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07/07/1987 | CJUE | N°112/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 7 juillet 1987., Amro Aandelen Fonds contre Inspecteur de l'enregistrement et des successions., 07/07/1987, 112/86


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 7 juillet 1987

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par la présente affaire préjudicielle, il vous est demandé d'interpréter l'article 3, paragraphe 2, relatif au champ d'application ratione personae de la directive 69/335 du Conseil, du 17 juillet 1969, « concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux » ( 1 ) (ci-après « directive »).


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 7 juillet 1987

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par la présente affaire préjudicielle, il vous est demandé d'interpréter l'article 3, paragraphe 2, relatif au champ d'application ratione personae de la directive 69/335 du Conseil, du 17 juillet 1969, « concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux » ( 1 ) (ci-après « directive »).

2.  Celle-ci a pour objectif la suppression du « droit de timbre » sur les titres, ainsi que de tous les impôts indirects autres que le droit d'apport sur les rassemblements de capitaux, afin d'éliminer « des discriminations, des doubles impositions et des disparités qui entravent la libre circulation des capitaux » ( 2 ) résultant de l'application des dispositions de droit interne. Le droit d'apport est, en principe, selon l'article 1er de la directive, perçu « sur les apports à des sociétés de
capitaux ».

3.  Dans le litige au principal, le juge a quo a estimé que, conformément aux termes de la loi néerlandaise ( 3 ), prise pour transposer la directive, les opérations effectuées au sein de l'Amro Aandelen Fonds (ci-après « Amro ») doivent être considérées comme un rassemblement de capitaux divisés en actions et qu'Amro est un « patrimoine d'affectation », lequel n'a pas de personnalité juridique propre. Cependant, Amro avait soulevé la question de la compatibilité de ces dispositions avec celles de
l'article 3 de la directive. Le Gerechtshof a constaté qu'un tel organisme n'est pas visé par l'article 3, paragraphe 1, de la directive. Ce texte précise ce qu'il faut entendre par la notion de société de capitaux en se référant à des catégories de sociétés connues dans un certain nombre d'États membres ou en précisant les caractéristiques que doivent présenter les « sociétés, associations ou personnes morales » pour pouvoir être ainsi qualifiées. Mais le juge de renvoi ajoute que l'on pourrait
aussi considérer Amro comme une société civile de droit néerlandais, cette constatation ne suffisant cependant pas pour dire si une assimilation avec les « sociétés » visées à l'article 3, paragraphe 2, de la directive est possible. Cette disposition est ainsi libellée:

« Est assimilée aux sociétés de capitaux, pour l'application de la présente directive, toute autre société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs. Toutefois, un État membre peut ne pas la considérer comme telle pour la perception du droit d'apport. »

4.  La question préjudicielle, telle que posée par le Gerechtshof d'Amsterdam, repose, selon ce dernier, qui se réfère à l'objectif d'harmonisation poursuivi par la directive, sur la nécessité de dégager une notion autonome de société dans le cadre de l'application de ce texte. Nous ne pensons cependant pas que pareille démarche puisse être suivie.

5.  La directive a pour objectif essentiel l'harmonisation de la structure et des taux ( 4 ) du droit d'apport, « conformément aux dispositions (de ses) articles 2 à 9 » ( 5 ). Comme vous l'avez relevé dans votre arrêt Felicitas ( 6 ), s'agissant d'interpréter le « montant nominal » visé à l'article 5, paragraphe 2, de la directive, cette « notion litigieuse fait partie d'une disposition du droit communautaire qui ne renvoie pas au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée » ( 7
). En conséquence, vous en avez donné l'interprétation communautaire. Par contre, les dispositions de l'article 3 procèdent à un renvoi aux droits nationaux. En ce sens, constatant, dans la même décision,

« la diversité des structures juridiques des sociétés, associations et personnes morales pouvant être assimilées aux sociétés de capitaux en vertu de l'article 3, paragraphe 2, de la directive »,

vous avez jugé qu'on ne saurait déduire de ces différentes qualifications l'application automatique de la notion du montant nominal aux organismes ainsi désignés, mais qu'il convenait

« d'examiner, pour chaque type de société, association ou personne morale, si sa structure juridique, telle qu'elle ressort tant des dispositions nationales applicables que des stipulations des statuts de la société, permet de constater l'existence d'un montant nominal » ( 8 ).

