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24/02/1987 | CJUE | N°432/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 24 février 1987., Theano Souna contre Commission des Communautés européennes., 24/02/1987, 432/85


Avis juridique important

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61985C0432

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 24 février 1987. - Theano Souna contre Commission des Communautés européennes. - Rejet d'une candidature à un concours - Correcteurs indépendants. - Affaire 432/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 02229r>
Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messi...

Avis juridique important

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61985C0432

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 24 février 1987. - Theano Souna contre Commission des Communautés européennes. - Rejet d'une candidature à un concours - Correcteurs indépendants. - Affaire 432/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 02229

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le 15 février 1985, la Commission a publié au Journal officiel un avis de concours général COM/B/416, pour constituer une réserve de recrutement d' assistants adjoints de la catégorie B, grades 5 et 4, dont les tâches devaient comporter notamment "la préparation de manuscrits au point de vue de la langue et de la typographie ainsi que la correction d' épreuves ".

Les conditions particulières prévoyaient une limite d' âge . Les candidats devaient être nés après le 15 février 1949 et avant le 16 février 1967 . Toutefois, cette limite ne s' appliquait pas aux candidats qui, "à une date quelconque entre la publication du présent Journal officiel et le 29 mars 1985, ont été au service des Communautés en qualité de fonctionnaires ou autres agents pendant au moins un an sans interruption ". Un report était également prévu pour les candidats a ) qui avaient veillé à
l' éducation de jeunes enfants, b ) qui avaient accompli leur service militaire ou c ) qui souffraient d' un handicap physique .

Mme Souna, qui est née le 1er novembre 1948, c' est-à-dire trois mois et demi avant la limite d' âge supérieure, posa sa candidature . Le 6 août 1985, elle était informée du rejet de celle-ci au motif qu' elle ne remplissait pas les conditions d' âge . Elle ne satisfaisait pas non plus aux conditions pour avoir droit à l' une des dérogations a ), b ) ou c ) visées ci-dessus .

Par lettre du 24 août, son avocat demanda au jury de réexaminer la question, puisque la requérante n' invoquait aucune des dérogations visées sous a ), b ) ou c ), mais bien le paragraphe précité relatif à l' activité ininterrompue au service des Communautés .

Par lettre du 29 août, la requérante était informée que sa demande avait été soumise au jury, mais que celui-ci ne serait pas en mesure de procéder à un réexamen avant la mi-septembre . Le 26 septembre, un télégramme l' informait que le jury avait maintenu sa décision de ne pas l' admettre aux épreuves au motif qu' elle avait dépassé la limite d' âge .

Le 23 décembre 1985, elle a entamé la présente procédure dans laquelle elle demande l' annulation du rejet de sa candidature et des dommages-intérêts .

La Commission excipe du caractère tardif du recours . Alors que la réclamation avait été rejetée le 6 août, la procédure n' a été engagée que plus de trois mois après cette date et le recours serait donc irrecevable . Le télégramme du 26 septembre ne constituerait qu' une "pure et simple" confirmation de la décision notifiée le 6 août 1985 .

C' est une thèse que nous n' admettons pas . La requérante a clairement demandé un réexamen de sa candidature, en particulier sur la base du fait qu' elle avait travaillé comme agent des Communautés européennes de façon ininterrompue, argument auquel il n' a pas été répondu dans la lettre du 6 août . Le télégramme en réponse ne se référait pas expressément à l' argument spécifique soulevé par son avocat et se bornait à répéter qu' elle n' était pas admise aux épreuves . C' est en tout état de cause,
à notre avis, une décision qui peut être contestée . En premier lieu, nous présumons que sa situation a été effectivement réexaminée, comme on avait dit qu' elle le serait, et nous considérons le résultat de ce réexamen comme une nouvelle décision plutôt que comme une simple confirmation . En second lieu, le télégramme doit être lu comme un rejet implicite de l' argument soulevé dans sa lettre ( à savoir qu' elle avait été au service des Communautés de façon ininterrompue ), argument qui n' avait
pas été examiné dans la première décision . Dans cette mesure au moins, le télégramme a constitué une décision nouvelle . La présente procédure a été engagée dans les trois mois qui ont suivi la date du télégramme, soit conformément aux délais . Elle n' est donc pas irrecevable pour la raison invoquée par la Commission .

