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22/04/1986 | CJUE | N°87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 22 avril 1986., Société coopérative des laboratoires de pharmacie Legia et Louis Gyselinx et fils - Cophalux contre Ministre de la Santé., 22/04/1986, 87


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI

présentées le 22 avril 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par deux arrêts interlocutoires du 26 mars 1985, le Conseil d'État de Luxembourg vous interroge sur certains aspects de la réglementation communautaire en matière de commercialisation des spécialités pharmaceutiques.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI

présentées le 22 avril 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par deux arrêts interlocutoires du 26 mars 1985, le Conseil d'État de Luxembourg vous interroge sur certains aspects de la réglementation communautaire en matière de commercialisation des spécialités pharmaceutiques.

Le 19 octobre 1984, deux sociétés belges, Legia, de Liège, et Gyselinx — Cophalux, de Namur, se sont vu refuser par le ministre luxembourgeois de la Santé l'autorisation d'exercer le commerce en gros des produits pharmaceutiques dans le Grand-Duché. Le ministre a justifié la décision en observant que les demanderesses n'avaient au Luxembourg ni leur siège social ni un local pour le dépôt de la marchandise, comme l'exigent par contre le décret grand-ducal du 12 juillet 1927 et la loi du 4 août
1975. En outre, il les a informées que, pour continuer leur activité dans le Grand-Duché, elles auraient dû recourir aux services « d'un grossiste ou d'un importateur qui y soit établi ».

Contre cette mesure, Legia et Gyselinx ont intenté un recours devant le Conseil d'État, qui a estimé qu'il était nécessaire pour résoudre le litige de vous demander si « l'article 30 du traité CEE et les articles 17, sous b), et 19, sous d), de la directive 75/319 permettent à l'autorité compétente de l'État membre d'importation d'imposer à un fournisseur de médicaments... ayant son siège dans un autre État membre, outre l'obligation d'obtenir l'autorisation de l'autorité compétente de l'État
membre importateur, celle d'entretenir dans l'État membre d'importation des locaux et un équipement technique répondant aux exigences légales de l'État membre d'importation et accessibles en tout temps aux agents de contrôle de cet État, alors que ce fournisseur est titulaire dans l'État membre de son siège des autorisations administratives exigées par la réglementation de cet État et y dispose de locaux, de l'équipement technique et des possibilités de contrôle appropriés répondant aux
exigences que l'État de siège prévoit tant au point de vue de la protection et du contrôle que de la conservation des produits ».

2.  Tout d'abord, un bref renvoi à la réglementation communautaire. Le caractère particulier de notre secteur — dans lequel les exigences du marché commun sont fréquemment en opposition avec le devoir non moins important de protéger la santé — ont incité le Conseil des Communautés à procéder, par étapes et au moyen de normes d'harmonisation, à l'élimination des nombreux obstacles que les États opposent aux échanges de médicaments. Les quatre directives adoptées jusqu'ici se limitent à exercer une
influence sur les interventions administratives et sur les contrôles des autorités nationales relatifs aux deux phases qui précèdent la distribution de ces produits, à savoir la fabrication et la mise sur le marché. A propos de celles-ci, les directives 65/65 et 75/319 (JO 22 du 9.2.1965, p. 369, et JO L 147 du 9.6.1975, p. 13) prévoient deux autorisations distinctes.

En ce qui concerne la seconde, nous rappelons qu'« aucune spécialité pharmaceutique ne peut être mise sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation n'ait été préalablement délivrée par l'autorité compétente de cet État... » (article 3 de la directive 65/65). La première est accordée par les autorités de l'État dans lequel la fabrication a lieu et, pour les spécialités produites dans les pays extracommunautaires, elle est remplacée par une autorisation d'importer (article 16 de la
directive 75/319). En d'autres termes, dans l'état actuel du droit communautaire:

a) seuls les médicaments provenant de pays tiers sont soumis à une autorisation spécifique; par contre, le commerçant communautaire qui entend exporter dans un autre État membre des médicaments produits dans la Communauté ou qui sont importés a uniquement l'obligation de se munir, pour chacun de ceux-ci, de l'autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités de cet État;

b) hormis la nécessité d'obtenir dans chaque cas ladite autorisation, la réglementation de la distribution est encore laissée aux législateurs nationaux, bien entendu dans le respect des limites établies par les articles 30 et suivants du traité.

