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25/02/1986 | CJUE | N°304/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 25 février 1986., Ministère public contre Claude Muller et autres., 25/02/1986, 304/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 25 février 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  A la suite d'un prélèvement effectué sur un lot de « préparation spéciale de base » pour pâtisserie, dénommée « Phénix », importée d'Allemagne par la SARL Kampf-meyer-France, les services français chargés de la répression des fraudes ont constaté la présence d'un additif émulsifiant « E 475 », non mentionné sur l'emballage, où figurait pourtant la mention « conforme à la législation fran

çaise », suivie de la composition du produit. ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 25 février 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  A la suite d'un prélèvement effectué sur un lot de « préparation spéciale de base » pour pâtisserie, dénommée « Phénix », importée d'Allemagne par la SARL Kampf-meyer-France, les services français chargés de la répression des fraudes ont constaté la présence d'un additif émulsifiant « E 475 », non mentionné sur l'emballage, où figurait pourtant la mention « conforme à la législation française », suivie de la composition du produit.

L'emploi de cet émulsifiant dans les denrées alimentaires n'étant pas autorisé en France, la SARL Kampfmeyer-France, en la personne de son directeur, M. C. Muller, a fait l'objet de poursuites pénales devant le tribunal correctionnel de Strasbourg, qui l'a, notamment, condamnée à une amende. Contre ce jugement, l'importateur a interjeté appel, se prévalant tant des dispositions de la directive 74/329 du Conseil, du18 juin 1974, relative au rapprochement des législations des États membres
concernant les agents émulsifiants, stabilisants, épaississants et gélifiants pouvant être employés dans les denrées alimentaires (JO L 189, p. 1, ci-après directive « émulsifiants »), que de celles de l'article 30 du traité CEE.

La cour d'appel de Colmar s'interroge sur l'applicabilité de ces dispositions eu égard à l'interdiction en France d'utiliser l'additif E 475. Elle pose, en conséquence, les deux questions suivantes:

«1) La directive 74/329 du Conseil, du 18 juin 1974, relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les agents émulsifiants, stabilisants, épaississants et gélifiants pouvant être employés dans les denrées alimentaires, a-t-elle pour effet d'empêcher un État membre d'édicter une interdiction d'emploi de l'un des agents énumérés à l'annexe I et, dans la négative, quelles sont les conditions dans lesquelles une telle interdiction d'emploi pourrait être admise au regard du
droit communautaire?

2) Un État membre qui aurait régulièrement interdit l'emploi de l'un des agents visés à l'annexe I peut-il s'opposer à l'importation et à la mise en vente sur son territoire national d'un produit contenant un tel agent fabriqué conformément à la législation communautaire, dans un autre État membre, pour un motif autre que ceux énumérés à l'article 8, paragraphe 4, de la directive du 18 juin 1974, sans contrevenir aux dispositions de l'article 30 du traité de Rome? »

2.  L'article 1er du décret français du 15 avril 1912 (JORF du 29.6.1912) interdit la commercialisation des denrées alimentaires « lorsqu'elles ont été additionnées... de produits chimiques... autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite » par des arrêtés interministériels, « sur l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et de l'Académie de médecine ». Ce système a été étendu aux produits importés.

Une circulaire du 8 août 1980 (JORF du 25.9.1980, NC p. 8544) détermine les conditions dans lesquelles doivent être présentées les « demandes d'autorisations d'emploi des substances destinées à être introduites intentionnellement dans les aliments (additifs et auxiliaires technologiques) », en indiquant le contenu de ces demandes, eu égard notamment au besoin qu'elles représentent tant pour les utilisateurs que pour les consommateurs, à leurs caractéristiques spécifiques et à leur innocuité.

