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02/07/1986 | CJUE | N°322/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 2 juillet 1986., Volker Hoyer et autres contre Cour des comptes des Communautés européennes., 02/07/1986, 322/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 2 juillet 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  En vue de pourvoir un emploi permanent d'administrateur de carrière A 7/A 6, la Cour des comptes, agissant en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après « AIPN »), a organisé en 1985 un concours interne CC/A/8/85 en publiant un avis et en désignant un jury.


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 2 juillet 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  En vue de pourvoir un emploi permanent d'administrateur de carrière A 7/A 6, la Cour des comptes, agissant en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après « AIPN »), a organisé en 1985 un concours interne CC/A/8/85 en publiant un avis et en désignant un jury.

Quatorze agents ont fait acte de candidature. Le jury, considérant qu'ils ne remplissaient pas les conditions imposées par l'avis pour participer aux épreuves, n'en a admis aucun à concourir et ce, bien que l'AIPN ait appelé son attention sur l'interprétation plus souple qu'il convenait, selon elle, de donner à certaines dispositions de l'avis précité.

Quatre des postulants, MM. Henri Maurissen, Hartmut Schwiering, Volker Hoyer et Manfred Neumann, ont déféré à votre censure les décisions du jury les concernant. La procédure concernant M. Maurissen a été audiencée le 23 octobre 1986. Celle relative à M. Schwiering fera l'objet de conclusions distinctes à prononcer à l'audience de ce jour.

2.  Examinons donc les requêtes de MM. Hoyer et Neumann dont les procédures, en raison de leur connexité, ont été jointes par votre ordonnance du 9 avril 1986.

L'avis de concours comportait les dispositions suivantes:

« IV —

Admission à concourir:

seront admis à concourir les candidats:

....

3. — ayant une connaissance approfondie d'une langue officielle des Communautés et une connaissance satisfaisante d'une deuxième langue officielle des Communautés. La connaissance d'une troisième langue serait appréciée.

— pour des raisons de service, la connaissance de la langue française est exigée.

Le jury, après avoir pris connaissance des dossiers, déterminera la liste des candidats qui répondent à ces conditions et seront donc admis à concourir.

V —

Concours

Le concours aura lieu sur titres et épreuves.

...

B — Épreuves:

1. Nature des épreuves:

...

c) épreuve orale de vérification des connaissances linguistiques indiquées au point IV, paragraphe 3, ci-avant. »

Dans leurs actes de candidature respectifs, MM. Hoyer et Neumann avaient, quant à la langue française, donné tous deux les indications suivantes:

— lecture: bon;

— écriture: passable (suffisant);

— expression orale: passable (suffisant).

C'est dans ces conditions, et compte tenu de son interprétation de l'avis précité, que le jury n'a pas admis les requérants à concourir. Il a en effet considéré:

— d'une part, que le profil du poste à pourvoir et l'intérêt du service imposaient que les candidats possèdent un niveau de connaissances en français au moins égal à « bien » en ce qui concerne les connaissances pour « lire », « écrire » et « parler », rubriques figurant sur le formulaire à remplir par les candidats,

— d'autre part, que les dispositions du point IV de l'avis de concours lui faisaient obligation, au stade de l'admission à concourir, de sélectionner parmi les candidats ceux dont les connaissances déclarées — sous réserve de vérifications ultérieures au moyen de l'épreuve orale prévue — pouvaient correspondre au niveau requis, une telle « approche » étant justifiée eu égard au fait qu'aucun candidat n'a « intérêt à indiquer un niveau de connaissances inférieur à la réalité » (rapport du jury à
l'AIPN en date du 28 octobre 1985).

La décision de refus d'admission à concourir a été notifiée le 2 août 1985 par le président du jury à MM. Hoyer et Neumann. Ceux-ci, sur l'invitation qui leur en a été faite, ont été admis à présenter leurs observations, ce qu'ils ont fait en contestant, de façon motivée, la mesure prise à leur encontre. Par lettres adressées le 28 octobre 1985 aux intéressés, le jury a maintenu sa position.

Le 30 octobre 1985, l'AIPN a fait connaître à tous les candidats au concours qu'elle ne souhaitait pas publier une liste d'aptitude « néant » et que, par conséquent, la procédure était suspendue en attente d'éventuels recours.

3.  Les requérants vous demandent d'annuler les décisions du jury auquel ils reprochent:

— d'avoir, par l'exigence du niveau de connaissances en français, introduit une condition d'admission ne figurant pas dans l'avis de concours,

— de s'être abstenu de vérifier objectivement, au moyen de l'épreuve orale prévue à cet effet, l'appréciation subjective faite par chaque candidat de ses propres connaissances en français.

