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26/06/1986 | CJUE | N°385/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 26 juin 1986., S. R. Industries contre Administration des douanes., 26/06/1986, 385/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 26 juin 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le renvoi au titre de l'article 177 du traité CEE dont nous nous occupons aujourd'hui vous est déféré par le tribunal d'instance de Béthune. Le tribunal ne fait pas l'exposé des faits pertinents; il dit simplement que la société S. R. Industries a assigné l'administration des douanes aux fins de s'entendre déclarer que le règlement (CEE) n° 3749/83 de la Commission (JO 1983, L 372, p. 1) était invalid

e et que, en conséquence, l'entreprise était fondée à refuser le paiement de la somme de 2066245...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 26 juin 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le renvoi au titre de l'article 177 du traité CEE dont nous nous occupons aujourd'hui vous est déféré par le tribunal d'instance de Béthune. Le tribunal ne fait pas l'exposé des faits pertinents; il dit simplement que la société S. R. Industries a assigné l'administration des douanes aux fins de s'entendre déclarer que le règlement (CEE) n° 3749/83 de la Commission (JO 1983, L 372, p. 1) était invalide et que, en conséquence, l'entreprise était fondée à refuser le paiement de la somme de 2066245 FF
de droits et taxes que lui avait réclamée l'administration des douanes.

Malgré l'absence d'exposé des faits essentiels, ils ne semblent guère susciter de contestation. L'entreprise importe, en provenance d'une société de Hong-kong, des voiles destinées à des planches à voile qui sont soit fabriquées, soit vendues par S. R. Industries. Il semble que les voiles soient fabriquées à Hong-kong avec des tissus importés du Japon. Il ressort de ce qui a été exposé devant la Cour que la société a commencé par importer des voiles en France par le port du Havre et qu'elle a
acquitté les droits de douane par l'intermédiaire d'un agent en douane. Dans le courant de l'année 1983, la société a commencé à importer les voiles par Béthune; un transitaire en douane l'a informée qu'elle pouvait importer les voiles en question en franchise de droits de douane. C'est donc ce qu'elle a fait pendant une certaine période, en complétant simplement les documents de déclaration en douane habituels, avec la mention d'origine Hong-kong. Toutefois, à la fin du mois d'octobre 1984,
l'administration des douanes a prétendu que la façon dont la société avait agi jusque-là était contestable et qu'elle aurait dû payer des droits de douane.

La raison invoquée à l'appui de l'exemption des droits de douane était le bénéfice de préférences tarifaires; les marchandises en question étaient exemptes de droits au titre du règlement (CEE) n° 3749/83. Cependant, il est clair que, aux termes du règlement (CEE) n° 3749/83, seules les voiles fabriquées dans certains pays (y compris Hong-kong) à partir de fils simples écrus peuvent bénéficier de la préférence tarifaire généralisée. Eu égard au règlement, la société n'était pas autorisée à importer
les marchandises en franchise de droits, puisqu'elles n'étaient pas fabriquées à Hong-kong à partir de tels fils.

La société conteste la validité de ce règlement (CEE) n° 3749/83 en se basant sur un certain nombre d'arguments.

En premier lieu, elle soutient que le règlement en question est en contradiction avec le règlement douanier de base, relatif à la définition commune de la notion d'origine des marchandises. Ce règlement (CEE) n° 802/68 (JO 1968, L 148, p. 1) définit la notion d'origine des marchandises aux fins de l'application uniforme du tarif douanier commun, des restrictions quantitatives et de toutes autres dispositions applicables aux marchandises importées par la Communauté ou les États membres. L'article 5
prévoit qu'une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important.

Le règlement (CEE) n° 749/78 de la Commission (JO 1978, L 101, p. 7) a défini quelles ouvraisons ou fabrications étaient considérées comme conférant le caractère originaire aux fins de la classification tarifaire, à l'exception de celles dont la liste A précise à quelles conditions elles sont considérées comme des ouvraisons ou transformations complètes. La liste A comprend les produits de la position 62.04 du tarif douanier commun dans laquelle figurent les « voiles » et définit l'ouvraison ou la
transformation conférant le caractère de produits originaires comme étant la « fabrication à partir de fils ».

