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27/10/1987 | CJUE | N°50/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 27 octobre 1987., Les Grands Moulins de Paris contre Communauté économique européenne., 27/10/1987, 50/86


Avis juridique important

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61986C0050

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 27 octobre 1987. - Les Grands Moulins de Paris contre Communauté économique européenne. - Responsabilité non contractuelle de la Communauté - Refus d'octroi de restitutions à la production. - Affaire 50/86.
Recueil de

jurisprudence 1987 page 04833

Conclusions de l'avocat général

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Mo...

Avis juridique important

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61986C0050

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 27 octobre 1987. - Les Grands Moulins de Paris contre Communauté économique européenne. - Responsabilité non contractuelle de la Communauté - Refus d'octroi de restitutions à la production. - Affaire 50/86.
Recueil de jurisprudence 1987 page 04833

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A - Les faits

1 . Dans la procédure dans laquelle nous présentons aujourd' hui nos conclusions, la société Les Grands Moulins de Paris, partie requérante, réclame à la Communauté économique européenne, représentée par ses institutions, le Conseil et la Commission, parties défenderesses, la réparation du préjudice qu' elle prétend avoir subi en raison du fait que les institutions communautaires n' ont pas fait bénéficier le granidon, produit fabriqué par la requérante, des restitutions à la production qui étaient
prévues pour des produits de substitution .

2 . La requérante considère comme illégal le traitement différent réservé au granidon, d' une part, et à ses produits de substitution, d' autre part . Elle estime avoir subi, par suite du refus d' octroi des restitutions à la production, un préjudice qu' elle décompose en trois points :

- non-versement de restitutions à la production de granidon, d' un montant de 31*214,48*FF,

- manque à gagner des cinq dernières années, d' un montant de 6 millions de*FF,

- frais liés à la production du granidon, d' un montant de 271*000*FF .

3 . En conséquence, la requérante conclut en substance à ce qu' il plaise à la Cour :

- condamner la Communauté économique européenne au paiement d' une somme de 6*302*224,48 FF, avec les intérêts légaux à compter du jour de l' introduction du recours,

- condamner la Communauté économique européenne aux dépens .

4 . Le Conseil, partie défenderesse, conclut à ce qu' il plaise à la Cour :

- rejeter le recours en tant qu' il est dirigé contre le Conseil,

- à ce stade de la procédure, réserver les dépens .

5 . La Commission, partie défenderesse, conclut à ce qu' il plaise à la Cour :

- déclarer le recours non fondé et le rejeter,

- condamner la requérante aux dépens .

B - Prise de position

I - Sur la recevabilité

6 . Le Conseil, partie défenderesse, soutient que c' est à tort que le recours est dirigé contre lui : l' éventuel fait générateur de responsabilité est constitué par le fait que le granidon n' est pas mentionné dans la liste des produits bénéficiant de restitutions à la production . La Commission n' a toutefois jamais soumis au Conseil une proposition en ce sens . Le Conseil n' a, dès lors, jamais pu statuer sur l' admission du granidon au bénéfice des restitutions à la production . Il appartient
dès lors à la seule Commission de représenter la Communauté devant la Cour de justice .

7 . Selon la jurisprudence de la Cour de justice, il est, dans l' ordre juridique communautaire, de l' intérêt d' une bonne administration de la justice que, lorsque la responsabilité de la Communauté est engagée par le fait d' une de ses institutions, la Communauté soit représentée devant la Cour de justice par la ou les institutions à qui le fait générateur est reproché ( 1 ). En conséquence, la Cour de justice a déclaré recevable, dans le cas d' un recours en indemnité dirigé contre la Communauté
économique européenne qui était fondé sur un acte normatif du Conseil prétendument illégal, le recours dirigé contre la Communauté, représentée par le Conseil et la Commission, étant donné que le Conseil avait édicté la mesure litigieuse sur proposition de la Commission .

8 . Le même raisonnement doit s' appliquer lorsque la mesure génératrice de la responsabilité de la Communauté est imputable à une carence législative du Conseil . Eu égard à la collaboration qui existe entre le Conseil et la Commission dans le cadre de la procédure législative, dans laquelle le droit d' initiative appartient certes à la Commission, mais la décision finale revient au Conseil, il ne paraît pas judicieux de faire représenter la Communauté uniquement par celle de ses institutions, la
Commission qui, précisément n' aurait pas eu le pouvoir d' arrêter, de sa propre initiative, la mesure législative qu' on a manqué d' adopter . Cette conclusion ne se heurte pas non plus au fait que, dans le cadre de la politique agricole commune, le Conseil ne peut agir, en vertu de l' article 43 du traité CEE, que sur proposition de la Commission, puisque, en application de l' article 152 du traité CEE, le Conseil peut demander à la Commission de lui soumettre toutes les propositions appropriées .
Or, le Conseil n' a pas utilisé cette possibilité pour ce qui concerne la question débattue en l' espèce .

