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03/02/1987 | CJUE | N°272/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 3 février 1987., Association nationale des travailleurs indépendants de la batellerie (ANTIB) contre Commission des Communautés européennes., 03/02/1987, 272/85


Avis juridique important

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61985C0272

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 3 février 1987. - Association nationale des travailleurs indépendants de la batellerie (ANTIB) contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Discrimination dans le secteur de la batellerie en Franc

e. - Affaire 272/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 02201

Conclus...

Avis juridique important

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61985C0272

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 3 février 1987. - Association nationale des travailleurs indépendants de la batellerie (ANTIB) contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Discrimination dans le secteur de la batellerie en France. - Affaire 272/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 02201

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L' article 2 du règlement ( CEE ) n° 1017/68 du Conseil ( JO 1968, L 175, p . 1 ), portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable, a déclaré incompatibles avec le marché commun et interdits, entre autres, les accords entre entreprises qui sont susceptibles d' affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d' empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l' intérieur du
marché commun et notamment ceux qui consistent à :

"a ) fixer de façon directe ou indirecte les prix et conditions de transport ou d' autres conditions de transaction;

b ) limiter ou contrôler l' offre de transports, les débouchés ...;

...

d ) appliquer des conditions inégales à des prestations équivalentes à l' égard de partenaires commerciaux, en leur infligeant, de ce fait, un désavantage dans la concurrence;

..."

Il n' est pas prévu d' obligation de notifier de tels accords, mais, selon l' article 5, l' interdiction peut être déclarée inapplicable avec effet rétroactif aux accords contribuant, par exemple, à améliorer la qualité des services de transport ou leur continuité et leur stabilité dans le cas où ceux-ci seraient soumis, sans cela, à des fluctuations dans le temps, et prenant en considération, dans une mesure équitable, les intérêts des utilisateurs de transport sans imposer des restrictions qui ne
sont pas indispensables ni éliminer la concurrence .

Par sa décision 85/383, du 10 juillet 1985 ( JO 1985, L 219, p . 35 ), la Commission a déclaré qu' une convention conclue le 13 juin 1983 entre l' Association nationale des travailleurs indépendants de la batellerie ( ci-après "ANTIB ") et la Chambre syndicale nationale des courtiers de frets fluviaux constituait, dans la mesure où elle portait atteinte au jeu normal de la concurrence, une infraction à l' article 2 du règlement et elle a refusé à cette convention la délivrance d' une exemption au
titre de l' article 5 .

L' ANTIB demande à la Cour d' annuler cette décision .

La situation qui est à l' origine du présent litige peut être résumée comme suit . En France, le transport de marchandises par voie navigable est effectué soit par des bateliers artisans ( disposant généralement d' un seul bateau ), soit par des exploitants de grandes ou de petites flottes de bateaux . Les marchandises générales sont transportées le plus souvent sous le couvert de conventions d' affrètement au voyage, bien que les bateliers artisans aient la possibilité, rarement utilisée, de faire
usage de conventions à temps . Pour les cargaisons importantes, des conventions au tonnage sont conclues par les flottes ou par des groupements de bateliers artisans . Les conventions au voyage ( sauf pour les transports au départ de la France passant par le Rhin et la Moselle ) sont conclues par l' intermédiaire de courtiers de frets dans des Bourses officielles instaurées par l' État, dans lesquelles les cargaisons et les bateaux disponibles sont inscrits sur une liste et sont répartis selon un
"tour de rôle", le premier bateau de la liste ayant en premier le choix de la cargaison à transporter . Les bateaux non immatriculés en France peuvent participer au "tour de rôle" au terme d' un voyage d' importation en France, mais uniquement lorsqu' ils empruntent les voies navigables intérieures en vue de transporter des marchandises hors de France ou en direction de la frontière .

Il semble qu' antérieurement aux faits de l' espèce les transporteurs par voie navigable aient enregistré une baisse d' activité au profit des transporteurs par chemin de fer et par route .

L' ANTIB est une association professionnelle fondée en 1978 dans l' attente de la création d' une chambre nationale des bateliers et dont les membres acquittent une cotisation ainsi qu' une contribution égale à 0,5 % du fret obtenu .

Peuvent en devenir membres les entreprises artisanales et les artisans ayant à leur disposition un ou plusieurs bateaux immatriculés en France et effectuant des transports de marchandises par voie de navigation intérieure, ainsi que les transporteurs artisanaux n' ayant pas la nationalité française, mais répondant à la définition indiquée, ces derniers ne disposant toutefois pas du droit de vote .