Il s'est avéré par la suite que la Commission a estimé que la fabrication de voiles à partir de tissu était, en soi, une « transformation complète constituant un stade de fabrication, qui a pour effet de ranger le produit obtenu sous une position tarifaire autre que celle afférente à chacun des produits utilisés »; ainsi, le règlement (CEE) n° 1520/79 (JO 1979, L 185, p. 16) a retiré les voiles de la liste A du règlement (CEE) n° 749/78. La fabrication de voiles a donc été considérée comme
constituant un stade de fabrication distinct, à partir, semble-t-il, de n'importe quel tissu.

Le règlement (CEE) n° 802/68 contenait, toutefois, une restriction importante. L'article 2, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 1318/71 (JO 1971, L 139, p. 6), prévoit que les dispositions du règlement (CEE) n° 802/68 ne portent pas atteinte aux règles particulières applicables aux échanges commerciaux bénéficiant de préférences que la Communauté décide d'octroyer unilatéralement en dérogation à la clause de la nation la plus favorisée.

En adoptant le règlement (CEE) n° 3570/83 QO 1983, L 362, p. 92), le Conseil a appliqué les préférences tarifaires généralisées pour l'année 1984 aux produits textiles originaires de pays en voie de développement. En vertu de l'article 1er dudit règlement, les droits du tarif douanier commun étaient totalement suspendus pour l'année 1984, pour les différents produits repris en annexe. Hong-kong est l'un des pays bénéficiaires de préférences tarifaires généralisées. Aux termes du paragraphe 3 de
l'article 1er, l'admission au bénéfice du régime préférentiel institué par le règlement est subordonnée au respect de la notion de produits originaires qui est arrêtée selon la procédure prévue à l'article 14 du règlement (CEE) n° 802/68.

Le règlement (CEE) n° 3749/83 a défini cette notion pour l'application des préférences tarifaires généralisées.

Il ressort clairement de ce dernier règlement que les seules voiles pouvant être considérées comme bénéficiaires des préférences tarifaires sont celles fabriquées à partir de fils simples écrus.

L'argument invoqué par la demanderesse en l'espèce est que la finalité des préférences tarifaires généralisées est d'appliquer des prescriptions plus souples alors qu'en fait la Commission a adopté une approche plus restrictive que celle qu'avait formulée le Conseil dans le règlement (CEE) n° 802/68.

Nous ne pensons pas qu'il existe entre les deux règlements un conflit, qui rendrait le règlement (CEE) n° 3749/83 invalide. Le règlement (CEE) n° 802/68 a pour objet de définir la notion d'origine des marchandises aux fins que nous avons précisées. L'article 2 du règlement (CEE) n° 802/68, tel qu'il a été modifié, a clairement envisagé la possibilité pour la Communauté d'adopter d'autres « règles particulières » applicables aux échanges commerciaux de la nature spécifiée. Les dispositions du
règlement (CEE) n° 802/68 ne « portaient pas atteinte » à ces règles particulières. Ces dernières sont, dès lors, expressément exclues des dispositions dudit règlement. Ces règles peuvent donc prévoir une définition plus large ou plus étroite. Il ne saurait y avoir incompatibilité. Le pouvoir de la Commission n'était donc, à notre avis, aucunement limité par une autre disposition du règlement (CEE) n° 802/68.

Le deuxième argument invoqué ensuite est que, selon les considérants du règlement (CEE) n° 3749/83 de la Commission, il conviendrait d'appliquer des prescriptions plus souples en faveur de certains pays en voie de développement. Le considérant en question est libellé comme suit:

« Considérant que les résolutions adoptées lors de la conférence ministérielle de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, en novembre 1982, et de la Cnuced VI, en juin 1983, recommandent un traitement spécial en faveur des pays en voie de développement les moins avancés visant à appliquer des prescriptions plus souples en matière de règles d'origine; qu'il convient, dès lors, d'établir une procédure de dérogations aux règles d'origine en faveur desdits pays; ...»

L'article 5 du règlement (CEE) n° 3749/83 prévoit la faculté d'adopter ces dérogations. Elles peuvent l'être uniquement en faveur des pays énumérés à l'annexe D des règlements (CEE) nos 3569/83 (JO 1983, L 362, p. 1) et 3571/83 (JO 1983, L 362, p. 172), ainsi qu'à l'annexe E du règlement (CEE) n° 3570/83. Hong-kong ne figure de toute évidence sur aucune de ces listes et, dès lors, nous ne pensons pas qu'on puisse soutenir que la Commission avait l'obligation d'accorder un traitement particulièrement
favorable à Hong-kong qui n'est manifestement pas considéré comme l'un des moins avancés des pays en voie de développement.