9 . D' autres objections formulées à l' encontre de la recevabilité du recours n' apparaissent pas et n' ont pas non plus été sérieusement soulevées par les parties . La Commission, partie défenderesse, relève certes que la requérante aurait assurément pu attaquer devant la juridiction administrative française les décisions qui lui ont refusé le versement de la restitution à la production et, dans le cadre de cette procédure, faire soumettre à la Cour de justice une question préjudicielle . Mais
elle concède néanmoins que le recours en indemnité au titre des articles 178 et 215 du traité CEE doit être considéré, en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice, comme une voie de recours autonome . Il convient de se rallier à ce point de vue .

10 . Le recours dirigé contre la Communauté économique européenne, représentée par le Conseil et la Commission, est donc recevable .

II - Sur le bien-fondé

1 . Sur l' illégalité de l' attitude des institutions communautaires

11 . De l' avis de la requérante, la Communauté européenne a engagé sa responsabilité à son égard, parce qu' elle n' a pas accepté d' inclure le granidon dans le régime des restitutions à la production dont bénéficient les produits traditionnellement utilisés dans le secteur de la brasserie . Le granidon peut être utilisé en tant que produit de substitution de l' amidon et du gritz de maïs, c' est-à-dire de produits qui sont traditionnellement utilisés dans le secteur de la brasserie . Le fait que
l' amidon et le gritz de maïs aient bénéficié de restitutions à la production, mais pas le produit de substitution qu' est le granidon, constitue, selon la requérante, une violation du principe d' égalité .

12 . La Commission - la seule des institutions défenderesses à avoir répondu sur le fond au grief de la requérante - relève d' abord que le granidon constitue un produit "sui generis", qu' on ne peut pas ranger parmi les produits bénéficiant d' une restitution à la production jusqu' en 1986, ou encore jusqu' en 1989 . C' est seulement lors d' une phase ultérieure de la fabrication, en purifiant le granidon des protéines encore contenues à ce stade, qu' on arrive nécessairement à la production d'
amidon, auquel s' appliquerait alors indubitablement le régime des restitutions à la production .

13 . Selon la Commission, la substituabilité du granidon par rapport à d' autres produits utilisés dans le secteur de la brasserie qui ouvrent droit aux restitutions ne serait nullement établie .

14 . Tout d' abord, il faut retenir que le produit fabriqué par la requérante n' est pas identique aux produits ( 2 ) qui ont bénéficié de restitutions à la production . Compte tenu de son taux de protéines élevé, il ne peut pas être entièrement assimilé au produit auquel il pourrait probablement ressembler le plus, à savoir l' amidon de blé . Bien que ce soit seulement le règlement n°*2169/86 de la Commission, du 10 juillet 1986, déterminant les modalités de contrôle et de paiement des restitutions
à la production dans les secteurs des céréales et du riz ( 3 ), qui ait établi que la pureté de l' amidon ou de la fécule dans l' extrait sec doit atteindre au moins 97 %, on ne peut pas admettre que, pendant la période de plus de dix-huit années, au cours de laquelle un certain nombre de variétés d' amidon avaient bénéficié de restitutions à l' exportation, la notion d' amidon n' ait fait l' objet d' aucune définition . On est à tout le moins en droit d' exclure l' idée qu' un produit, dont la
teneur en amidon est seulement de 85 %, pouvait être considéré comme étant un amidon au regard des restitutions à la production . S' il en avait été autrement, la requérante, en se fondant sur le droit applicable, aurait pu prétendre à des restitutions à la production .

15 . L' attitude de la requérante, qui, selon ses propres affirmations, n' avait jamais, pendant la période au cours de laquelle elle a fabriqué du granidon, cherché à obtenir pour ce produit les restitutions à la production pour l' amidon, corrobore d' ailleurs ce point de vue .

