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20/03/1986 | CJUE | N°220/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 20 mars 1986., Commission des Communautés européennes contre République française., 20/03/1986, 220/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 20 mars 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Il s'agit de la première des quatre affaires dont vous avez à connaître simultanément et au sujet desquelles la Commission entend faire constater que les restrictions imposées par les États membres défendeurs en matière d'opérations de coassurance constituent des violations du droit communautaire, les autres étant les affaires 252/83 (Commission/Danemark), 205/84 (Commission/Allemagne), et 206/84 (Commis

sion/Irlande). La participation de huit des dix États membres aux procédures susvisées fait
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 20 mars 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Il s'agit de la première des quatre affaires dont vous avez à connaître simultanément et au sujet desquelles la Commission entend faire constater que les restrictions imposées par les États membres défendeurs en matière d'opérations de coassurance constituent des violations du droit communautaire, les autres étant les affaires 252/83 (Commission/Danemark), 205/84 (Commission/Allemagne), et 206/84 (Commission/Irlande). La participation de huit des dix États membres aux procédures susvisées fait
ressortir l'importance de ces affaires: les Pays-Bas et le Royaume-Uni sont intervenus en faveur de la Commission, et la Belgique et l'Italie en faveur des quatre parties défenderesses.

Eu égard aux différences entre les réglementations nationales et les points soulevés dans les différentes affaires, il est nécessaire de traiter de chacune d'elles séparément. Néanmoins, les moyens invoqués se recoupent dans une certaine mesure et il convient d'en traiter principalement dans la présente affaire, qui est la première, dans la mesure où ils concernent la coassurance, le gouvernement irlandais ayant souligné qu'il ne s'agissait en l'espèce que de coassurance.

Il semble qu'il soit constant entre les parties que la coassurance comporte l'assurance d'un risque unique par plusieurs coassureurs dont chacun n'est responsable qu'à proportion du risque qu'il assure. Ainsi les coassureurs ne sont pas solidairement responsables pour la totalité du risque. Un des assureurs intervient en qualité d'apériteur et négocie en cette qualité les clauses et conditions contractuelles, mais ne prend pas forcément à sa charge plus qu'une faible proportion du risque. Il s'agit
donc d'une opération différente de la réassurance, par laquelle l'assureur répercute une partie du risque tout en restant responsable envers l'assuré pour la totalité du risque.

La requête

Dans sa requête, la Commission vise à faire constater que la France

a) a enfreint les articles 59 et 60 du traité CEE en adoptant la loi n° 81-5 du 7 janvier 1981 et le décret n° 81-443 du 7 mai 1981 dans la mesure où ces instruments obligent une société d'assurances de la Communauté soit à s'établir en France soit à se soumettre à une procédure d'agrément afin d'être en mesure de procéder à des opérations de coassurance en France en qualité d'apériteur;

b) a enfreint les mêmes dispositions du traité en adoptant le décret susvisé dans la mesure où il empêche les sociétés d'assurances de la Communauté qui ne sont pas établies en France de participer à des opérations de coassurance pour des risques qui, en raison de leur nature ou de leur importance, ne sont pas visés par l'article 1er de ce décret; et

c) a manqué à son obligation de reconnaître l'effet direct des dispositions du traité susvisé et la primauté du droit communautaire en appliquant, par le biais des décisions des autorités nationales, les dispositions législatives et réglementaires mentionnées aux points a) et b) ci-dessus.

Bien que la Commission ait, selon nous, limité la portée de sa requête en se bornant à constater que les dispositions de la législation française en cause violaient les articles 59 et 60 du traité (et non que les directives n'avaient pas été correctement transposées dans le droit français), une grande attention a été prêtée à la controverse relative à deux directives du Conseil. L'effet de celles-ci ayant un rapport avec les demandes présentées, il convient de commencer par les exposer
succinctement.

Il s'agit de la directive 73/239 relative à l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et à son exercice (JO 1973, L 228, p. 3) et de la directive 78/473 relative à la coassurance communautaire (JO 1978, L 151, p. 25). La première est basée sur l'article 57, paragraphe 2, du traité, la directive de 1978 étant basée tant sur cet article que sur l'article 66.

La directive 73/239 oblige tout État membre à subordonner l'accès aux activités en matière d'assurance directe (autre que les branches exclues telles que l'assurance sur la vie) sur son territoire à un agrément officiel qui doit être obtenu de l'autorité compétente de « l'État membre intéressé » par toute entreprise qui y établit son siège social ou qui, ayant son siège social dans un autre État membre, ouvre une succursale ou une agence dans l'État membre « intéressé ». Il est donc clair que
l'agrément doit être obtenu tant dans l'État membre où le siège est établi que dans celui où une agence ou une succursale est ouverte. Néanmoins, il s'agit de la question de l'établissement et non de la fourniture de prestations dans l'État membre où ni siège ni succursale ou agence n'est établi.

La directive poursuit en fixant certaines conditions qui doivent être réunies avant la délivrance de l'agrément. En particulier, les articles 15 à 21 prévoient la constitution de réserves financières et de marges de solvabilité garantissant que les sociétés pourront faire face à leurs obligations financières. Il appartient aux États membres en cause de veiller à leur maintien. A cet égard, la directive n'impose pas une uniformité complète. Ainsi, par exemple, le montant des réserves techniques doit
être déterminé conformément à des règles fixées par les États membres. En outre, la directive n'harmonise pas les conditions générales et spéciales des polices (c'est-à-dire les clauses contractuelles) ni les tarifs en matière d'assurance (article 10, paragraphe 3).

La directive 78/473 ne s'applique pas à toutes les formes de coassurance.

C'est ainsi que son article 1er, paragraphe 1, précise que la directive ne s'applique qu'aux risques appartenant à certaines branches indiquées dans l'annexe à la directive de 1973, [par exemple les branches 4 (corps de véhicules ferroviaires), 5 (corps de véhicules aériens), 6 (véhicules maritimes, lacustres et fluviaux)] et, aux termes de son article 1er, paragraphe 2, ne s'applique qu'aux risques visés à paragraphe 1, à l'alinéa 1 «qui, de par leur nature ou leur importance, nécessitent la
participation de plusieurs assureurs pour leur garantie ».

