La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/1987 | CJUE | N°197/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 10 juin 1987., Office national des pensions pour travailleurs salariés (ONPTS) contre Domenica Stefanutti., 10/06/1987, 197/85


CONCLUSIONS DE ĽAVPCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 10 juin 1987 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A — Les faits

1. L'affaire qui fait l'objet des développements ci-après porte sur l'interprétation du règlement no 1408/71 «relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté », ainsi que de son règlement d'application no 574/72 au regard de dispositions

du droit belge concernant le cumul de prestations de sécurité sociale. ...

CONCLUSIONS DE ĽAVPCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 10 juin 1987 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A — Les faits

1. L'affaire qui fait l'objet des développements ci-après porte sur l'interprétation du règlement no 1408/71 «relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté », ainsi que de son règlement d'application no 574/72 au regard de dispositions du droit belge concernant le cumul de prestations de sécurité sociale.

2. Ces dispositions prévoient, d'une part — nous nous référons à l'article 25 de l'arrêté royal du 24 octobre 1967 —, que les pensions de survie ne sont pas payables aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité (même d'origine étrangère); à ces derniers, il n'est versé qu'une indemnité dite d'adaptation égale à une annuité de la pension de survie. D'autre part, aux termes de l'article 20 du même arrêté, le cumul d'une pension de survie avec une pension de vieillesse est limité par l'application d'un
plafond défini dans un arrêté de décembre 1967; il faut également savoir que — en vertu d'une pratique consacrée par un arrêté de 1981 — une pension d'invalidité est considérée comme pension de vieillesse à partir du moment où les conditions pour l'octroi de cette dernière se trouvent réunies (pour les femmes, il faut avoir atteint l'âge de 60 ans).

3. Ces dispositions ont été appliquées à une ressortissante italienne née en 1919 et domiciliée en Italie, qui bénéficie à titre personnel depuis juillet 1969 d'une pension d'invalidité italienne et qui a épousé en 1972 un Italien qui avait travaillé pendant quinze ans en Italie et plus de seize ans en Belgique avant de mourir en février 1977.

4. Lorsque, après cette date, elle a demandé le bénéfice d'une pension de survie (demande adressée à partir de l'Italie à l'organisme d'assurance belge), elle a dû se contenter, dans un premier temps — pour la période de février 1977 à janvier 1978 —, en raison de sa pension d'invalidité italienne, de l'indemnité d'adaptation à laquelle nous avons fait allusion. Sa pension de veuve ne lui a été accordée — à raison de la période d'emploi accomplie par son mari décédé en Belgique — que, à partir
d'avril 1979 après qu'elle eut atteint l'âge de 60 ans, précisément parce que, à partir de cette date —, comme nous l'avons vu —, la pension d'invalidité est considérée comme pension de vieillesse. La pension de survie a cependant été réduite arin de respecter le plafond fixé par l'arrêté de décembre 1967.

5. Non satisfaite qu'elle était de cette situation, Mme Stefanutti a saisi le tribunal du travail de Charleroi. Ce dernier a exclu l'application de l'article 25 de l'arrêté du 24 octobre 1967 au motif qu'il y avait lieu d'assimiler la pension d'invalidité à une pension de vieillesse. Il a, par conséquent, estimé que Mme Stefanutti avait droit à une pension de survie belge à partir de février 1977. Il est vrai qu'il a également jugé que — la pension de survie étant d'une autre nature que la pension
de vieillesse — la première ne pourrait être cumulée avec une pension italienne que dans les limites fixées par l'arrêté de décembre 1967.

6. L'organisme d'assurance belge, l'Office national des pensions pour travailleurs salariés, a interjeté appel de cette décision auprès de la cour du travail de Mons pour faire prévaloir son propre point de vue, à savoir que la pension d'invalidité de Mme Stefanutti ne pouvait être considérée comme pension de vieillesse qu'après qu'elle eut atteint l'âge de 60 ans. Mme Stefanutti a également fait appel de cette décision. Elle estime que la pension d'invalidité italienne ne peut être prise en compte
qu'au prorata de la période d'assurance accomplie en Italie, conformément à l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 574/72, où il est dit que:

« 1) Lorsque le bénéficiaire d'une prestation, due au titre de la législation d'un État membre, a également droit à prestations au titre de la législation de l'un ou de plusieurs des autres États membres, les règles suivantes sont applicables:

a) ...;

b) s'il s'agit de prestations d'invalidité, de vieillesse ou de décès (pensions) liquidées par l'institution d'un État membre conformément aux dispositions de l'article 46, paragraphe 2, du règlement, cette institution tient compte des prestations de nature différente, revenus ou rémunérations susceptibles d'entraîner la réduction ou la suspension de la prestation due par elle, non pour le calcul du montant théorique visé à l'article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement, mais
exclusivement pour la réduction ou la suspension du montant visé à l'article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement. Toutefois, ces prestations, revenus ou rémunérations ne sont comptés que pour une fraction de leur montant, déterminée au prorata de la durée des périodes d'assurance accomplies, conformément aux dispositions de l'article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement. »

7. Pour mettre fin à ses doutes sur la façon dont les règles anticumul belges doivent être appréciées au regard du droit communautaire et sur ce qu'il en est de la disposition que nous avons citée en dernier lieu, la cour de Mons a, par arrêt du 21 juin 1985 ( 1 ), sursis à statuer et saisi la Cour des questions préjudicielles ci-après au titre de l'article 177 du traité CEE:

« 1) Lorsque la veuve d'un travailleur migrant a acquis dans un État membre le droit à une pension d'invalidité personnelle, sans application des règlements communautaires et qu'elle fait valoir dans un autre État membre des droits à une prestation de survivante du chef de l'activité de son mari sans application des règlements communautaires, est-il compatible avec les articles 48 et 51 du traité de Rome que l'institution de ce second État, qui accorde la pension de survie, prenne en
considération la pension d'invalidité accordée par le premier État, comme elle prend en considération les prestations d'invalidité accordées par sa propre législation, pour appliquer les règles anticumul de sa législation nationale?

2) Dans l'affirmative, lorsque la législation d'un État membre règle de manière différente les cumuls de la pension de survie qu'il accorde avec une prestation d'invalidité ou une prestation de vieillesse, comment faut-il considérer la pension d'invalidité non transformable en pension de vieillesse attribuée par un autre État membre: faut-il la considérer comme une prestation d'invalidité ou comme une prestation de vieillesse? Faut-il éventuellement distinguer la situation suivant que le
bénéficiaire de la pension d'invalidité a ou non atteint l'âge de la retraite ou bénéficie d'une prestation de vieillesse?

3) Cet âge de la retraite doit-il être celui prévu par la législation dont relève la disposition relative au cumul ou celui de la législation dont relève la prestation non transformable dont le cumul est réglementé?

4) Les dispositions de l'article 7, paragraphe 1, sous b, du règlement no 574/72 sont-elles applicables au cumul d'une pension indirecte (pension du survivant) avec une pension directe de nature différente (pension d'invalidité ou de vieillesse)? »

8. C'est à la lumière des observations présentées par les parties dans la procédure au principal, par le gouvernement italien et par la Commission (toutes observations résumées dans le rapport d'audience) que nous avons acquis la conviction ci-après.

B — Appréciation

9. 1) Comme nous ne pouvons, dans une procédure au titre de l'article 177 du traité CEE, statuer sur la compatibilité du droit national avec le droit communautaire — ce qu'au fond la première question nous demande de faire —, il convient, après avoir reformulé cette question de façon appropriée, de déterminer ce que le droit communautaire peut apporter à l'application d'une règle anticumul belge à une pension d'invalidité étrangère, et ce dans des circonstances où le droit à la pension d'invalidité
personnelle et le droit à la pension de survie sont nés sans l'intervention de la législation communautaire.

10. a) Eu égard à ce dernier élément, il faut rappeler que, d'après une jurisprudence constante, quand les prestations ne peuvent être demandées que sur la base de dispositions nationales, c'est le droit national dans son ensemble qui s'applique, y compris les règles anticumul. Nous nous référons à cet égard aux arrêts dans les affaires 98/77, 116, 117, 119 à 121/80, 238/81 et 296/84 ( 2 ). Partant de là, il est clair que, dans un cas comme celui de la procédure au principal, le droit communautaire
ne s'oppose en principe aucunement à l'application de règles anticumul nationales.