A la lumière de ces données, nous observons alors que la référence du Conseil d'État aux articles 17 et 19 de la directive 75/319 est évidemment le résultat d'une méprise. En effet, ces règles ne posent que les conditions nécessaires à la délivrance de la licence de fabrication et, s'agissant de produits originaires de pays tiers, de l'autorisation d'importer; elles sont donc étrangères au problème en question, qui a pour objet la circulation de produits pharmaceutiques provenant d'États membres
de la Communauté.

3.  La réglementation luxembourgeoise est beaucoup plus complexe. Nous rappelons en premier lieu que la fabrication et l'importation des produits pharmaceutiques sont réglementées par la loi du 4 août 1975 et par le règlement d'exécution du 12 novembre 1975 qui s'y rapporte. Selon l'article 6 de la première source, « l'importation des médicaments à des fins commerciales est subordonnée à une autorisation préalable du ministre de la Santé. Une autorisation ne peut être accordée que pour des
médicaments qui ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché... ». Sur la base des articles 8 et 13 du règlement, le demandeur doit en outre disposer d'un personnel suffisamment qualifié, de locaux, de l'outillage industriel et de l'appareillage scientifique approprié à l'ampleur et à la diversité des opérations autorisées ainsi qu'aux contrôles imposés.

La mise sur le marché est en revanche régie par la loi du 11 avril 1983 (précédemment par la loi, elle aussi, adoptée le 4 août 1975, à laquelle les ordonnances de renvoi font référence). L'article 3 de la nouvelle source qui met en œuvre les principes des directives 65/65 et 75/319 dispose que « la mise sur le marché de toute spécialité pharmaceutique et de tout médicament préfabriqué est subordonnée à l'octroi d'une autorisation préalable délivrée par le ministre de la Santé ». La vente en
gros et la distribution sont ensuite réglementées par le décret grand-ducal du 12 juillet 1927. Il dispose que quiconque se propose de vendre en gros des substances médicamenteuses doit en demander l'autorisation au ministre compétent, en indiquant le nom du pharmacien avec le concours duquel il exerce cette activité et l'emplacement des locaux dans lesquels la marchandise est conservée. La vente ne pourra se faire que dans les pharmacies et les drogueries luxembourgeoises (articles 1er, 2 et
7).

Du texte des arrêts de renvoi, il résulte en outre que, par la circulaire du 15 octobre 1984 envoyée aux grossistes, aux importateurs et aux pharmaciens résidant au Luxembourg, le chef de la division « pharmacie et médicaments » (direction de la santé) a tiré de l'ordre juridique en vigueur les règles suivantes:

1) seuls les grossistes autorisés par le ministre de la Santé et résidant au Luxembourg sont habilités à approvisionner les pharmacies et les drogueries du pays;

2) les importateurs autorisés ont le droit de n'approvisionner que les grossistes autorisés;

3) les pharmaciens titulaires d'une pharmacie ont l'obligation de ne s'approvisionner qu'auprès des grossistes autorisés.

Enfin, en ce qui concerne le champ d'application personnel du système ainsi décrit, le Conseil d'État précise dans les motifs des arrêts de renvoi que l'« on doit entendre, par importateur, le grossiste ou le pharmacien ayant son siège au Luxembourg, qui s'approvisionne auprès d'un fournisseur étranger; les dispositions de la... loi (du 4 août 1975 sur l'importation de produits pharmaceutiques) ne sont (donc) pas applicables aux fournisseurs étrangers qui se livrent à des opérations
d'exportation... (vers le Luxembourg) ». Par contre, en réglementant également la vente en gros, les règles du décret du 12 juillet 1927 sont destinées à tous ceux qui entendent exercer cette activité au Grand-Duché.

En résumé, la législation luxembourgeoise impose aux trois catégories d'entreprises qui font du commerce dans le secteur des médicaments (importateurs, grossistes, fournisseurs étrangers), outre l'autorisation de mise sur le marché, qui est de toute façon nécessaire, les obligations suivantes:

a) les importateurs sont tenus d'avoir une licence d'importation, dont l'octroi est subordonné à la possession de locaux et d'équipements adéquats au Luxembourg. Ils ne peuvent approvisionner que les grossistes (articles 6 et 7 de la loi du 4 août 1975 et point 2 de la circulaire du 15 octobre 1984);

b) les grossistes, même non luxembourgeois, sont tenus d'avoir l'autorisation pour la vente en gros et, pour exercer cette activité, ils doivent recourir à la collaboration d'un pharmacien luxembourgeois diplômé. Les entrepôts et les équipements nécessaires au commerce doivent se trouver au Luxembourg et être homologués par les autorités sanitaires locales. Ils ne peuvent vendre les médicaments qu'aux pharmacies et aux drogueries du Grand-Duché (articles 1er, 2 et 7 du décret du 12 juillet 1927
et point 1 de la circulaire citée);

