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24/11/1987 | CJUE | N°85/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 24 novembre 1987., Commission des Communautés européennes contre Conseil des gouverneurs de la Banque européenne d'investissement., 24/11/1987, 85/86


Avis juridique important

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61986C0085

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 24 novembre 1987. - Commission des Communautés européennes contre Conseil des gouverneurs de la Banque européenne d'investissement. - Impôt retenu sur les traitements et pensions du personnel de la Banque européenne d'inve

stissement. - Affaire 85/86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 01281

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Avis juridique important

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61986C0085

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 24 novembre 1987. - Commission des Communautés européennes contre Conseil des gouverneurs de la Banque européenne d'investissement. - Impôt retenu sur les traitements et pensions du personnel de la Banque européenne d'investissement. - Affaire 85/86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 01281

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Vous êtes appelés à vous prononcer sur un recours formé le 19 mars 1986 par la Commission des Communautés européennes contre le conseil des gouverneurs de la Banque européenne d' investissement ( ci-après "BEI" ou "Banque "). Il tend à l' annulation de la décision que cet organe a adoptée le 30 décembre 1985, relativement à l' "affectation comptable du produit de l' impôt retenu par la Banque sur les traitements et pensions de son personnel", ayant pour effet d' exclure - tout en réaffirmant une
pratique qui, bien qu' assortie de modalités différentes, remonte à l' exercice 1962 - le versement des sommes en question dans le budget de la Communauté . La requérante soutient, en effet, que cette exclusion viole le traité CEE et les normes prises pour son application .

Le litige - qui voit pour la première fois l' application de l' instrument visé à l' article 180, sous b ), du traité - revêt un grand intérêt, à la fois parce que le montant des impôts accumulés en vingt-cinq ans constitue un chiffre tout à fait considérable et parce que les arguments des parties procèdent de thèses radicalement différentes concernant la nature juridique de la Banque et nous impose donc de réfléchir de façon approfondie sur la position que cet important organisme occupe dans le
système institutionnel du traité . Comme nous l' ont dit l' une et l' autre des parties, le problème qui vous est soumis est en outre d' autant plus délicat qu' il risque de déborder les limites dans lesquelles il vous est demandé de le résoudre . En d' autres termes, votre arrêt pourrait avoir des répercussions sur la prétention de la Cour des comptes et du Parlement européen de contrôler - la première, en termes comptables, la seconde, au niveau politique - les opérations effectuées par la Banque
sur des fonds ressortissant au budget communautaire .

2 . Pour mieux éclairer l' objet du litige, il est utile de retracer, ne serait-ce que dans ses grandes lignes et pour ce qui concerne plus particulièrement la situation de la BEI, l' histoire de l' impôt communautaire perçu sur les rémunérations .

Comme on le sait, dans le système CECA, les rémunérations versées aux fonctionnaires et agents n' étaient pas soumises à l' impôt . L' article 11, sous b ), du protocole sur les privilèges et immunités, annexé au traité de Paris, disposait en effet que, sur le territoire des six États membres, et quelle que soit leur nationalité, les membres de la Haute Autorité et les fonctionnaires de la Communauté "sont exonérés de tout impôt sur les traitements ". Un traitement analogue était réservé aux membres
et au personnel de la Cour de justice en vertu des articles 3, 14 et 16 du statut y relatif . Cet avantage - contraire, entre autres, à la pratique suivie par d' autres organismes internationaux ( voir Bedjaoui, Fonction publique internationale et influences nationales, Londres, 1958, p . 249 à 276 ) - est apparu toutefois incompatible avec le principe d' égalité des citoyens sur le plan fiscal et suscita tout de suite de vives critiques, qui trouvèrent en Michel Debré un porte-parole
particulièrement éloquent, comme en témoignent les "questions écrites" qu' il devait adresser tour à tour à la Haute Autorité ( la première en date dans l' histoire de l' Assemblée commune : JO 1953, 2, p . 7 ) et au ministre français des Affaires étrangères ( JORF, Débats, Conseil de la République, 23.3.1956, p . 528 ).

Ainsi amenés à revoir la question, les auteurs des traités de Rome estimèrent opportun de soustraire à l' exonération des impôts nationaux le caractère précité de privilèges pour en faire la simple conséquence de l' imposition d' un impôt communautaire . Cette approche est mise en évidence par le libellé du protocole y relatif, sur les privilèges et immunités, et en particulier de son article 12 . En effet, après avoir disposé en son alinéa 1 que, "dans les conditions et suivant la procédure fixées
par le Conseil ..., les fonctionnaires et agents de la Communauté sont soumis au profit de celle-ci à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments versés par elle", cette disposition ajoute, à l' alinéa suivant, que ces mêmes fonctionnaires et agents sont exempts d' "impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés ".

En vertu des articles 19 et 20, ce régime fut étendu aux membres de la Commission et de la Cour . L' article 21 envisageait par contre le cas de la BEI . Aux termes de cette disposition, les protocoles sont dans leur ensemble "également applicables ... aux membres de ses organes, à son personnel et aux représentants des États membres qui participent à ces travaux, sans préjudice des dispositions du protocole sur les statuts de celle-ci ". Cette même disposition prévoit que "la Banque ... sera ...
exonérée de toute imposition fiscale et parafiscale à l' occasion de sa création et des augmentations de son capital ainsi que des formalités diverses que ces opérations pourront comporter dans l' État du siège ". De même, "sa dissolution et sa liquidation" n' entraîneront aucune perception . Enfin, l' "activité de la Banque et de ses organes, s' exerçant dans les conditions statutaires", ne donnera pas lieu à l' application des taxes sur le chiffre d' affaires .

Conformément à l' article 12, le Conseil aurait dû définir les modalités et le montant de l' impôt sur la base des "propositions que la Commission fera dans un délai de un an à compter de l' entrée en vigueur du traité ". Ce délai toutefois s' est avéré trop bref . Les Commissions CEE et Euratom ont présenté leurs premières propositions le 22 décembre 1958 et les Conseils correspondants n' ont adopté à l' unanimité ce régime que le 18 décembre 1961 (( règlement n° 32/61/CEE et n° 12/61/CEEA, portant
fixation des conditions et de la procédure d' application de l' impôt établi au profit de la Communauté en exécution de l' article 12, alinéa 1, du protocole sur les privilèges et immunités ( JO 1962, 45, p . 1461 ) )). Or, il résulte des documents que la Commission a été autorisée à produire après la fin de la procédure écrite qu' au cours de la procédure d' adoption de cet acte l' application de l' impôt aux traitements du personnel de la BEI fut l' objet d' un débat complexe et par moments animé
.

Retraçons-en les étapes, qui sont d' une importance considérable pour la compréhension des arguments adoptés par les parties au cours de la présente instance . Par lettre du 6 septembre 1960, le président de la Banque fit connaître au président du comité des représentants permanents ( ci-après "Coreper ") la position de son comité de direction . Ce dernier interprétait les normes pertinentes du protocole précité en ce sens que les compétences dévolues par l' article 12 au Conseil et à la Commission,
en tant qu' organes de l' entité CEE, auraient dû être, en ce qui concerne la BEI, reconnues aux organes correspondants de cet organisme, à savoir le conseil des gouverneurs et le conseil d' administration . Il aurait donc appartenu au conseil des gouverneurs d' émettre une réglementation et de fixer la destination de l' impôt applicable aux fonctionnaires de la BEI . Dans la mesure du possible - ce qui veut dire, en tenant compte des particularités de la Banque -, il se serait cependant efforcé de
calquer cette réglementation sur le modèle législatif prévu par le Conseil communautaire .

Cette interprétation, fondée sur le principe de la "entsprechende" ou "sinngemaesse Anwendung" ( que nous traduirons de façon un peu libre par "application mutatis mutandis "), fut examinée par le Coreper au cours de sa réunion du 20 septembre 1960 . La délégation allemande s' est opposée à cette interprétation : pour elle, l' impôt prévu par l' article 12 constitue un droit de souveraineté territoriale, transféré des États membres à la Communauté, de sorte qu' il était exclu qu' il puisse être
affecté au bénéfice exclusif des institutions et des organes qui la constituent . Toutefois, sur proposition des délégations néerlandaise et luxembourgeoise le Coreper a permis à la Banque de développer ses arguments ( voir, en effet, le memorandum envoyé par la Banque le 20 octobre 1960 ) et, sans pour autant renoncer à exprimer sa propre position, il a chargé les deux présidents d' entamer des négociations, en les invitant à mener ces négociations dans le cadre de rencontres informelles .

Au cours de sa réunion du 1er décembre 1960, la charge de préciser la ligne du Coreper fut confiée au secrétariat du Conseil, qui produisit un document ( doc . 1254/60 du 6.12.1960 ) dans lequel la thèse de la BEI était réfutée point par point . Selon cette note, on pouvait reconnaître une certaine "correspondance" entre les organes de la Banque et ceux de la CEE, mais uniquement pour autant qu' ils jouent des rôles effectivement semblables et sous réserve que des principes de rang supérieur ne s' y
opposent pas . Or, l' imposition fiscale est une matière réservée à la loi : partant, il semble logique que la compétence y relative soit exercée par les institutions - le Conseil et la Commission des Communautés - à qui le traité a conféré le pouvoir législatif . A cela s' ajoute que, bien qu' étant dotée d' une personnalité juridique propre, la Banque n' est pas en réalité en marge de la CEE . Au contraire, son existence est prévue dans un titre spécial au sein de l' instrument qui a institué la
CEE et fait par conséquent partie de l' appareil communautaire .