11. Quand le mandataire de la défenderesse oppose à cela que le droit à pension acquis par sa cliente sur la base de périodes d'assurance propres constituerait un bien patrimonial — au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme —, qui devrait, en tant que tel, échapper à l'application des règles anticumul nationales, nous comprenons bien que l'espèce présente puisse inspirer de telles réflexions. Cependant, force est de
reconnaître que ces réflexions concernent les rapports de ces principes (parmi lesquels on pourrait également citer le droit fondamental à la protection de la propriété) avec le droit belge. Nous ne pouvons donc en tenir compte dans le cadre de la procédure préjudicielle, car elles ont leur place devant les juridictions nationales où le juge saisi pourra, le cas échéant, examiner les dispositions nationales qu'il est appelé à appliquer 3uant à leur compatibilité avec des normes d'un rang
supérieur.

12. b) Il convient de remarquer, en outre, que, étant de nature externe (et s'appliquant, par conséquent, également aux prestations étrangères) les règles anticumul belges n'ont nul besoin de s'appuyer sur la clause d'extension de l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 qui dit que:

« Les clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation d'un État membre en cas de cumul d'une prestation avec d'autres prestations de sécurité sociale... sont opposables au bénéficiaire, même s'il s'agit de prestations acquises au titre de la législation d'un autre État membre... »

13. Dans ce contexte, la restriction apportée par la phrase suivante de l'article 12 n'a aucun rôle à jouer, du moins en un premier temps:

«Toutefois, il n'est pas fait application de cette règle lorsque l'intéressé bénéficie de prestations de même nature d'invalidité, de vieillesse, de décès (pensions) ou de maladie professionnelle qui sont liquidées par les institutions de deux ou plusieurs États membres, conformément aux dispositions des articles 46, 50 et 51 ou de l'article 60, paragraphe 1, sous b). »

14. c) Cependant, la portée de cette disposition a son importance pour une autre raison. La jurisprudence a toujours souligné que, dans de tels cas (c'est-à-dire lorsque des prestations sont dues en vertu du seul droit national sans intervention du droit communautaire), il est indiqué d'opérer une comparaison avec les résultats des calculs découlant de l'article 46 du règlement no 1408/71 et il convient d'appliquer le « régime de totalisation et proratisation..., si (celui-ci est) plus favorable aux
travailleurs que la législation nationale » ( 3 ). Mais si l'on se réfère ainsi à l'article 46, il faut également — comme nous l'avons vu — appliquer l'article 12, paragraphe 2, aux termes duquel les dispositions anticumul nationales ne peuvent s'appliquer à des prestations de même nature.

15. La jurisprudence a déjà maintes fois traité de la façon dont cette disposition doit être interprétée. Nous nous contenterons dès lors de rappeler que, dans l'arrêt 171/82 ( 4 ) par exemple, vous avez retenu que des prestations de sécurité sociale doivent être regardées, indépendamment des caractéristiques propres aux différentes législations nationales, comme étant de même nature lorsque leur objet et leur finalité ainsi que leur base de calcul et leurs conditions d'octroi sont identiques (le
même point de vue se trouve exprimé dans l'affaire 238/81).

16. Dans la présente affaire, la Commission a tenté de montrer que ces conditions ne sont pas réunies lorsqu'il y a, d'une part, un droit à pension de survie et, d'autre part, un droit à pension d'invalidité. La première aurait, en effet, pour objet de compenser la disparition des revenus du mari à un moment où il n'est pas facile au conjoint survivant, eu égard à son âge, de retrouver un travail, alors que la pension d'invalidité aurait pour objet de compenser une diminution de la capacité de
travail. Il n'y aurait pas non plus d'identité en ce qui concerne les bases de calcul et les conditions d'octroi des prestations puisque la pension de survie se rattache à la carrière professionnelle du mari décédé et ne peut être servie (aux veuves) qu'après l'âge de 45 ans, alors que la pension d'invalidité est fondée sur la carrière professionnelle de la défenderesse en Iulie et n'est sujette à aucune condition d'âge.

17. La Commission a ajouté que la pension de survie belge et la pension italienne de vieillesse ne seraient pas des prestations de même nature. Elle a pu, à cet égard, se fonder non seulement sur les conclusions prononcées dans les affaires 34/69 et 132/81 ( 5 ), mais également sur les différences dans les bases de calcul (périodes d'assurance différentes) et dans les conditions d'octroi (âge minimal).