En outre, l'article 2 prévoit ce qui suit:

« 1. Les seules opérations de coassurance communautaire visées par la présente directive sont celles qui répondent aux conditions suivantes:

a) le risque, au sens de l'article 1er, paragraphe 1, est couvert par plusieurs entreprises d'assurance, ci-après dénommées ‘coassureurs’, dont un est l'apériteur, sans qu'il y ait de solidarité entre eux, au moyen d'un contrat unique, moyennant une prime globale et pour une même durée;

b) ce risque est situé à l'intérieur de la Communauté;

c) pour garantir ce risque, l'apériteur est agréé dans les conditions prévues par la première directive de coordination, c'est-à-dire qu'il est traité comme l'assureur qui couvrirait la totalité du risque;

d) au moins un des coassureurs participe au contrat par son siège social ou par une agence ou succursale établis dans un État membre autre que celui de l'apériteur;

e) l'apériteur assume pleinement le rôle qui lui revient dans la pratique de la coassurance et, en particulier, détermine les conditions d'assurance et de tarification. »

L'article 3 est libellé comme suit: « La faculté de participer à une coassurance communautaire, pour les entreprises qui ont leur siège social dans un État membre et qui sont soumises et satisfont aux dispositions de la première directive de coordination, ne peut être subordonnée à d'autres dispositions que celle de la présente directive. » L'article 4 fixe des règles relatives aux réserves techniques pour les opérations de coassurance.

L'adoption de l'article 2, paragraphe 1, sous sa forme définitive est à l'origine de la déclaration suivante qui figure au procès-verbal de la réunion du Conseil:

« Le Conseil souligne que l'adoption de la présente directive, et notamment de l'article 2, paragraphe 1, ne préjuge en rien la solution du différend entre les États membres et la Commission sur l'interprétation à donner aux arrêts de la Cour de justice en matière de libre prestation de services (33/74, Van Binsbergen).

Ce texte ne préjuge en rien les dispositions nationales relatives à l'établissement de l'apériteur qui sont à apprécier en fonction du traité, le cas échéant en dernier lieu par la Cour de justice. »

Se fondant sur l'arrêt rendu dans l'affaire 33/74, Van Binsbergen (Rec. 1974, p. 1299), la Commission a estimé et estime encore qu'un État membre ne peut exiger des assureurs établis dans d'autres États membres qui tiennent à fournir des services d'assurance sur son territoire qu'ils y soient établis ou obtiennent un agrément à cette fin et qu'il s'agit là d'une exigence qui s'applique également en vertu des articles 59 et 60 aux apériteurs en matière de coassurance. La majorité des États membres a
été d'avis que les exigences susvisées étaient légales en tout cas tant que les dispositions nationales relatives à l'assurance n'étaient pas parfaitement harmonisées et que la directive de 1978 ne. les obligeait qu'à abroger les conditions relatives à l'établissement et à l'agrément pour les coassureurs de la Communauté, mais non pour les apériteurs. En conséquence, ils ont en fait aboli ces exigences pour ces coassureurs autres que les apériteurs.

Le 30 décembre 1975, la Commission a soumis au Conseil une proposition de deuxième directive du Conseil portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et fixant les dispositions destinées à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation des services (JO 1976, C 32, p. 2). Ce projet est toujours à l'étude par le Conseil, mais la forme en a été considérablement modifiée. Cette proposition de
directive a notamment pour but de compléter les dispositions de la première directive relative aux réserves techniques et de déterminer le droit applicable au contrat. Néanmoins, il existe des divergences sensibles entre la Commission et certains États membres, d'une part, et la majorité des États membres, d'autre part, au sujet des clauses à adopter.

Les dispositions françaises en cause ont été adoptées dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive de 1978. L'article 36 de la loi du 7 janvier 1981 prévoit que « (l'entreprise) d'assurance française ou étrangère qui assume, pour un contrat d'assurance communautaire, le rôle d'apériteur, doit être agréée dans les conditions de l'article L 321-1 » du code des assurances. En vertu de ce dernier article, « (les) entreprises soumises au contrôle de l'État... ne peuvent commencer leurs opérations
qu'après avoir obtenu un agrément administratif ».

Il semble que l'apériteur s'établissant en France soit également visé par cette disposition, l'article R 321-7, alinéa 1, sous e) du code des assurances prévoyant qu'une demande d'agrément administratif présentée par une entreprise étrangère ayant son siège social sur le territoire d'un État membre de la Communauté économique européenne doit comporter « ... la justification que l'entreprise possède une succursale où elle fait élection de domicile ». En répondant à l'avis motivé de la Commission, la
France a nié que cette disposition revenait à obliger les sociétés d'assurances à s'établir en France. Le gouvernement français n'a cependant pas insisté sur ce point et, eu égard à la formulation des dispositions pertinentes, nous estimons qu'il s'agit bien en fait d'une obligation de s'établir, ce qui est conforme aux vues exprimées dans le cadre d'une grande partie de la controverse.

Il s'ensuit qu'un assureur est tenu tant de recevoir l'agrément administratif des autorités françaises que de s'établir en France, s'il doit intervenir en qualité d'apériteur pour un risque situé dans ce pays. Ainsi les deux obligations sont cumulatives et non alternatives, contrairement aux observations formulées par la Commission dans son avis motivé et dans sa requête. D'autre part, les autres coassureurs échappent à ces obligations en vertu de l'article 36 de la loi et la Cour a été informée en
cours d'audience par l'agent du gouvernement français que les dispositions dont il s'agit ne s'appliquent pas au cas où l'assuré réside en France, mais où le risque est situé hors de France.

L'article 36 de la loi a prévu également l'adoption d'un décret fixant les modalités de fonctionnement de la coassurance communautaire. Le décret n° 81-443 du 7 mai 1981 a donc limité les opérations dans ce domaine aux branches de risques régies par la directive de 1978. Il s'ensuit que l'assurance sur la vie n'est pas en cause dans les affaires en instance. En outre, le décret en cause a habilité le ministre de l'Économie à fixer les seuils en deçà desquels la coassurance communautaire est
interdite. Il indique les seuils maximaux que le ministre est autorisé à fixer. Pour des risques des branches 4, 5, 6, 7, 11 et 12 le seuil ne peut pas être supérieur à 30 millions d'unités de compte. Pour les risques des branches 8, 9 et 16 il ne peut pas excéder 50 millions d'unités de compte. Enfin, pour les risques de la branche 13, dans la mesure où ils tombent dans le champ d'application de la directive de 1978 et du décret n° 81-443, le seuil doit être fixé en fonction du chiffre d'affaires
de l'assuré. Il ne peut être supérieur à 200 millions d'unités de compte. Aucun seuil n'a en fait été déterminé par le ministre pour aucune des branches de risques en cause.

Enfin, l'article 1004 du code des impôts précise que « (les) assureurs étrangers sont tenus, en outre, de faire agréer par le service des impôts un représentant français personnellement responsable de la taxe et des pénalités ». C'est là une disposition qui n'a pas été attaquée comme telle par la Commission, mais qui a été indirectement invoquée par la France.