16 . Il reste dès lors à examiner si la Communauté économique européenne était tenue, eu égard au principe général d' égalité, de faire bénéficier également le granidon de restitutions à la production, en tant que produit de substitution de certains produits utilisés dans le secteur de la brasserie .

17 . A l' appui de sa thèse, selon laquelle les produits de substitution devraient également, eu égard au principe d' égalité, bénéficier de restitutions à la production, la requérante a invoqué en particulier les arrêts de la Cour de justice du 19 octobre 1977 ( 4 ) ainsi que du 4 octobre 1979 ( 5 ).

18 . Dans les premiers arrêts précités, la Cour de justice a d' abord constaté que, en vertu de l' article 40, paragraphe 3, alinéa 2, du traité, l' organisation commune des marchés agricoles doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté; que, si ce texte interdit indiscutablement toute discrimination entre producteurs d' un même produit, il ne vise pas d' une manière aussi certaine les relations entre différents secteurs industriels ou commerciaux dans le
domaine de produits agricoles transformés; qu' il n' en reste pas moins que l' interdiction de discrimination énoncée à la disposition citée n' est que l' expression spécifique du principe général d' égalité qui appartient aux principes généraux du droit communautaire; que ce principe veut que les situations comparables ne soient pas traitées de façon différente, à moins qu' une différenciation ne soit objectivement justifiée .

19 . Dans les affaires jointes 117/76 et 16/77, la Cour de justice a examiné s' il était conforme à ces principes de supprimer la restitution à la production pour le quellmehl, tout en maintenant la restitution à la production pour l' amidon; à cet égard, elle a dû tenir compte de la circonstance particulière que la réglementation communautaire avait été basée, jusqu' à l' année 1974, sur la substituabilité des deux produits . Puisque les institutions communautaires attaquées n' ont pas été en
mesure, dans la procédure précitée, de justifier le traitement différent réservé aux deux produits à partir de 1974, la Cour de justice a alors dit pour droit, dans son arrêt du 19 octobre 1977, que l' existence de circonstances objectives qui auraient pu justifier la modification du régime antérieur, mettant fin à cette égalité, n' a pas été établie . Par conséquent, la suppression de la restitution pour le quellmehl, conjointement avec le maintien de la restitution pour l' amidon, équivalait à une
méconnaissance du principe d' égalité .

20 . La Cour de justice a développé un raisonnement analogue dans son arrêt du 19 octobre 1977, dans les affaires jointes 124/76 et 20/77 . Dans ce dernier arrêt également, la Cour a dit pour droit que, compte tenu de la longue période pendant laquelle les deux produits litigieux ( les gruaux et semoules de maïs, d' une part, l' amidon de maïs, d' autre part ) ont bénéficié de l' égalité de traitement en ce qui concerne les restitutions à la production, l' existence de circonstances objectives qui
auraient pu justifier la modification du régime antérieur, mettant fin à cette égalité, n' a pas été établie . Dans cette affaire également, la Cour a constaté l' existence d' une méconnaissance du principe d' égalité .

21 . Dans les arrêts précités du 4 octobre 1979, la Cour a alors tiré la conséquence des décisions précitées et a, en substance, établi le droit à indemnité des sociétés concernées .

22 . Les décisions précitées ont pour particularité commune que des produits précédemment traités de manière identique ont été traités différemment à partir d' une date déterminée . Cette seule circonstance, toutefois, n' aurait probablement pas encore conduit la Cour de justice à affirmer la violation de l' interdiction de discrimination, si les institutions communautaires avaient été à même d' étayer leur point de vue, selon lequel la substituabilité des produits précités n' existait plus par
suite d' éléments nouveaux . Aussi, les décisions précitées nous paraissent-elles contenir implicitement un autre principe de droit, à savoir le principe de la protection de la confiance légitime . Les opérateurs économiques concernés étaient en effet en droit d' escompter que les institutions communautaires partiraient de la substituabilité des produits précités, qui avait été effectivement reconnue dans les actes de la Communauté, et ce jusqu' à ce qu' intervienne une modification objective de la
situation de fait . Ce n' est en effet que lorsque la substituabilité des produits est établie que l' on peut faire appel au principe général d' égalité ou d' interdiction de discrimination .