De tous ces arguments, le Coreper conclut que l' impôt "au profit de la Communauté" adopté par le Conseil aurait également dû s' appliquer au personnel de la BEI, même si cela devait être assorti des modalités requises par la nature particulière de cet organisme; et le procès-verbal de la réunion tenue par les représentants permanents les 9 et 10 février 1961 atteste que les deux présidents s' étaient finalement accordés sur une telle formule . En effet, tout en souhaitant une garantie spéciale en
matière de pensions, au bénéfice de ses fonctionnaires, le président de la BEI était convenu avec son homologue de l' assujettissement du personnel de la BEI au régime général d' imposition ainsi qu' à l' inscription aux recettes de la Communauté du produit de l' impôt ainsi recouvré (( doc . 111/60 ( RP/CRS 6 ), p . 11, point 9, sous a ) )).

Le règlement précité n° 32/61/CEE et n° 12/61/CEEA reflète cette adhésion de la Banque au point de vue du Conseil . Son article 9 dispose en effet que "le produit de l' impôt est inscrit en recettes aux budgets des Communautés" et l' article 12 précise que le règlement est "applicable aux membres des organes de la Banque ..., ainsi qu' aux membres de son personnel et aux bénéficiaires de pensions versées par elle, qui sont compris dans les catégories déterminées par le Conseil de la (( CEE )) en
application de l' article 15, alinéa 1, du protocole sur les privilèges et immunités, en ce qui concerne les traitements, salaires et émoluments, ainsi que les pensions d' invalidité, de retraite et de survie, versées par la Banque ".

Les principes ainsi affirmés resteront saufs au travers des vicissitudes législatives dont la matière fut l' objet dans les années suivantes . Comme on le sait, l' acte qu' on vient de rappeler fut modifié une première fois par le règlement n° 32/65/CEE et n° 6/65/CEEA, du 16 mars 1965 ( JO 47, p . 709 ), puis par celui du 5 mai 1966, le règlement n° 4/66/CEEA et n° 53/66/CEE ( JO 87, p . 1362 ), avant de finalement disparaître avec l' entrée en vigueur du traité de fusion entre les exécutifs ( 1er
juillet 1967 ) qui abrogea le protocole sur les privilèges et immunités annexés aux traités de Rome . Toutefois, les articles 13 et 22 du nouveau protocole - en vigueur à partir du 1er juillet 1967, mais stipulé le 8 avril 1965 ( il est d' ailleurs ordinairement cité avec cette date ) - furent coulés dans une très large mesure sur le moule des articles 12 et 21 des textes précédents . C' est ainsi que le premier dispose que, "dans les conditions suivant la procédure fixée par le Conseil statuant sur
proposition de la Commission, les fonctionnaires et autres agents des Communautés sont soumis au profit de celles-ci à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments versés par elles", alors que le second prévoit, en son alinéa 1, que "le présent protocole est également applicable à la ( BEI ), aux membres de ses organes, à son personnel et aux représentants des États membres qui participent à ses travaux, sans préjudice des dispositions du protocole sur les statuts de celle-ci ".

En vertu de l' article 13, le Conseil a adopté le règlement n° 260/68, du 29 février 1968, portant fixation des conditions et de la procédure d' application de l' impôt établi au profit des Communautés européennes ( JO L 56, p . 8 ). Or, même ce texte ne fait que reproduire, moyennant quelques retouches ( de forme ) rendues nécessaires par la situation qui était résultée de la fusion des exécutifs, les normes du règlement n° 32/61/CEE et n° 12/61/CEEA . Les articles 9 et 12, par exemple, coïncident
pratiquement mot pour mot avec les dispositions correspondantes de la précédente source de droit et ils n' ont pas davantage été affectés par les nombreux amendements apportés par une série d' actes ultérieurs - en dernier lieu, le règlement n° 3580/85 du Conseil, du 17 décembre 1985 ( JO L 343, p . 1 ) - à la nouvelle réglementation ( pour un examen approfondi de la réglementation de base, voir : Peters, "L' impôt communautaire sur les rémunérations des fonctionnaires et des agents des Communautés
européennes", in Revue internationale des sciences administratives, 1968, p . 255 à 267, et Drucker, Financing the European Communities, Leyden, 1975, p . 135 à 137 et 248 à 251 ).

3 . A partir du 1er janvier 1962 - donc, du jour de l' entrée en vigueur du règlement n° 32/61/CEE et n° 12/61/CEEA -, la BEI a retenu sur les traitements et sur les pensions par elle versés un impôt dont le mode de calcul est aligné sur la réglementation que nous venons d' examiner; mais, au lieu de verser les sommes y relatives au budget communautaire, la BEI les a inscrites chaque année au passif de son propre budget, sur un compte dénommé "Divers", jusqu' à accumuler un chiffre qui s' élevait au
31 décembre 1984 à 34 millions d' écus .

Comme on peut le lire dans le recours et ainsi qu' il a été répété à l' audience, cette pratique "est passée inaperçue aux yeux de la Commission" à cause de "négligences administratives" non autrement précisées . L' exécutif ne sortira paradoxalement de cette inexplicable torpeur qu' avec les observations adressées en 1979 par le comité de vérification de la BEI, au sujet de la présentation des comptes de l' organe; c' est alors que ses services passèrent à l' attaque en prenant des initiatives de
plus en plus énergiques . En particulier, le 16 décembre 1981, le commissaire Ortoli a invité le président du conseil des gouverneurs à se départir d' un comportement contraire au traité et l' a informé que le comité de contrôle budgétaire du Parlement européen était également intéressé à une solution rapide du problème . Des lettres analogues en substance furent adressées au conseil des gouverneurs par le vice-président Tugendhat ( 23 novembre 1984 ) et par le président Delors ( 21 novembre 1985 ),
ce dernier laissant entrevoir la possibilité de porter le litige devant la Cour de justice . Il ne résulte toutefois pas du dossier que la BEI ait répondu à ces lettres .

Parallèlement, dans le cadre des avant-projets de budget pour 1983, 1984, 1985 et 1986, la Commission a proposé au Conseil d' inscrire pour mémoire un nouveau chapitre 49, article 490, destiné au produit de l' impôt prélevé sur les traitements des fonctionnaires de la BEI "en attendant la décision du conseil des gouverneurs" quant à la destination de l' impôt ( voir, en ce qui concerne le budget 1985, doc . COM(84 ) 200, volume 7-A, 1986, p . 6 ). Le Conseil a toutefois rejeté ces suggestions, en
observant que les recettes et les dépenses de la Banque devaient être considérées comme non comprises dans le budget communautaire; quant au Parlement, de façon non moins inattendue, il fit corps avec cette position, en refusant de proposer la réinscription de l' article précité .

Les délibérations du 30 décembre 1985, dont la Commission vous demande l' annulation, se situent donc dans le cadre d' un litige vieux de plusieurs années et présentant à bien des égards des aspects - disons - pour le moins bizarres . La décision du conseil des gouverneurs vise les articles 12 et 21 du protocole du 17 avril 1957, les articles 13 et 22 du protocole du 8 avril 1965 et l' article 9, paragraphe 3, sous f ), des statuts de la Banque . Son paragraphe 1 dispose comme suit : "Le produit de
l' impôt retenu par la Banque sur les traitements des salaires, pensions et émoluments de toute nature versés par elle depuis 1962 et jusqu' à la fin de 1985, inscrit au passif du bilan de la Banque dans le compte 'Divers' , sera transféré en réserves"; le paragraphe 2 ajoute qu' "à partir de l' exercice 1986 les retenues effectuées par la Banque sur les traitements, salaires, pensions et émoluments de toute nature, versés par elle, sont inscrites chaque mois dans les recettes de la Banque au titre
des 'Produits financiers et autres recettes' et portées comme telles au compte de pertes et profits ".

4 . Il convient sur ce point de faire état d' un incident survenu au cours de la phase initiale du litige . S' autorisant de l' article 91 du règlement de procédure, la BEI a soulevé une exception d' irrecevabilité, en faisant valoir que la requête ne contient pas la désignation correcte de la partie contre laquelle elle est formée, de sorte que cette dernière ne remplit pas l' une des conditions essentielles énoncées à l' article 38, paragraphe 1, dudit règlement de procédure . Aux dires de la BEI,
la Commission a désigné comme partie défenderesse la "Banque européenne d' investissement", alors qu' elle aurait dû viser le "conseil des gouverneurs ". La Banque et la Communauté se trouvent en effet dans la même situation . S' il est vrai que la seconde est également dotée de la personnalité juridique, il n' en est pas moins nécessaire, pour l' attraire en justice, de la citer par le truchement de ses institutions .