Recevabilité

Le gouvernement français a soutenu qu'en arrêtant les mesures critiquées, il a mis en œuvre scrupuleusement la directive de 1978 et qu'en réalité, la Commission met en doute la validité de cette directive. Il laisse entendre que, pour agir normalement, la Commission aurait dû demander en temps opportun l'annulation de la directive en application de l'article 173. Il s'ensuit que, de l'avis du gouvernement français, la Commission n'était à ce stade pas en droit de contester la validité de la
directive dans le cadre d'une procédure fondée sur l'article 169. C'est là, affirme-t-il, une démarche incompatible avec le principe de la sécurité juridique. Plusieurs autres États membres ont exprimé un point de vue identique à cet égard.

La Commission refuse énergiquement d'admettre qu'elle met le moins du monde en doute la validité de la directive. Elle prétend interpréter la directive d'une manière qui la rende compatible avec les articles 59 et 60 du traité, tels qu'elle les conçoit.

C'est là, nous semble-t-il, l'argumentation de la Commission et, à notre avis, la demande est recevable à cet égard.

L'Irlande soulève dans son argumentation un moyen relatif à la recevabilité que la Cour peut examiner d'office en l'espèce, car si ce moyen est fondé, il s'applique tout autant à l'espèce qu'aux autres affaires. Elle soutient qu'en engageant les procédures en cause alors que le projet de deuxième directive est toujours à l'étude par le Conseil, la Commission « tente d'anticiper sur les procédures constitutionnelles déjà engagées par le Conseil en vertu de l'article 57, paragraphe 2, du traité CEE...
», que « la Commission demande en fait à la Cour de justice d'assurer la mission que le traité CEE assigne au Conseil aux termes de l'article 57, paragraphe 2, de ce traité ». Nous ne voyons aucune raison sérieuse d'ordre juridique qui empêcherait la Commission de contester la législation d'un État membre même si une autre directive est à l'étude au sein du Conseil. Les deux procédures sont distinctes et ne s'excluent pas mutuellement. S'il en était autrement, la Commission se verrait dans la
nécessité de retirer son projet de directive, ce qui entraînerait un retard encore plus grand. Nous rejetons ledit moyen relatif à la recevabilité.

A notre avis, les actions susvisées ne doivent donc pas être rejetées in limine comme irrecevables.

Le premier grief

Bien qu'en ce qui concerne les affaires relatives à la République fédérale d'Allemagne et à l'Irlande, la Commission cherche à faire constater que les conditions imposées en matière d'établissement et d'agrément à l'apériteur constituent des infractions aux articles 59 et 60 du traité et à la directive de 1978, dans sa requête relative à la présente affaire, ainsi que dans l'affaire relative au Danemark, la Commission se borne à affirmer qu'elles constituent des infractions aux articles 59 et 60.
Nonobstant des arguments sous-jacents suivant lesquels la directive n'aurait pas été transposée correctement en droit français, le seul grief à retenir concerne, à notre avis, le point de savoir si les dispositions françaises enfreignent le traité.

Les règles en vigueur en France associent effectivement les conditions d'établissement et d'agrément. En revanche, dans l'hypothèse où la condition d'établissement ne serait pas justifiée, il serait encore nécessaire de déterminer si une condition d'agrément préalable se justifie. A première vue, il semble que ce soit là une question plus complexe, étant donné notamment que les coûts d'établissement qui ont un caractère dissuasif n'ont pas à être examinés. Néanmoins, il est clair qu'une condition
d'agrément préalable constitue bien une véritable restriction à la fourniture de services au sens des deux articles du traité en cause.

Examinons d'abord la question de l'établissement.

Une interdiction par un État membre à une entreprise établie dans un autre État membre de fournir des prestations en matière d'assurance, en qualité d'apériteur pour des opérations de coassurance, dans cet État membre, au motif qu'elle n'y est pas établie, constitue, à notre avis, une restriction manifeste à la prestation de services au sens des articles 59 et 60, dont l'effet direct est reconnu par toutes les parties.

Le premier argument invoqué suivant lequel l'obligation d'établissement ne relève ni de l'article 59 ni de l'article 60 parce qu'il place simplement les entreprises d'autres États membres sur le même pied que les assureurs établis en France méconnaît entièrement la nature et l'objet de ces articles. Pour les raisons exposées dans les conclusions dans l'affaire 279/80, Webb (Rec. 1981, p. 3305, et plus spécialement p. 3330 à 3333), nous estimons que ces articles interdisent toute restriction à la
fourniture de services entre États membres, qu'elle ait ou non un caractère discriminatoire, sauf dans les cas où elle est justifiée.

Aux termes de l'arrêt rendu dans l'affaire 76/81, Transporoute/Ministère des Travaux publics (Rec. 1982, p. 417, et plus précisément p. 427 et 428), « ... le fait de subordonner, dans un État membre, l'exécution de prestations de services par une entreprise établie dans un autre État membre à la possession d'une autorisation d'établissement dans le premier État aurait pour conséquence d'enlever tout effet utile à l'article 59 du traité dont l'objet est, précisément, d'éliminer les restrictions à la
libre prestation de services de la part de personnes non établies dans l'État sur le territoire duquel la prestation doit être fournie ».

En matière d'assurance, en outre, les dépenses considérables à prévoir probablement pour la création d'une succursale ou d'une filiale dans un autre État membre ont par elles-mêmes un énorme pouvoir potentiel de dissuasion, en particulier en matière de coassurance, les contrats dans ce domaine pouvant n'être pas fréquents et avoir une importance telle qu'ils nécessiteront probablement la participation du siège de la société d'assurances.

La question se pose alors de savoir si l'obligation imposée à un apériteur de s'établir en France avant de pouvoir fournir des prestations en matière d'assurance est justifiée, soit pour des raisons touchant à l'ordre public au titre de l'article 56, paragraphe 1, du traité, soit dans l'intérêt général conformément aux principes généraux formulés dans l'arrêt rendu dans l'affaire Van Binsbergen et dans des arrêts ultérieurs.

Se fondant sur l'article 60, alinéa 3, du traité (« sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants ») et sur les conclusions de l'avocat général Reischl au sujet de l'affaire Van Binsbergen (p. 1316), aux termes desquelles l'article 60, alinéa 3,
« vise clairement » le cas où le prestataire est tenu d'être physiquement présent de temps à autre dans l'État membre, la Commission s'efforce a) de tirer une distinction entre le cas où le prestataire est physiquement présent et le cas où le service est fourni par correspondance ou par communication téléphonique ou télex, ce qui est plus vraisemblable en matière de contrats d'assurance et b) de conclure que l'article 60, alinéa 3, ne s'applique que si le prestataire est physiquement présent.

