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08/07/1986 | CJUE | N°201

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 8 juillet 1986., Marthe Klensch et autres contre Secrétaire d'État à l'Agriculture et à la Viticulture., 08/07/1986, 201


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 8 juillet 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

En 1984, la production laitière de la Communauté avait augmenté et continuait d'augmenter selon un taux qui suscitait de graves préoccupations. C'est en conséquence que le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 856/84 du 31 mars 1984 (JO L 90 de 1984, p. 10) qui instituait un prélèvement, s'ajoutant au prélèvement de coresponsabilité, sur les quantités de lait livrées au-delà d'un seuil de garant

ie pendant cinq années consécutives débutant le 1er avril 1984. Ce règlement (ajoutant un nouvel ar...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 8 juillet 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

En 1984, la production laitière de la Communauté avait augmenté et continuait d'augmenter selon un taux qui suscitait de graves préoccupations. C'est en conséquence que le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 856/84 du 31 mars 1984 (JO L 90 de 1984, p. 10) qui instituait un prélèvement, s'ajoutant au prélèvement de coresponsabilité, sur les quantités de lait livrées au-delà d'un seuil de garantie pendant cinq années consécutives débutant le 1er avril 1984. Ce règlement (ajoutant un nouvel article
5 quater au règlement (CEE) n° 804/68 (JO L 148 de 1968, p. 13), le règlement de base en ce qui concerne l'organisation commune des marchés du lait et des produits laitiers) a offert aux États membres une option entre deux formules. La première d'entre elles (« formule A ») impose aux producteurs de lait un prélèvement payable sur les quantités de lait livrées à un acheteur et qui, pendant la période de douze mois en cause, dépassent une quantité de référence à déterminer. La deuxième formule («
formule B ») impose aux acheteurs de lait le paiement d'un prélèvement sur les quantités de lait leur ayant été livrées par des producteurs et qui, pendant la période de douze mois en cause, dépassent une quantité de référence à déterminer, l'acheteur devant répercuter la charge du prélèvement sur les producteurs ayant augmenté leurs livraisons, proportionnellement à leur contribution au dépassement de la quantité de référence de l'acheteur. C'est au Conseil qu'il appartenait de fixer les règles
générales d'application de cet article et en particulier de déterminer les quantités de référence et le montant des prélèvements.

Ces règles ont été fixées dans le règlement (CEE) n° 857/84 du 31 mars 1984 (JO L 90 de 1984, p. 13). Aux termes de l'article 2 du règlement (CEE) n° 857/84:

« 1. La quantité de référence visée à l'article 5 quater, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 804/68 est égale à la quantité de lait ou d'équivalent lait livrée par le producteur pendant l'année civile 1981 (formule A) ou à la quantité de lait ou d'équivalent lait achetée par un acheteur pendant l'année civile 1981 (formule B), augmentée de 1 %.

2. Toutefois, les États membres peuvent prévoir que sur leur territoire la quantité de référence visée au paragraphe 1 est égale à la quantité de lait ou d'équivalent lait livrée ou achetée pendant l'année civile 1982 ou l'année civile 1983, affectée d'un pourcentage établi de manière à ne pas dépasser la quantité garantie définie à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68. Ce pourcentage peut être modulé en fonction du niveau des livraisons de certaines catégories de redevables, de
l'évolution des livraisons dans certaines régions entre 1981 et 1983 ou de l'évolution des livraisons de certaines catégories de redevables pendant la même période, selon les conditions à déterminer conformément à la procédure prévue à l'article 30 du règlement (CEE) n° 804/68.

3. Les pourcentages visés aux paragraphes 1 et 2 peuvent être adaptés par les États membres pour assurer l'application des articles 3 et 4. »

Les articles 3 et 4 concernent des situations particulières exigeant que des ajustements soient apportés aux quantités attribuées à certaines catégories de producteurs, notamment dans le cas des producteurs mettant en œuvre des plans de développement approuvés, tant avant qu'après l'entrée en vigueur du nouveau prélèvement, le cas de certains investissements effectués sans plan de développement, le cas des jeunes agriculteurs et celui des producteurs dont la production a été sensiblement affectée
par une catastrophe, un accident ou une épizootie pendant l'année de référence. Ils autorisent également les États membres à payer des indemnités aux producteurs qui s'engagent à abandonner définitivement la production laitière.