Quant au bien-fondé du recours, la Commission fait valoir que Mme Souna n' est pas "fonctionnaire ou autre agent des Communautés européennes ". Elle n' invoque toutefois pas cet argument pour affirmer l' irrecevabilité du recours au motif que l' article 179 du traité, l' article 91 du statut et les articles 46, 73 et 83 du "régime applicable aux autres agents" n' accorderaient le droit de saisir la Cour qu' aux fonctionnaires ou agents qui sont visés par ces textes . Eu égard à la pratique de la
Cour sur ce point, nous croyons que la Commission a eu raison de ne pas opposer cet argument à la recevabilité du recours . La Cour a admis dans un certain nombre d' affaires qu' une personne désireuse d' entrer pour la première fois au service de la Communauté et qui veut contester une décision de rejet prise au cours de la procédure de concours peut le faire en bénéficiant des dispositions de l' article 70 du règlement de procédure relatives aux dépens, bien que, par hypothèse, elle ne soit ni
fonctionnaire ni agent . Il serait tout à fait mauvais qu' une telle personne n' ait pas la possibilité de demander réparation à la Cour . (( Voir affaire 30/75, Prais/Conseil, Rec . 1976, p . 1589; affaires jointes 4, 19 et 28/78, Salerno/Commission, Rec . 1978, p . 2403; affaire 12/84, Kypreos/Conseil, arrêt du 27 mars 1985 . Nous renvoyons également à l' arrêt 43/84, Maag/Commission ( arrêt du 11 juillet 1985, Rec . p . 2581 ), dans lequel le recours au titre de l' article 179 a été considéré
comme irrecevable parce que le requérant n' était pas un agent, mais où la Cour a estimé qu' il pourrait bénéficier de l' article 70 du règlement de procédure relatif aux dépens dans une action engagée au titre de l' article 95, paragraphe 3, "par un fonctionnaire ou autre agent d' une institution", parce qu' il cherchait précisément à faire reconnaître qu' il avait la qualité d' agent .))

La requérante affirme que la décision en question viole la bonne foi que l' administration doit à son personnel, qu' elle enfreint des règles établies par la Commission elle-même et qu' elle est discriminatoire . Elle critique en outre cette décision pour défaut ou insuffisance de motivation .

La première question, essentielle, est de savoir si elle a "été au service des Communautés en qualité de fonctionnaire ou autre agent pendant au moins un an sans interruption"; cette question concerne à la fois la quantité et la régularité du travail effectué, ainsi que la qualité en laquelle ce travail a été accompli .

A l' audience, les parties ne sont pas tombées d' accord sur la quantité et la régularité du travail fourni, et ce bien que la réquérante ait produit un certificat de l' Office des publications laissant apparaître qu' elle avait travaillé entre le 13 octobre 1980 et le 4 janvier 1981 pendant 402 heures et qu' elle avait totalisé 822 jours de travail entre le 7 janvier 1981 et le 30 avril 1984 . Eu égard à ce désaccord, les parties ont été priées de répondre à certaines questions par écrit; leurs
réponses et observations nous sont finalement parvenues le 4 février 1987 .