Nous n'acceptons pas la distinction susvisée: s'il est justifié d'imposer des conditions à la fourniture d'un service, cela vaut que le prestataire du service soit physiquement présent ou non. Dans l'affaire 15/78 (Société générale alsacienne de banque/Koestler, Rec. 1978, p. 1971), la partie défenderesse a été en mesure d'invoquer le droit allemand en matière de contrats de pari, dont certains ont été conclus alors qu'elle était présente en Allemagne, conformément à ce que prévoient les articles 59
et 60, même si la banque requérante qui avait fourni la prestation n'était pas présente dans ce pays.

Par ailleurs, c'est une erreur de considérer, comme la Commission semble l'affirmer dans son argumentation, que l'article 60, troisième alinéa assimile à l'établissement l'exercice temporaire d'une activité dans l'État où le service est fourni.

Par conséquent, l'article 60, alinéa 3, n'autorise pas par lui-même la fixation de conditions à la fourniture de services identiques à celles qui pourraient se justifier pour l'établissement. Au paragraphe 16 de l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire Webb, la Cour a déclaré ce qui suit:

« L'article 60, alinéa 3, a pour but, en premier lieu, de rendre possible au prestataire l'exercice de son activité dans l'État membre destinataire de la prestation sans discrimination par rapport aux ressortissants de cet État. Il n'implique cependant pas que toute législation nationale applicable aux ressortissants de cet État et visant normalement une activité permanente des entreprises établies dans celui-ci puisse être appliquée intégralement de la même manière à des activités, de caractère
temporaire, exercées par des entreprises établies dans d'autres États membres. »

En outre, on pourrait considérer qu'un deuxième objectif essentiel de l'article 60 soit de maintenir la distinction entre l'établissement et le cas du pourvoyeur de services ne se rendant que provisoirement dans un État membre, auquel cas les dispositions relatives aux services et non à l'établissement lui sont applicables.

Néanmoins, il faut démontrer que les restrictions imposées à la fourniture de services, que le prestataire de ces services soit physiquement présent ou non, sont justifiées par l'intérêt général, proportionnées à l'objectif visé et tiennent compte des conditions auxquelles il satisfait dans le pays où il est établi.

L'assurance constitue un aspect important et délicat de la prestation des services: il faut examiner la solvabilité de l'assureur, le problème d'une protection suffisante de l'assuré et, en fait, des tiers qui peuvent être lésés par les événements à l'origine d'une demande. En outre, nonobstant le fait que tous les États membres peuvent en tenir compte, l'existence de divergences quant aux lois nationales est incontestable, en ce qui concerne des facteurs peut-être étrangers à l'objet du contrat
d'assurance, les modalités et la mesure de la protection nécessaire obtenue, ainsi que les effets de la dissimulation de faits matériels, et la directive de 1973 elle-même, laisse aux États membres le soin de déterminer réglementairement le montant des réserves techniques « suffisantes », les États membres pouvant assouplir les règles relatives aux actifs congruents et à la localisation des actifs. C'est eu égard à ces éléments et à des éléments similaires que la question de la justification doit
être examinée.

Les cas justifiant une interdiction absolue de la fourniture de services à partir d'un autre État membre doivent être, nous semble-t-il, peu fréquents, comme ils le sont également dans le domaine de la libre circulation des marchandises (affaire 155/82, Commission/Belgique, Rec. 1983, p. 531; affaire 247/81 Commission/Allemagne, Rec. 1984, p. 1111, la Cour ayant estimé dans ces affaires qu'il était injustifié d'imposer, pour des motifs touchant à la santé publique, à une entreprise vendant des
produits toxiques ou potentiellement toxiques dans un autre État membre l'obligation de s'établir dans cet État).

Quels sont alors les principaux facteurs invoqués en l'espèce pour justifier l'obligation d'établissement?

La France prétend, en premier lieu, que l'obligation relative à l'établissement se justifie par le souci d'empêcher l'évasion fiscale. C'est là une allégation liée manifestement à l'existence de l'article 1004 du code des impôts que nous avons déjà cité. Si elle était acceptée, elle s'appliquerait, semble-t-il, dans la même mesure à toutes les autres activités régies par l'article 59. Ce serait vider cet article de tout son sens. En tout état de cause, ainsi que les gouvernements britannique et
néerlandais l'ont souligné à juste titre, il s'agit d'un objectif qui peut être atteint et, selon le gouvernement néerlandais, a été atteint aux Pays-Bas en obligeant les assurés à déduire l'impôt de leurs primes et à le verser directement aux autorités fiscales. D'autres modalités semblent de même concevables. Nous rejetons donc la justification invoquée à cet égard.

Ensuite, on a soutenu que l'obligation d'établissement était nécessaire afin d'éviter que les assureurs d'autres États membres et même les assurés puissent échapper aux exigences imperatives du droit français. Des actions relatives à la police pourraient alors être engagées en dehors de France, devant les tribunaux refusant d'appliquer les conditions françaises en cause. Subsidiairement, des actions pourraient être engagées en France mais les juridictions des autres États membres en cause pourraient
refuser de prendre les mesures d'exécution nécessaires. Le danger que le droit français soit éludé de cette manière serait particulièrement grand, a-t-on prétendu, au cas où les contrats de coassurance seraient régis par un autre système juridique.

Même dans l'hypothèse où les règles en vigueur en France seraient justifiées pour des motifs touchant à la protection du consommateur ou par l'intérêt légitime de tiers qui subissent un préjudice ou un dommage, il est inutile, à notre avis, d'exiger que l'apériteur soit établi en France pour que les obligations envers ces tiers soient respectées.

En premier lieu, leurs droits sont protégés par la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1978, L 304) dans la mesure où cette convention est en vigueur. En vertu de son article 9, un tiers qui a subi un préjudice ou un dommage pourra engager une action contre l'assureur « devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ». Ainsi qu'il ressort clairement de l'affaire 21/76 (Handelskwekerij
Bier/Mines de potasse d'Alsace Rec. 1976, p. 1735), relative à la formulation identique de l'article 5, paragraphe 3, un tiers serait ainsi en mesure d'engager une action là où le bien assuré est situé. Au surplus, le premier alinéa de l'article 10 est libellé comme suit: « En matière d'assurance de responsabilité, l'assureur peut également être appelé devant le tribunal saisi de l'action de la personne lésée contre l'assuré si la loi de ce tribunal le permet. » Si l'État en cause ne permettait pas
d'appeler ainsi l'assureur, ce serait là un obstacle qu'il opposerait de son propre fait et qui ne pourrait justifier l'obligation relative à l'établissement. En outre, l'exception relative à l'ordre public prévue à l'article 27, paragraphe 1, est de stricte interprétation et « ne doit jouer que dans des cas exceptionnels« (Rapport Jenard, JO 1979, C 59, p. 1, en particulier p. 44). En conséquence, les juridictions de l'État où la société d'assurances est domiciliée ne pourraient que rarement, voire
jamais, refuser de reconnaître un jugement rendu en France en application de l'article 9 ou de l'article 10, au motif que les exigences françaises relatives à l'assurance des tiers sont contraires à l'ordre public.