L'article 5 prévoit que:

« Pour l'application des articles 3 et 4, ne peuvent être accordées des quantités supplémentaires de référence que dans la limite de la quantité garantie visée à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68. Ces quantités supplémentaires sont prélevées sur une réserve constituée par l'État membre à l'intérieur de la quantité garantie précitée. »

Aux termes de l'article 7, il est prévu qu'en cas de vente d'une entreprise, la quantité de référence correspondante est transférée totalement ou partiellement à l'acquéreur, et que, « dans le cadre de la formule B, si un acheteur se substitue en tout ou en partie à un ou plusieurs acheteurs, sa quantité de référence est établie » selon des modalités définies.

Aux termes de l'article 8, paragraphe 1:

« Sauf dans les cas prévus à l'article 7, paragraphe 1 :

1. en cas d'application de la formule B, les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires permettant aux acheteurs de lait et de produits laitiers de gérer les quantités de référence qui leur sont allouées, y compris l'allocation et la réallocation des quantités mentionnées à l'article 10. »

L'article 10 s'applique lorsqu'un État membre choisit la formule B. Il impose aux acheteurs de répercuter le prélèvement sur le prix payé aux producteurs en fonction de la quantité dont ils ont dépassé « une quantité trimestrielle correspondant à celle retenue pour fixer la quantité de référence de l'acheteur ».

La Commission a ensuite adopté le règlement (CEE) n° 1371/84 (JO L 132 de 1984, p. 11) fixant les modalités d'application du système de prélèvement supplémentaire.

Le grand-duché de Luxembourg a voulu mettre en oeuvre ces règlements, notamment par le règlement grand-ducal du 3 octobre 1984 concernant l'application, au grand-duché de Luxembourg, du régime de prélèvement supplémentaire sur le lait: Mémorial du 8 octobre 1984, p. 1486.

Il a choisi la formule B (prélèvement dû par les acheteurs) (article 1er) et a prévu que la quantité de référence serait calculée à partir de la quantité de lait achetée par l'acheteur en 1981, augmentée de 2 % pour les douze premiers mois d'application du prélèvement supplémentaire et de 1 % pour chaque nouvelle période de douze mois d'application. Les quantités ainsi calculées sont affectées d'un coefficient pour tenir compte de l'évolution des quantités de lait livrées dans le Grand-Duché entre
1981 et 1983 (article 2). L'acquéreur est tenu d'appliquer à son tour un système similaire aux quantités de référence attribuées à chacun de ses fournisseurs (article 3). Une réserve nationale est prévue en application de l'article 5 du règlement n° 857/84 (article 4). Dans le cas où un producteur cesse ses livraisons à une laiterie (acheteur) et commence à en fournir une autre, la quantité de référence correspondante est enlevée au premier acheteur et attribuée au second; lorsqu'un fournisseur
cesse toute livraison, la quantité de référence correspondante doit être attribuée à la réserve du dernier acheteur auquel le fournisseur a livré du lait pendant une période d'au moins deux années consécutives (article 7).

Le Conseil d'État luxembourgeois a été saisi de deux recours contre le secrétaire d'État à l'Agriculture et à la Viticulture incriminant des arrêtés fixant les quantités de référence pour le lait, pris en application du règlement grand-ducal. Le premier recours a été formé par trois laiteries (Marthe Klensch, veuve Kipgen — agissant professionnellement sous la dénomination de Laiterie Ekabe —, Procola et Corelux) et le deuxième par une société d'exploitation agricole (société civile Exploitation
agricole de Niederterhaff, Bertrange). Toutes les parties requérantes au principal ont fait valoir que le règlement grand-ducal crée une discrimination entre les différents producteurs et acheteurs de lait au Grand-Duché et qu'en adoptant ce règlement, le gouvernement luxembourgeois avait abusé de ses pouvoirs en cherchant à favoriser la laiterie Luxlait au détriment d'autres acheteurs.