Par ordonnance du 3 juillet 1986 ( Rec . p . 2215 ), la Cour a rejeté cette exception, confirmant ainsi la jurisprudence selon laquelle les erreurs de forme dans la désignation de la partie défenderesse peuvent être rectifiées même après l' introduction du recours et, en dernier lieu, dans le prononcé même de l' arrêt ( voir arrêt du 2 mars 1977 dans l' affaire 44/76, Milch -, Fett - und Eierkontor, Rec . p . 393, point 1 ). La Cour a, en l' espèce, fait observer que, si l' acte introductif d'
instance mentionne à tort la Banque comme partie défenderesse, il fait néanmoins expressément référence à l' article 180, sous b ), du traité, selon lequel la Commission est habilitée à former un recours contre les délibérations du conseil des gouverneurs; d' autre part, l' objet du recours est indiqué de façon non équivoque . Ces éléments incitent à considérer que la requête suffit aux exigences de l' article 38, paragraphe 1, de sorte qu' on peut considérer le recours comme introduit non à l'
encontre de la Banque, mais à l' encontre de son organe suprême .

5 . La Banque, toutefois, ne s' est pas arrêtée à la demande ainsi rejetée . Dans le mémoire en défense, elle a, en effet, soulevé trois autres exceptions d' irrecevabilité nettement plus complexes . Nous nous proposons de les analyser une à une .

Elle observe, en premier lieu, que le recours est dirigé contre un acte ne produisant à l' égard des tiers aucun effet juridique et, de toute façon, non susceptible de faire grief . Suscitée par une péripétie interne - l' observation, à laquelle nous avons déjà fait allusion, du comité de vérification -, la décision controversée se présente en effet comme une mesure également d' ordre interne, qui n' a d' incidence que sur les comptes de la Banque du fait qu' elle transfère le produit de l' impôt du
chapitre "Divers" au chapitre "Réserves ". Il est évident, par conséquent, qu' elle n' est pas de nature à rendre plus difficile et, encore moins, à empêcher le versement de l' impôt au budget communautaire . La Banque ajoute que l' imputation au compte "Réserves" des sommes prélevées jusqu' à la fin de 1985 sert de garantie par rapport à ses créanciers, ce qui fait que l' ensemble de la Communauté en retire un avantage .

La deuxième exception met l' accent sur le fait que le budget ne comprend pas d' articles ou de postes relatifs au produit de l' impôt, d' où la conclusion que, en tant qu' organe chargé de l' exécution du budget des Communautés, la Commission ne saurait exiger une recette qui n' est ni prévue ni autorisée sur la base des dispositions pertinentes du règlement financier du 21 décembre 1977 (( respectivement, les articles 4 et 1er, paragraphe 1 ( JO L 356, p . 1 ) )). Un principe fondamental du droit
financier interdit, en effet, de pourvoir aux recettes ou aux dépenses sans une imputation correspondante sur un article ou un poste du budget . D' autre part, étant "tierce" par rapport à la Communauté, la BEI peut légitimement se prévaloir de cet état de fait et, partant, imputer sur son propre compte les sommes accumulées à partir de 1962 .

La troisième exception est encore plus radicale . La Banque observe à cet égard que la cible véritable du recours est une décision du Conseil communautaire : celle par laquelle, en rejetant une suggestion de la Commission, le Conseil s' est abstenu d' inscrire aux recettes au budget le produit de l' impôt perçu sur les traitements des employés de la BEI . Plutôt que d' attaquer la délibération du conseil des gouverneurs, qui se limite à tirer les conséquences de cette décision, la Commission aurait
dû, par conséquent, agir contre l' auteur de cette dernière . D' autre part, et toujours à cause de son statut de "tiers" par rapport à la CEE, la BEI ne peut pas être tenue pour juridiquement responsable de l' éventuelle violation des normes qui régissent l' impôt, perpétrée par l' autorité financière au moment de l' adoption du budget : à preuve, l' arrêt du 13 février 1979 ( affaire 101/78, Granaria BV, Rec . p . 623 ), qui exclut la responsabilité d' un État membre pour avoir appliqué un
règlement communautaire dont l' invalidité n' a pas encore été constatée .

6 . Aucun des arguments ainsi résumés ne mérite, à notre avis, d' être accueilli . S' agissant de porter une appréciation sur ces arguments, nous laisserons toutefois de côté les questions relatives à la nature juridique de la Banque et, en particulier, nous ne chercherons pas à savoir si celle-ci est effectivement un "tiers" par rapport à la Communauté . Ces deux questions sont, certes, d' une importance capitale, mais il ne nous paraît pas indispensable de les examiner à ce stade, alors qu' il est
plus utile de reporter leur examen dans le cadre des problèmes ressortissant au fond du litige .

Inversant l' ordre dans lequel la BEI a formulé ses exceptions, nous nous libérerons d' emblée de celles qui font appel à des concepts du droit financier, tels que l' inscription d' une ligne au budget et les conséquences susceptibles d' en découler . A cet égard, nous aimerions d' abord observer qu' en matière de recettes le bilan a essentiellement un caractère prévisionnel . Il convient ensuite de mettre en exergue le fait que, si on ne tient pas dûment compte du principe dit de "double exécution"
( budgétaire, d' une part, législative ou administrative, d' autre part ), on risque d' aboutir à des résultats paradoxaux .

C' est ainsi que celui qui soutient que la reconnaissance, au profit de la Commission, de la faculté de soumettre à votre censure la validité de l' inscription ( ou de la non-inscription ) d' une recette emporte la déchéance du droit de poursuivre en justice la violation d' un acte législatif - le règlement n° 260/68 - finit en pratique par subordonner l' efficacité des lois communautaires aux choix de l' autorité budgétaire . Or, voulue ou inconsciente, une conclusion de ce genre est absurde . L'
agent de la Commission a dit à l' audience - de façon imagée -, que si les normes adoptées par le législateur devaient se conformer aux caprices des deux organes préposés à l' élaboration du budget, le système serait ingouvernable; d' autant que - comme vous ne l' ignorez pas - ces caprices sont fréquents et obéissent dans la plupart des cas à des motivations purement conflictuelles .

La Commission - il est vrai - donne de bons conseils, mais de mauvais exemples . Elle se contredit, par exemple, lorsqu' elle tire profit des tours de valse du Conseil - lequel, comme on le sait, a refusé à quatre reprises ( exercices 1983 à 1986 ) d' imputer à l' article 400 les contributions payées par le personnel de la BEI avant finalement de l' inclure en ce qui concerne le budget 1987, c' est-à-dire après l' introduction du présent recours - pour en arriver à affirmer que ces sommes étaient
également inscrites dans les budgets précédents; mais là n' est pas la question . Si ce que nous avons dit précédemment est exact, tout le problème est de reconnaître que l' inscription ou le défaut d' inscription d' un impôt à un budget annuel est sans incidence sur le droit pour les intéressés d' invoquer les droits présentement en cause . L' existence de tels droits ne peut en effet être démontrée qu' à la lumière des normes qui régissent la matière, à savoir le protocole du 8 avril 1965 et le
règlement n° 260/68 .

Supposons, toutefois, que la thèse de la BEI comporte un élément de vérité; nous ne sommes pas tenus pour autant d' accepter les conclusions qu' elle en tire . La Banque oublie en effet que l' article 200, paragraphe 1, du traité CEE parle d' "autres recettes" et que cette acception est suffisamment large pour comprendre également le produit de l' impôt sur les rémunérations du personnel; on ne saurait à cet égard objecter qu' après la décision relative aux ressources propres cette disposition n'
est plus utilisable . Comme le relève la doctrine la plus autorisée, les traités des 21 avril 1970 et 22 juillet 1975 ne l' ont pas formellement abrogée, de sorte qu' elle est parfaitement susceptible de déployer certains effets, parmi lesquels, à coup sûr, celui qui nous intéresse présentement ( Sacchettini, "Dispositions financières", in AA.VV ., Le droit de la Communauté économique européenne, Bruxelles, 1982, volume XI, p . 12 et suiv .).

Il reste sur ce point à examiner l' exception qui nie l' aptitude de la mesure litigieuse à produire des effets pour les tiers et, plus généralement, sa nature d' acte faisant grief . Quant à cette dernière objection, la requérante avance un argument qui nous semble tout à fait convaincant : aucune norme du traité - ni l' article 180 ni l' article 173, auxquels le premier renvoie expressément - ne prétend que, pour être attaquable, l' acte fasse grief ou soit de nature à faire grief . Quant à la
première remarque, il suffira d' observer que, lues à la lumière des précédents rapports de la Commission et de la Banque ( voir ci-dessus, point 3 ), les délibérations du conseil des gouverneurs équivalent à un rejet définitif des demandes formées par l' institution . Il n' y a donc aucun doute qu' outre l' effet interne dans le cadre de la Banque la décision en cause déploie également des effets sur le plan externe du fait qu' elle exerce une incidence négative sur les recettes du budget
communautaire .

7 . Venons-en au fond du litige, en commençant par passer en revue les arguments des parties . Comme on le verra, ils rejoignent les thèses que la Banque et que le Coreper ont soutenues au début des années 60, au cours des travaux préparatoires du premier règlement communautaire concernant l' impôt perçu "au profit de la Communauté ": ils sont toutefois plus articulés et approfondis .