Bien entendu, rien n'empêche le tiers d'engager son action hors de France dans un des États membres compétents. C'est là un aspect intrinsèque des articles 7 à 12 de la convention, qui donnent aux personnes intentant une action contre un assureur une grande liberté dans le choix du for. Dans la mesure où la France est liée par la convention, elle ne peut, en tout état de cause, empêcher un tiers d'engager son action hors de France s'il le souhaite.

Ce sont là des considérations qui n'épuisent pas le sujet, la convention de Bruxelles n'étant pas encore en vigueur dans tous les États membres. Néanmoins, même en ce qui concerne les sociétés d'assurance établies dans les nouveaux États membres dans lesquels la convention n'est pas encore en vigueur, l'obligation d'établissement imposée par la France n'est pas justifiée, selon nous. Dans la mesure où ses exigences impératives quant à la protection des tiers seraient justifiées, la France serait en
droit, nous semble-t-il, d'exiger des assureurs domiciliés dans d'autres pays de la Communauté de reconnaître conventionnellement la compétence des juridictions françaises, par exemple en imposant des clauses relatives au for à incorporer dans leur police concernant les risques situés en France. Les jugements consécutifs seraient reconnus, sous réserve d'un très petit nombre d'exceptions, par les juridictions des États membres dans lesquels la convention n'est pas encore en vigueur. Il en est ainsi
parce que la reconnaissance de la compétence est universellement tenue pour une base certaine permettant de déterminer la compétence. Si un assureur revenait sur son engagement à cet égard, les autorités françaises pourraient le pénaliser. Elles pourraient aussi procéder par notification aux autorités de l'État membre ou la société est domiciliée, lesquelles pourraient également prendre des mesures la pénalisant.

Il s'ensuit qu'à notre avis, l'obligation d'établissement ne peut être justifiée par des arguments basés sur le droit international privé.

Au surplus, certains États membres soutiennent qu'à moins que l'apériteur ne soit établi dans l'État où le risque est situé, il n'est pas en mesure d'évaluer ce risque et n'est pas suffisamment familiarisé avec les conditions régnant dans cet État. Néanmoins, le simple fait qu'un assureur soit établi dans un État déterminé ne garantit pas nécessairement qu'il ait une connaissance des conditions régnant dans cet État tant soit peu meilleure que celle de l'assureur établi hors de cet État si celui-ci
s'informe convenablement et s'entoure de conseils avertis.

Un autre argument que la France et la Belgique font valoir, croyons-nous savoir, est que la condition d'établissement est nécessaire afin d'éviter la distorsion de la concurrence entre assureurs établis en France et assureurs établis dans d'autres pays de la Communauté. Cela revient, semble-t-il, à affirmer que des mesures visant exclusivement à empêcher que des tarifs nationaux en matière d'assurance ne soient cassés se justifient pour ce motif. Ce serait là faire du protectionnisme une vertu, ce
qui perturberait complètement l'application des articles 59 et 60. En ce qui concerne la libre circulation des marchandises, il s'agit là d'un argument que la Cour a rejeté dès 1961 en estimant que l'article 36 « vise des hypothèses de nature non économique » (affaire 7/61, Commission/Italie, Rec. 1961, p. 633 et 657). Voir également l'affaire 182/84 (Miro, arrêt du 26 novembre 1985, p. 3738): «Si un État membre pouvait imposer des restrictions aux importations au motif que les produits importés
sont moins chers ou ne peuvent être frappés d'une taxe ad valorem moins importante, la concurrence et le principe de la libre circulation des marchandises seraient complètement ébranlés. » Les mêmes arguments s'appliquent dans la même mesure à la fourniture de services.

De même, nous rejetons l'argument que notamment la France, la Belgique et l'Italie ont fait valoir en prétendant que la condition d'établissement est justifiée par les restrictions aux mouvements des capitaux. Elles invoquent l'article 61, alinéa 2, du traité libellé comme suit: « La libération des services des banques et des assurances qui sont liées à des mouvements de capitaux doit être réalisée en harmonie avec la libération progressive de la circulation des capitaux. » Or, ces mouvements ont en
fait été libérés par la première directive du Conseil pour la mise en œuvre de l'article 67 du traité (JO 1960), dans sa version modifiée par la deuxième directive du Conseil (JO 1963). Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, « (les) États membres accordent toute autorisation de change requise pour la conclusion ou l'exécution des transactions et pour les transferts entre résidents des États membres, afférents aux mouvements de capitaux énumérés à la liste A de l'annexe I de la présente
directive ». La liste A comprend « (les) transferts en exécution de contrats d'assurance au fur et à mesure que ces contrats sont admis au bénéfice de la libre circulation des services en exécution des articles 59 et suivants du traité ». Si, en revanche, les versements relatifs à un contrat d'assurance autre qu'un contrat d'assurance sur la vie ne constituent aucunement un capital, mais des paiements courants, ils ont déjà été libérés en vertu de l'article 106, paragraphe 1 du traité. Dans le
présent contexte, il est inutile de se prononcer sur le point de savoir si ces versements doivent être tenus pour du capital ou des paiements courants, puisque, dans chacun de ces deux cas, ils ont été libérés. En conséquence, l'argument en cause nous semble, lui aussi, inacceptable.

Les arguments examinés jusqu'à présent ne concernent que la condition d'établissement; ils ne peuvent en aucun cas justifier une condition d'agrément.

Plusieurs autres arguments ont été invoqués pour justifier l'agrément préalable, lesquels concernent également le point de savoir si l'établissement se justifie. Le premier de ces arguments concerne la protection du consommateur dont la Cour a reconnu en ce qui concerne la libre circulation des marchandises qu'elle constitue une justification et qui peut également, selon nous, s'appliquer à la fourniture des services. Le deuxième argument concerne la protection des tiers qui peuvent subir un dommage
ou un préjudice si l'événement constituant le risque assuré se produit. Il nous semble que c'est là un argument susceptible de constituer une justification fondée sur l'intérêt général.

Néanmoins, la question qui se pose est de savoir si l'établissement ou l'agrément préalable est objectivement nécessaire et quel est le moyen le moins restrictif de protéger l'assuré (en particulier en ce qui concerne la situation générale et la solvabilité de l'assureur) qui se justifie eu égard aux autres formes de protection éventuelles, y compris celles qui sont fournies en application des deux directives pertinentes.