En dehors des trois requérantes dans la première affaire principale, il semble que la seule autre laiterie pasteurisant et traitant le lait au Grand-Duché est Luxlait qui, bien que n'étant pas une société étatique, a des liens avec la Centrale paysanne, un organisme semi-public auquel un pourcentage élevé de petits fermiers sont affiliés. Pour la plupart, les producteurs qui vendent leur lait à Luxlait sont des membres de la Centrale paysanne. Central Marketing Sari, organe de commercialisation de
la Centrale paysanne, distribue et vend les produits Luxlait. Or, nous avons été informés du fait que de nombreux fermiers ayant entrepris des améliorations dans leur entreprise agricole se tournent vers les requérantes au principal car ils peuvent en obtenir un prix plus favorable que de la part de Luxlait. D'autres agriculteurs, qui livraient précédemment Luxlait ont cessé leurs productions. En conséquence, chacun s'accorde à dire que depuis 1981 les quantités livrées à Luxlait ont diminué alors
que les livraisons aux laiteries requérantes ont augmenté. Par ailleurs, des agriculteurs qui, tel le producteur dans la deuxième affaire, ont entrepris des investissements substantiels dans la production laitière depuis 1981, et ce en bénéficiant d'une autorisation en bonne et due forme même si ce n'était pas dans le cadre d'un plan de développement, ont obtenu une quantité de référence qui ne représente qu'une fraction de ce dont ils ont besoin pour amortir leurs investissements. Selon les
requérantes au principal, le règlement grand-ducal a pour résultat de favoriser les petits producteurs associés à Luxlait et de désavantager les producteurs plus importants qui fournissent lesdites requérantes.

En outre, les règles, selon lesquelles les quantités revenant à des producteurs qui arrêtent leur production continuent de relever de la quantité de référence du dernier acheteur, jouent en faveur de Luxlait puisqu'elles lui permettent ainsi d'acquérir une capacité de réserve qu'elle peut transférer à ses fournisseurs, en leur permettant d'accroître leur production. Les requérantes dans la première affaire au principal, dont il est peu vraisemblable que les fournisseurs arrêtent leur production,
alors qu'ils voudraient au contraire l'augmenter (comme c'est le cas en ce qui concerne Niederterhaff, le requérant dans l'affaire 202/85), ne disposent pas d'une telle capacité de réserve.

Le Conseil d'État semble avoir admis que les conséquences du règlement grand-ducal étaient moins favorables pour les requérantes que pour Luxlait, mais il a estimé qu'il n'y avait aucune preuve que, notamment en choisissant 1981 comme année de référence, le gouvernement luxembourgeois ait eu l'intention de placer Luxlait dans une situation avantageuse. Qui plus est, même si quelques inégalités ne pouvaient manquer de résulter du système des contrôles adopté, le gouvernement s'était rendu compte que
le niveau des livraisons aux différents acquéreurs avait connu des variations entre 1981 et 1983 et c'est pourquoi il avait pondéré les quantités fixées pour tenir compte de ces variations. Les pourcentages adoptés avaient pour effet de réduire légèrement les quantités attribuées à Luxlait et d'augmenter celles attribuées aux autres acheteurs.

Le Conseil d'État a décidé de déférer à la Cour un certain nombre des questions qui se sont posées dans le cadre de ces procédures. Les questions sont communes aux recours formés par les laiteries (affaire 201/85) et par la société d'exploitation agricole (affaire 202/85) et les affaires ont été jointes.

Les questions sont les suivantes:

« 1) L'article 40, paragraphe 3, du traité de Rome, suivant lequel l'organisation commune des marchés agricoles doit exclure toute discrimination entre producteurs de la Communauté, s'oppose-t-il à ce qu'un État membre, en application de l'article 2 du règlement (CEE) n° 857/84 du Conseil, choisisse comme année de référence pour la détermination de la quantité de référence visée à l'article 5 quater, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 804/68, l'année indiquée au paragraphe 1 de l'article 2 précité,
si, en fait, ce choix a pour effet d'avantager un acheteur et, partant, les producteurs de lait livrant à cet acheteur au détriment d'autres producteurs et des acheteurs auxquels ceux-ci font leurs livraisons?

2) L'article 2, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) n° 857/84 permet-il, au cas où un État membre a choisi comme année de référence l'année 1981, d'affecter la quantité de référence, visée au paragraphe 1 précité, d'un pourcentage modulé en fonction du niveau des livraisons de certaines catégories de redevables, alors qu'une telle possibilité n'est expressément prévue par le paragraphe 2 qu'au cas où l'État membre a choisi comme année de référence l'année civile 1982 ou l'année civile 1983?