23 . Il convient de relever, dans ce contexte, que la Cour de justice a constaté dans ses deux arrêts du 19 octobre 1977 que l' article 40, paragraphe 3, alinéa 2, du traité, s' il exclut incontestablement toute discrimination entre producteurs d' un même produit, ne vise pas d' une manière aussi certaine les relations entre différents secteurs industriels ou commerciaux dans le domaine des produits agricoles transformés . A cet égard, la jurisprudence de la Cour de justice nous paraît conférer aux
institutions communautaires, quant à la question du caractère comparable de produits similaires, une certaine marge d' appréciation également dans l' application du principe d' égalité . Or, si une telle marge d' appréciation est déjà reconnue pour des produits de fabrication traditionnelle, elle doit d' autant plus être admise quand il s' agit d' apprécier l' importance économique d' un produit nouvellement mis sur le marché, pour ensuite être à même d' en tirer les conséquences juridiques
nécessaires . En définitive, le principe de la protection de la confiance légitime ne joue plus aucun rôle dans ce cas .

24 . Dans ce contexte, il convient de tenir compte, en outre, de ce que la restitution à la production prévue à l' article 11 du règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales n' est pas destinée à être utilisée pour stabiliser le prix des céréales - c' est l' objectif du régime d' intervention -, mais répond plutôt à l' objectif de mettre à la disposition de l' industrie de transformation les produits de base nécessaires à un prix inférieur à celui qui serait
résulté de l' application du régime de l' organisation commune des marchés ( 6 ).

25 . Le bénéfice de la restitution à la production apparaît donc pour les producteurs des produits amylacés comme l' effet indirect d' une mesure destinée à favoriser l' industrie . C' est pourquoi une certaine circonspection s' impose dans l' application du principe d' égalité à d' éventuels produits de substitution d' un genre nouveau, soit de produits qui ne sont pas directement comparables aux produits indirectement avantagés .

26 . La requérante a certes exposé que son produit avait pu être utilisé dans l' industrie brassicole avec certains succès, sans toutefois réussir à établir clairement qu' il est entièrement substituable aux produits traditionnels . En outre, il est constant que le produit litigieux constitue un produit en amont de l' amidon, qui, dans une phase ultérieure du processus de fabrication, peut être transformé en amidon et bénéficier alors des restitutions à la production .

27 . Ces éléments de fait ne permettent pas d' assimiler le granidon à l' amidon . Il n' y a donc pas violation du principe d' égalité .

2 . Sur les conditions particulières de la responsabilité du fait d' une action normative fautive

28 . Étant donné qu' un comportement illégal de la part des institutions communautaires n' a pas pu être établi, un plus ample examen du recours en dommages-intérêts paraît superflu; c' est uniquement dans un souci d' être complet que nous évoquerons, à titre subsidiaire, les autres moyens de la requérante .

29 . A supposer que le comportement des institutions communautaires eût été illégal, il y aurait lieu d' examiner si les conditions strictes auxquelles la jurisprudence a subordonné la responsabilité des institutions communautaires du fait d' une action normative fautive sont réunies .

30 . Dans le cas d' actes normatifs impliquant des choix de politique économique, cette responsabilité ne saurait être engagée qu' en présence d' une violation suffisamment caractérisée d' une règle supérieure de droit protégeant les particuliers . Sur ce point, la Cour de justice a indiqué, entre autres dans son arrêt du 25 mai 1978 dans les affaires jointes 83 et 94/76, 4, 15 et 40/77 ( 7 ), que, eu égard aux principes en vigueur dans les systèmes juridiques des États membres dans ce domaine, l'
institution concernée doit avoir méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s' imposent à l' exercice de ces pouvoirs ( 8 ).

31 . Il n' est pas à exclure, en principe, que la méconnaissance de l' interdiction de discrimination puisse être considérée comme une violation d' une règle supérieure de droit protégeant les particuliers . Le fait, par exemple, pour la Communauté économique européenne, de traiter d' une manière différente les producteurs du même produit serait tout à fait de nature à engager sa responsabilité . Un tel raisonnement, toutefois, ne peut pas s' appliquer avec la même rigueur quand il s' agit de l'
égalité de traitement de produits de substitution . En fin de compte, comme la Cour l' a exposé dans son arrêt du 19 octobre 1977, l' interdiction de discrimination de l' article 40 du traité CEE ne vise pas d' une manière aussi certaine les relations entre différents secteurs industriels ou commerciaux dans le domaine des produits agricoles transformés . En outre, il s' agit en l' espèce d' une prétendue discrimination par omission, de sorte qu' il conviendrait de soulever la question de savoir à
partir de quel moment il aurait fallu reconnaître l' existence d' une obligation juridique d' agir incombant aux institutions communautaires, dont la violation pourrait seulement fonder un droit en matière de responsabilité .