Plusieurs facteurs semblent importants. En premier lieu, d'après les informations soumises à la Cour, les contrats de coassurance ont des chances d'être conclus par des organismes commerciaux, industriels ou gouvernementaux qui disposent souvent de services juridiques ou de services compétents en matière d'assurance ou qui peuvent recourir à des services consultatifs spécialisés, et notamment, en tout cas dans certains États membres, à un courtier indépendant qui n'est pas un agent de l'assureur.

L'apériteur sera probablement un assureur réputé et expérimenté qui sera parfaitement capable d'évaluer le risque et la couverture ainsi que le montant minimal de réserves nécessaires pour sinistres à payer, mais qui ne sera peut-être pas établi dans le pays où est situé le risque ou l'assuré. Le risque peut, en fait, être situé dans plusieurs États membres. Bien que, théoriquement, il s'agisse d'une formule utilisable pour tous les risques, même pour l'assurance sur la vie, il est vraisemblable que
la coassurance ne jouera que dans des cas particuliers ou des cas où d'importants montants sont en jeu et qu'elle devra faire l'objet de polices faites sur mesure.

En deuxième lieu, il est admis que les coassureurs d'autres États membres (hormis celui de l'apériteur) prennent leur part d'un risque situé en France bien qu'ils n'y soient ni établis ni agréés, sans qu'il soit question d'une difficulté quelconque. Néanmoins, chacun ou l'ensemble des coassureurs sera susceptible d'avoir accepté un pourcentage du risque supérieur à celui de l'apériteur qui n'est aucunement tenu de prendre un pourcentage minimum du risque.

En troisième lieu, le Conseil a mis en place un système dans la directive de 1973 qui impose aux États membres l'obligation de veiller à ce que certaines conditions financières soient réunies par les entreprises établies sur leur territoire.

Ainsi:

a) dans chaque État membre où des activités commerciales sont exercées, des réserves techniques suffisantes doivent être constituées. Bien que les règles puissent varier en ce qui concerne leur montant, il doit être « suffisant » et couvert par des actifs équivalents et congruente localisés dans chaque pays où s'exercent ces activités. L'article 15, paragraphe 4, est libellé comme suit: « L'autorité de contrôle de l'État membre sur le territoire duquel est situé le siège social d'une entreprise
veille à ce que le bilan de l'entreprise présente pour les réserves techniques des actifs équivalents aux engagements contractés dans tous les pays où elle exerce son activité. » Chaque État membre doit obliger chaque entreprise ayant son siège sur son territoire à fixer une marge de solvabilité suffisante « relative à l'ensemble de ses activités » (article 16). Ce même État membre doit imposer aux entreprises ayant leur siège social sur son territoire de rendre compte annuellement, pour toutes
leurs opérations, de leur situation et de leur solvabilité et de fournir des rapports accompagnés des documents statistiques nécessaires à l'exercice du contrôle;

b) l'article 20 confère des pouvoirs à l'autorité compétente au cas où une entreprise ne constitue pas les réserves nécessaires ou ne maintient pas la marge de solvabilité nécessaire et elle peut « prendre toute mesure propre à sauvegarder les intérêts des assurés », si ces réserves et si cette marge ne sont pas maintenues. L'agrément peut être retiré si une entreprise ne remplit plus les conditions d'agrément ou manque gravement à ses obligations au titre de la réglementation nationale (article
22);

c) les autorités de contrôle de l'État membre doivent coopérer et se concerter. Ainsi, aux termes de l'article 13, les États membres vérifient en étroite collaboration la situation financière des entreprises agréées. L'autorité de contrôle de l'État membre où le siège social de chaque entreprise est établi doit vérifier l'état de solvabilité de l'entreprise « pour l' ensemble de ses activités ». « Les autorités de contrôle des autres États membres sont tenues de lui fournir toute information
nécessaire afin de lui permettre d'assurer cette vérification » (article 14). D'autres dispositions figurent notamment dans les articles 19, paragraphe 2, 20, paragraphe 5, et 21, paragraphe 2.

En outre, aux termes de la directive de 1978, le montant des réserves techniques doit être déterminé par les différents coassureurs, conformément aux règles fixées par les États membres où ils sont établis, mais la réserve pour sinistres à payer doit être « au moins » égale à celle déterminée par l'apériteur conformément à ces règles et les actifs congruents doivent être situés, soit dans les États membres où les coassureurs sont établis, soit dans celui de l'apériteur (article 4). Les États membres
doivent veiller à ce que les coassureurs établis sur leur territoire disposent d'éléments statistiques faisant apparaître l'importance des opérations de coassurance (article 5). Il est clair que cette disposition vise également l'apériteur. Ici encore, les autorités de contrôle sont tenues de coopérer et de communiquer les données nécessaires à la mise en oeuvre de la directive.

Le Conseil a donc, selon nous, mis en place, à l'échelle de la Communauté, un système de contrôle et de protection financière dont la mise en oeuvre incombe tant à l'État membre ou aux États membres où l'entreprise est établie qu'à celui où elle a son siège. Il est exact qu'il existe des divergences entre la méthode de calcul des réserves techniques — certains pays incorporant le montant de la réassurance (la méthode brute), d'autres pays l'excluant (la méthode nette). Néanmoins, l'obligation
prioritaire est de constituer des réserves techniques « suffisantes » et il n'est pas établi que la méthode nette adoptée par exemple par la République fédérale d'Allemagne soit inadéquate; personne non plus n'a tenté de suggérer qu'elle était insuffisante même si la méthode brute permet de dégager un montant plus important. A notre avis, c'est là une observation applicable aux divergences qui existent, paraît-il, en ce qui concerne la commission du courtier; dans certains pays elle est prise en
compte et dans d'autres elle ne l'est pas.

En quatrième lieu, la France ne subordonne pas l'agrément au dépôt d'un montant quelconque ou d'une caution par l'apériteur en ce qui concerne sa part de responsabilité ou du montant total. Il est vraisemblable que ce dépôt n'est pas jugé nécessaire.

En cinquième lieu, l'agrément est donné une fois pour toutes: il n'est pas requis en particulier pour chaque contrat de coassurance. Il ne constitue pas, croyons-nous, une garantie contre les violations du droit national ou les cas de malhonnêteté qui sont susceptibles de devoir être réglés au fur et à mesure qu'ils se présentent.

En sixième lieu, certains États membres jugent inutile l'agrément s'il s'agit de protéger l'assuré dans un contrat de coassurance et certains États qui imposent cet agrément n'exigent même pas que les clauses de la police soient soumises à leurs autorités compétentes.