Les documents produits par la requérante montrent que d' octobre 1980 au 4 janvier 1981 elle a été payée sur une base horaire pour du travail fait à Athènes, à raison d' une moyenne d' environ 40 heures par semaine, sauf au cours de la première semaine . Par télex du 19 décembre 1980, le bureau d' Athènes a communiqué qu' elle pourrait commencer à travailler au siège de Luxembourg le 7 janvier 1981 et il demandait à Luxembourg de "confirmer l' engagement ". Le 29 janvier 1981, elle a reçu une lettre
lui demandant si elle était prête à travailler pour l' Office des publications au cours des mois suivants "comme correcteur d' épreuves free-lance" et "selon les conditions générales régissant les prestations des correcteurs indépendants" jointes à la police d' assurance, dont une copie lui avait été envoyée "à l' occasion de ses activités antérieures pour l' Office ". Elle a apparemment reçu une lettre similaire chaque mois sous réserve du fait qu' un petit nombre de jours ont été exclus pour
certains mois ( par exemple en août 1981, en septembre et en octobre 1982 ) et que de nouvelles "conditions générales régissant les prestations des correcteurs indépendants" accompagnées de trois annexes sont venues remplacer les textes antérieurs à compter du 1er janvier 1984 . Les lettres ne sont pas disponibles pour certaines périodes ( par exemple août à novembre 1985 ), mais les chiffres fournis par la Commission montrent que, sauf exception, la requérante a travaillé en moyenne vingt jours par
mois . Le total de ces jours a été de 259 en 1981, de 240,5 en 1982, de 238,5 en 1983, de 258,5 en 1984 et de 158,5 de janvier à juillet 1985 . En ce qui concerne les mois pendant lesquels elle a travaillé moins de vingt jours ( par exemple treize jours en août 1981 et dix jours en août 1982 ), la différence semble pouvoir s' expliquer par le fait qu' elle prenait des vacances . Les mois où elle a travaillé plus de vingt jours peuvent s' expliquer par le fait qu' elle effectuait, notamment pendant
les week-ends, des heures supplémentaires qui ont été amalgamées en jours ouvrés, peut-être aux fins de la rémunération .

La situation est donc claire . En février ou mars 1985 elle avait travaillé régulièrement et continuellement pendant plus d' un an . Son activité peut à tous égards être qualifiée d' emploi "à plein temps ".

L' avis de concours exigeait cependant non pas qu' elle ait simplement travaillé, mais qu' elle ait été "fonctionnaire ou autre agent des Communautés européennes ".

Selon la Commission, les termes "fonctionnaire" et "autre agent" doivent être interprétés conformément au sens qui leur est donné respectivement dans le statut et dans le "régime applicable aux autres agents des Communautés européennes" ( ci-après "RAA "); or, la requérante ne relevait d' aucune de ces deux catégories . Même si les termes "autre agent" pouvaient être interprétés plus largement, elle n' était pas un agent du tout ( terme qui, croyons-nous, est interprété par la Commission comme s'
adressant aux personnes liées par un contrat de travail ), mais un "free-lance" ( c' est-à-dire un travailleur indépendant ).

Selon nous, le terme de "fonctionnaire" employé dans l' avis de concours a le sens qui lui est donné à l' article 1er du statut et il est constant que la requérante n' était pas un fonctionnaire puisqu' elle n' avait pas été nommée dans un emploi permanent . Si l' expression "autre agent" est lue isolément, il est parfaitement possible et il serait, à notre avis, correct de poser tout simplement la question de savoir si elle était ou non liée par un contrat de travail . Cependant, cette expression
n' est pas isolée . Elle est employée dans le régime applicable aux autres agents, qui est parallèle au statut, et elle a, à notre avis, acquis une signification technique, en ce sens qu' elle vise les agents soumis au régime en question . C' est là, en pratique, l' acception dans laquelle l' expression est employée et nous pensons que c' est ainsi que la Commission l' entendait . Partant, il nous paraît impossible d' interpréter l' expression "autres agents" contenue dans l' avis de concours d' une
façon différente de celle employée dans le régime applicable aux autres agents .