c) les fournisseurs étrangers qui se limitent à approvisionner les grossistes luxembourgeois ne sont tenus ni de demander une autorisation particulière ni de disposer dans le Grand-Duché de locaux et d'appareillages appropriés. Toutefois, s'ils entendent approvisionner les pharmacies luxembourgeoises sans passer par le grossiste local, ils doivent remplir toutes les conditions auxquelles est soumise la délivrance de la licence pour le commerce en gros, et en particulier l'obligation de se doter
au Luxembourg d'entrepôts aptes à servir de dépôts (articles 1er, 2 et 7 du décret du 12 juillet 1927). Telle est précisément la situation dans laquelle se trouvent les entreprises requérantes.

Sur la base de notre reconstruction et à la suite des éclaircissements qui ont été donnés au cours de l'audience, la question qui vous est soumise devient donc plus claire et peut être reformulée de la manière suivante: étant donné que, selon la réglementation communautaire actuelle, un Etat membre ne peut pas empêcher la commercialisation sur son territoire de produits pharmaceutiques conformes aux exigences établies pour la fabrication et la mise sur le marché prévues par les directives du
Conseil, mais qu'il reste libre d'en réglementer la distribution et la vente, peut-on dire que les articles 30 et suivants du traité permettent aux autorités de cet État d'imposer à un fournisseur résidant dans un autre État membre et ayant l'intention d'approvisionner directement les pharmacies du premier État l'obligation de maintenir sur le territoire de celui-ci des locaux et des équipements conformes aux exigences nationales et accessibles en tout temps à ses agents de contrôle, lorsqu'il
dispose déjà, dans l'État où il a son siège, de locaux et d'équipements conformes aux exigences imposées par cet État pour la protection, le contrôle et la conservation des produits?

4.  Au cours de la procédure écrite, des observations ont été présentées par les requérantes dans les affaires principales, par la Commission des Communautés européennes, et par les gouvernements italien et luxembourgeois. A l'exception de ce dernier, les parties intervenantes ont observé que l'obligation de la licence d'importation, imposée par la loi du 4 août 1975 même pour les produits originaires d'autres États membres, est incompatible avec le droit communautaire. En effet, pour ces produits
pharmaceutiques, les directives 65/65 et 75/319 ne prévoient que des autorisations pour la fabrication et la mise sur le marché. Il ne pourrait pas en être autrement s'il est vrai que, dans le trafic communautaire, les exigences de protection de la santé sont déjà satisfaites par les contrôles effectués, chez les fabricants, par les autorités locales et, chez les opérateurs qui mettent le produit sur le marché, par les organes de l'État concerné. En outre, la matière étant réglementée par des
directives d'harmonisation, il n'est plus permis d'invoquer les dérogations visées à l'article 36 du traité (arrêt du 5 avril 1979 dans l'affaire 148/78, Ratti, Rec. 1979, p. 1629).

Ces remarques nous semblent fondées; et, du reste, ce ne sont pas les seules que l'on puisse adresser au système luxembourgeois. Considérons, par exemple, l'interdiction imposée aux importateurs locaux et aux grossistes d'exporter et de vendre leurs produits pharmaceutiques dans un autre État membre. Ces limitations sont contraires, par leur nature, aux règles des directives citées, dont le but est d'éliminer, au moins en matière d'autorisations, tout obstacle aux échanges intracommunautaires;
et, s'il est indéniable qu'elles n'interdisent pas explicitement certaines mesures restrictives nationales, on ne peut pas, comme vous l'avez affirmé, interpréter leur « silence comme autorisant les États membres à introduire ou à maintenir » une telle exigence (arrêt du 28 février 1984, affaire 247/81, Commission/République fédérale d'Allemagne, Rec. 1984, p. 1111).