La réglementation française repose donc sur la constitution de listes positives d'additifs autorisés, le principe restant celui de l'interdiction. Le système ainsi organisé est à rapprocher de celui appliqué en Belgique, qui a fait l'objet de votre récent arrêt Motte [247/84, 10 décembre 1985 (Rec. 1985, p. 3887), et plus particulièrement point 6]. Comme dans cette affaire, il convient donc de relever que le problème d'interprétation posé par le présent renvoi préjudiciel concerne non
l'interdiction en soi d'utiliser l'additif E 475 dans les denrées alimentaires, mais la compatibilité avec le droit communautaire d'une réglementation nationale reposant, sauf autorisation préalable, sur le principe de l'interdiction d'emploi des additifs.

Il s'agira donc de rechercher si, compte tenu des dispositions de la directive 74/329 ou, si celle-ci ne devait pas trouver à s'appliquer, des articles 30 et 36 du traité CEE, un État membre peut maintenir une interdiction de ce type alors qu'il n'a pas eu à se prononcer sur une demande d'autorisation d'emploi de l'additif en cause.

3.  Il n'est pas douteux que la directive 74/329 laisse aux États membres la faculté tant de maintenir une telle interdiction que de rejeter une demande d'autorisation.

Comme les trois autres directives de base en matière d'additifs — directive « matières colorantes » du Conseil, du 23 octobre 1962 (JO du 11.11.1962, p. 2645), directive « agents conservateurs » 64/54 du Conseil, du 5 novembre 1963 (JO du 27.1.1964, p. 161), directive « agents antioxygènes » 70/357 du Conseil, du 13 juillet 1970 (JO L 157, p. 31) —, la directive « émulsifiants » vise à favoriser un rapprochement des législations nationales dont les disparités seraient susceptibles d'entraver la
libre circulation des denrées alimentaires et les conditions de concurrence. Cette harmonisation doit être agencée en fonction, d'abord, « des nécessités de la protection de la santé publique », ensuite, de celles relatives à « la protection des consommateurs contre les falsifications », ainsi que « des nécessités économiques et technologiques dans les limites imposées par la protection sanitaire » (troisième considérant).

A cet effet, la directive prévoit deux étapes:

— « dans un premier stade, l'établissement d'une liste unique des agents émulsifiants, stabilisants, épaississants et gélifiants qui seuls peuvent être autorisés par les États membres en vue du traitement des denrées alimentaires... » (quatrième considérant);

— « dans un deuxième stade », détermination, par le Conseil, des conditions d'emploi de chacun de ces agents, autrement dit des denrées alimentaires auxquelles ils peuvent être ajoutés et des conditions dans lesquelles cette addition peut être effectuée (sixième considérant et article 4).

Au cours du premier stade, la directive interdit aux États membres d'autoriser l'emploi des additifs non expressément énumérés par elle dans son annexe I. Par contre, elle ne les oblige nullement à autoriser l'emploi de chacun des additifs qui y sont visés. A cet égard, le titre même de la directive, le libellé de son quatrième considérant et de l'annexe I sont dépourvus d'ambiguïté: il ne s'agit que de dresser la liste des agents « pouvant être employés dans les denrées alimentaires ». Cette
interprétation littérale est confirmée par celle tirée de son article 2, paragraphe 1, aux termes duquel, « pour le traitement des denrées alimentaires au moyen d'agents émulsifiants, stabilisants, épaississants et gélifiants, les États membres n'autorisent l'emploi que de ceux énumérés à l'annexe I... ». L'objet initial de la directive est donc uniquement d'imposer aux États membres le respect d'une obligation de ne pas faire.

Par contre, le Conseil n'ayant toujours pas adopté les mesures permettant de passer au deuxième stade de l'harmonisation, c'est aux États membres qu'il appartient, à titre provisoire, de déterminer non seulement les denrées alimentaires auxquelles les additifs peuvent être ajoutés, mais encore les conditions de cette adjonction.