Ce régime s' applique, aux termes de son article 1er, "à tout agent engagé par contrat ". Si cet article s' était arrêté là, il suffirait à nouveau de montrer l' existence d' un contrat de travail, d' ailleurs alléguée par la requérante . L' article continue cependant :

"Cet agent a la qualité :

- d' agent temporaire,

- d' agent auxiliaire,

- d' agent local,

- de conseiller spécial ."

Chacune de ces catégories fait l' objet d' un titre séparé et aucun groupe de dispositions résiduelles n' est prévu pour s' appliquer à d' autres personnes liées par un contrat de travail, mais qui n' entreraient pas dans l' une de ces quatre catégories . L' intention semble avoir été que les personnes liées par un contrat de travail soient nécessairement classées dans l' une de ces catégories .

Mme Souna n' a pas été engagée pour occuper un emploi auquel les autorités budgétaires ont conféré un caractère temporaire; elle n' a pas non plus été engagée pour occuper à titre temporaire un emploi permanent . Il n' y avait pas d' emploi pour elle . L' article 2, sous c ) et d ), ne s' appliquant pas à elle, elle n' était donc pas un "agent temporaire ". Elle n' a pas été engagée pour remplacer un autre fonctionnaire temporairement absent . Même si elle a été engagée pour exercer des fonctions à
temps complet ou à temps partiel au sens de l' article 3 du RAA, sa période effective d' "engagement" ( si engagement il y avait ) a dépassé un an, en violation des dispositions de l' article 52, de sorte que, conformément à l' arrêt de la Cour dans l' affaire Maag, elle ne peut à strictement parler être qualifiée d' "agent auxiliaire ". L' hypothèse qu' elle pourrait être un "agent local" ou un "conseiller spécial" au sens des articles 4 et 5 du RAA n' a pas été soulevée . Partant, sur cette base,
elle n' était pas "un autre agent" au sens du RAA ou de l' avis de concours .

La Commission soutient que la définition de l' agent donnée par le RAA est de toute façon exclusive . Nul ne peut être un agent s' il ne relève directement de l' une des quatre catégories visées dans le régime qui leur est applicable . Eu égard aux arguments avancés dans la présente affaire, nous ne sommes pas convaincus que cela soit vrai . Il peut y avoir des contrats de travail comme agent, qui ne seront pas faciles à faire cadrer avec l' une des quatre catégories indiquées . Une personne qui
commence comme agent auxiliaire, mais exerce ses fonctions et est rémunérée au-delà de la période d' un an imposée par l' article 52 du RAA continue d' être un agent même si elle ne peut plus, à strictement parler, être classée parmi les "agents auxiliaires ". Il est possible que de telles personnes ne soient plus en droit d' invoquer le RAA, sauf par analogie, mais il ne s' ensuit pas qu' elles ne sont pas des "agents ".

Il convient de noter que, aux termes de l' article 179 du traité, la Cour de justice est compétente pour statuer sur tout litige entre la Communauté et "ses agents dans les limites et conditions déterminées au statut ou résultant du régime applicable à ces derniers ". Dans cette disposition, la notion d' "agents" inclut clairement les fonctionnaires, tandis que les limites et conditions déterminées au statut et dans le RAA se rapportent à la compétence plutôt qu' à la définition exclusive de ce qu'
est un agent . En outre, l' annexe III au statut relative à la procédure de concours exige, en son article 1er, sous g ), que l' avis de concours spécifie éventuellement "la limite d' âge ainsi que le report de la limite d' âge applicable aux agents en fonctions depuis au minimum un an ". L' expression technique "autres agents" n' est pas employée .

Par conséquent, dans l' hypothèse où il serait possible d' interpréter l' expression contenue dans l' avis de concours plus largement ( ce que nous ne croyons pas ), la question se poserait de savoir si la requérante était "un agent" ou si elle était liée à la Commission par un autre type de relation contractuelle .