3) L'économie générale du règlement n° 857/84 et plus spécialement l'article 2, paragraphe 2, l'article 4, paragraphe 2, et l'article 8, paragraphe 1, dudit règlement autorisent-ils un État membre ayant opté pour la formule B à attribuer les quantités de référence non allouées et provenant de producteurs ayant cessé leurs livraisons depuis 1981, par suite de la cessation de leurs exploitations, à la réserve de l'acheteur auquel ces producteurs avaient effectué leurs livraisons de lait, plutôt qu'à
attribuer cette quantité à la réserve nationale?

4) Le règlement (CEE) n° 857/84, et plus spécialement son article 4, paragraphe 2, permet-il à un État membre d'affecter à la réserve du dernier acheteur la quantité de référence individuelle d'un fournisseur ayant cessé son activité, même augmentée des quantités supplémentaires provenant de la réserve nationale?

5) A supposer positive la réponse à la quatrième question, le règlement (CEE) n° 857/84 permet-il d'affecter cette quantité de référence à la réserve du dernier acheteur auquel le fournisseur a livré du lait au moins pendant une période de deux années consécutives? »

Pour des raisons de commodité, il est préférable d'examiner les quatre dernières questions qui concernent les modalités d'application du système par le Luxembourg, avant d'étudier le problème de principe général soulevé dans la première question.

L'article 2 du règlement n° 857/84 prévoit que 1981 doit être prise comme année de référence, tout en laissant aux États membres la possibilité de décider de retenir 1982 ou 1983 en cas de nécessité de pondérer les quantités « de manière à ne pas dépasser la quantité garantie définie à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 ». Il n'existe aucune disposition de cette sorte en ce qui concerne 1981; en fait, rien ne justifiait une telle disposition puisque, grosso modo, l'objectif était de
revenir aux quantités produites en 1981 majorées de 1 % (ou 2 % au cours de la première année d'application du système) de sorte que, sous réserve d'exceptions, il convenait d'ignorer l'évolution ultérieure. Si 1982 ou 1983 étaient choisies en tant qu'années de référence, les quantités devaient être ajustées pour tenir compte d'événements ultérieurs. Les États membres avaient un choix entre les deux possibilités; le règlement ne leur permettait pas d'utiliser les deux conjointement. De même, à notre
avis, en cas de choix de 1981, les États membres n'avaient aucun pouvoir propre leur permettant de modifier les chiffres réels pour obtenir un résultat qu'ils estimaient plus équitable ou meilleur. En conséquence, la réponse à la deuxième question est qu'un État membre n'avait pas le pouvoir de retenir l'année 1981 et de pondérer ensuite la quantité de référence d'un pourcentage variant sur la base du niveau des livraisons faites à certaines catégories de personnes assujetties au prélèvement. Le
fait, porté à l'attention de la Cour, que des modifications au règlement sont envisagées pour permettre d'ajuster les chiffres relatifs à 1981 ne change rien à cette situation.

La troisième question, telle que nous l'entendons, concerne la fixation des quantités de référence par les États membres lors de l'entrée en vigueur du système. Le problème se pose du fait que le système luxembourgeois qui a adopté la formule B selon laquelle le prélèvement est payé sur les quantités livrées à un acheteur, prévoit le transfert de la quantité de référence d'un producteur cessant ses activités à la réserve de son acheteur. Les requérantes au principal font valoir que cela avantage
Luxlait qui peut redistribuer cette quantité de référence à d'autres producteurs. Selon elles, cette quantité devrait être transférée à la réserve nationale et être distribuée équitablement entre les différentes laiteries acheteuses.