Tout d' abord, la Commission : elle commence par affirmer que, en étendant mutatis mutandis à la Banque le régime instauré par la source juridique dont il fait partie intégrante, l' article 22 du protocole n' identifie pas l' organisme dont s' agit comme une entité séparée de la Communauté, mais se limite à le faire bénéficier ( avec ses membres et son personnel ) d' une série d' immunités et de privilèges; on doit donc exclure que la norme confère à la BEI le droit de s' approprier le produit de l'
impôt perçu sur les rémunérations de ses fonctionnaires . Que tel est bien l' objet de cette disposition est du reste confirmé par de nombreux éléments et, en premier lieu, par le libellé même de l' article 13, qui envisage les "Communautés" tandis qu' il ne fait aucune allusion à la BEI . On dira que ce silence est peu probant; or, quiconque réfléchit sur le soin que les rédacteurs des traités de Rome ( article 129 ) ou de fusion ( article 28 ) et des protocoles y relatifs ont mis à distinguer les
deux entités ne pourra pas ne pas constater sa grande importance herméneutique .

Mais il y a plus . Par l' effet de l' article 13, les fonctionnaires paient l' impôt litigieux "aux conditions et selon la procédure fixée par le Conseil statuant sur proposition de la Commission ". Or, si les sommes ainsi recouvrées étaient destinées à la BEI, cette référence exclusive au législateur communautaire ne s' expliquerait pas . A moins, naturellement, de lire "conseil des gouverneurs" et "conseil d' administration" là où le texte désigne les deux plus hautes institutions communautaires .
Or, la portée de la disposition présentement examinée s' oppose à cette lecture . Avec l' adoption de cette disposition, les États membres ont en effet transféré à la CEE cet attribut crucial de leur souveraineté, à savoir le pouvoir d' imposition fiscale; et il n' est pas pensable qu' ils aient entendu faire un sacrifice analogue au profit de la BEI; pour importante qu' elle soit, cette entité n' a de loin pas la stature institutionnelle et politique de la Communauté .

D' autre part, observe encore la Commission, l' objectif poursuivi par la Banque ne trouve aucun soutien explicite ou implicite dans les normes - tel le protocole sur les statuts de la Banque, joint en annexe au traité de Rome - qui régissent l' existence et le fonctionnement de l' organisme . On ne saurait non plus affirmer que, faute de prélever pour elle-même l' impôt litigieux, la BEI se verrait amputée de son autonomie financière et commerciale . L' importance du produit qu' elle a accumulé
depuis 1962 est certes considérable ( 34 millions d' écus ), mais ne représente qu' une goutte d' eau dans l' océan de la masse bilantaire ( 25 000 millions d' écus ). Les créanciers n' ignorent certainement pas - point capital de nature à les rassurer par-dessus tout - que de nombreuses opérations de la Banque sont garanties sur le budget communautaire .

Enfin, le règlement n° 260/68 milite à l' encontre de la pratique de la BEI . Les débats ayant précédé l' adoption de l' acte dont ils constituent la réplique sont éloquents; le fait décisif est toutefois que son article 9 stipule, de façon on ne peut plus claire, que le produit de l' impôt est "inscrit en recettes aux budgets des Communautés ". Ajoutons à cela que la BEI ne dispose pas d' un budget au sens propre de la norme précitée - c' est-à-dire un acte prévisionnel constitutif d' une
autorisation -, mais plutôt d' un document comptable, visant à enregistrer la situation financière de l' organisme au moment de sa rédaction, ce qui tend là encore à démontrer que, bien que dominant au sein du système juridique présentement examiné, le principe de l' application mutatis mutandis ne peut être poussé jusqu' à faire de la Banque un organisme parallèle, et donc "tiers" au regard de la Communauté .

8 . Encore plus riche et non moins ingénieuse est la série d' arguments que fait valoir la défenderesse . Comme on devait s' y attendre, ces arguments reposent sur deux piliers : la nette distinction et l' absolue égalité opérées et respectivement instituées entre la Banque et la Communauté par de nombreuses normes du droit primaire .

En faisant de la BEI un sujet de droit, l' article 129 du traité de Rome sépare les deux entités; de leur côté, le préambule et l' article 22 du protocole du 8 avril 1965, ainsi que l' article 28 du traité de fusion entre les exécutifs, les rendent égales en tant que ces normes confèrent à la BEI des immunités et des privilèges non à titre dérivé ou accessoire - comme cela serait le cas si elles étaient subordonnées à la Communauté -, mais bien à titre originaire . La CEE et la BEI sont donc deux
personnes juridiques de droit international différentes, créées par le traité de Rome et placées à tous points de vue - y compris la capacité de conclure des accords avec des États tiers ( on pense, par exemple, à celui conclu entre la BEI et la Suisse, du 24 mars 1972 ) - sur un plan de parfaite égalité . Cet état de choses se reflète, d' autre part, dans l' ordre interne de la Banque : à peine différente de la structure de la CEE, celle de la Banque présente en effet le même caractère achevé et
comprend, au sommet de l' édifice, un organe composé, à l' image du Conseil communautaire, des ministres des États membres .

L' ensemble de ces éléments interdit évidemment d' assimiler la BEI à des entités telles que la fondation européenne pour l' amélioration des conditions de vie et de travail ou le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle, lesquels ont certes une personnalité morale propre, mais se trouvent par rapport à la Communauté dans un lien de dépendance organique et financière . On sait qu' en revanche :

a ) la composition des organes de la BEI est définie par un acte - les statuts de la Banque - créé par les États membres, de sorte qu' il se situe au même rang que le traité, et

b ) la Banque ne figure pas dans le budget communautaire et fonctionne avec des fonds propres, en particulier grâce au capital versé par les États et au bénéfice résultant de ses opérations .

La thèse de la Commission selon laquelle l' article 22 du protocole du 8 avril 1965 ne ferait qu' étendre à la Banque, à ses membres et à ses fonctionnaires la jouissance des privilèges prévus au titre dudit protocole est donc viciée dans ses prémisses . En réalité, l' extension réalisée par cette disposition a pour premier objet de définir le détenteur, à titre originaire, des avantages ainsi définis; c' est pourquoi on peut dire que la Banque est investie du pouvoir d' imposition fiscale
exactement au même titre que la Communauté . L' article 13 obéit, du reste, au même principe : pour que son alinéa 1 ait un sens, il est donc nécessaire de toujours substituer le terme "Banque" au terme de "Communautés" ainsi qu' à tout pronom les désignant . La Commission, qui veille à ne procéder à ces substitutions que lorsque cela sert ses intérêts, lit en effet la règle de façon absurde, à savoir les fonctionnaires et autres agents des Communautés ( y compris le personnel de la Banque ) seront
assujettis, au profit de ces dernières ( bien entendu, à l' exclusion de la Banque ), à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments versés par elles ( c' est-à-dire les Communautés, ce qui revient à inclure la Banque, bien que ce ne soit pas elles qui rémunèrent le personnel de la BEI ).

En outre, la nature de l' impôt sur les traitements confirme que l' application mutatis mutandis doit être entendue dans un sens large . Voir dans un tel impôt l' expression d' une "prérogative régalienne" non transférable à la BEI en raison de la modestie de sa stature politique ou dire que, en l' instituant, les États membres ont entendu créer une nouvelle recette au profit du budget de la CEE est source d' égarements . Comme les impôts analogues prélevés par d' autres organisations
internationales, l' impôt dont il est présentement question vise simplement à placer les fonctionnaires et agents de toutes les entités européennes - Communautés, d' une part, BEI, de l' autre - dans une situation fiscale identique, abstraction faite de leur citoyenneté et de leur lieu de travail . Or, exiger que l' impôt BEI soit versé au budget de la Communauté signifie ignorer un tel objectif et transformer cet impôt en un impôt "extérieur", ce qui constitue une violation de l' égalité entre les
deux entités . A cela, on ne peut pas objecter que la Banque ne s' oppose pas à la fixation du taux par un organe "extérieur", comme précisément le Conseil communautaire . Pour le moment, en effet, cette circonstance est neutre; ce ne le serait plus, par contre, si la BEI perdait le contrôle de l' impôt, puisqu' en pareil cas une éventuelle augmentation du taux aurait pour effet d' accroître les ressources de la Communauté, mais à l' évidence pas les siennes .

Ce n' est toutefois pas simplement la finalité de l' impôt que la Commission ignore lorsqu' elle dénie à la BEI le droit de percevoir les sommes payées par son personnel . Elle ignore également, ce faisant, le fait que le protocole dont l' impôt tire son origine remonte au 17 avril 1957, alors que les statuts de la Banque, dans lesquels sont énumérées les ressources de cet organisme, portent la date du traité de Rome, à savoir le 25 mars 1957 . Qui plus est, la Commission méconnaît le traitement
discriminatoire et les divers préjudices que subirait la BEI si ces sommes lui étaient retirées .

La discrimination est évidente . La lecture du budget communautaire permet d' observer qu' au Conseil, à la Commission, à la Cour et au Parlement le produit de l' impôt versé par leurs fonctionnaires respectifs est réintégré aux recettes et que les quatre institutions affectent ce produit à la couverture partielle de leurs frais administratifs; à la BEI, en revanche, ce mécanisme compensateur ne s' applique pas, de sorte qu' elle se verrait "taxée" au seul profit de la Communauté . Fait non moins
grave, la Banque - au cas où elle serait privée du produit de l' impôt - verrait augmenter les coûts de son propre fonctionnement . Cette augmentation provoquerait en effet une contraction de ses fonds - sur lesquels, rappelons-le, les États membres ont des droits exclusifs - et, pour ces États, elle entraînerait la possibilité d' être appelés à rétablir les mêmes fonds .