La défenderesse insiste sur le terme "free-lance ". Nous ne croyons pas que cette appellation soit décisive . C' est à la véritable nature de la relation qu' il faut prendre garde . La différence est généralement plus facile à reconnaître qu' à définir et bon nombre de critères de distinction ont été proposés . Au bout du compte, une approche globale peut être aussi valable qu' une autre . "Une caractéristique qui semble commune à tous les cas est que, en vertu d' un contrat de travail, la personne
concernée est employée en tant qu' élément de l' entreprise et son travail constitue une partie intégrante des activités de celle-ci; par contre, dans le cadre d' un contrat de prestation de services, son travail, bien qu' effectué pour le compte de l' entreprise, n' y est pas intégré et n' en représente qu' un élément accessoire" (( Denning L J dans Stevenson, Jordan et Harrison Ltd/Macdonald ( 1952 ) 1 TLR 101, 111 )).

Mme Souna peut faire valoir la continuité et la régularité de son travail ainsi que le fait que des fonctionnaires et d' "autres agents" faisaient le même travail qu' elle, de la même façon et en étant soumis au même contrôle .

La Commission oppose à cela qu' elle n' était pas engagée pour plus d' un mois à la fois et que son contrat aurait pu ne pas être renouvelé . Ce dernier argument ne nous semble pas décisif, puisque les auxiliaires peuvent être engagés pour des périodes courtes, mais renouvelables . La Commission se réfère encore aux dispositions des "conditions générales" d' après lesquelles "son activité en qualité de correcteur free-lance ne lui donne en aucune façon vocation à être nommée fonctionnaire ou autre
agent des Communautés européennes ". Là non plus, l' argument n' est pas probant, dès lors que la requérante peut légitimement être considérée comme engagée en tant qu' agent .

Compte tenu de l' ensemble des conditions générales et de la méthode de rémunération, compte tenu des dispositions en matière fiscale ( l' impôt devait être payé aux autorités nationales et non pas à la Communauté ), de l' exclusion de la requérante des dispositions d' assurance ordinairement applicables aux agents, compte tenu du fait qu' elle ne pouvait travailler que sur convocation - qui lui était adressée en fonction des besoins de l' Office des publications - et qu' elle pouvait refuser les
offres qui lui étaient faites mensuellement, il nous semble ( même si certains de ces facteurs peuvent sembler discutables et en dépit du fait qu' elle était prête à quitter Athènes pour Luxembourg afin de continuer son travail ) que l' intention des deux parties était qu' elle gardât son statut de travailleur indépendant et que son contrat ne constituât pas un contrat d' agent .

Par conséquent, et en dépit du fait qu' il y a des différences substantielles entre la position de Mme Souna et celle de l' interprète free-lance dans l' affaire Maag ( par exemple la durée et la régularité des périodes travaillées, la nature ad hoc de la tâche assumée et le fait que M . Maag pouvait être appelé à travailler en différents endroits pour des conférences ou réunions à caractère limité ), nous sommes arrivés à la conclusion que la requérante n' a pas démontré sa qualité d' "agent" des
Communautés européennes .

Cela ne répond néanmoins pas à ce qui constitue sans doute son argument majeur, à savoir que, même en admettant qu' elle n' ait pas eu la qualité d' agent, elle se trouvait, en ce qui concerne la dérogation à la limite d' âge, dans une situation tellement semblable à celle d' un agent qu' elle aurait dû en bénéficier . Notre première réaction a été que cet argument ne pouvait être invoqué que dans le cadre d' une contestation de la validité de l' avis de concours lui-même et que la requérante n'
avait pas soulevé cette question en temps utile . A la réflexion cependant, nous croyons que ce serait là adopter un point de vue trop strict . On ne pouvait raisonnablement attendre d' elle qu' elle conteste l' avis de concours dès le départ, particulièrement dans la mesure où elle affirmait avoir la qualité d' agent . Ce n' est que lorsque l' accès aux épreuves lui a été barré au motif qu' elle n' était pas un "autre agent" ( fait désormais établi ) que son véritable grief est apparu . Nous
serions dès lors enclins à admettre la recevabilité de son argument selon lequel le refus de lui accorder le bénéfice de la dérogation aurait constitué une discrimination à son encontre .