18. Selon nous, cette appréciation ne manque pas de pertinence et on peut en déduire que l'application de l'article 46 du règlement no 1408/71 ne constituerait pas un obstacle à celle des règles anticumul belges au titre de l'article 12, paragraphe 2, du règlement.

19. Nous remarquerons encore que cette conclusion ne peut être infirmée par les considérants du règlement no 1408/71, qui font allusion — comme la défenderesse l'a souligné avec insistance — au maintien des droits et avantages acquis et à l'exclusion des cumuls injustifiés. D'une part, cette partie des considérants ne vise que les travailleurs salariés, dont on veut maintenir les droits et avantages acquis, alors que, dans la procédure au principal, les droits en cause sont ceux du conjoint
survivant d'un salarié; d'autre part, les termes généraux précités ne sauraient être invoqués contre la disposition précise de l'article 12 pour fonder la thèse de l'inapplicabilité des dispositions anticumul au motif que des périodes d'assurance distinctes et ne se recoupant pas ne sauraient conduire à un cumul injustifié. La réponse est analogue pour l'argument de la défenderesse selon lequel les dispositions anticumul n'ont, en fait, de sens que si les prestations se fondent sur la carrière
d'une personne, puisque le risque de superposition de périodes pertinentes n'existerait pas lorsque les carrières sont différentes. Cette thèse n'est pas non plus susceptible de s'appuyer sur le texte de l'article 12; rien ne permet d'exclure l'application de dispositions anticumul lorsque les prestations se rapportent à la carrière professionnelle de deux personnes différentes.

20. d) Ces observations doivent cependant être complétées par deux constatations également tirées de la jurisprudence.

21. Il y a d'abord celle de l'arrêt 238/81 d'après laquelle le paragraphe 3 de l'article 46, qui tend à limiter le cumul des prestations acquises, selon les modalités prévues aux paragraphes 1 et 2 du même article, est applicable à l'exclusion des règles anticumul prévues par la législation nationale ( 6 ). Il y a également la constatation du point 21 des motifs de l'arrêt 296/84, d'après laquelle le montant visé à l'alinéa 1 de l'article 46, paragraphe 1, serait celui auquel le travailleur pourrait
prétendre selon la législation nationale s'il ne bénéficiait pas d'une pension en vertu de la législation d'un autre Etat membre; l'application d'une règle nationale anticumul externe serait exclue à cette fin, conformément à l'article 12, paragraphe 2.

22. Nous nous bornerons à ces indications. C'est au juge national qu'il appartient de déterminer ce qu'il en découle pour le cas d'espèce.

23. 2) Les deuxième et troisième questions, que nous allons examiner maintenant, se rapportent aux diverses dispositions anticumul belges citées au départ, dont l'une prévoit que la pension de survie n'est pas versée — à l'exception d'une indemnité d'adaptation — lorsque l'intéressé bénéficie également d'une pension d'invalidité, alors que l'autre fixe un plafond au cumul entre une pension de survie et une pension de vieillesse (il faut ajouter qu'une pension d'invalidité est considérée comme
pension de vieillesse à partir du moment où l'intéressé a atteint l'âge auquel il peut prétendre à cette dernière).

24. La juridiction de renvoi aimerait savoir à ce propos si une pension d'invalidité non transformable en pension de vieillesse et versée par un autre État membre doit être considérée comme prestation d'invalidité ou comme prestation de vieillesse; elle veut également savoir s'il importe à cette fin que le bénéficiaire ait atteint l'âge de la retraite ou bénéficie d'une prestation de vieillesse; enfin, elle demande si l'âge en question doit être celui de la législation belge ou celui de la
législation italienne.

25. A ce sujet, le gouvernement italien et la défenderesse au principal ont soutenu pour l'essentiel que la pension d'invalidité italienne devrait, au fond, être considérée comme une pension de vieillesse puisqu'elle a le même objet et la même base de calcul; le fait déterminant serait, dès lors, qu'en Italie l'âge de la retraite est de 55 ans pour les femmes. La Commission estime, par contre, que le droit communautaire ne permet pas de répondre à ces questions; il reviendrait au juge belge de les
apprécier en fonction de son droit national.