Il y a ensuite le risque que la perte de l' impôt assombrisse l' image de marque de la BEI en tant qu' organisme juridiquement et financièrement autonome et, par voie de conséquence, réduise sa capacité à obtenir des crédits et à rassembler des capitaux sur le marché international . Pour la BEI, les raisons de ce lien sont claires . Le statut d' indépendance de la Banque - statut rendu par-dessus tout visible du fait qu' il n' est pas soumis au pouvoir d' imposition de Bruxelles et au contrôle de la
Cour des comptes - est le fondement du prestige qu' on lui reconnaît et, par là même, des conditions particulièrement favorables qu' on lui fait . Si le premier aspect disparaissait, le second subirait le même sort, preuve que l' aphorisme du Chief Justice Marshall dans l' affaire McCulloch/Maryland - "the power to tax involves the power to destroy" - garde toute son actualité; et ce n' est pas tout : aujourd' hui, la participation de la BEI au financement d' un projet attire d' autres financiers,
parce qu' ils savent que l' organisme intervient à la suite d' appréciations objectives et non - comme cela arrive souvent pour ce qui est de la Communauté - sur la base de considérations principalement politiques . Donc, si l' autonomie de la Banque devait diminuer, son activité serait en outre compromise sur le plan de l' affectation des prêts .

Enfin, aux yeux de la BEI, les arguments que la Commission tire du règlement n° 260/68 paraissent on ne peut plus fragiles . A cet égard, on doit souligner que, outre l' impossibilité, pour le Conseil communautaire, de se prononcer sur la destination de l' impôt perçu par la Banque en vertu du protocole, le Conseil n' était pas non plus habilité à définir les conditions et modalités de son application; cette compétence revient en effet au conseil des gouverneurs lequel ne l' a pas exercée jusqu' à
présent, uniquement parce que des motifs d' opportunité l' ont conduit à préférer l' existence d' un régime uniforme . Sont ensuite dénués de pertinence les travaux préparatoires du règlement précité, ne serait-ce que parce que les documents qui en rendent compte proviennent tous d' une seule source, à savoir le secrétariat du Conseil ou le Coreper . Il se pourrait en outre que le président de ce dernier n' ait pas aperçu la portée exacte de l' adhésion donnée par le président du conseil d'
administration de la Banque, relativement aux thèses soutenues par le Coreper; de toute façon, le président du conseil d' administration n' avait aucun pouvoir d' engager la Banque, s' agissant d' un problème ayant une incidence sur les droits des États membres .

Mais ce n' est pas tout . Comme on le voit, à l' évidence, l' article 12 du règlement étend les effets de cet acte au seul personnel de la BEI . En disposant que le produit de l' impôt est inscrit en recettes aux budgets des Communautés, l' article 9 ne se réfère donc pas à la Banque; l' obligation y relative a en effet pour destinataire non le conseil des gouverneurs, mais l' autorité communautaire compétente en matière budgétaire .

9 . Nous examinerons d' ici peu les thèses que nous venons de récapituler . Dans l' immédiat, nous tenons à souligner que les prémisses dont la Banque s' est inspirée trouvent un large consensus dans la doctrine et se trouvent confortées par la pratique . Examinons l' une et l' autre .

Parmi les arguments avancés par les spécialistes, certains mettent l' accent sur le traité, et en particulier sur les articles 4, 129 et 180 : le premier, parce qu' il ne mentionne pas la Banque parmi les institutions et les organes auxiliaires ( Cour des comptes, Comité économique et social ) de la Communauté; le deuxième, parce qu' il confère à la Banque une personnalité juridique propre, qui apparaît même sur le terrain des relations internationales ( voir plus particulièrement, Moeller-Borle,
Handbuch des Europaeischen Rechts, Baden-Baden, 1984, volume XI, fascicule IA 58, p . 27, et Kaeser, "The European Investment Bank : its Role and Place within the European Community system", in Yearbook of European Law, 1984, p . 320 ); le troisième, parce que, en renvoyant à l' article 169, il confère au conseil d' administration les pouvoirs reconnus à la Commission dans l' hypothèse d' un manquement à une obligation incombant aux États membres . D' autre part, le fait que cette norme habilite la
Commission à attaquer des délibérations des organes de la BEI ne milite pas en faveur d' un rapport de dépendance entre la Banque et la Communauté; cela montre tout au plus, dit-on, que les missions assignées à la BEI sont d' ordre instrumental, par rapport à celles de l' autre entité ( Mosconi, La Banca europea degli investimenti . Aspetti giuridici, Padoue, 1976, p . 18 ).

D' autres arguments encore se fondent sur des données hétérogènes : ainsi, la grande similitude entre les organes de la BEI et les institutions communautaires ( le conseil des gouverneurs, note Leanza, ne serait rien d' autre que le Conseil de Bruxelles, dont il ne diffère que par le nom - voir Leanza, "Commento all' articolo 129" ( commentaire de l' article 129 ), in : AA.VV ., Commentario del trattato CEE, Milan, 1965, volume II, p . 999 ); de même, la circonstance que la BEI agit journellement
comme mandataire de la Communauté et qu' elle se distingue par conséquent de cette dernière ( Mosconi, op . cit ., p . 15, et Henrion, "La Banque européenne d' investissement", in AA.VV ., Les nouvelles, Droit des Communautés européennes, Bruxelles, 1969, p . 968 ); enfin, les exigences impératives inhérentes au fonctionnement de la Banque . En créant la BEI, les auteurs du traité auraient, en d' autres termes, reconnu la nécessité d' un organisme indépendant, libre d' influences gouvernementales,
géré selon les règles régissant l' activité des instituts de crédit et capable d' obtenir la confiance des opérateurs sur le marché international des capitaux ( Licari, "The European Investment Bank", in Journal of Common Market Studies, 1969-1970, p . 194; Moeller-Borle, op . loc . cit .; L . J . Constantinesco, "Das Recht der Europaeischen Gemeinschaften", in Das institutionnelle Recht, Baden-Baden, 1977, volume I, p . 441 et suiv .; Mosconi, "La Banque européenne d' investissement", in AA.VV .,
Le droit de la Communauté économique européenne, Bruxelles, 1979, volume VIII, p . 20 ).

Comme nous l' avons dit, la pratique abonde dans un sens analogue, si tant est que jusqu' à aujourd' hui les organes communautaires, les États membres et au moins un État tiers ont bien pris soin d' éviter des confusions entre la Banque et les Communautés . La Commission, par exemple, rappelle que les organes exécutifs de la BEI "ne sont responsables qu' envers la Banque" ( réponse à la question écrite de l' honorable parlementaire M . Cousté, n° 288/73, JO 1973, C 106, p . 14 ); dans le même ordre
d' idées, à l' occasion d' un message adressé à l' Assemblée fédérale, le 11 août 1972, le gouvernement helvétique affirme que "l' accord avec la BEI, institution de droit public indépendante des Communautés européennes, ( est ) distinct par nature et sur le plan institutionnel de l' accord de libre-échange conclu entre la Suisse et la CEE ".

10 . On peut comprendre à cet égard pourquoi un des juristes italiens parmi les plus connus a ramené la BEI à la catégorie des "entreprises-organisations internationales", c' est-à-dire au nombre des entités que les États créent par voie d' accord, pour pourvoir, avec ou sans finalité lucrative, à la production ou à la distribution de biens ou de services ( Conforti, "Le imprese internazionali", in Rivista di diritto internazionale privato e processuale, 1970, p . 243 ); on ne s' étonnera pas non
plus qu' une étude allemande tout aussi autorisée ait défini la Banque comme un "Glied" ( membre ) des Communautés, tout en assortissant cette expression d' adjectifs et de substantifs si contradictoires - tels que "weitgehend unabhaengig", c' est-à-dire "largement indépendant", et "Zwitterstellung", c' est-à-dire "ambiguïté", ou mieux : "hermaphrodisme ") - qu' ils privent en pratique ce concept de toute prégnance ( Hilf, Die Organisationsstruktur der Europaeischen Gemeinschaften, Berlin,
Heidelberg, New York, 1982, p . 31 et suiv .). Toutefois, nous sommes persuadé qu' une recherche non fondée sur des données formelles, mais tendant à embrasser le projet complexe des pères fondateurs et attentive aux multiples intérêts en jeu, aboutit à priver de validité la théorie d' une BEI indépendante, et donc "tierce" par rapport aux Communautés .