Les règlements du Conseil ne mentionnent pas de « réserve de l'acheteur ». Il nous semble toutefois que, comme l'affirme la Commission, la situation est claire en cas de choix de la formule B et de l'année 1981 comme année de référence. Les quantités de référence de l'acheteur sont fixées sur la base du lait et des équivalents lait qui ont été livrés en 1981 majorés de 1 % (ou de 2 % au cours de la première année de fonctionnement du système). Aucune disposition ne prévoit l'obligation de procéder à
une réduction représentant le tonnage préalablement livré par un quelconque fournisseur ayant volontairement cessé ou réduit sa production. De même, les règlements ne comportent aucune disposition imposant le transfert à la réserve nationale des quantités représentant ce tonnage en ce qui concerne un fournisseur cessant volontairement sa production. La réserve nationale comprend les quantités réservées sur la quantité de référence générale visée à l'article 2 en vue d'appliquer l'article 3 du
règlement n° 857/84, ou attribuées par transfert à la réserve nationale au titre de l'article 7. En relation avec une cessation d'activité plutôt qu'une vente ou un transfert, ce n'est que si un producteur est indemnisé au titre de l'article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 857/84, pour s'être engagé à cesser définitivement la production de lait que la quantité de référence ainsi libérée est affectée à la réserve nationale. Il convient donc de répondre à la troisième question par
l'affirmative.

La quatrième question, telle que nous l'interprétons, ne vise pas à se référer à l'introduction du système mais à son application aux quantités de référence des producteurs qui cessent leur production pendant la durée d'application du système. Les requérantes au principal affirment que celles-ci doivent également être transférées à la réserve nationale, car une partie de cette quantité de référence du producteur peut elle-même avoir été attribuée sur la réserve nationale. A notre avis, il est clair
là encore, qu'il n'existe aucune disposition en ce sens. La quantité de référence pertinente dans le cadre de la formule B est celle de l'acheteur; elle n'est pas affectée par le fait qu'un producteur cesse volontairement sa production. Le fait qu'une partie de la quantité de référence du producteur provienne de la réserve nationale n'est pas pertinent à cet égard. Nous pensons que l'article 6 du règlement de la Commission n°137184 (JO L 132 de 1984, p. 11), en prévoyant expressément que la quantité
de référence d'un acheteur doit être adaptée pour tenir compte des quantités supplémentaires allouées aux producteurs en application des articles 3 et 4 du règlement n° 857/84, c'est-à-dire sur la réserve nationale, implique bien qu'aucune réduction n'est nécessaire au simple motif qu'une partie de la quantité de référence de l'acheteur venait , de la réserve nationale. A notre avis la question 4 doit, comme la question 3, recevoir une réponse affirmative.

En ce qui concerne la cinquième question, le gouvernement luxembourgeois affirme qu'en vue d'empêcher les manipulations en matière de quantités de référence, il a été prévu que la quantité de référence d'un fournisseur ayant cessé sa production devait être attribuée à l'acquéreur ayant été fourni en dernier lieu par ce producteur pendant au moins deux ans, plutôt qu'au dernier acquéreur s'il n'avait pas été fourni par ce même producteur pendant deux ans. Dans le cas contraire, affirme le
gouvernement luxembourgeois, un acheteur pourrait persuader un producteur fournissant un autre acheteur et envisageant de cesser sa production de transférer ses livraisons au premier acheteur de telle sorte que celui-ci obtiendrait le bénéfice de la quantité fournie qui pourrait être attribuée à d'autres fournisseurs lors de la cessation d'activités.

Selon le gouvernement luxembourgeois, rien dans le règlement n'interdit à un État membre d'adopter une telle mesure de précaution.

A notre avis, rien dans le règlement ne permet d'imposer une telle condition. Si un fournisseur cesse sa production, la quantité de référence de l'acheteur n'est pas réduite; rien ne saurait justifier qu'on attribue la quantité libérée par le fournisseur qui cesse ses activités à un autre acquéreur antérieur. L'article 6, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1371/84 mettant en application l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 857/84, indique clairement que, lorsqu'un producteur passe d'un
acheteur à l'autre, la quantité de référence du premier acheteur est réduite alors que celle du deuxième acheteur est augmentée avec effet immédiat, sous réserve d'une quantité éventuellement attribuée à la réserve nationale. Il n'y a aucune condition selon laquelle le producteur devrait être le fournisseur d'un acheteur particulier, pour une quelconque durée, pour que les quantités libérées soient inscrites dans sa quantité de référence. Nous pensons, comme la Commission, qu'il convient de donner
une réponse négative à la cinquième question.