La question à trancher est donc de savoir si sa situation était, dans une mesure significative, similaire à celle des "autres agents" qui ont bénéficié de la dérogation . Cela implique de savoir quelle est la ratio legis, autrement dit la base ou la justification réelle de cette dérogation; or, cette question n' a, selon nous, pas été tranchée lors du débat .

Une raison possible pour accorder cette dérogation aux fonctionnaires et autres agents pourrait être de ne pas faire jouer en leur défaveur les années pendant lesquelles ils ont travaillé pour la Commission . Cela ne peut être l' unique raison puisque la dérogation ne prévoit pas que seules les années effectivement travaillées pour la Commission peuvent être déduites de l' âge réel . La limite d' âge est effacée pour toute personne qui a travaillé pendant un an, quel que soit son âge . Il n' y a un
plafond de cinq ans au report de l' âge limite que pour les personnes qui relèvent des catégories spéciales a ), b ) et c ). Même si telle était la justification, il resterait que Mme Souna a travaillé pendant bien plus longtemps que les trois mois et demi qui la séparaient de la limite d' âge supérieure .

Une autre raison pourrait être la familiarité avec les activités de la Commission, de sorte qu' il serait avantageux pour cette dernière de garder un candidat ayant déjà une expérience communautaire . Là encore, Mme Souna avait pratiquement cinq ans d' expérience à plein temps, et elle avait quitté Athènes au cours de cette période pour aller à Luxembourg . ( La raison pour laquelle elle a déménagé ne nous a pas été donnée, mais elle espérait vraisemblablement un engagement à long terme; pour autant
que la Cour sache, c' était le premier concours de correcteurs d' épreuves depuis son déménagement et il peut paraître significatif que 23 correcteurs free-lance sur 48 aient demandé à participer aux épreuves .) Elle avait de toute évidence la connaissance nécessaire des activités de la Commission .

A l' audience, la Commission a prétendu en réponse à certaines questions que la raison pour permettre aux autres agents et aux fonctionnaires de se porter candidats était que "comme ils ont été soumis à la discipline de la Communauté pendant un an, l' on sait qu' ils sont capables de faire leur travail alors qu' un free-lance est entièrement indépendant ". Nous voulons bien admettre que, dans le cas d' une personne qui fait chez elle, occasionnellement, pour un mois ou une semaine, un travail qui n'
est pas effectivement supervisé, cela peut justifier de ne pas lui appliquer les mêmes règles que celles qui sont appliquées à un agent . Toutefois cette explication ne vaut pas dans un cas où, mois après mois, la Commission a régulièrement rappelé Mme Souna alors qu' elle aurait pu rompre ses liens avec elle, si elle n' avait pas été satisfaite de son travail . Le pouvoir de ne plus la convoquer à la fin de chaque mois nous semble en pratique une sanction potentiellement plus grave que celles que
la "discipline" à laquelle il a été fait allusion permet d' appliquer aux fonctionnaires . De plus, les conditions générales exigeaient d' elle des garanties de bonne moralité, le passage d' un test d' aptitude, un travail exécuté avec toute la diligence requise et conformément aux instructions données ainsi que la plus grande discrétion sur ce qui était porté à sa connaissance . En vertu du titre VII ( qui porte par erreur le numéro VI ) de ces conditions, elle pouvait être renvoyée sans préavis
dans le courant du mois pour faute professionnelle grave ou pour manquement à ses obligations . Pourtant, elle a été gardée pendant cinq ans .