On ne pouvait mieux mettre en évidence que la forme juridique des assujettis n'entre pas dans les impératifs d'harmonisation.

6.  Quel est, en effet, l'objectif essentiel de la directive? Harmoniser un impôt et plus exactement en définir le fait générateur (article 4), la base imposable (articles 5 et 6), les taux applicables (article 7), les articles 8 et 9 visant des exonérations fiscales. Quant aux sociétés de capitaux pouvant être redevables de cet impôt, il ne s'agissait donc pas de procéder à une harmonisation de leur structure juridique, mais uniquement d'appréhender, de la façon la plus large possible, tous les
organismes susceptibles d'effectuer les opérations imposables. Cela nous paraît confirmé tant par l'économie de l'article 3 que par la finalité de son paragraphe 2.

7.  On note, en effet, une certaine progression dans la rédaction de l'article 3. Bien évidemment, ont été d'abord, dans le paragraphe 1, sous a), incluses dans la notion de sociétés de capitaux assujetties les formes de sociétés par actions les plus traditionnelles dans les États membres. Les lettres b) et c) marquent encore plus nettement la volonté du législateur communautaire d'appréhender, pour leur appliquer le droit d'apport indépendamment d'une forme sociale spécifique, d'autres mises en
commun de capitaux — société, association ou personne morale —, soit lorsque les parts sociales sont négociables en Bourse, soit lorsque, représentatives du risque participatif, elles sont librement cessibles. Ces critères comptent, en effet, parmi les plus habituels pour caractériser les sociétés de capitaux. Le paragraphe 1 de l'article 3 vise donc tous les regroupements de capitaux pouvant, selon certaines formes ou certaines particularités, présenter le caractère de sociétés de capitaux
telles qu'elles sont usuellement définies. Mais on peut déjà noter une conception extensive qui n'est pas liée à la seule forme de la société.

8.  Le paragraphe 2 de l'article 3 poursuit encore cette logique. Il établit une assimilation de droit à ce type de sociétés de tous les rassemblements de capitaux effectués par « toute autre société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs ». Par rapport au paragraphe 1, sous b) et c) surtout, il y a abandon des critères usuels précités. La Commission a précisé, dans sa réponse à une question de la Cour, que ce texte constituerait une véritable « clause de sauvegarde » au
profit des États membres, permettant à ceux-ci d'éviter, pour la perception du droit d'apport, des distorsions en matière d'imposition en fonction de la forme juridique choisie pour réaliser des rassemblements de capitaux. On peut, pensons-nous, sans forcément adopter la terminologie proposée, souscrire à cette analyse, compte tenu notamment de la seconde phrase du texte, qui autorise les États membres à ne pas procéder à cette assimilation. Il résulte, en effet, de cette latitude laissée aux
États membres que c'est en vertu d'éléments d'appréciation nationaux que ceux-ci pourront décider ou non de percevoir le droit d'apport.

9.  On le voit, l'article 3 a pour objet de déterminer les assujettis obligatoires, mais en aucun cas de procéder à l'harmonisation de leurs formes juridiques. Les assujettis visés au paragraphe 2 sont tous ceux qu'il n'est pas possible de caractériser d'une façon ou d'une autre en tant que société de capitaux, mais qui peuvent, dès lors qu'il y a rassemblement de capitaux en vue de la recherche d'un bénéfice, avoir la même fonction économique qu'une telle société. En pareil cas, l'assimilation est
ici laissée à la discrétion des États membres, la plupart d'entre eux y ayant d'ailleurs à ce jour renoncé pour les fonds communs de placement. Mais, ainsi que l'a fait valoir à juste titre le gouvernement néerlandais, chaque État membre peut apprécier la possibilité d'exonération en fonction des caractéristiques propres de son ordre interne. Certes, aucune explication n'a été donnée quant aux raisons qui ont amené le législateur néerlandais à soumettre ces fonds au droit d'apport. Mais il
n'était nullement tenu de le faire dès lors que cette assimilation est la règle.