Mais la latitude ainsi reconnue leur permet-elle pour autant de maintenir une interdiction d'emploi? Contrairement aux trois autres directives en matière d'additifs qui, tout en reconnaissant cette latitude, interdisent aux États membres d'exclure complètement l'emploi de l'un des additifs énumérés en annexe (respectivement articles 1er, paragraphe 2, 2, paragraphe 2, et 9), la directive« émulsifiants » ne comporte aucune disposition de cette nature.

Pour Kampfmeyer-France, l'absence de cette réserve ne peut être interprétée comme ouvrant aux Etats membres une faculté d'interdiction générale et absolue, sauf à compromettre du même coup l'effet utile de la directive.

Elle s'appuie en ce sens sur la portée de la procédure de l'article 5, dont le respect s'imposerait aux États membres chaque fois qu'ils entendent interdire l'emploi d'un additif visé à l'annexe I. En effet, on devrait considérer que, pour tous les additifs énumérés dans l'annexe I, la directive a posé le principe de l'autorisation d'emploi. Dès lors, la seule possibilité d'interdiction totale d'emploi laissée ouverte aux États membres serait celle prévue et organisée par l'article 5 afin de
préserver la santé publique.

Cette argumentation doit être rejetée. Par vos arrêts 88/79, Grunert (Rec. 1980, p. 1827), et 108/80, Kugelmann (Rec. 1981, p. 433), vous avez fixé, à la faculté qui était reconnue aux États membres de réglementer l'emploi des additifs, une limite symbolique, fondée sur la réserve expresse contenue aux articles 2, paragraphe 2, et 9 des directives « agents conservateurs » et « agents antioxygènes ». Dès lors, il faut admettre que, à défaut d'une disposition du même type dans la directive 74/329,
rien n'empêche un État membre de maintenir une interdiction totale d'emploi de l'un des additifs énumérés par son annexe I, comme celle résultant de la réglementation nationale en cause. En effet, pour ces additifs, la réserve ne peut être déduite implicitement des dispositions ou de l'économie de la directive, au contraire de la compétence transitoire générale des États membres au premier stade de l'harmonisation, résultant de l'inaction du Conseil.

Quant à l'effet utile de la directive au premier stade du rapprochement des législations qu'elle envisage, il résulte d'ores et déjà de l'interdiction faite aux États membres d'autoriser tout additif non mentionné par son annexe I. Pour le reste, les États membres sont liés par les dispositions de la directive chaque fois que, à la suite d'une demande en ce sens, par exemple, ils autorisent l'emploi de l'un des additifs visés par son annexe I. Dans ce cas, l'harmonisation, même embryonnaire, que
celle-ci organise a, notamment, le double effet suivant.

D'une part, elle contraint l'État membre qui entend revenir sur l'autorisation accordée à respecter désormais la procédure communautaire de suspension provisoire prévue à cet effet, l'interdiction définitive résultant d'une décision unanime du Conseil (article 5 de la directive). L'État membre doit irréversiblement s'inscrire dans ce processus communautaire pour interdire l'emploi d'un additif précédemment autorisé.

D'autre part, la directive prévoit que les États membres ne peuvent pas interdire l'importation d'un additif figurant en annexe I « pour la seule raison » qu'ils considéreraient « l'étiquetage comme insuffisant », dès lors que celui-ci satisfait aux conditions posées par la directive elle-même (article 8, paragraphe 4).

Bien évidemment, ces dispositions, rappelons-le, ne trouvent à s'appliquer qu'aux additifs figurant sur la liste de l'annexe I dont l'emploi a été autorisé par un État membre, la directive lui laissant la faculté, en l'état actuel de son application, de maintenir une interdiction préexistante.

4.  En l'état actuel du droit communautaire, il faut donc admettre que la directive 74/329 n'affecte pas le pouvoir des États membres de maintenir sur leur territoire une interdiction d'emploi, sauf autorisation préalable.

Lorsque cette dernière est étendue aux denrées alimentaires importées d'un autre État membre où l'emploi de l'additif est légalement autorisé, leur marge d'appréciation se trouve cependant limitée par les règles de droit commun en matière de libre circulation des marchandises.