Tous ces éléments nous semblent faire ressortir l'existence d'un contrôle financier dans les États membres où l'entreprise est établie, et que la condition d'établissement ou d'agrément n'ajoute pas nécessairement à la forme de protection visée. Il est symptomatique que plusieurs États membres jugent inutile d'aller aussi loin que la France, au point d'imposer l'établissement et l'agrément et de prêter attention à la formulation des modèles de police, bien que la France ne vérifie apparemment pas,
comme la République fédérale d'Allemagne, les modalités des polices de coassurance particulières.

Sous réserve des conditions de la directive de 1978, nous n'estimons pas non plus que l'apériteur et les coassureurs diffèrent au point de justifier la condition d'établissement ou d'agrément de l'apériteur dans l'État membre où le risque est situé.

Il est exact qu'en vertu de son article 2, paragraphe 1, la directive de 1978 ne s'applique qu'au cas où l'apériteur est agréé conformément aux conditions fixées dans la directive de 1973, et où il assume pleinement le rôle principal dans la pratique de la coassurance et fixe en particulier les clauses et conditions du contrat d'assurance et de la tarification, bien qu'il ne fasse pas de doute que, dans de nombreux cas, l'apériteur choisi tiendra compte des conditions requises ou susceptibles d'être
requises par d'autres coassureurs. Il est également exact qu'aux termes des considérants de la directive de 1978, l'apériteur est mieux placé que les autres coassureurs pour évaluer les sinistres et pour fixer le montant minimal des réserves pour les sinistres en instance.

La disposition de l'article 2, paragraphe 1, sous c), à savoir: « ... c'est-à-dire qu'il est traité comme l'assureur qui couvrirait la totalité du risque; » n'est peut-être pas claire, mais il ne nous semble pas que ses termes ou ceux des considérants de la directive de 1978 signifient que l'apériteur doive être établi dans le pays où le risque est situé ou à tout le moins y être agréé, ce que la France et les parties intervenant en sa faveur soutiennent.

Même si les dispositions de l'article 2, paragraphe 1, sous c), étaient jugées ambiguës à cet égard (ce qui est la critique la plus grave qui puisse être formulée à leur égard), il nous semble qu'elles doivent être interprétées, si possible, de manière telle, qu'elles soient compatibles avec le traité (affaire 218/82, Commission/Conseil, établissement de quotas pour le rhum, Rec. 1983, p. 4063) et il est clair que la directive ne peut autoriser ou imposer des restrictions incompatibles avec les
articles 59 et 60 (voir les affaires jointes 80 et 81/77, Ramel/Receveur des douanes, Rec. 1978, p. 927).

Interdire à un apériteur de fournir des services d'assurance en France, à moins qu'il n'y soit établi, ou l'obliger à être agréé (sans justification au titre de l'intérêt général ou de l'article 56 du traité) constituerait manifestement une violation des articles 59 et 60 du traité. A notre avis, l'article 2, paragraphe 1, sous c), ne comporte pas d'exigence en ce sens et à tout le moins peut normalement et même facilement s'entendre comme s'il n'en comportait pas.

L'argument que la Belgique a invoqué en alléguant que l'article 2, paragraphe 1, sous d), vise la nécessité pour l'apériteur d'être établi dans le pays où le risque est situé ne nous est, lui non plus, d'aucun secours. Les articles 4 et 5 qui sont également invoqués à cet égard mettent l'accent sur le contrôle par l'Etat membre dans lequel l'apériteur est établi. Ils n'obligent pas celui-ci, à notre sens, à s'établir dans l'État membre où le risque est situé et l'article 4, paragraphe 1, ne prévoit
pas davantage que les réserves techniques doivent être déterminées dans l'État où l'apériteur est établi ou agréé.

La véritable garantie pour l'assuré réside dans l'obligation imposée à tous les coassureurs d'être agréés dans l'État membre ou les États membres où ils sont établis.

Il s'ensuit, à notre avis, que, compte tenu de tous les arguments invoqués, la directive de 1978 n'exige pas que l'apériteur soit établi ou agréé au préalable dans l'État membre où le risque est situé.

Certains arguments sont ensuite tirés des arrêts rendus par la Cour dans les affaires jointes 110 et 111/78, van Wesemael (Rec. 1979, p. 35) et Webb, dans lesquels elle a admis qu'une licence peut être exigée dans l'intérêt général pour la fourniture de services d'un caractère particulièrement délicat. Néanmoins, il faut noter que la Cour a estimé alors que « la libre prestation des services en tant que principe fondamental du traité ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par
l'intérêt général et incombant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire dudit État, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi ». De même, la Cour a déclaré que « l'État membre destinataire de la prestation ... (doit tenir compte) des justifications et garanties déjà présentées par le prestataire pour l'exercice de son activité dans l'État membre d'établissement ».

Néanmoins, dans ces affaires, il n'existait pas de directives communautaires comme en l'espèce. Tant que la directive est respectée en ce qui concerne les questions financières, il nous paraît erroné d'affirmer que des conditions financières, supplémentaires, peuvent être imposées dans le cadre du droit national. Les États membres doivent, dans le domaine de la coassurance, tenir compte du contrôle exercé par les autorités des autres États membres en application de la directive (voir affaire 272/80,
Frans-Nederlandse Maatschappij voor Biologische Produkten BV, Rec. 1981, p. 3277).

Il nous semble que, pour atteindre l'objectif visé par la France, il suffirait d'exiger que les contrats de coassurance conclus en dehors de France par un apériteur en ce qui concerne des risques situés en France soient notifiés aux autorités compétentes (ces contrats étant peu nombreux, ce qui ressort des statistiques fournies par le gouvernement français) et de se fonder sur les dispositions de droit national qui ne sont pas en conflit avec les articles 59 et 60 de la directive. Ce serait là, par
exemple, une manière de répondre à l'argument suivant lequel, en l'absence d'une condition d'établissement ou d'agréation, un apériteur pourrait contracter pour un risque situé dans un État membre qui ne pourrait être légalement assuré dans cet État, notamment en ce qui concerne les dommages délibérés, les enlèvements, les escroqueries ou les conséquences d'un contrat de pari. Néanmoins, le sujet n'est pas ainsi épuisé et d'autres règles particulières du droit d'un État à appliquer par ses propres
juridictions ou par d'autres juridictions dans le cadre de la convention de Bruxelles ou en vertu des règles du droit international privé peuvent incontestablement fournir une protection importante aux assurés et aux tiers sans qu'il soit nécessaire que l'apériteur soit agréé ou établi dans l'État où le risque est situé.

La solvabilité et la protection financière des assurés et des tiers étant les principaux sujets invoqués en l'espèce, c'est là une conclusion qui ne nous semble pas ébranlée par le fait qu'un rapprochement en ce qui concerne divers aspects tels que les clauses contractuelles et la tarification n'a pas encore été réalisé.