Au nom de la société demanderesse, on invoque le fait que la nécessité de protéger une quelconque industrie communautaire de voilerie n'a pas été prouvée et, aussi, que la Commission ne s'est pas montrée assez généreuse dans l'approche qu'elle a adoptée dans le règlement (CEE) n° 3749/83. Ces éléments relèvent, à notre avis, entièrement de la Commission et de son pouvoir discrétionnaire.

L'argument invoqué ensuite est que la Commission a violé, en l'espèce, les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime. La demanderesse soutient que l'article 5 du règlement (CEE) n° 802/68, qui met l'accent sur la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, a toujours été largement interprété par la Cour. Le fait de découper et d'assembler des morceaux de tissu pour en faire des voiles correspondait à une ouvraison, telle que reconnue dans le
règlement (CEE) n° 1520/79. Partant, la demanderesse était fondée à croire que, si les voiles étaient assemblées à Hong-kong, cela suffisait pour l'application des préférences tarifaires, même si elles n'étaient pas fabriquées à Hong-kong à partir de fils simples écrus. Elle pouvait supposer que la position en matière d'exemption de droits ne serait pas moins favorable que celle adoptée dans le règlement (CEE) n° 802/68.

Nous ne pouvons admettre cette argumentation. Il est bien évident que dès le début, en 1971, la définition des voiles aux fins de l'application des préférences tarifaires généralisées est restée la même. Elle a toujours été limitée aux voiles fabriquées à partir de « fils simples écrus ». En particulier, il est indéniable que, pendant les années de création et de démarrage de l'entreprise, la définition donnée par les règlements était la même. Si on considère les règlements (CEE) nos 3510/80 (JO
1980, L 368, p. 1), 3817/81 (JO 1981, L 384, p. 1) et 3606/82 (JO 1982, L 377, p. 1), relatifs aux années 1981, 1982 et 1983, la définition était, sans aucun doute, formulée dans les mêmes termes. On ne pouvait, au nom de la sécurité juridique ou de la confiance légitime, croire que les choses changeraient.

L'argument avancé ensuite est que la demanderesse a subi un préjudice par suite de la violation des principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime par l'administration des douanes françaises qui l'aurait induite en erreur. Même en supposant que l'administration des douanes françaises et le transitaire en douane aient encouragé la demanderesse à croire que les marchandises en question pouvaient être importées en franchise de droits et même si elles ont été importées pendant une
certaine période sans qu'ait été rempli le formulaire A visé au règlement (CEE) n° 3749/83, cela ne saurait affecter la validité du règlement (CEE) n° 3749/83 de la Commission. Par conséquent, nous estimons qu'il convient de rejeter cet argument-là également.

En conclusion, nous serions ďavis d'accepter la thèse de la Commission selon laquelle, même pour le cas où la règle serait discriminatoire au regard de Hong-kong dans la présente affaire, la demanderesse en l'espèce ne saurait en tirer directement argument pour les motifs exposés par la Cour dans ses arrêts dans les affaires 52/81(Faust, Rec. 1982, p. 3745) et 245/81 (Edeka, Rec. 1982, p. 2745).

Il s'agit, dans l'affaire qui nous occupe, d'une histoire malheureuse du point de vue de l'entreprise. Il est clair qu'elle a calculé ses prix pour 1984 en tenant compte de l'exonération des droits. Le secrétaire d'État a apparemment marqué son accord sur un règlement échelonné sur deux ans ainsi que sur le dégrèvement de tous intérêts de retard et pénalités. La question de savoir si on pourrait faire plus, par voie de renonciation discrétionnaire au recouvrement des droits, ne relève pas de la
Cour.

A notre avis, les arguments avancés en l'espèce, quoique bien présentés, ne démontrent pas l'invalidité du règlement (CEE) n° 3749/83. Nous estimons qu'il conviendrait de répondre en ce sens à la question posée.

Il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens de la Commission; les frais occasionnés aux parties au principal relèvent de la décision du juge national.

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( *1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 385/85
Date de la décision : 26/06/1986
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Béthune - France.

Origine des marchandises - Voiles d'embarcation.

Libre circulation des marchandises

Tarif douanier commun

Relations extérieures

Politique commerciale

Union douanière


Parties
Demandeurs : S. R. Industries
Défendeurs : Administration des douanes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:271

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