4.  La Cour des comptes, partie défenderesse, conclut au bien-fondé des recours.

Rappelant son désaccord persistant avec le jury, elle observe, tout en le regrettant, que la jurisprudence de la Cour, spécialement l'arrêt 144/82 (Detti/Cour de justice des Communautés européennes, 14 juillet 1983, Rec. p. 2421), exclut toute possibilité pour l'AIPN de modifier ou annuler les décisions d'un jury de concours même lorsqu'elles sont manifestement entachées de graves erreurs. Elle considère cependant que, lorsque, comme en l'espèce, il n'existe pas de contentieux entre les parties
à la procédure, l'AIPN devrait pouvoir disposer, elle-même, d'un pouvoir de réformation, ce qui supposerait une modification de votre jurisprudence.

5.  Aucune contestation n'a été soulevée quant à la recevabilité du recours. En effet, selon votre jurisprudence, les décisions d'un jury appréciant les mérites d'un candidat peuvent faire l'objet d'un recours par saisine directe (affaire 144/82, Detti, précitée, affaire 44/71, Marcato/Commission, arrêt du 14 juin 1972, Rec. p. 427).

Quant au fond, les recours des intéressés nous paraissent devoir être accueillis.

En effet, s'il incombe au jury de vérifier que les candidats satisfont aux conditions d'admission, il ne peut exercer cette compétence qu'en se fondant sur des éléments objectifs, tels que titres universitaires ou attestation, par une autorité qualifiée, d'une expérience professionnelle satisfaisant aux conditions d'équivalence et de durée exigée par l'avis de concours.

S'agissant de la connaissance de la langue française, celle-ci était exigée sans indications de niveau. Le jury aurait donc été fondé, dès ce stade, à ne pas admettre à concourir tout candidat déclarant qu'il n'avait aucune connaissance du français.

Dans tous les autres cas, le niveau des connaissances requis, qu'il appartenait certes au jury d'évaluer compte tenu de la nature des fonctions exercées, se devait d'être vérifié au moyen de l'épreuve orale prévue à cet effet. Toute autre élimination, fondée sur l'appréciation subjective des candidats, au motif que ces derniers auraient — ce qui ne saurait être érigé en règle générale — « plutôt tendance à surévaluer leur niveau de connaissances » (rapport précité du 28 octobre 1985), serait,
comme en l'espèce, contraire au devoir d'objectivité et au principe d'égalité de traitement entre les candidats qui s'imposent à tout jury.

6.  Il n'y aura donc aucune difficulté pour annuler les décisions entreprises et pour mettre un terme moins à un litige, puisque rien n'oppose les parties à la procédure, qu'à une impasse juridique. Pour ce faire, point n'est besoin du revirement jurisprudentiel que la défenderesse appelle de ses vœux et dont les conditions juridiques, pour ne parler que d'elles, ne nous paraissent pas réunies en l'occurrence. En effet, la Cour des comptes, agissant en tant qu'AIPN, n'a pas cru devoir censurer à
votre place les décisions critiquées. Vous n'avez donc pas à vous prononcer sur le pouvoir qu'elle aurait eu de le faire.

La défenderesse précise cependant qu'elle en a envisagé la possibilité, notamment après avoir lu nos conclusions dans l'affaire Williams (257/83, arrêt du 16 octobre 1984, Rec. p. 3547). Nous estimons qu'elle a bien fait de s'abstenir. Un tel pouvoir de censure porterait, en effet, atteinte à l'indépendance du jury, donc à la garantie d'impartialité due aux candidats.

Ajoutons que nous avons le sentiment d'avoir été mal compris. Dans nos conclusions auxquelles elle se réfère, nous avons simplement rappelé que l'article 5 de l'annexe III du statut, conférant « compétence au jury pour déterminer ‘la liste des candidats qui répondent aux conditions fixées par l'avis de concours’», ne pouvait être interprété « comme retirant à l'AIPN le pouvoir, voire l'obligation, de vérifier que tel candidat, inscrit sur la liste d'aptitude par le jury, réunit effectivement les
conditions de diplôme ou d'expérience qu'elle a elle-même édictées ».

Ce qui signifie non pas que l'AIPN peut censurer la décision d'un jury lorsque celle-ci est entachée d'irrégularités, mais qu'elle a le devoir, dans l'exercice de sa compétence propre, de ne pas procéder à une nomination irrégulière.

Nous concluons, en conséquence, à l'annulation des décisions entreprises, les dépens devant être intégralement mis à la charge de l'institution défenderesse.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 322/85
Date de la décision : 02/07/1986
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Refus d'admission à concourir - Désaccord entre le jury de concours et l'AIPN.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Volker Hoyer et autres
Défendeurs : Cour des comptes des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:281

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