L' instauration de ladite chambre nationale (( dénommée Chambre nationale de la batellerie artisanale ( ci-après "CNBA ") )) a été prévue par la loi n° 82-1153, du 30 décembre 1982, bien que l' idée de sa création remonte à quelques années auparavant . Son mode de fonctionnement a été arrêté par le décret n° 84-365, du 14 mai 1984 . Bien qu' il ait été initialement prévu de supprimer l' ANTIB lorsque la CNBA existerait, il semble que cela n' ait pas encore été fait .

Un rapport d' enquête parlementaire a proposé d' instituer, en outre, une coopérative de bateliers artisans . Cette possibilité a été prévue par la loi n° 83-657, du 20 juillet 1983, aux termes de laquelle les coopératives dans le secteur des transports par voie de navigation intérieure sont formées par des entreprises de transport fluvial inscrites au registre de la CNBA - disposition qui a été interprétée par la Commission en ce sens que les propriétaires de bateaux non immatriculés en France ne
peuvent être membres de la coopérative visée, à savoir l' Entreprise artisanale de transport par eau ( ci-après "EATE "). Cette limitation aux seuls bateaux immatriculés en France a été expressément confirmée par le décret n° 84-365, du 14 mai 1984, susmentionné, dont l' article 3 dispose que les entreprises transportant des marchandises par voie de navigation intérieure au moyen de bateaux immatriculés en France doivent être inscrits au registre de la CNBA, mais qui n' a rien prévu en ce qui
concerne l' inscription des transporteurs étrangers .

La convention qui a été conclue le 13 juin 1983 entre l' ANTIB et la chambre des courtiers et qui est en cause dans la présente procédure a prévu la mise en application, à partir de cette date, d' une nouvelle organisation du "transport fluvial artisanal ". Des taux séparés ont été fixés pour les transports intérieurs et pour les transports à l' exportation par voie de navigation intérieure . Les taux à l' exportation incluaient une "cotisation EATE", dont le montant a été fixé à 10 % du fret
résultant du fonctionnement du "tour de rôle ". La cotisation EATE devait être déduite en priorité du fret brut . Après déduction, opérée sur ce fret, des prélèvements légaux et coutumiers, à savoir d' une commission d' affrètement de 7,5 %, d' une prime de ducroire de 0,5 % et d' une cotisation de 0,5 % en faveur de l' ANTIB ( ultérieurement de la CNBA ), la part des cotisations EATE non restituée aux adhérents de l' EATE devait servir à couvrir les frais de fonctionnement de cette dernière et être
utilisée à des fins commerciales au bénéfice de la profession, sur la base des décisions prises par une commission composée de représentants de l' EATE et de la chambre des courtiers . Le fonds de régulation devait percevoir également 5 % de la commission des courtiers . Le gouvernement français apportait, par ailleurs, une contribution importante . L' EATE n' existant pas encore, les cotisations devaient être encaissées par le BASC, la partie commerciale de l' ANTIB .

Les transporteurs belges et néerlandais ont rapidement protesté contre ce nouveau régime, qui leur paraissait déloyal et susceptible de porter atteinte à leurs possibilités de concurrence . Après avoir procédé à une enquête, la Commission a estimé que cet accord entre entreprises était discriminatoire, qu' il était susceptible d' affecter les échanges entre États membres et qu' il faussait effectivement la concurrence . En premier lieu, selon la Commission, la cotisation était prélevée uniquement
sur les transports à l' exportation, qui, dans le cas du trafic au départ de la France vers la Belgique et les Pays-Bas ( dit trafic Nord/Sud ), se répartissaient à peu près par moitié entre les bateliers français, d' une part, et les bateliers belges et néerlandais, d' autre part ( dix-neuvième considérant de la décision ), et, en ce qui concerne l' ensemble du trafic international, étaient effectués "à peu près pour moitié" par des transporteurs étrangers ( quarante-huitième considérant ). Seuls
les transporteurs français bénéficiaient de la restitution, de telle sorte que les transporteurs étrangers subissaient un désavantage dans la concurrence . En outre, la majorité du nouveau fret obtenu par l' EATE à l' aide des sommes ainsi rassemblées avait bénéficié principalement aux transporteurs français pour le trafic intérieur, dont les transporteurs étrangers étaient, dans une large mesure, exclus . Les transporteurs français empruntant des itinéraires purement intérieurs, qui n' étaient pas
soumis à la cotisation, profitaient des nouveaux contrats et de l' amélioration apportée au fonctionnement du système, alors que les transporteurs étrangers, qui acquittaient la cotisation, ne bénéficiaient pas d' avantages comparables sur le réseau intérieur . Les avantages que ces derniers tiraient de l' augmentation du trafic à l' exportation n' étaient ni égaux ni supérieurs aux inconvénients résultant pour eux du système discriminatoire appliqué pour le prélèvement et la restitution des
cotisations . Ces avantages ne correspondaient pas non plus au montant de leur contribution financière . Enfin, les conditions requises pour bénéficier d' une exemption n' étaient pas remplies .