Venons-en à la première question qui semble partir de l'hypothèse qu'un État membre a choisi 1981 comme année de référence et a respecté les dispositions pertinentes des règlements. Pour les raisons exposées ci-dessus, nous estimons que tel n'est pas le cas en l'espèce. Dans cette optique, la première question, telle qu'elle est formulée, ne se rapporte pas aux faits de l'espèce. C'est toutefois une question qu'il est nécessaire que nous examinions en termes généraux.

Il est clair que, lorsque le Conseil et la Commission instituent une réglementation dans le cadre d'une organisation commune des marchés, ces deux institutions ont le devoir de respecter l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE et d'exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs à l'intérieur de la Communauté. Si, dans un cas précis, on faisait valoir que les choix faits conduiront forcément à une discrimination, l'action appropriée serait de contester la validité de la
réglementation. Or, personne dans la présente espèce n'a suggéré que les règlements du Conseil ne respectent pas l'article 40, paragraphe 3, ou que les choix offerts conduisent nécessairement à une discrimination; aucune question n'a été posée quant à la validité des règlements eux-mêmes.

Dès lors qu'une organisation commune des marchés a été mise en place, les États membres ont le devoir de ne prendre aucune mesure susceptible de la compromettre ou de lui apporter des exceptions. Il est donc clair qu'en appliquant les règlements en cause, les États membres ne doivent pas compromettre les objectifs ni le fonctionnement de l'organisation commune des marchés. Dans un tel contexte (affaire 52/76, Benedetti/Munari, Rec. 1977, p. 163 et notamment 187), l'avocat général M. Reischl a
exprimé le point de vue selon lequel « il n'est pas douteux ... que l'article 40 ne lie pas seulement le législateur communautaire, mais qu'il s'adresse aussi aux États membres dans la mesure où, par leurs organismes d'intervention, ils exercent des fonctions qui se situent dans le cadre de l'organisation commune des marchés. »

Quant à nous, nous ne partageons pas le point de vue selon lequel « il n'est pas douteux » que l'article 40, paragraphe 3, correctement interprété traite de l'application, par les États membres, des règles instituées par la Communauté en matière d'organisation commune des marchés. Dans l'affaire 51/74, Van der Hulst (Rec. 1975, p. 79), la Cour n'a apparemment pas estimé qu'il était évident que l'article 40, paragraphe 3, s'appliquait à des réglementations nationales mettant en œuvre un système
communautaire. A l'attendu 35, la Cour a déclaré que les réglementations nationales se heurtent aux interdictions inscrites entre autres à l'article 40, paragraphe 3, « ne serait-ce que par analogie », lorsque les marchandises exportées sont grevées plus lourdement que celles commercialisées sur le marché national, ou lorsque le produit de la taxe est destiné à favoriser les produits nationaux.

A notre avis, l'article 40, paragraphe 3, correctement interprété vise l'élaboration, par les institutions communautaires, des règles pour l'établissement d'une telle organisation commune des marchés et non pas les initiatives des États membres en vue de mettre en oeuvre lesdites règles.

Il existe, toutefois, une règle générale de droit communautaire — dont l'article 40, paragraphe 3, est une expression dans un contexte particulier — en ce sens qu'en administrant une telle organisation commune de marchés, les États membres doivent agir équitablement, en respectant les principes de proportionnalité et d'égalité de traitement.

La façon dont ces règles sont appliquées dépend forcément du contexte des règlements et doit être examinée en tenant compte de l'obligation des États membres de ne pas compromettre les objectifs ni le fonctionnement de l'organisation commune des marchés. Dans le cas présent, il est évident que les institutions communautaires ont estimé que la production de lait devait être réduite ou au moins qu'il ne fallait pas la laisser se développer au-delà de certaines limites. Certains fermiers qui
souhaitaient augmenter leur production subiraient donc des restrictions; d'autres devraient restreindre leur production. Ils ne peuvent pas incriminer ces circonstances en soi. Différentes dispositions autorisant, par exemple, l'attribution de quantités supplémentaires et le transfert de quantités de référence lors de la vente d'une entreprise cherchent à garantir que le système fonctionne de manière efficace et équitable.

Qui plus est, puisque le système actuel — qui donne un choix à la fois quant aux années et quant aux méthodes — n'est pas accusé d'irrégularité, les États membres pouvaient décider de l'année à retenir aussi longtemps qu'il mettait en œuvre très exactement l'option choisie par eux. Il ne peut y avoir d'obligation a priori de retenir l'année qui attribue les quantités les plus élevées à des groupes particuliers de producteurs ou d'acheteurs.