Selon une jurisprudence constante, une interdiction d'emploi de ce type est, en effet, susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, constituant ainsi une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, prohibée par l'article 30 du traité CEE. Toutefois, fondée sur la nécessité d'assurer la protection de la santé humaine, elle peut être justifiée au regard des dispositions dérogatoires de l'article 36 du traité
CEE, dans la mesure où elle en respecte les exigences (53/80, Kaasfabriek Eyssen, Rec. 1981, p. 409; 174/82, Sandoz, Rec. 1983, p. 2445; 227/82, van Bennekom, Rec. 1983, p. 3883; 247/84, Motte, précité).

Il n'est pas contesté que l'application aux denrées alimentaires importées d'un autre État membre, où l'additif en cause a pu être légalement autorisé, d'une réglementation fondée sur le principe de l'interdiction, sous réserve d'autorisation préalable, telle la réglementation en cause, constitue une entrave aux échanges contraire au principe posé par l'article 30 du traité. L'harmonisation réalisée par la directive étant, comme on l'a déjà souligné, incomplète, l'appréciation de la
compatibilité, au regard du droit communautaire, de cette réglementation dépendra, en définitive, uniquement de la portée attribuée à la dérogation prévue par l'article 36 du traité (247/84, Motte, points 16 et 17). Votre jurisprudence a tracé les limites étroites dans lesquelles doit s'inscrire une telle interdiction pour être justifiée.

Constatant que l'harmonisation en matière d'additifs n'est que « très partielle et témoigne d'une grande prudence de la part du législateur communautaire au regard de la nocivité potentielle de ces matières », compte tenu notamment des incertitudes pouvant encore subsister « en l'état actuel de la recherche scientifique », vous avez décidé, de façon constante, qu'il

« appartient aux États membres, à défaut d'harmonisation, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté » (247/84, Motte, précité, points 18 et 19; c'est nous qui soulignons).

En effet, quelle que puisse être la légitimité du souci pour un État membre d'assurer, pour pallier l'absence de réglementation uniforme, la « protection de la santé et de la vie des personnes » visée par l'article 36 CEE, il doit respecter « le principe de proportionnalité qui est à la base de la dernière phrase de l'article 36 du traité » (174/82, Sandoz, précité, point 18), selon laquelle les interdictions ou restrictions d'importation « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination
arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre États membres ».

Concrètement, une interdiction d'emploi, sous réserve d'une autorisation préalable, doit, pour être justifiée au regard de l'article 36, être fondée, d'une part, sur une appréciation du besoin auquel répond l'adjonction de l'additif, notamment d'ordre technologique, économique, organoleptique ou encore psychologique, d'autre part, sur « une évaluation scientifique du risque... pour la santé humaine » qui résulterait de l'emploi de l'additif. Elle doit, en outre, apparaître « limitée à ce qui est
nécessaire pour atteindre les objectifs de protection de la santé légitimement poursuivis », en sorte que « des autorisations de commercialiser ces produits soient accordées lorsqu'elles sont compatibles avec lesdits objectifs » (247/84, Motte, points 21 à 23).

Enfin, vous précisez également, au cas où une demande d'autorisation préalable serait introduite, qu'il appartient à l'État membre de démontrer, « dans chaque cas », que toutes les conditions d'application de l'article 36 ainsi décrites sont réunies (174/82, Sandoz, points 21 et suiv.; 227/82, van Bennekom, point 40).

Ainsi délimitée par votre jurisprudence, une mesure d'interdiction doit, à notre avis, pour être conforme aux exigences de l'article 36, être, en premier lieu, assortie de la possibilité pour les opérateurs économiques d'obtenir une autorisation de commercialisation. Si l'interdiction était, en effet, insusceptible d'aménagements par le biais d'une procédure d'autorisation, l'État membre se délierait de l'obligation de rapporter la preuve, pour chaque denrée alimentaire, que la teneur de
l'additif est dangereuse ou son utilité inexistante, conditions mêmes de l'applicabilité de l'article 36 CEE. Elle doit, en second lieu, quel que soit le besoin, technologique ou autre, auquel répond l'additif, être fondée sur l'existence d'un risque pour la santé humaine. En revanche, l'autorisation doit toujours être accordée si l'emploi de l'additif satisfait au double critère cumulatif d'utilité et d'innocuité (247/84, Motte, point 24).