La cotisation a été prélevée pendant environ quatre mois, de juin à octobre 1983, puis a cessé de l' être avant que la décision attaquée soit arrêtée . L' ANTIB n' a pas tiré argument de cette situation et c' est à juste titre qu' elle s' en est abstenue . Dans l' affaire 7/82, GVL/Commission, Rec . 1983, p . 483, la Cour de justice a jugé que la Commission pouvait avoir un intérêt légitime à prendre une décision constatant l' illégalité d' une pratique à laquelle il avait déjà été mis fin . Il peut
demeurer utile, dans un tel cas, d' infliger une amende et, argument plus important encore, une décision peut être nécessaire pour clarifier la situation juridique ou pour éviter que des infractions ne se reproduisent .

Il est clair, par ailleurs, que les sommes se rapportant aux quatre mois visés étaient importantes et que les cotisations prélevées ont permis de recueillir quelque 5 millions de FF, dont 2,21 millions de la part de transporteurs étrangers .

A notre avis, il ne fait aucun doute que cette cotisation était discriminatoire, c' est-à-dire favorable aux transporteurs français ayant manifesté leur intention d' adhérer à l' EATE ( et notamment à ceux effectuant des transports intérieurs ) et défavorable à ceux qui ne l' avaient pas fait ou n' avaient pu le faire, en particulier aux transporteurs dont les bateaux n' étaient pas immatriculés en France, dont l' activité était limitée, pour l' essentiel, au trafic à l' exportation ou en direction
de la frontière, et qui acquittaient la cotisation sans recevoir de restitution .

L' ANTIB soutient que, même si la cotisation était discriminatoire, elle n' avait ni pour objet ni pour effet d' empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l' intérieur du marché commun . En premier lieu, indique-t-elle, le véritable avantage invoqué est l' augmentation du trafic intérieur et l' amélioration des conditions de ce dernier . Or, il n' y avait pas, d' après elle, de concurrence dans ce domaine, puisque les exploitants étrangers en étaient, dans une large mesure,
exclus . Il ne pouvait donc y avoir de désavantage dans la concurrence pour les bateliers étrangers . Cet argument nous paraît manquer quelque peu de réalisme . Il est exact que les bateliers étrangers ne participaient pas à la concurrence sur le marché intérieur . Toutefois, la décision de la Commission vise à l' évidence le marché à l' exportation . Or, il est établi que les exploitants étrangers acquittaient la cotisation et ne bénéficiaient d' aucune restitution . Les exploitants français
opérant sur ce marché versaient la cotisation et, une fois les déductions faites, en récupéraient une partie . Étant donné qu' aucun taux plancher n' avait été fixé pour le fret à l' exportation - même si les taux peuvent avoir subi l' influence des taux plancher applicables au trafic intérieur -, il existait une possibilité de concurrence en matière de taux . Le fait qu' un groupe d' exploitants encaisse 90 % du montant du fret alors que l' autre groupe obtient, en plus de ce montant, une
restitution ( dont l' ANTIB n' a pas prétendu que le montant ait été insignifiant ) ne peut qu' entraîner un désavantage pour la position concurrentielle du premier groupe . En outre, les transporteurs français qui ont payé la cotisation ont bénéficié d' avantages indirects résultant de leur participation au trafic intérieur - accroissement du fret, paiement pour les voyages à vide et les périodes d' attente, meilleure position commerciale -, dont les exploitants étrangers étaient, dans une large
mesure, exclus . De ces deux points de vue - restitutions et avantages indirects -, la position concurrentielle des exploitants français sur le marché à l' exportation était renforcée, ou était susceptible de l' être . Non seulement ils percevaient une restitution, mais encore leur aptitude à proposer des taux et des services compétitifs sur le marché à l' exportation s' accroissait à mesure que leurs bénéfices augmentaient sur le marché intérieur . En conséquence, nous estimons que, de ces deux
points de vue, la concurrence était faussée sur le marché à l' exportation et que, en outre, au sens de l' article 2, sous d ), du règlement, la convention appliquait en réalité "des conditions inégales à des prestations équivalentes ".