Une autre raison nous est peut-être indiquée par l' arrêt 106/80, Fournier/Commission ( Rec . 1981, p . 2759 ), où la Cour a dit que la caractéristique du contrat d' agent auxiliaire est "sa précarité dans le temps", étant donné qu' il ne peut être utilisé que pour assurer un remplacement momentané ou pour faire effectuer des tâches administratives présentant un caractère passager ou répondant à une nécessité urgente ou n' étant pas nettement définies . Dans le présent contexte, il ne peut y avoir
de raison de faire entre un agent auxiliaire et Mme Souna, dont l' engagement avait aussi un caractère précaire, une distinction qui serait défavorable à cette dernière . Au contraire, le fait qu' elle a pendant de longues périodes, même si c' est à titre précaire, rempli des obligations pour lesquelles aucun emploi n' était disponible indique que, comparée à quelqu' un dont la période effective d' activité ne devrait pas dépasser un an, elle mériterait plutôt un traitement plus favorable .

Les autres affaires citées dans les débats ne résolvent pas le problème directement . Dans l' affaire 16/81, Alaimo/Commission ( Rec . 1982, p . 1559 ), la requérante a été reconnue comme ayant la qualité d' agent . La seule question était celle de savoir si sa qualité d' agent du Centre européen pour le développement de la formation professionnelle en faisait un agent des Communautés européennes . Elle a finalement été considérée comme telle puisque ce centre faisait partie intégrante des
Communautés européennes .

On a invoqué l' arrêt dans l' affaire 16/64, Rauch/Commission ( Rec . 1965, p . 179 ): "Attendu que l' expression 'concours internes à l' institution' , prise à la lettre, concerne toutes les personnes se trouvant au service de celle-ci, à quelque titre que ce soit ." Ce passage doit être vu à la lumière du contexte de l' affaire dans laquelle il s' agissait de savoir si un agent auxiliaire pouvait prendre part à un tel concours . L' expression "à quelque titre que ce soit" signifie, selon nous,
quelle que soit la qualité de la personne concernée comme agent; elle ne saurait concerner l' engagement en tant que travailleur indépendant .

Dans l' arrêt 78/71, Costacurta/Commission ( Rec . 1972, p . 163 ), la Cour a simplement dit qu' un avis de concours interne doit ou bien préciser une limite d' âge ou alors dire qu' il n' est pas nécessaire d' en fixer une .

D' un autre point de vue, même si elles ne tranchent pas la question directement, ces affaires montrent bien que la Cour prend garde au fond plutôt qu' à la forme légale . Ainsi dans l' affaire 17/78, Deshormes/Commission ( Rec . 1979, p . 189 ), la Cour a admis que, à partir de la date de son premier contrat d' agent auxiliaire, la convention qui liait la requérante à la Commission "aurait dû être transformée en contrat d' agent temporaire, puisque la requérante était affectée à un emploi permanent
figurant budgétairement au tableau des effectifs ". Elle était de facto un agent temporaire et ses contrats devaient dès lors être traités comme ayant été passés avec un agent temporaire . En outre, l' avocat général M . Reischl a estimé que les premiers contrats, bien que nominalement destinés à un expert, étaient ceux qui révélaient une relation d' emploi régulière avec les Communautés . S' il n' y avait pas eu d' emploi disponible, il l' aurait considérée comme un agent auxiliaire aux fins de la
décision sur les droits à pension .

Dans l' affaire Costacurta, l' avocat général Roemer a traité d' un argument, que la Cour n' a pas examiné, selon lequel des "collaborateurs" free-lance de l' Office des publications auraient été admis à tort au concours en question . Il a cité le passage de l' arrêt Rauch auquel nous avons fait allusion en relevant que ces candidats free-lance avaient travaillé pendant de nombreuses années et qu' il semblait bien que "seules des raisons budgétaires aient empêché de régulariser ( cette situation )
plus tôt ". Il a poursuivi son argumentation dans les termes suivants : "Il est dès lors permis de soutenir que, même s' ils n' étaient que des collaborateurs 'free-lance' , ces candidats étaient déjà si étroitement liés à l' Office des publications qu' ils peuvent à tout le moins être comparés à des agents auxiliaires, c' est-à-dire à des personnes qui peuvent indubitablement être admises au concours interne ." Bien qu' il s' agisse là d' un obiter dictum, puisque les candidats free-lance étaient
déjà agents temporaires au moment où les candidatures au concours devaient être déposées, il indique une volonté de prendre en compte la réalité des choses .