26. Nous croyons devoir nous rallier au point de vue de la Commission.

27. De fait, la seule disposition à laquelle nous pourrions songer en l'occurrence est l'article 43 du règlement no 1408/71, qui dit que:

« Les prestations d'invalidité sont transformées, le cas échéant, en prestations de vieillesse dans les conditions prévues par la législation ou par les législations au titre de laquelle ou desquelles elles ont été accordées et conformément aux dispositions du chapitre 3. »

28. Il convient toutefois de souligner — notamment au regard de l'expression « le cas échéant» — que l'Italie n'a prévu la transformation automatique des pensions d'invalidité en pensions de vieillesse après l'âge de 55 ans (pour les femmes) que par loi du 12 juin 1984; rien de tel n'était prévu au cours de la période antérieure (qui importe en l'espèce).

29. Au reste, nous ne pouvons que renvoyer à la jurisprudence pertinente pour le problème de qualification qui se pose. Il y est dit clairement (voir l'arrêt 93/75) ( 7 ) que la Cour de justice n'a pas qualité pour statuer à titre préjudiciel sur la question de savoir comment une prestation octroyée en vertu de la législation d'un État membre doit être qualifiée au regard de celle d'un autre État membre. Ainsi que nous l'avons souligné, une telle question relève exclusivement du droit national et il
appartient donc « à la juridiction nationale d'apprécier le contenu et l'interprétation des dispositions de sa propre législation en ce qui concerne le cumul de prestations » (arrêt dans les affaires jointes 116, 117, 119 à 121/80) ( 8 ).

30. 3) La quatrième question, enfin, porte sur l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 574/72 (déjà mentionné) qui vise à mettre en œuvre l'article 12 du règlement no 1408/71. On sait que cette disposition s'applique dans les cas où le bénéficiaire d'une prestation due au titre de la législation d'un État membre a également droit à des prestations au titre de la législation d'un ou de plusieurs autres États membres; elle prévoit que:

« S'il s'agit de prestations d'invalidité, de vieillesse ou de décès (pensions) liquidées par l'institution d'un État membre conformément aux dispositions de l'article 46, paragraphe 2, du règlement, cette institution tient compte des prestations de nature différente, revenus ou rémunérations susceptibles d'entraîner la réduction ou la suspension de la prestation due par elle, non pour le calcul du montant théorique visé à l'article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement, mais exclusivement
pour la réduction ou la suspension du montant visé à l'article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement. Toutefois, ces prestations, revenus ou rémunérations ne sont comptés que pour une fraction de leur montant, déterminée au prorata de la durée des périodes d'assurance accomplies, conformément aux dispositions de l'article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement. »

31. Il y a lieu de déterminer si cette disposition s'applique aussi au cumul d'une pension de survie avec une pension de vieillesse ou d'invalidité.

32. Telle que la question est posée, nous n'hésiterions pas à y répondre par l'affirmative car une pension de survie doit sans aucun doute être considérée comme une prestation de décès, alors que les pensions de vieillesse et d'invalidité litigieuses sont de toute évidence des prestations qui peuvent, en droit belge, entraîner l'application de réductions.

33. Toutefois, il faut ajouter que la disposition qui nous intéresse ne s'applique qu'aux prestations liquidées conformément aux dispositions de l'article 46, paragraphe 2, donc calculées au prorata des périodes d'assurance accomplies dans les divers États membres (proratisation). Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque les conditions pour l'octroi de la pension de survie sont remplies sans qu'il soit besoin de se référer à des périodes d'assurance ou d'emploi accomplies à l'étranger. Partant,
l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 574/72 ne pourrait entrer en ligne de compte que dans le cadre de la comparaison qui est exigée par la jurisprudence, autrement dit lorsqu'il s'agit de déterminer si l'application du droit communautaire (de l'article 46) ne conduit pas à des résultats plus favorables que la seule application du droit national.