L' ANTIB affirme toutefois que cette conception est erronée . Les avantages dont bénéficiaient les exploitants français n' auraient pas découlé de l' effet ou de l' objet de la convention, mais de la législation française, laquelle aurait empêché, dans une large mesure, les bateliers étrangers d' opérer sur le marché intérieur . En conséquence, compte tenu de l' arrêt de la Cour de justice dans les affaires jointes 40 à 48, 50, 54 à 56, 111, 113 et 114/73, Suiker Unie et autres/Commission, Rec .
1975, p . 1663, il ne pourrait y avoir eu violation des règles de concurrence . La Commission aurait donc commis une erreur de droit .

Cet argument nous paraît spécieux . La législation française vise principalement le trafic intérieur et, en l' absence de mesures adéquates de la part du Conseil en vue de libérer les prestations de services dans le domaine des transports entre États membres, il n' a pas été soutenu qu' elle était incompatible avec le droit communautaire . La décision, au contraire, envisage la position concurrentielle sur le marché de la navigation intérieure à l' exportation . Or, la législation française n'
imposait aucunement de limiter la restitution de la cotisation aux seuls transporteurs français, ni d' utiliser une cotisation portant sur le commerce à l' exportation en majeure partie pour améliorer la position des exploitants français sur le marché intérieur . Elle n' exigeait pas davantage que les transporteurs étrangers ayant acquitté la cotisation ne tirent de leurs versements qu' un profit limité et non proportionné à ceux-ci . Cette situation découlait de la convention, et d' elle seule .
Les parties à cette convention étaient tout à fait libres, selon le droit français, de prévoir un système ne produisant pas une telle distorsion - et il n' est pas sans intérêt de noter que la législation adoptée après la cessation du prélèvement de la cotisation résultant de la convention a établi une taxe parafiscale sur l' ensemble des transports internes et internationaux, sans prévoir, semble-t-il, de restitution limitée aux transporteurs français ( décret n° 84-282, du 9 avril 1984, et loi de
finances de 1985 ).

Le deuxième argument de la requérante consiste à dire que les critiques formulées par la Commission à l' égard du mode de restitution de la cotisation ne sont pas fondées : alors que la condition requise pour bénéficier de la restitution du prélèvement EATE aurait été de manifester l' intention de devenir membre de l' EATE, le raisonnement de la Commission serait fondé sur l' affirmation selon laquelle aucun transporteur étranger n' était en mesure d' adhérer à l' EATE . La requérante soutient que
tel n' était pas le cas au cours de la période pendant laquelle la cotisation a été prélevée .

La requérante souligne que les statuts de l' EATE, qui étaient en vigueur lors de la période considérée, ne prévoyaient aucune restriction fondée sur la nationalité . Ils auraient prévu au contraire ( pour ce qui nous intéresse ici ) que tout "artisan batelier" pouvait devenir membre dans l' attente de la création de la Chambre nationale de la batellerie artisanale ( ci-après "CNBA "), après laquelle les membres de l' EATE devaient être également membres du CNBA . Il serait exact que le droit
français a limité l' accès à la CNBA aux seuls bateliers immatriculés en France, mais le décret en question n' aurait pas été adopté avant le 14 mai 1984, soit plus de sept mois après la cessation du prélèvement de la cotisation, intervenue le 17 octobre 1983 . La requérante ajoute que la Commission, en déclarant que l' ANTIB était informée du contenu de la législation aussi longtemps avant son adoption, lui prête une "remarquable faculté d' anticipation ". L' ANTIB affirme par conséquent que le
système de restitution prévu n' était pas discriminatoire puisque, d' après elle, la seule raison pour laquelle aucun batelier étranger n' a pu bénéficier de la restitution au cours de la période considérée réside dans le fait qu' ils se sont eux-mêmes abstenus de manifester l' intention de devenir membres .