Commençons par une remarque irréfutable : sans exagérer l' importance du titre et ( le cas échéant ) du préambule d' un texte législatif au regard de l' identification de ses matières les plus marquantes, il est de fait que le traité de Rome s' intitule "traité instituant la Communauté économique européenne" et que dans le préambule il est encore question de la "Communauté", alors qu' il n' est fait aucune allusion à la Banque . Plus significative est, toutefois, la teneur des articles 1er à 3 .
Comme on le sait, après avoir annoncé ( en lettres majuscules ) la fondation d' une Communauté économique européenne, ces dispositions dressent une liste des objectifs et énumèrent en onze points les actions de nature à concrétiser ces objectifs . Or, l' "institution d' une Banque européenne d' investissement" destinée à "faciliter l' expansion économique de la Communauté par la création de ressources nouvelles" figure précisément ( et en lettres minuscules ) au dixième des onze points (( sous la
lettre j ) )). La BEI envisagée donc comme instrument de la CEE? Il semble bien qu' il en soit ainsi; également, parce que les autres règles concernant la Banque ( articles 129 et 130 ) appartiennent à la troisième partie du traité, intitulée "La politique de la Communauté", qu' elles suivent les dispositions consacrées aux politiques économique et sociale et disposent que, outre la mission générale définie sous la lettre j ) précitée, l' organisme en question a pour mission de contribuer au
"développement équilibré et sans heurt du marché commun dans l' intérêt de la Communauté ".

Pour les besoins de la présente affaire, cette dernière formulation semble particulièrement éloquente . Si on la compare, en effet, aux dispositions de l' article 2, aux termes desquelles la Communauté a pour mission, entre autres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l' ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, on s' aperçoit - confirmation de ce que nous avons déjà dit : qu' entre les objets définis dans l' un et dans
l' autre la coïncidence est parfaite . Le "caractère particulier" fréquemment attribué à la Banque réside alors - sinon uniquement, du moins à coup sûr de façon prépondérante - dans la spécificité des procédures par le jeu desquelles elle est appelée à poursuivre lesdits objectifs, à savoir faciliter par l' octroi de prêts et de garanties le financement de projets dans tous les secteurs de l' économie, plus précisément :

a ) projets envisageant la mise en valeur des régions moins développées,

b ) projets visant la modernisation ou la conversion d' entreprises ou la création d' activités nouvelles appelées par l' établissement progressif du marché commun,

c ) projets d' intérêt commun pour plusieurs États membres ( article 130 ).

Or, ce ne sont pas là les seuls indices que la législation originaire offre à la thèse qui a nos préférences . Le fait que ce soit les États membres eux-mêmes qui composent la Banque revêt indéniablement de l' importance; à tel point que même les auteurs penchant pour la théorie contraire ont admis la "relation biunivoque" existant entre les participations du même État aux deux organismes ( Mosconi, La Banca europea degli investimenti . Aspetti giuridici, op . loc . cit ., p . 19 et suiv .). Il y a
lieu en effet d' interpréter l' article 129, alinéa 2, dans le sens que les membres de la Banque sont tous les États membres de la CEE et que seuls ces États peuvent en être membres . Deux circonstances démontrent cette proposition : d' une part, l' absence dans les statuts de la BEI de normes relatives à l' acquisition ou à la perte de la qualité de membre susceptibles, par hypothèse, d' opérer différemment de celles définies à l' article 237 en matière d' adhésion à la CEE; d' autre part, la
pratique suivie lors de chaque élargissement de la Communauté, qui a donné lieu à chaque fois à la négociation avec les nouveaux États membres de protocoles spéciaux relatifs aux statuts de la Banque .

Continuons . Nous avons vu que la BEI et les juristes favorables à sa thèse soulignent la similitude existant entre la structure et les missions du Conseil communautaire et celles du conseil des gouverneurs . En soi, cet argument nous paraît en réalité neutre ou à double tranchant; il milite cependant en définitive en faveur de la conception présentement défendue si on considère que :

a ) en vertu de l' article 10 des statuts de la BEI, "les votes (( de l' organe suprême de la Banque )) sont régis par les dispositions de l' article 148 du traité";

b ) en cas de silence des statuts, on doit tenir pour applicables au conseil des gouverneurs également les autres règles de procédure définies par le traité pour l' institution correspondante de la Communauté ( voir, au reste, Leanza, op . loc . cit ., p . 999, Mosconi, op . loc . cit ., p . 75 ).

Sur un plan contigu, il convient en outre d' observer qu' il existe entre la Commission et la Banque d' importants rapports organiques et fonctionnels . En ce qui concerne les premiers, on sait qu' un membre titulaire et un membre suppléant du conseil d' administration sont nommés sur désignation de la Commission ( article 11, paragraphe 2, des statuts ); comme exemple des seconds, relevons que cette dernière a toute une série de pouvoirs sur la gestion courante de l' organisme en cause; c' est
ainsi que les demandes de prêt ou de garantie peuvent être adressées à la Banque par l' intermédiaire de la Commission et que, lorsque tel n' est pas le cas, elles doivent lui être soumises pour avis, étant entendu qu' en cas de réponse négative, le conseil d' administration doit - autre forme d' interaction - les approuver à l' unanimité . Il ne nous semble pas excessif de déduire de ce régime ( article 21, paragraphes 1, 2 et 6, des statuts ) que les intérêts pris en charge par la Banque sont
identifiables aux intérêts généraux de la Communauté .

11 . Mais, s' il en est bien ainsi, on peut se demander pourquoi la législation originaire a conféré à la BEI la personnalité juridique et l' autonomie financière . La réponse n' est pas difficile . Entre l' hypothèse, avancée à la conférence de Messine, de confier la promotion des investissements en Europe à un fonds spécial et la proposition de poursuivre cet objectif par la création d' une véritable banque, cette dernière a prévalu pour toute une série de raisons : ainsi, la résistance des États
riches sur lesquels reposerait de façon prépondérante la charge de financer le fonds, la sphère - bien plus ample que dans le cas de la CECA - des missions assumées par la nouvelle Communauté et la volonté de parvenir à une solution calquée sur des précédents internationaux ( on pense à la Banque pour la reconstruction et le développement ). Toutefois, après que le choix se fut porté sur l' option BEI, faire de cette entité un sujet doté de la capacité d' agir correspondait à une démarche évidente
et en quelque sorte obligatoire, ne serait-ce que pour mettre le nouvel organisme en mesure d' opérer à l' intérieur des divers États membres comme n' importe quel autre institut de crédit .

Des considérations analogues valent en ce qui concerne les ressources de la BEI . Il s' imposait manifestement que cette dernière pût compter sur un capital social propre; cette option pouvait en tout état de cause s' expliquer à la lumière des difficultés rencontrées en matière de garanties pour les interventions financières de la Haute Autorité CECA . A l' invitation expresse de son bailleur de fonds - le gouvernement des États-Unis, par l' intermédiaire de la Eximbank -, cette institution avait
en effet été obligée de conclure avec la Banque des règlements internationaux un accord dénommé "Act of Pledge ". En vertu de cet accord, les recettes des emprunts non encore utilisées en vue de l' octroi des prêts, les créances correspondant aux prêts consentis et les garanties y relatives étaient rassemblées dans un portefeuille distinct, lequel servait à son tour de nantissement commun des bailleurs de fonds de l' organe communautaire et était opposable à tous ses créanciers ( Cervino, "Commento
all' articolo 51", in AA.VV ., Commentario CECA, Milan, 1970, volume II, p . 673 et suiv .).

La raison d' être des normes consacrées par les articles 129, alinéa 1, du traité et 4 des statuts de la BEI est donc avant tout technique : en d' autres termes, les facteurs qui sous-tendent ces dispositions ont un profil plus bas que ce que la Banque imagine et affirme . Il nous semble en tout cas que vouloir fonder sur ces normes le caractère de "tierce personne" de la BEI constitue une opération à tout le moins hasardeuse . Comme nous le dirons dans un instant, nous ne croyons pas que la Banque
soit au sens technique un organe de la Communauté . Mais même celui qui envisagerait l' entité dont s' agit, selon ce schéma - aux antipodes certes de la thèse qui veut que la BEI soit un "tiers" -, la capacité d' agir qui lui a été reconnue par les pères fondateurs ne constitue pas un obstacle . La doctrine la plus autorisée admet en effet depuis longtemps que l' organe d' une personne juridique peut avoir lui-même la personnalité et l' autonomie financière et que ce statut peut se manifester
également à l' extérieur de la structure dont il fait partie ( Mortati, Istituzioni di diritto pubblico, VIIIe édition, Padoue, 1969, I, p . 196 et suiv .; Giannini, Istituzioni di diritto amministrativo, Milan, 1981, p . 114 et suiv .; Vedel, Droit administratif, VIIe édition, Paris, 1980, p . 808 et suiv .).

12 . Le résultat auquel nous sommes parvenus réduit, du moins en partie, l' importance du débat autour de la qualification de la BEI dans le contexte communautaire à ses justes proportions . Il est néanmoins pertinent et utile de prendre position sur ce point .