Dans les affaires jointes 225 et 241/81, Toledano Laredo/Commission ( Rec . 1983, p . 347 ), la Cour a estimé qu' un agent auxiliaire qui a exercé des tâches permanentes bien définies de service public communautaire pour lesquelles des emplois figurant au tableau des effectifs annexé à la section du budget afférente à l' institution étaient disponibles, peut demander que la période correspondante soit considérée aux fins du régime de pension communautaire comme une période de service accomplie en
qualité d' agent temporaire .

Il faut encore souligner que, dans l' arrêt Deshormes, la Cour a dit ( p . 201 ) que, eu égard au caractère précaire des tâches effectuées, "il est évident que ledit régime ne peut être utilisé abusivement pour confier durant de longues durées des tâches permanentes à ce personnel qui se trouverait ainsi anormalement utilisé, au prix d' une incertitude prolongée ". Nous doutons que, sauf raisons budgétaires, le régime d' emploi retenu par les Communautés vise réellement à employer des personnes en
"free-lance" à temps plein, de façon ininterrompue et sur une longue période . Si des personnes sont employées de cette manière, elles ne devraient pas, selon nous, être désavantagées en matière de limite d' âge pour l' admission aux épreuves d' un concours .

Partant de l' approche adoptée dans les affaires que nous venons de citer, nous ne croyons pas qu' il soit suffisant en l' espèce de dire, comme la Commission l' affirme en réalité, que la nature juridique du contrat de Mme Souna est différente, qu' elle se trouve donc dans une situation différente et qu' elle peut dès lors être traitée autrement en ce qui concerne la dérogation à la limite d' âge . C' est le fond de l' affaire qui importe en l' espèce . Nous admettons volontiers qu' une personne
qui travaille rarement ou irrégulièrement ou pour assumer des tâches spéciales se trouve dans une position distincte de celle d' un agent qui travaille régulièrement . Mais, en revanche, une personne qui a assumé des fonctions à plein temps pendant cinq ans est, selon nous, dans une situation comparable à celle de l' agent temporaire ou auxiliaire lorsqu' il s' agit de déroger à une limite d' âge . Le présent cas est peut-être exceptionnel, mais il reste, selon nous, que la décision d' exclure Mme
Souna parce qu' elle était de trois mois et demi trop âgée était discriminatoire et injuste si l' on tient compte de l' avantage qui est accordé aux agents temporaires et au personnel auxiliaire . Le fait que cette dérogation lui a été accordée pour un concours organisé par le Parlement ( et la Commission reconnaît que le Parlement avait le droit de le faire ), quoique l' avis de concours correspondant ne concernât que les "fonctionnaires et autres agents", ne fait que souligner le résultat
malheureux auquel on a abouti dans la présente affaire .

Indépendamment de cela, l' argument de la requérante selon lequel la décision est entachée de défaut ou d' insuffisance de motivation nous semble être fondé .

Quoi qu' il en soit, le refus d' admettre la requérante aux épreuves devrait être annulé au motif que la dérogation à la limite d' âge aurait dû lui être accordée; nous proposons par ailleurs de lui allouer ses dépens . Puisque aucune perte financière spécifique n' a été invoquée, cette réparation nous semble suffisante et nous rejetterions donc la demande relative aux dommages-intérêts .

(*) Traduit de l' anglais .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 432/85
Date de la décision : 24/02/1987
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Rejet d'une candidature à un concours - Correcteurs indépendants.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Theano Souna
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Joliet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:101

Source

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