La Commission soutient que l' ANTIB, à la date où elle a adhéré à la convention interprofessionnelle, savait nécessairement que seuls les bateliers immatriculés en France pourraient bénéficier des restitutions . La teneur des dispositions limitant l' accès à l' EATE aux membres de la CNBA aurait été connue au moment où la convention a été signée, même si les dispositions proprement dites n' ont été adoptées que le mois suivant . Étant donné que la CNBA devait être une organisation destinée à
promouvoir les intérêts des bateliers français, l' ANTIB aurait nécessairement su, ou pu, prévoir que seuls les exploitants immatriculés en France seraient en mesure de devenir membres - prévision qui se serait trouvée confirmée lorsque le décret en question a été adopté le 14 mai 1984 . En outre, s' il avait existé une probabilité réelle que les bateliers étrangers puissent bénéficier des restitutions, les transporteurs néerlandais et belges n' auraient pas protesté aussi vivement . En tout état de
cause, comme l' indiquerait la décision attaquée, la Commission se serait opposée aux effets exercés par la convention interprofessionnelle sur la concurrence même si les bateliers étrangers avaient pu devenir membres de l' EATE : les avantages qu' ils en retiraient n' étaient pas, d' après elle, en proportion raisonnable avec la contribution versée .

L' argumentation de l' ANTIB nous paraît quelque peu surprenante . En dépit des dénégations qu' elle formule, tout porte à croire que l' ANTIB savait nécessairement que les bateliers étrangers ne pourraient pas bénéficier des restitutions . Il était prévu que la convention interprofessionnelle, et l' ANTIB elle-même, dureraient uniquement jusqu' à l' instauration de l' EATE et de la CNBA . Il est difficile d' admettre que l' ANTIB n' était pas informée des mesures législatives envisagées par les
autorités françaises, d' autant que la restructuration du secteur était à l' étude depuis des années .

Ce point de vue est corroboré indirectement par les plaintes émanant des bateliers néerlandais et belges . Il est à remarquer que, lorsque l' ANTIB a répondu, par télex du 14 juin 1983 ( c' est-à-dire du jour suivant la signature de la convention ), aux plaintes formulées par ceux-ci par télex du 13 juin 1983, elle n' a pas fait la moindre allusion au fait que les transporteurs belges et néerlandais pouvaient obtenir le bénéfice de la restitution en manifestant leur intention d' adhérer à l' EATE .
En outre, il paraît clair que, si les bateliers étrangers avaient été en mesure, comme l' ANTIB le prétend, de bénéficier de la restitution du prélèvement EATE, c' est la totalité du fonds de régulation qui aurait été remboursée, ce qui n' aurait laissé subsister que peu de moyens ou plus de moyens du tout pour promouvoir les intérêts des membres de l' ANTIB ou de l' EATE . En tout état de cause, aucune restitution, de quelque montant que ce soit, n' a jamais été versée à un batelier étranger . Au
vu de tous les éléments dont dispose la Cour, il nous semble donc que la Commission était pleinement fondée à déclarer que le système de prélèvement en question était discriminatoire : tels seraient et, de fait, tels ont été ses effets .

Les deux arguments invoqués ensuite par l' ANTIB sont étroitement liés : d' une part, la Commission aurait omis d' estimer à leur valeur réelle les avantages que les exploitants étrangers ont retirés de la convention et, d' autre part, les motifs indiqués par la Commission ne suffiraient pas à justifier son refus de délivrer une exemption au titre de l' article 5 du règlement .

La Commission n' a pas nié que les exploitants étrangers tiraient certains avantages de la convention . Elle fait valoir que lesdits avantages n' étaient pas proportionnés au montant de leurs versements et, en tout état de cause, qu' il n' est pas satisfait aux conditions de l' article 5 lorsque les restitutions ne sont versées qu' à certains transporteurs sans que ceux qui ne perçoivent pas de restitutions bénéficient d' avantages indirects en proportion .

En ce qui concerne la navigation intérieure, les chiffres avancés par la requérante - qui émanent de l' Office national de la navigation, service dépendant du ministère des Transports - semblent indiquer que le trafic intérieur est tombé, en réalité, de 40 377 842 tonnes en 1982 à 36 535 238 tonnes en 1983, puis à 33 619 153 tonnes en 1984 . Toutefois, ces chiffres ne distinguent pas entre le trafic soumis au "tour de rôle" et le reste du trafic . Même si le tonnage transporté a diminué en 1983, il
semble en tout état de cause, comme les parties s' accordent à le penser, que des contrats importants aient pu être obtenus grâce à la nouvelle organisation et que les transports par voie navigable aient cessé de reculer par rapport aux transports par route et par chemin de fer .