Mais tout cela a une importance relative. Les protagonistes des litiges principaux sont en effet deux entreprises belges qui entendent exporter et vendre des produits pharmaceutiques au Luxembourg. Or, selon le juge a quo, les règles contenues dans la loi du 4 août 1975 sur l'importation de ces produits ne sont pas applicables dans ce cas; d'autre part, en répondant à des questions qui lui ont été posées par la Cour, le gouvernement luxembourgeois lui-même a précisé que cette loi n'impose pas au
fournisseur résidant dans un autre Etat membre et ayant l'intention d'approvisionner les seuls grossistes du Grand-Duché de demander une autorisation d'importation et de disposer au Luxembourg de locaux et d'équipements. Le vrai noeud de la question préjudicielle n'est donc pas la licéité de cette autorisation, mais la compatibilité avec la législation communautaire de la règle qui subordonne le droit d'approvisionner directement les pharmaciens luxembourgeois à la possession de dépôts et
d'équipements appropriés sur le territoire grand-ducal. Il s'ensuit, à notre avis, que, pour répondre au juge de renvoi, les seules règles auxquelles il pourrait être fait référence sont celles des articles 30 et suivants du traité. En effet, comme nous l'avons déjà dit, les quatre directives adoptées jusqu'ici n'ont pas harmonisé la réglementation du commerce en gros des produits pharmaceutiques; il est donc impossible de les utiliser pour résoudre le problème qui vous est soumis.

5.  Nous répétons encore une fois que les règles luxembourgeoises relatives à la distribution des produits pharmaceutiques imposent aux grossistes résidant dans un autre État membre et ayant l'intention d'approvisionner directement les pharmacies luxembourgeoises deux conditions limitatives:

a) disposer au Grand-Duché d'entrepôts aptes au dépôt de ces produits et d'un équipement technique approprié;

b) faire en sorte qu'ils soient toujours accessibles aux autorités sanitaires.

Le gouvernement luxembourgeois affirme que cette obligation ne constitue pas une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 parce qu'elle s'applique à l'égard de tout grossiste, national ou étranger, qui approvisionne les pharmacies du pays. D'autre part, elle n'implique pas que le fournisseur étranger doive fixer son siège au Luxembourg ou y établir un représentant. Le cas en question ne peut donc pas être assimilé à celui sur lequel vous vous êtes prononcés dans l'arrêt 247/81 cité.

Toutefois, en argumentant de cette manière, le gouvernement confond deux phénomènes différents: la vente en gros des produits pharmaceutiques et leur exportation vers le Luxembourg par un grossiste résidant dans un autre Etat membre. Or, il n'est pas douteux que tout État est libre d'imposer à quiconque entend exercer la première activité sur son territoire l'obligation d'une autorisation administrative répondant à des intérêts publics déterminés. Mais le fournisseur étranger dont il s'agit en
l'espèce n'est pas du tout intéressé à exercer au Grand-Duché le métier de grossiste. La seule chose qu'il désire, c'est approvisionner directement les pharmacies du lieu; tant il est vrai que, s'il vend le même lot de marchandises à un grossiste luxembourgeois, il n'a besoin ni d'une licence ni d'entrepôts in loco. Lui étendre la réglementation de la vente en gros, l'obliger à maintenir des locaux au Luxembourg, alors qu'il en dispose déjà dans l'État où il a son siège, signifie donc lui
imposer des charges supplémentaires et, ainsi, entraver, si ce n'est rendre impossible, son accès au marché de l'État d'importation.

Comme il est certain qu'une semblable mesure est contraire à l'interdiction visée à l'article 30 du traité CEE, il s'agit alors de vérifier si elle peut se justifier sur la base de l'article 36, et en particulier de la règle concernant la santé. A cet égard, le gouvernement grand-ducal fait remarquer que les produits pharmaceutiques vendus au Luxembourg sont presque entièrement importés et que, en l'absence de l'obligation litigieuse, les autorités sanitaires locales n'auraient aucune
possibilité d'en contrôler efficacement le marché. En revanche, un contrôle est rendu indispensable par les exigences d'ordre public suivantes:

a) vérifier l'état de conservation des produits;

b) retirer les lots non conformes;

c) garantir l'approvisionnement régulier du marché;

d) détecter les ventes illégales de substances toxiques;

e) surveiller l'octroi éventuel de ristournes ou d'avantages lors des ventes en gros.

Disons tout de suite que les trois dernières exigences ont bien peu d'importance. Plus que la protection de la santé, la cinquième semble motivée par des préoccupations de type protectionniste; la quatrième (lutte contre le commerce des stupéfiants) peut être satisfaite par des moyens plus efficaces et plus conformes au droit communautaire, tels que les contrôle à la douane ou dans les différentes pharmacies; et quant à la troisième (approvisionnement constant du marché luxembourgeois), il nous
semble que c'est tout d'abord aux fournisseurs et aux grossistes locaux qu'il appartient d'y pourvoir. En revanche, les deux autres exigences qui concernent la qualité du produit pharmaceutique mis sur le marché et sa conformité aux exigences nationales méritent une étude plus approfondie. Sur les marchés européens — a observé sur ce point le représentant du Luxembourg —, il existe des produits pharmaceutiques qui, tout en ayant des dénominations et des emballages identiques, sont composés de
manière partiellement différente. C'est précisément à l'égard de ces produits, qui, aux yeux des consommateurs, sont semblables, mais qui sont substantiellement différents, que des contrôles périodiques dans les dépôts de celui qui approvisionne directement les pharmacies sont nécessaires, et ces contrôles ne sont possibles que si les dépôts se trouvent sur le territoire national.