Toutefois, bien qu'il ait été nécessaire d'imposer des contrôles, la marge d'appréciation devait à notre avis être utilisée de manière équitable, l'État membre adoptant une vue d'ensemble et établissant un équilibre entre des demandes concurrentes. Le résultat peut encore être que des acheteurs ou fournisseurs subissent une réduction plus importante que d'autres mais, si le pouvoir d'appréciation est exercé équitablement et selon des conceptions globales, la légalité de telles décisions ne peut être
contestée. Par ailleurs, il est certain qu'une certaine souplesse a été prévue pour permettre de prendre en compte des conditions différentes selon les États membres puisque les activités agricoles n'y sont pas organisées sur une base uniforme. Les dimensions des exploitations agricoles, le degré de modernisation, l'organisation de la distribution varient d'État membre à État membre. Il peut être nécessaire de prendre ces facteurs en considération. La mesure dans laquelle les exploitants agricoles
ont été encouragés ou autorisés par l'État à investir ou à augmenter leur production au cours des années 1981 à 1983 est également un point dont l'examen présente un caractère de pertinence.

Les questions de renvoi nous semblent implicitement montrer que le Conseil d'État n'a pas estimé que le fait que l'État n'a pas eu l'intention de favoriser un acheteur ou un groupe d'acheteurs ou de fournisseurs ne constituait pas un argument concluant pour démontrer l'absence de discrimination ou le caractère inéquitable. Nous sommes également de cet avis. Il était et il reste important qu'au moment du choix, l'État membre examine si, selon une vue d'ensemble, l'effet de ses choix produirait des
désavantages inéquitables pour un groupe par rapport à un autre groupe ou si ces choix étaient disproportionnés. Il appartient à la juridiction nationale de trancher, sur cette base, les problèmes se posant en l'espèce. Nous ne pensons pas que c'est à la Cour qu'il incombe de les résoudre ou de les apprécier de manière précise.

En conséquence nous proposons de répondre aux questions déférées dans le sens suivant:

1) L'article 40, paragraphe 3, du traité CEE, ne peut être invoqué par des particuliers dans le cadre de procédures devant une juridiction nationale pour contester un système national mettant en œuvre de manière appropriée la législation communautaire régissant une organisation commune des marchés agricoles: il existe toutefois une obligation — qui s'impose aux États membres dans l'application correcte d'un tel système — de tenir compte de tous les facteurs pertinents selon une conception d'ensemble
et de ne pas agir de manière inéquitable vis-à-vis de groupes différents et concurrents de producteurs et d'acheteurs.

2) L'article 2 du règlement n° 857/84 ne permet pas à un État membre ayant choisi 1981 en tant qu'année de référence d'affecter la quantité de référence qui y est visée d'un pourcentage modulé en fonction du niveau des livraisons de certaines catégories de redevables.

3) Le règlement n° 857/84 ne comporte aucune disposition autorisant les États membres qui ont choisi la formule B au titre de l'article 5 quater, paragraphe 1, du règlement n° 804/68, de déduire de la quantité de référence d'un acheteur une quelconque quantité comme conséquence du fait qu'un producteur a cessé de fournir une quelconque quantité à cet acheteur, que ce soit avant l'entrée en vigueur du système qui est prévu notamment dans les règlements nos 856/84 et 857/84 ou pendant la durée de
validité de ce système. En particulier, les règlements cités ci-dessus ne permettent aucunement aux États membres de transférer un tel montant à la réserve nationale, et ces quantités doivent rester dans la quantité de référence de l'acheteur à qui elles étaient livrées en dernier lieu, quelle que soit la durée de telles livraisons.

Il appartient à la juridiction nationale de trancher la question des dépens; les dépens de la Commission ne peuvent faire l'objet d'une décision.

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( *1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 201
Date de la décision : 08/07/1986
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Grand-Duché de Luxembourg.

Prélèvement supplémentaire sur le lait.

Produits laitiers

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Marthe Klensch et autres
Défendeurs : Secrétaire d'État à l'Agriculture et à la Viticulture.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:297

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