Dans le domaine des transports à l' exportation par voie de navigation intérieure, les statistiques de l' ONN font apparaître les chiffres suivants ( arrondis à la centaine de mille la plus proche ):

1 ) 5,6 millions de tonnes transportées en 1982, se répartissant comme suit : 45 % par les bateliers français, 55 % par l' ensemble des transporteurs étrangers, dont 42 % par les transporteurs néerlandais et belges;

2 ) 5,7 millions de tonnes en 1983, soit : 42 % par les bateliers français et 58 % par l' ensemble des bateliers étrangers, dont 41 % par les bateliers néerlandais et belges;

3 ) 5,7 millions de tonnes en 1984, soit : près de 42 % par les bateliers français et un peu plus de 58 % par les étrangers, dont 42 % par les bateliers néerlandais et belges .

De 1982 à 1983, le tonnage des transports à l' exportation par voie de navigation intérieure a augmenté de 104 000 tonnes au total, soit de moins de 2 % du total de 1983 . Le tonnage transporté par les bateliers étrangers a progressé de 242 228 tonnes, malgré un fléchissement du tonnage transporté par le groupe des bateliers belges et néerlandais, tonnage qui est demeuré inférieur en pourcentage à celui des bateliers français pendant les deux années . La progression de 1983 a bénéficié en grande
partie aux transporteurs allemands et suisses .

C' est donc à juste titre que la Commission a pu affirmer que les transporteurs français et le groupe des transporteurs belges et néerlandais assuraient à peu près la même proportion du trafic en 1982 et en 1983 ( malgré une très légère régression dans le cas des seconds ), mais que, globalement, l' ensemble des transporteurs étrangers avaient connu pendant chacune des deux années une progression supérieure à celle des seuls transporteurs français .

Le système est resté en vigueur si peu de temps qu' il est manifestement impossible de connaître avec précision l' incidence de la convention sur les chiffres cités . D' autres facteurs ont pu intervenir . Les statistiques doivent donc être considérées avec une certaine circonspection, d' autant plus que l' on ignore le moment de l' année auquel correspond la progression en cause .

Toutefois, à supposer même que cette progression ait résulté de l' effet produit par la convention au second semestre de 1983, les chiffres ne corroborent pas, selon nous, ce qui a été soutenu à l' audience, à savoir l' affirmation selon laquelle les transporteurs étrangers auraient vu, à la suite de la conclusion de la convention, leur part de trafic s' accroître "considérablement", "dans des conditions spectaculaires" ou auraient disposé ainsi d' une "part infiniment supérieure" sur le marché à l'
exportation .

Ainsi, en admettant même que les transporteurs étrangers aient tiré quelque avantage de la convention, ce que fait d' ailleurs la Commission, cette dernière pouvait, selon nous, très légitimement estimer que la progression en question ne suffisait pas à compenser la cotisation de 10 % versée par lesdits transporteurs étrangers sans leur être restituée . Il s' agit là, pour une large part, d' une question d' appréciation économique et nous ne pensons pas que la décision de la Commission témoigne d'
une erreur de droit, d' une présentation défectueuse des faits ni d' une quelconque irrégularité . Au surplus, bien que les arguments exposés au cours de la procédure aient précisé certains détails qui n' apparaissaient pas dans la motivation de la décision, nous pensons que les éléments sur lesquels la Commission s' est fondée et son mode de calcul étaient suffisamment expliqués, notamment dans les considérants 14, 47 à 50 et 56, pour permettre à l' ANTIB de savoir quelle était la démarche suivie
par la Commission et à la Cour d' en contrôler la légalité . Il est toujours possible de découvrir des lacunes dans un texte que l' on examine rétrospectivement; néanmoins, tout en admettant - contrairement à l' opinion de la Commission - que le défaut de motivation pertinente a bien été invoqué dès la requête et non dans la seule réplique, nous pensons que ce grief ne saurait être retenu en l' espèce .

Dans ces conditions, il y a lieu, selon nous, de rejeter le recours et de condamner la requérante aux dépens de l' instance .

(*) Traduit de l' anglais .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 272/85
Date de la décision : 03/02/1987
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Concurrence - Discrimination dans le secteur de la batellerie en France.

Transports

Concurrence

Ententes


Parties
Demandeurs : Association nationale des travailleurs indépendants de la batellerie (ANTIB)
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Joliet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:54

Source

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