D'inégale importance, ces deux conditions doivent, à l'évidence, être hiérarchisées. La protection de la santé des personnes constitue l'exigence prééminente à satisfaire. La logique de l'article 36 ainsi que le troisième considérant de la directive l'imposent. Au demeurant, vous avez entendu largement la notion de « besoin » en y incluant le besoin non seulement technologique ou organoleptique, mais aussi économique ou psychologique. En vérité, si l'existence d'un « besoin réel » suffit
(247/84, Motte, point 24), le facteur de sécurité dont il faut l'affecter, en raison d'un risque éventuel pour la santé humaine, doit être la « summa conditio » de toute décision relative à l'importation.

5.  Venons-en aux particularités de la présente espèce, pour les confronter à l'apport constitué par votre jurisprudence.

L'additif E 475 ne peut, on le sait, être employé sur le territoire français ni, par conséquent, importé, en tant que tel ou additionné à une denrée alimentaire, dès lors que son emploi n'a pas fait l'objet d'une autorisation préalable, dont l'octroi est fonction de l'existence d'un besoin réel d'adjonction et de l'absence d'un risque pour la santé.

L'application de ce double critère doit cependant être éclairée, s'agissant de cet émulsifiant, par les travaux du comité scientifique de l'alimentation humaine (ci-après CSAH), instauré par la décision 74/234 de la Commission, du 16 avril 1974 (JO L 136, p. 1).

A cet égard, la Commission comme le défendeur au principal ont fait valoir que, dans son rapport sur les agents émulsifiants, stabilisants, épaississants et gélifiants (avis émis le 30 novembre 1978, p. 30), le CSAH a décrit les avantages technologiques auxquels l'agent E 475 répondrait, notamment dans les produits de boulangerie. Ce sont précisément ces besoins qui expliqueraient la légalisation de son emploi en République fédérale d'Allemagne dans les produits de pâtisserie.

Le même rapport a indiqué l'évaluation toxicologique de l'agent émulsifiant E 475. Il en résulte que la dose journalière admissible pour l'homme, au-delà de laquelle un risque pour la santé pourrait apparaître, ne devrait pas dépasser 25 mg par kilogramme de poids corporel. Le degré de nocivité ainsi établi correspondrait d'ailleurs aux résultats de la recherche scientifique au sein des organisations internationales. La réglementation allemande aurait précisément transposé cette limite.

Ces constatations peuvent-elles, comme paraissent le suggérer le défendeur au principal et la Commission, conduire à une double présomption irréfragable d'utilité et d'innocuité de l'additif E 475? Nous ne le croyons pas. Quelle que soit leur qualité, les travaux du CSAH ne lèvent pas toutes les incertitudes à ce sujet. Cela résulte non seulement du caractère consultatif de cet organisme, mais encore — et c'en est une conséquence directe — de l'existence de législations nationales différentes,
s'expliquant par les différences d'habitudes alimentaires dans les États membres (247/84, Motte, précité, point 24).

Rappelons-le: seule l'adoption d'une réglementation communautaire définissant de manière uniforme, d'une part, les denrées alimentaires pour lesquelles l'addition de l'agent E 475 répondrait à un besoin réel, d'autre part, la teneur maximale à ne pas dépasser serait de nature à priver les États membres de leurs responsabilités en la matière. Voilà pourquoi, contrairement à la Commission, nous pensons que la mention de l'additif E 475 dans l'annexe I de la directive « émulsifiants » interdit
seulement aux États membres de s'opposer à l'importation d'aliments, pour cette seule raison que l'additif y est présent.