32 . La requérante a adressé, en 1973, à la direction générale de l' agriculture de la Commission, une première demande visant à l' intégration du granidon dans le régime de restitution à la production, mais elle n' a pas reçu de réponse à cette époque . La requérante en est restée là .

33 . En admettant que l' on puisse encore affirmer que la Commission a l' obligation juridique d' examiner la demande de la requérante et de décider s' il s' imposait de faire bénéficier le granidon d' une restitution à la production, on ne saurait, néanmoins, pour les motifs qui vont être exposés, discerner dans le refus d' octroyer cette restitution une violation caractérisée du principe d' égalité ni un excès de pouvoir manifeste et grave : étant donné que, depuis 1970, la Commission s' était
efforcée de restreindre le régime de restitution à la production, et que ses propositions avaient, au moins en partie, connu une suite favorable auprès du Conseil - jusqu' à ce que la Cour de justice, par son arrêt du 19 octobre 1977, eût déclaré non valides les règlements du Conseil arrêtés sur proposition de la Commission -, on ne peut pas faire grief à la Commission, à une époque où elle s' était attachée à restreindre les restitutions à la production, de n' avoir pas voulu faire admettre par le
Conseil de nouveaux produits au régime des restitutions à la production . Elle a donc encore agi dans le cadre de son pouvoir d' appréciation en matière de choix de politique économique, même si, en agissant de la sorte, elle devait avoir méconnu le principe d' égalité . On ne peut pas voir dans le fait, pour la Commission, partie défenderesse, d' avoir cherché à mener à l' égard des restitutions à la production une politique économique homogène et résolue, un excès de pouvoir manifeste et grave .

34 . Un raisonnement analogue vaut alors également pour ce qui concerne les demandes introduites par la requérante au cours des années 1984 et 1985, visant à faire inclure le granidon dans le régime des restitutions . Il y a certes lieu de concéder aussi que le développement et la commercialisation du produit fabriqué par la requérante peuvent avoir été entravés par le processus de décision interminable des institutions communautaires, qui a duré de 1970 à 1986 . Cela tient à la lourdeur du
mécanisme de décision de la Communauté, dont, dans l' état actuel du droit communautaire, doit tenir compte un opérateur économique qui souhaiterait obtenir, dans un "marché" réglementé, des subventions pour un produit nouvellement mis au point, pour lequel il sait que jusqu' ici des subventions ne sont pas prévues .

35 . Il s' ensuit que, même en supposant qu' il y ait eu comportement illégal de la part des institutions communautaires, les conditions de la responsabilité de la Communauté économique européenne, du fait d' une action normative fautive dans le domaine de la politique économique, ne sont pas réunies .

3 . En ce qui concerne le préjudice survenu

36 . A titre tout à fait subsidiaire, il y aurait lieu encore d' évoquer la question de l' existence d' un dommage ainsi que d' un lien de causalité entre l' abstention de la Communauté et la survenance du préjudice dans le chef de la requérante .

37 . Ce préjudice se décomposerait en trois éléments : non-versement de restitutions à la production, manque à gagner et coûts de production inutiles .

a)*Non-versement de restitutions à la production

38 . Il conviendrait de faire droit à la demande de versement de 31*214,48 FF, étant donné que ce montant n' a plus été contesté par la Commission, partie défenderesse, dans sa duplique .

b)*Manque à gagner

39 . La requérante évalue le bénéfice qu' elle aurait réalisé si le granidon avait été concurrentiel, grâce à l' octroi des restitutions à la production dans les cinq dernières années précédant l' introduction du recours, à 6 millions de FF . Ces estimations reposent sur des hypothèses quant à la possible part de marché que le granidon aurait pu acquérir dans le secteur de la brasserie . Ces hypothèses sont, comme l' expose la requérante, fondées sur des analyses de marché auxquelles la requérante a
procédé pour sa part et qui ne font pas apparaître sur la base de quels éléments objectifs le chiffre d' affaires espéré devrait reposer . Les pièces de la correspondance, produites à la demande de la Cour de justice, que les différentes brasseries et la requérante ont échangées, ne permettent pas de tirer une conclusion fiable quant à l' importance du volume des ventes escompté . En outre, il y a lieu de constater que, selon le calcul du prix de revient établi par la requérante pour l' exercice
1985-1986, même en bénéficiant de la restitution à la production, une perte serait encore apparue . Il eût appartenu à la requérante d' indiquer au moins comment, en partant de cette perte, elle a pu aboutir, au total, à un résultat positif se traduisant par un bénéfice de 6 millions de FF pour les cinq années écoulées . Ne l' ayant pas indiqué, elle n' a pas apporté la preuve qu' elle a effectivement subi le manque à gagner mentionné .