Que dire de cet argument? Il nous semble que le problème qu'il soulève soit déjà en grande partie résolu par les règles communautaires. Ainsi, en vertu de l'article 11 de la directive 65/65, l'État membre peut suspendre ou retirer l'autorisation de mise sur le marché lorsqu'il apparaît que la spécialité pharmaceutique est nocive dans les conditions normales d'emploi ou qu'elle n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée. En outre, l'article 13 dispose que sur les emballages
extérieurs de la spécialité figurent la dénomination du produit, le nom et le domicile du responsable de la mise sur le marché et, le cas échéant, du fabricant, ainsi que « la date de péremption pour les spécialités dont la durée de stabilité est inférieure à trois ans ». Enfin, l'article 30 de la directive 75/319 impose aux États de faire tout ce qui est opportun pour que les autorités compétentes se communiquent mutuellement les informations appropriées pour garantir le respect des exigences
prévues pour la mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques.

Mais il y a plus. Le législateur luxembourgeois lui-même ne partage pas les préoccupations de son gouvernement s'il est vrai qu'il a récemment réformé la réglementation relative à la mise sur le marché des produits pharmaceutiques en n'imposant pas aux fournisseurs étrangers l'obligation d'avoir des dépôts au Luxembourg et en fixant les contrôles à la phase qui précède la distribution en gros et la vente au public. Par exemple, les articles 4 et 13 de la loi du 11 avril 1983 citée interdisent la
vente et l'importation de produits pharmaceutiques qui ne sont pas couverts par une autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités luxembourgeoises. Puis, en vertu de l'article 7, le titulaire de cette autorisation et, de ce fait, également le fournisseur étranger qui fait le commerce au Luxembourg, doivent transmettre immédiatement au ministre de la Santé toute nouvelle donnée concernant le produit, et en particulier les interdictions et les restrictions établies par l'autorité
du pays d'origine et des pays où le produit est commercialisé. L'autorisation peut être refusée, en plus des motifs prévus par les directives, lorsque la dénomination du produit pharmaceutique: a) coïncide avec celle d'un autre produit déjà présent sur le marché et de composition différente; b) est susceptible d'induire en erreur ou de provoquer du fait d'une paronymie la confusion quant à son activité thérapeutique (article 11).

Cela suffit, nous semble-t-il, pour estimer que les dangers invoqués par le gouvernement luxembourgeois sont inconsistants ou, tout au moins, ne sont pas de nature à justifier le recours à des mesures susceptibles d'entraver le commerce communautaire. Cette conclusion apparaît d'autant plus rationnelle qu'un dernier argument que nous qualifierons de pragmatique vient l'étayer: on ne voit pas l'utilité que peut avoir le fait d'exiger du fournisseur étranger la possession d'entrepôts in loco si
les autorités luxembourgeoises ne peuvent pas lui imposer l'obligation d'y déposer une certaine quantité d'exemplaires pour chaque spécialité pharmaceutique.

6.  Sur la base des considérations développées jusqu'ici, nous vous proposons de répondre de la manière suivante à la question posée par le Conseil d'État du Luxembourg par arrêts du 26 mars 1985 dans les affaires qui opposent les sociétés Legia et Gyselinx — Cophalux au ministre de la Santé:

« Lorsqu'une entreprise est munie dans l'État où elle a son siège des autorisations administratives prescrites par la législation de cet État pour l'exercice du commerce des spécialités pharmaceutiques et lorsque les produits qu'elle exporte dans un autre État sont couverts par une autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités compétentes de cet État, les articles 30 et suivants du traité CEE ne permettent pas aux autorités de l'État importateur d'imposer à l'entreprise intéressé
l'obligation de posséder sur le territoire de celui-ci des locaux et des équipements techniques conformes à ses exigences légales et accessibles à tout moment à ses agents de contrôle. »

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( *1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 87
Date de la décision : 22/04/1986
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Grand-Duché de Luxembourg.

Conditions d'importation et de commercialisation des produits pharmaceutiques.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Société coopérative des laboratoires de pharmacie Legia et Louis Gyselinx et fils - Cophalux
Défendeurs : Ministre de la Santé.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mancini
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:161

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