34. La quatrième question n'appelle, à notre avis, aucune autre observation du point de vue du droit communautaire.

C — Conclusions

En résumé, nous vous proposons de répondre aux questions posées par la cour du travail de Mons dans les termes suivants:

35. « a) Lorsqu'un droit à prestation découle de la seule législation nationale (c'est-à-dire sans qu'il y ait lieu de tenir compte — en vertu de dispositions de droit communautaire — de périodes d'assurance ou d'emploi accomplies à l'étranger), le droit communautaire ne fait pas obstacle à l'application pleine et entière de cette dernière, y compris de ses éventuelles règles anticumul. Si l'application de la loi nationale se révèle moins favorable à l'intéressé que celle du droit communautaire,
c'est ce dernier, c'est-à-dire l'article 46 du règlement no 1408/71, qui doit s'appliquer. Dans cette hypothèse, l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 n'exclut pas l'application de règles anticumul nationales dès lors qu'il s'agit de prestations de nature différente, comme c'est le cas de la pension de survie, d'une part, et des pensions d'invalidité ou de vieillesse, d'autre part.

36. b) A défaut de critères d'appréciation de droit communautaire, c'est sur la base du droit national — dont l'interprétation n'incombe pas à la Cour de justice — qu'il convient de répondre aux deuxième et troisième questions relatives à la qualification d'une pension d'invalidité octroyée par un autre État membre et concernant les modalités d'application des règles anticumul belges.

37. c) Il y a lieu de faire jouer les dispositions de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 574/72 en cas d'application juridiquement valide de dispositions anticumul nationales à une pension de survie, d'une part, et à une pension de vieillesse, respectivement d'invalidité, d'autre part, lorsque la prestation octroyée en application de la législation qui contient les normes anticumul est liquidée et conformément à l'article 46, paragraphe 2, du règlement no 1408/71. »

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Traduit de l'allemand.

( 1 ) Inscrit au registre de la Cour le 26 juin 1985.

( 2 ) Arrêt du 14 mars 1978 dans l'affaire 98/77. Max Schaap/Benuur van de Bedrijfsvereniging voor Bank- en Vertekeringswezen, Groothandel en Vrije Beroepen, Rec p. 707; arrêt du 2 juillet 1981 dans les affaires jointes 116, 117, 119 a 121/80, Office national des pensions pour travailleurs salariés/Giorgio Celestre, Rec. p. 1737; arret du 5 mai 1983 dans l'affaire 238/81, Raad van Arbeid/Van der Bunt-Craig, Rec. p. 1385; arrêt du 13 mars 1986 dans l'affaire 296/84, Antonio Sinatra/Fonds national de
retraite des ouvriers mineurs (FNROM), Rec. p. 1047.

( 3 ) Voir l'arrêt dans l'affaire 98/77, Rec. 1978, p. 714. points 10 et 11 des motifs; voir également les arrêts dans les affaires jointes 116, 117, 119 a 121/80, et dans les affaires 238/821 et 296/84, précités.

( 4 ) Arrêt du 5 juillet 1983 dans l'affaire 171/82, Biagio Valen-tini/Assedic de Lyon, Rec. p. 2170, point 13 des motifs.

( 5 ) Conclusions présentées le 3 décembre 1969 par l'avocat général M. Karl Römer dans l'affaire 34/69, Caisse d'assurance vieillesse des travailleurs salariés de Paris/Jeanne Duffy, Rec 1969, p. 605; conclusions présentées le 25 mars 1982 par l'avocat général M. Pieter VerLoren van Themaat dans l'affaire 132/81, Office national des pensions pour travailleurs salariés/Alice Vlaeminck, Rec. p. 2965.

( 6 ) Arrêt du 5 mai 1983 dans l'affaire 238/81, Raad van Arbeid/Van der Bunt-Craig, Rec. p. 1401, point 15 des motifs.

( 7 ) Arrêt du 17 dicembre 1975 dans l'affaire 93/75, Jacob Adlerblum/Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salarits, Rec. p. 2151.

( 8 ) Arrtt du 2 juillet 1981 dans les affaires jointes 116, 117, 119 a 121/80, ONPTS/Celestre, Rec. p. 1753, point 10 des motifs.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 197/85
Date de la décision : 10/06/1987
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Mons - Belgique.

Sécurité sociale - Application de règles nationales anticumul - Qualification d'une pension d'invalidité d'un autre État membre.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Office national des pensions pour travailleurs salariés (ONPTS)
Défendeurs : Domenica Stefanutti.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Bahlmann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:265

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award