c)*Indemnisation des coûts de production

40 . La requérante n' a pas plus amplement étayé ces coûts d' un montant de 271*000 FF . Elle n' a notamment pas expliqué pourquoi, dans le courant de l' année 1985, le recrutement d' un chef de projet s' était révélé nécessaire, alors que la mise au point du granidon est censée avoir été achevée dès la fin des années 60 . Au reste, il faut souligner que devraient être inclus dans le calcul général du prix de revient du granidon, des coûts directement liés à la production, lesquels constituent un
élément dont il faudrait tenir compte dans le calcul du manque à gagner .

41 . Les coûts directement liés à la production ne peuvent donc pas être reconnus à titre de préjudice susceptible d' une réparation autonome .

4 . Dépens

42 . Comme le recours doit, en conséquence, être rejeté, il y a lieu, en vertu de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour de justice, de condamner la requérante aux dépens, à l' exception des frais du Conseil, qui n' a pas conclu formellement sur les dépens .

C - Conclusion

En conséquence, nous proposons à la Cour de statuer comme suit :

"1 ) Le recours est rejeté .

2 ) La requérante est condamnée aux dépens, à l' exception des frais du Conseil .

3 ) Le Conseil supporte ses propres frais ."

(*) Traduit de l' allemand .

( 1 ) Arrêt du 13 novembre 1973 dans les affaires jointes 63 à 69/72, Firma Wilhelm Werhahn Hansamuehle et autres/Conseil et Commission, Rec . p.*1229, 1247 .

( 2 ) Règlement n° 367/67 du Conseil, du 25 juillet 1967, portant fixation des restitutions à la production pour les gruaux et semoules de maïs et les brisures de riz, utilisés dans la brasserie, JO 1967, 174, p.*36; règlement n°*371/67 du Conseil, du 25 juillet 1967, fixant les restitutions à la production pour les amidons, la fécule et le quellmehl, JO 1967, 174, p.*40 .

( 3 ) JO 1986, L 189, p . 12 .

( 4 ) Arrêt du 19 octobre 1977 dans les affaires jointes 117/76 et 16/77, Albert Ruckdeschel & Co . et autres/Hauptzollamt Hamburg-St.*Annen; Diamalt AG/Hauptzollamt Itzehoe, Rec . p.*1753; arrêt du 19 octobre 1977 dans les affaires jointes 124/76 et 20/77, SA Moulins et Huileries de Pont-à-Mousson/ONIC; Providence agricole de la Champagne/ONIC, Rec . p.*1795 .

( 5 ) Arrêt du 4 octobre 1979 dans les affaires jointes 241, 242, 245 à 250/78, DGV Deutsche Getreideverwertung et autres/Conseil et Commission, Rec . p.*3017*; arrêt du 4 octobre 1979 dans les affaires jointes 261 et 262/78, Interquell Staerke-Chemie GmbH & Co . KG et autres/Conseil et Commission, Rec . p.*3045; arrêt du 4 octobre 1979 dans les affaires jointes 64 et 113/76, 167 et 239/78, 27, 28 et 45/79, P . Dumortier frères SA et autres/Conseil, Rec . p.*3091 .

( 6 ) Voir le dixième considérant du règlement n°*120/67 ou le neuvième considérant du règlement n°*2727/75 .

( 7 ) Arrêt du 25 mai 1978 dans les affaires jointes 83 et 94/76, 4, 15 et 40/77, Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe GmbH & Co . KG et autres/Conseil et Commission, Rec . p.*1209, 1225 .

( 8 ) Arrêt du 6 décembre 1984 dans l' affaire 54/83, SA Biovilac NV/CEE, Rec . p.*4057, 4075 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50/86
Date de la décision : 27/10/1987
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Responsabilité non contractuelle de la Communauté - Refus d'octroi de restitutions à la production.

Agriculture et Pêche

Céréales


Parties
Demandeurs : Les Grands Moulins de Paris
Défendeurs : Communauté économique européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: O'Higgins

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:459

Source

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