Il reste que les travaux effectués tant par les organismes internationaux que par le comité scientifique de l'alimentation humaine pourraient constituer une base solide pour toute demande d'autorisation de commercialiser l'additif E 475, que l'État membre ne pourrait écarter qu'en rapportant la preuve que, eu égard aux habitudes alimentaires françaises, son adjonction ne répond à aucun besoin réel et présente, même si la dose journalière admissible n'est pas dépassée, un risque pour la santé
humaine (247/84, Motte, précité, point 24).

La Commission a également suggéré que l'État membre en cause disposerait d'un moyen plus approprié pour assurer la protection de la santé des personnes: imposer à tout importateur une déclaration préalable d'importation, permettant à l'administration nationale de parer en temps utile à tout danger décelé à l'occasion de ce contrôle. Pour des raisons analogues à celles déjà développées par M. l'avocat général Mancini dans l'affaire Motte, cette argumentation doit être rejetée. Un tel système
n'est adéquat qu'en apparence, car le souci légitime de protéger la santé des personnes ne peut que conduire les autorités nationales à un examen approfondi des denrées alimentaires dont l'importation est déclarée en raison de la présence de l'additif interdit.

Enfin, compte tenu des développements qui précèdent, l'argument tiré par la Commission de la directive 79/112, visant à harmoniser les législations des États membres concernant l'étiquetage des denrées alimentaire (JO L 33 du 8.2.1979, p. 1), manque de pertinence. En effet, son article 15, paragraphe 2, réserve expressément l'hypothèse selon laquelle les dispositions nationales non harmonisées seraient justifiées par des raisons tirées notamment de la protection de la santé publique.

6.  Quelle est, pour le juge national, la portée de cette analyse?

Deux cas de figure sont possibles: celui d'un recours dirigé contre le refus par l'État membre d'accorder l'autorisation demandée par un opérateur économique et celui de poursuites pénales engagées, comme en l'espèce, pour importation frauduleuse. Quelle que soit la situation processuelle envisagée, l'État membre a l'obligation, sous le contrôle du juge national, d'apporter, cas par cas, la preuve que l'interdiction de commercialiser des produits importés est conforme aux prescriptions de
l'article 36 du traité CEE, telles que votre Cour les a interprétées.

7.  Nous vous proposons de répondre ainsi qu'il suit aux questions renvoyées par la cour d'appel de Colmar:

1) au stade actuel de son application, la directive 74/329 n'affecte pas la faculté pour les Etats membres de maintenir une réglementation prévoyant, sauf autorisation préalable, l'interdiction de l'emploi dans les denrées alimentaires d'un additif figurant dans son annexe I;

2) les dispositions de la directive 74/329, en particulier ses articles 5 et 8, s'imposent à tout État membre pour chaque additif de l'annexe I dont il a préalablement autorisé l'utilisation;

3) une réglementation nationale interdisant, sauf autorisation préalable, l'emploi dans les denrées alimentaires d'un additif émulsifiant visé par l'annexe I de la directive, tel le E 475:

— est, en principe, incompatible avec les dispositions de l'article 30 CEE, lorsqu'elle est étendue aux marchandises importées,

— mais peut être justifiée au regard des exigences de l'article 36 CEE, dès lors que l'État membre démontre, dans chaque cas, que, à la lumière des habitudes alimentaires nationales ainsi que des résultats de la recherche scientifique internationale et communautaire, la substance interdite, même si elle répond à un besoin particulier, présente un risque pour la santé des personnes;

4) il appartient à la juridiction nationale saisie de vérifier, eu égard aux critères ayant déterminé l'interdiction, que cette condition est satisfaite.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 304/84
Date de la décision : 25/02/1986
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Colmar - France.

Libre circulation des marchandises - Restrictions justifiées par des raisons de protection de la santé.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Rapprochement des législations

Mesures d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Ministère public
Défendeurs : Claude Muller et autres.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:80

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