En conséquence, selon nous, la Commission a établi le bien-fondé de son premier chef de grief en ce qui concerne tant l'établissement que l'agrément.

Le deuxième grief

La Commission a commencé en l'espèce par soutenir que la réglementation française en ce qui concerne les seuils, en deçà desquels les contrats de coassurance ne peuvent être conclus pour des risques situés en France, enfreint tant a) l'article 1er, paragraphe 2 et l'article 8 de la directive de 1978 que b) les articles 59 et 60 du traité. Dans sa requête à la Cour, elle a renoncé expressément à alléguer la première infraction à la directive.

Il a semblé, d'après la lettre préliminaire et l'avis motivé, que la Commission reprochait en réalité à la France d'avoir fixé des montants maximaux trop élevés, bien que ce point ne soit pas entièrement clair. Dans sa requête à la Cour et au cours de l'audience, la Commission a soutenu qu'elle tenait pour incompatible avec les articles 59 et 60 du traité toute fixation de montants maximaux, les entreprises étant libres de pratiquer la coassurance pour tous les risques, quelles qu'en soient la
nature et l'importance, mais, qu'en tout état de cause, elle alléguait que les montants maximaux fixés étaient excessifs.

A première vue, la fixation de seuils au-dessous desquels il ne peut y avoir de coassurance constitue une restriction à la libre prestation des services. D'autre part, on fait valoir que la coassurance transnationale constitue un aspect particulier du marché de l'assurance, mettant normalement en jeu des sommes importantes et qui semble devoir être utilisée dans un nombre limité de cas. Cela justifie-t-il en soi l'imposition de limites financières au-dessous desquelles la coassurance n'est pas
autorisée? Une telle solution peut paraître raisonnable à première vue. Après tout, nous ne sommes pas convaincu que la nature particulière de la coassurance ait montré qu'il était justifié de fixer des seuils au titre de l'article 56 ou dans l'intérêt général.

En premier lieu, ainsi qu'il ressort de l'argumentation invoquée en l'espèce, il peut exister certains cas particuliers dans lesquels le montant n'est pas nécessairement très important mais où la probabilité du risque est très grande et où la coassurance peut être justifiée. Une limitation financière pure et simple excluerait ces cas. En second lieu, il nous semble qu'il appartient essentiellement aux forces du marché de décider quelle est la catégorie ou l'ampleur du risque justifiant une
coassurance. Il semble peu vraisemblable que les assureurs assument la tâche supplémentaire de conclure des contrats de coassurance lorsque cela n'est pas nécessaire. En troisième lieu, la France n'a fourni aucun argument convaincant, à notre avis, selon lequel, à défaut de fixation de seuils, il est vraisemblable ou possible que se produise une forme particulière d'abus ou que l'assuré s'expose à un plus grand risque. Théoriquement, l'inconvénient sera plus grand pour l'assuré, bien qu'il ne
s'agisse pas nécessairement d'un plus grand risque, s'il doit exercer une action contre plus d'un coassureur. Il semble quelque peu chimérique de considérer l'affaire en partant de l'idée que cet assuré puisse être obligé d'accepter un contrat de coassurance dans des circonstances qui ne le commandent pas vraiment. Il est beaucoup plus vraisemblable qu'il trouvera un assureur isolé qui acceptera le risque même s'il se réassure.

En conséquence, nous estimons que la fixation de seuils était contraire aux articles 59 et 60 du traité.

Si nous étions parvenus à l'opinion inverse, nous aurions considéré, abstraction faite de l'effet de la directive de 1978 que nous examinons dans l'affaire contre l'Allemagne, que de tels seuils ne pouvaient être fixés de manière à exclure a) les cas où le montant en cause peut n'être pas très important mais où la probabilité du risque est si grande qu'il est raisonnable de le faire assurer par plusieurs coassureurs, ou b) les cas que le marché tient actuellement pour l'objet normal de la
coassurance.

Si nous étions parvenus à l'opinion selon laquelle la fixation de seuils aurait été justifiée en l'espèce, nous ne considérerions pas que la Commission a établi que les montants maximaux fixés par la France étaient trop élevés, bien qu'ils semblent l'être. Nous estimons qu'il semble s'agir là, uniquement d'une question de preuve que la Commission n'a pas produite en l'espèce.

Nous n'estimons pas (pour des raisons que nous avons exposées dans nos conclusions dans l'affaire contre l'Allemagne) que la directive de 1978 habilite en soi les États membres à fixer des seuils isolément ou en groupe eu égard aux formes particulières d'assurance qui sont visées dans la directive en question. Quoi qu'il en soit, il nous semble tout-à-fait possible de soutenir que, même si avant l'adoption de la directive, il existait un pouvoir propre des États membres leur permettant de fixer des
seuils au moyen d'une limitation justifiée des droits conférés par les articles 59 et 60, la directive s'arroge l'exercice de ce pouvoir eu égard aux branches spécifiées dans la directive de 1978. Si des seuils sont nécessaires, ils doivent être fixés par la Communauté.

L'effet direct

Par son troisième chef de demande, la Commission vise à faire constater que la France a manqué à son obligation de respecter l'effet direct des articles 59 et 60 du traité en préférant appliquer les dispositions que la Commission a incriminées dans le cadre de ses deux premiers chefs de demande. Elle a soutenu à plusieurs reprises qu'il s'agit là d'une infraction indépendante des deux premières mais sa prise de position à cet égard ne nous convainc pas. Le manquement à l'obligation de respecter
l'effet direct d'une disposition communautaire n'est pas une infraction autonome. Cet aspect de l'argumentation de la Commission ne doit donc pas être retenu selon nous.

Conclusion

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous concluons que la loi n° 81-5 du 7 janvier 1981 et le décret n° 81-443 du 7 mai 1981,

1) en obligeant un assureur de la Communauté à s'établir ou à se faire agréer en France afin d'être en mesure de participer à une opération de coassurance dans ce pays en qualité d'apériteur et

2) en empêchant les assureurs communautaires qui ne sont pas établis en France de participer à des opérations de coassurance pour des risques qui, en raison de leur portée, ne relèvent pas du champ d'application de l'article 1er de ce décret, violent les articles 59 et 60 du traité.

Quant aux dépens, il nous paraît équitable que la France prenne à sa charge les frais exposés par la Commission ainsi que les frais exposés par les Pays-Bas et le Royaume-Uni. La France, la Belgique, le Danemark, la République fédérale d'Allemagne, l'Irlande et l'Italie devraient supporter leurs propres frais.

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( *1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 220/83
Date de la décision : 20/03/1986
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé, Recours en constatation de manquement - fondé, Recours en constatation de manquement

Analyses

Libre prestation des services - Coassurance.

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:136

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