Procédons par ordre : que la Banque ne soit pas comprise parmi les institutions visées à l' article 4 est, à notre sens, une donnée qu' il convient de ne pas surévaluer . Pour le démontrer, deux remarques : en premier lieu, le fait que cette expression ne figure pas dans le texte allemand du traité - on trouve le terme "organe" - alors qu' inversement il est utilisé en ce qui concerne la BEI dans au minimum trois normes du droit dérivé : la première est l' article 1er du règlement de procédure de la
Cour, dans lequel on peut lire qu' "aux fins de l' application du présent règlement le terme 'institutions' désigne les institutions des Communautés européennes, ainsi que la Banque européenne d' investissement"; l' article 14, paragraphe 4, de l' accord interne relatif à la convention de Lomé (" s' il apparaît, au cours de l' instruction d' un projet ... par la Commission ou la Banque, que celui-ci ne peut être financé avec l' une des formes d' aide respectivement gérées par elles, chacune d' elles
transmet de telles demandes à l' autre institution "); l' article 5 de la décision du 8 avril 1965 des représentants des gouvernements des États membres, relative à l' installation provisoire de certaines institutions et de certains services de la Communauté ( JO 1967, 152, p . 18 ), d' où il résulte de façon parfaitement claire que la BEI est considérée comme une institution, et non comme un service .

Mais c' est la seconde remarque qui est déterminante : la qualification "institutions", que le traité réserve de façon exclusive à quelques organismes communautaires, n' a pas de contenu ou de substance spécifique ce qui lui ôte toute utilité sur le plan théorique . Cela étant admis, on peut tranquillement ajouter que rechercher les caractéristiques communes aux diverses institutions pour construire un concept unitaire de celles-ci se traduirait par une perte de temps . Imaginons, en effet, que nous
aurions déjà effectué cette recherche et que nous devions en appliquer les résultats à l' organisme x : s' il se trouve que celui-ci possède lesdites caractéristiques, mais n' est pas défini comme une institution dans le traité, le terme ne pourrait pas lui être décerné; alors qu' une institution, même si elle est dépourvue d' une ou plusieurs desdites caractéristiques, ne sera pas pour autant déclassée, dès lors que les textes l' auront désignée comme telle .

Comme nous l' avons précédemment signalé, toutefois, le problème ne se résout pas non plus en appliquant à la Banque le modèle de l' "organe", bien que la doctrine y ait fréquemment recours ( Leanza, op . loc . cit ., p . 997, Barre, "La Banque européenne d' investissement", in Revue du Marché commun, 1961, p . 253 ), assorti, tour à tour, des qualificatifs "subsidiaire" ( Dupuy, "Le droit des relations entre organisations internationales", in Recueil des cours, 1960, volume II, p . 575 ),
"auxiliaire" ( Monaco, "Commento all' articolo 3", in AA.VV ., Commentario CEE, op . loc . cit ., volume I, p . 45 ) ou "accessoire" ( Vignocchi, Le Comunità europee : gli organi comunitari et le loro funzioni, Milan, 1963, p . 90 ). La raison nous semble évidente : il manque à la BEI un attribut fondamental de l' organe, à savoir la directe imputabilité des actes qu' elle accomplit à l' entité CEE, à laquelle, selon la thèse présentement examinée, la BEI est censée appartenir ( Levi, "Sulla
competenza della Corte di giustizia comunitaria nelle controversie tra la BEI e i suoi dipendenti", in Rivista di diritto europeo, 1978, p . 235 ).

Ni institution ni organe, donc . Comment exprimer alors, en termes positifs, la conclusion à laquelle nous sommes parvenu, que la BEI n' est pas un sujet "tiers", parallèle à la Communauté? La réponse - croyons-nous - est aisée . Le sujet BEI entretient avec la Communauté une relation de type fonctionnel . En d' autres termes, un rapport analogue à celui liant les établissements publics constituant ce qu' on appelle l' "administration indirecte" de l' État à l' État lui-même . Cette thèse - qui
manque peut-être d' éclat, mais qui est certainement, plus que toute autre, respectueuse de la réalité juridique - est, de surcroît, confortée par votre jurisprudence . Nous dirons même plus . En la faisant sienne - tout en restant dans les limites du principe en vertu duquel le juge "jubet, non docet" -, la Cour n' aurait pu être plus explicite .

Nous pensons, en premier lieu, aux affaires jointes 27 et 39/59, Campolongo/Haute Autorité ( Rec . 1960, p . 794 ), qui envisageaient le traitement économique qu' il y avait lieu de réserver à un fonctionnaire de la CECA passé à la BEI tout de suite après l' entrée en vigueur du traité de Rome . L' avocat général M . Roemer a affirmé que "la Banque n' est pas destinée à mener une vie propre, mais qu' elle est un instrument de la CEE" et que "la nécessité de donner un statut particulier à la Banque
en raison de ses fonctions commerciales ne doit donc pas amener à négliger le lien fonctionnel prédominant avec la CEE ". Vous avez suivi ce point de vue . L' arrêt du 15 juillet 1960 reconnaît en effet l' "unité fonctionnelle des Communautés européennes et des institutions annexes" et en tire la conclusion que, lors de son transfert de l' une à l' autre de ces "communautés ou institutions", l' agent ne peut cumuler les indemnités versées à titre d' indemnité de départ et celles versées à l'
occasion de l' entrée en service .

Il y a ensuite l' affaire 110/75, John Mills/BEI ( arrêt du 15 juin 1976, Rec . p . 955 ), qui soulevait la question de votre compétence en matière de recours formés par les agents de la Banque contre leur employeur . Comme on le sait, aux termes de l' article 179 du traité, la Cour est "compétente pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses agents ". Le problème qui vous était posé revenait donc à vérifier si l' organisme défendeur appartenait à la CEE . Vous avez répondu par l'
affirmative en mettant l' accent sur la circonstance que l' article 22 du protocole du 8 avril 1965 étend les immunités et les privilèges prévus par ce texte aux agents de la Banque . A ce titre - avez-vous affirmé -, ceux-ci se trouvent "dans une situation ... identique à celle du personnel des institutions de la Communauté", d' où la conclusion que "l' article 179 ... comprend également la Banque en tant qu' organisme communautaire institué et revêtu de personnalité juridique par le traité" (
affaire 110/75, précité, points 13 et 14 ).

Très important - en tant qu' il corrobore le principe ainsi défini - est enfin l' arrêt du 13 mai 1982 ( affaire 16/81, Alaimo/Commission, Rec . p . 1559 ). Il s' agissait là encore de faire la lumière sur la portée de l' article 179, mais cette fois dans le cadre d' un recours intenté par un agent du Centre européen pour le développement de la formation professionnelle; à cette occasion, l' exécutif communautaire vous a proposé d' entendre par "agents des Communautés" uniquement le personnel des
institutions énumérées à l' article 4 du traité et des organismes - Cour des comptes, Comité économique et social - que l' article 1er, alinéa 2, du statut des fonctionnaires et autres agents assimile aux institutions . On devrait donc tenir pour exclus de l' application du statut les agents des organismes jouissant de la personnalité juridique et distincts de la Communauté, que ces organismes soient directement prévus par le traité ( c' est le cas de la BEI ) ou - comme pour le Centre dont s' agit
- institués en application de celui-ci .

La Cour a jugé formaliste une telle approche et l' a sèchement écartée . Plus particulièrement significatifs au regard de la question qui nous préoccupe sont les passages de l' arrêt dans lesquels, pour démontrer l' appartenance du Centre à la Communauté, vous avez considéré que le protocole précité était applicable à ce Centre et vous avez ajouté que les privilèges y relatifs "ont été accordés, ainsi que le précise l' article 28 du traité (( sur la fusion des exécutifs )) ..., en vue de l'
accomplissement de (( ses )) missions ". Ces prérogatives "ne sauraient (( donc )) concerner des organismes étrangers à cette mission" et ne possédant pas le "caractère d' un organisme communautaire" ( points 8 et 9 ).

13 . Sur le fondement des données examinées à partir du point 10 et des conclusions qui s' en dégagent, il nous semble qu' on ne peut plus désormais nourrir aucun doute sur la nature de la BEI : loin de présenter les caractères d' une organisation internationale différente de la CEE et de pouvoir dès lors être assimilée à des organismes tels que l' Office européen des brevets, le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme et l' Institut universitaire européen, la Banque est un
segment spécifique et autonome de l' appareil communautaire . Elle ne devrait donc pas avoir vocation à s' approprier le produit de l' impôt prélevé sur les traitements de ses agents . Pour consolider de façon définitive ce résultat et en tirer les conséquences qui conviennent par rapport au recours sur lequel vous êtes appelés à vous prononcer, il est toutefois nécessaire de démontrer le caractère non fondé des nombreux arguments en sens contraire invoqués par la défenderesse .

Commençons par son interprétation du protocole sur les privilèges, et en particulier de ses articles 13 et 22 . Elle nous paraît en nette contradiction à la fois avec l' article 18 dudit protocole et, surtout, avec le corollaire que l' arrêt du 13 mai 1982, précité, déduit de l' article 28 du traité du 8 avril 1965 ( ou 1er juillet 1967 : voir ci-dessus, point 2 ). Le premier, en effet, énonce de manière expresse que l' ensemble des avantages consacrés par le protocole sont accordés à leurs
destinataires "dans l' intérêt (( des Communautés ))" et, comme nous venons de le voir, l' arrêt précité exclut que parmi ces destinataires figurent les organismes pour lesquels le "caractère d' un organisme communautaire" fait défaut . Bien entendu, ce qui vaut pour les avantages ( immunité de juridiction, facilités monétaire et de change, franchise douanière pour les effets personnels et la voiture, exemption des impôts nationaux, etc .) vaut également, lorsqu' elles sont prévues, pour les
situations de désavantage correspondants, donc pour l' assujettissement à l' impôt communautaire .

