaît pas en tant que telle devoir donner lieu à interprétation .

( 3 ) Arrêt du 14 février 1978, dans l' affaire 68/77, Rec . p . 353 .

( 4 ) Point 11 de l' arrêt précité .

( 5 ) Troisième considérant du règlement n° 857/84 .

( 6 ) Deuxième considérant du règlement n° 590/85, du 26 février 1985, modifiant le règlement n° 857/84 ( JO L 68/1 du 8.3.1985 ).

( 7 ) Arrêt du 25 novembre 1986, 201 et 202/85, Rec . p . 3477 .

( 8 ) Arrêt du 27 septembre 1979, 230/78, Rec . p . 2749 .

( 9 ) Arrêt du 24 octobre 1973, 5/73, Rec . p . 1091, point 24 .

( 10 ) Arrêt du 20 octobre 1977, 29/77, Rec . p . 1835, points 29 et 30 .

( 11 ) 5/73, précité .

( 12 ) Point 22, souligné par nous .

( 13 ) Arrêt du 29 octobre 198O, 138/78, Rec . p . 3333, point 25 .

( 14 ) Arrêt du 29 octobre 198O, 139/79, Rec . p . 3393, point 3O .

( 15 ) Arrêt du 24 juin 1970, dans l' affaire 73/69, Rec . p . 467 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 84/87
Date de la décision : 08/03/1988
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Grand-Duché de Luxembourg.

Prélèvement supplémentaire sur le lait.

Agriculture et Pêche

Produits laitiers


Parties
Demandeurs : Marcel Erpelding
Défendeurs : Secrétaire d'État à l'Agriculture et à la Viticulture.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:134

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