10.  Il appartient donc au juge national de déterminer, cas par cas, si tel ou tel organisme relève du champ d'application de l'article 3, paragraphe 2. Reste cependant à définir les critères qu'il devra retenir à cet effet. A notre avis, compte tenu de son libellé extrêmement large, ce texte a pour fonction de ne faire échapper, en principe, à l'imposition aucun acte collectif susceptible de jouer le même rôle économique que celui organisé au sein d'une société de capitaux stricto sensu. Doivent
donc être assimilés à des sociétés de capitaux tous regroupements de biens ou de fonds ayant pour effet de créer un patrimoine individualisé en vue, par la mise en commun, de réaliser un bénéfice. C'est ainsi, pour l'application de ce texte, un critère d'interprétation fonctionnel que nous vous proposons. La référence à toute autre « société, association ou personne morale poursuivant un but lucratif » suggère nécessairement la création d'un patrimoine commun autonome, en vue d'en retirer un
avantage économique. L'article 3, paragraphe 2, paraît donc viser tout organisme de ce type, quelle qu'en soit la forme juridique.

11.  Le rassemblement de capitaux ne peut pour autant être informel. La volonté d'action commune doit pouvoir être déduite des modalités de ce rassemblement. Les diverses formes juridiques visées au paragraphe 2 ne correspondent pas à une classification précise. Les termes employés sont génériques et visent à appréhender le plus grand nombre d'hypothèses dans lesquelles pourra être formalisé un regroupement de capitaux en vue d'un gain. Ainsi, il peut, selon nous, s'agir d'une société commerciale ou
civile. Si une société a le plus souvent la personnalité juridique, cela n'est pas nécessairement le cas, comme l'illustre l'exemple de la société civile de droit néerlandais ( 9 ). Il en va de même des associations. C'est pourquoi nous ne pensons pas que l'on puisse, pour l'application de l'article 3, paragraphe 2, s'arrêter à des qualifications strictement juridiques. Le législateur communautaire a été logiquement conduit à se référer à des catégories juridiques connues dans les différents
États membres. Mais, ainsi que l'ont suggéré tant le gouvernement néerlandais que la Commission, il y a lieu d'adopter une interprétation large des notions employées, qui doivent être entendues de façon plus usuelle que technique. Dans le cadre de l'objectif d'harmonisation fiscale poursuivi par la directive, la disposition en cause permet d'éviter de voir cette finalité compromise en raison des choix offerts aux intéressés par les diverses catégories juridiques de rassemblement de capitaux
prévues par les droits nationaux.

12.  En conséquence, nous vous proposons de répondre au Gerechtshof d'Amsterdam comme suit:

« Il y a lieu, pour le juge national, d'appliquer les dispositions de l'article 3, paragraphe 2, première phrase, de la directive 69/335 du Conseil, du 17 juillet 1969, dès lors qu'il constate qu'un rassemblement de capitaux, quelle qu'en soit la forme juridique, assujetti par la loi interne au droit d'apport, poursuit, par la constitution d'un patrimoine commun autonome, le but lucratif visé par ce texte. »

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( 1 ) JO L 249 du 3.10.1969, p. 25.

( 2 ) Deuxième considérant de la directive.

( 3 ) « Wet op belastingen van rechtsverkeer » du 24 décembre 1970, Stbl. 611.

( 4 ) Septième considérant de la directive.

( 5 ) Article 1er de la directive.

( 6 ) Affaire 270/81, Felicitas/Finanzamt für Verkehrssteuern, arrêt du 15 juillet 1982, Rec. p. 2771.

( 7 ) Affaire 270/81, précitée, point 14.

( 8 ) Affaire 270/81, précitée, point 18.

( 9 ) Asser-Van der Grinten, Handleiding tot de beoefening van het Nederlands burgerlijk recht, 6e ed. 1986, vol. II.2, « De Rechtspersoon », p. 162 et 163.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 112/86
Date de la décision : 07/07/1987
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof Amsterdam - Pays-Bas.

Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux - Notion de société de capitaux.

Impôts indirects

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Amro Aandelen Fonds
Défendeurs : Inspecteur de l'enregistrement et des successions.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:338

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