Dès lors, la thèse de fond de la défenderesse s' effondre; et, avec elle, les arguments qui lui sont plus directement liés, tel le fait de dénoncer les effets - discriminatoires pour la seule Banque - que susciterait une augmentation du taux par le Conseil communautaire . Dans le même ordre d' idées, il nous semble que la circonstance que le protocole est postérieur aux statuts de la BEI, et donc à la source énumérant les ressources de la Banque, est dénuée de pertinence . L' impôt ne figure
précisément pas, en effet, au nombre de ses ressources; et si, comme le laisse entendre la défenderesse, ce silence était le résultat d' une omission, les États membres auraient facilement pu y remédier en mettant à profit les occasions de modification de ces statuts, qui leur étaient donnés par le traité sur la fusion des exécutifs et les trois élargissements de la Communauté .

Il n' est pas possible non plus de parvenir à d' autres conclusions en raisonnant sur la nature juridique de l' impôt en cause . Sur ce point - il faut le dire -, la confusion a été le fait des deux parties . La Commission est dans l' erreur - et irrespectueuse - lorsqu' elle affirme que la BEI ne peut pas avoir été investie de prérogatives fiscales, simplement parce qu' elle manquerait d' une stature institutionnelle et politique adéquate; mais la Banque est elle aussi dans l' erreur quand elle
déduit du caractère interne de l' imposition l' idée que, sous peine d' être transformée en imposition "externe", le produit de l' impôt doit nécessairement lui être imputé . L' impôt présentement en cause - c' est vrai - doit sans aucun doute être considéré comme une imposition interne . Les États membres ont renoncé en effet à taxer un ensemble de ressortissants au moyen d' un accord international et, par le truchement de ce même accord - autrement dit, par une manifestation de souveraineté qui s'
est articulée dans différentes mesures internes de ratification et d' exécution -, ont institué un impôt spécial et uniforme au profit d' une entité créée par ces États ( voir G . Tesauro, Il finanziamento delle organizzazioni internazionali, Naples, 1969, p . 233 et suiv .. Mais - là gît le lièvre - cette entité n' est pas la BEI; dans l' optique que nous avons exposée jusqu' à présent, cette entité est la Communauté économique européenne .

Venons-en aux arguments fondés :

a ) sur la discrimination dont serait victime la BEI au cas où elle ne serait pas destinataire de l' impôt, dans une situation où il apparaît qu' elle est exclue du mécanisme compensatoire appliqué aux autres institutions communautaires;

b ) sur le préjudice économique qui résulterait pour la BEI de l' augmentation des coûts de fonctionnement provoquée par la perte de l' impôt .

Pour réfuter le premier argument, il suffira de rappeler que le droit communautaire admet le principe de non-affectation et que, dans le droit fil de ce principe, "les entrées servent à financer indistinctement toutes les dépenses inscrites au budget de la Communauté" ( voir article 5 de la décision du 21 avril 1970, relative au remplacement des contributions des États membres par des ressources propres de la Communauté, et Strasser, Les finances de l' Europe, Bruxelles-Luxembourg, 1979, p . 21 et
suiv .). Quant au second argument - et pour nous placer dans la logique mercantile dont s' inspire la défenderesse -, nous observerons que les fonctionnaires de la Banque bénéficient d' un organe juridictionnel intégralement financé sur des fonds communautaires, auquel ils peuvent soumettre les litiges concernant leur relation d' emploi .

Quant aux arguments mettant en évidence la perte d' image - une fois perdu le contrôle de l' impôt - que la BEI subirait sur le marché international des capitaux, ils sont eux aussi dépourvus de pertinence . Nous avons tout d' abord l' impression que, en citant la célèbre maxime du Chief Justice Marshall, la défenderesse confond le traitement fiscal de ses employés avec celui de ses opérations financières . Ces dernières - nul ne le met en doute - sont exemptes de taxes ( voir article 22 du
protocole du 8 avril 1965 ). Les fonctionnaires, en revanche, ne le sont pas . Mais il est inconcevable, selon nous, que le versement au budget communautaire de l' impôt prélevé sur le traitement de ses agents puisse réduire la capacité de la Banque à recevoir des crédits et à drainer des capitaux .

En effet, la DG XVIII - Crédit et investissements - de la Commission opère sur le même marché, en émettant des obligations . Or, tout le monde sait que le "rating" de ce service - soit la confiance dont elle jouit au niveau de l' octroi international des crédits - est identique à celui dont jouit la BEI ( trois fois A ). Pourtant, ses fonctionnaires et agents paient un impôt dont le produit est destiné au budget de la Communauté . Ce fait - observerons-nous encore - suffit en soi pour faire justice
de l' objection selon laquelle la BEI opérerait sur la base d' appréciations objectives, alors que la Communauté ferait plus ou moins ouvertement de la politique . Pour les sceptiques, nous pourrons toutefois répéter que l' organe suprême de la Banque a la composition - par excellence politique - et délibère avec un quorum - lui aussi fruit de considérations politiques - déjà prévus pour le Conseil communautaire ( ci-dessus, point 10 ).

Reste à examiner l' accusation portée par la défenderesse à l' encontre du législateur du règlement n° 260/68 d' avoir défini des modalités selon lesquelles l' impôt s' applique à la Banque, alors qu' il n' en avait pas la compétence . A ce propos, remarquons tout d' abord que le présent litige a pour objet exclusif la destination de l' impôt et que la BEI n' a pas saisi l' occasion qui lui était offerte d' invoquer l' inapplicabilité du règlement fondé sur l' article 184 du traité . Mais le point
faible de l' accusation - et de l' argument qui lui est connexe - selon lesquels l' article 9 ne se réfère pas à la Banque - est ailleurs : précisément en ce que son sort est strictement lié à l' indéfendable refus d' admettre que l' assujettissement du personnel de la BEI à l' impôt "au profit de la Communauté" est un principe consacré à titre originaire par les articles 13 et 22 du protocole . De surcroît, en son article 16, cette dernière source habilite le Conseil à déterminer les catégories d'
agents bénéficiaires en tout ou partie de ses normes ( voir, en effet, le règlement n° 549/69 du 25 mars 1969, dont l' article 4 concerne le personnel de la BEI ).

Quelques mots, pour finir, sur les observations de la banque à l' audience, tendant à minimiser l' importance des travaux préparatoires du règlement n° 32/61/CEE et n° 12/61/CEEA . Les organes d' où proviennent les documents y afférents et leur caractère unilatéral n' ont aucune importance, pour peu qu' on ait à l' esprit le rôle joué par le Coreper dans le processus législatif communautaire et si on considère qu' aucune source de droit primaire ne subordonne la mise en oeuvre de la réglementation
d' application à un accord entre le Conseil et la Banque . En outre, et contrairement à ce qu' affirme la défenderesse, il est certain que le président du conseil d' administration a le pouvoir de représenter la Banque à l' extérieur soit dans la conclusion d' accords aux niveaux national et international, soit sur le plan contentieux ( article 13, paragraphes 1 et 6, des statuts ).

14 . Pour toutes les considérations qui précèdent, nous vous proposons d' accueillir le recours introduit le 19 mars 1986 par la Commission des Communautés européennes et, partant, d' annuler la décision adoptée le 30 décembre 1985 par le conseil des gouverneurs de la Banque européenne d' investissement en ce qui concerne l' "affectation comptable du produit de l' impôt retenu par la Banque sur les traitements et pensions de son personnel ".

Nous vous suggérons néanmoins d' exercer le pouvoir qui vous est conféré par l' article 174, alinéa 2, du traité en modulant les effets de votre arrêt . Il est en effet juste de constater ce qui suit :

a ) comme le montre les débats doctrinaux et la pratique dont nous avons rendu compte, les questions qui vous sont posées sont hautement problématiques . En ce qui concerne sa nature, la banque a adopté des arguments qui me paraissent devoir être réfutés, mais qui, en raison même de leur indéniable dignité, démontrent la bonne foi de cet organisme;

b ) la Commission a admis ne pas avoir détecté le non-versement de l' impôt au budget communautaire avant la fin des années 70, en raison d' inexplicables négligences de ses préposés;

c ) entre la ligne suivie par le Conseil au cours de l' élaboration du règlement n° 32/61/CEE et n° 12/61/CEEA, celle suivie au cours des années 1983 à 1985 et celle suivie en 1986, il y a des contradictions éclatantes et - s' il nous est permis de le dire - mystérieuses .

A la lumière de ces données, nous estimons opportun que la Banque soit uniquement tenue de restituer l' impôt dû, mais non la majoration découlant de la capitalisation des intérêts échus à partir du 1er janvier 1962 .

Les raisons pour lesquelles nous avons estimé devoir faire cette proposition nous amènent, en outre, à vous demander de compenser les dépens entre les parties .

(*) Traduit de l' italien .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 85/86
Date de la décision : 24/11/1987
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Impôt retenu sur les traitements et pensions du personnel de la Banque européenne d'investissement.

Privilèges et immunités

Dispositions financières


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Conseil des gouverneurs de la Banque européenne d'investissement.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mancini
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:504

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