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23/01/1986 | CJUE | N°150/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 23 janvier 1986., Giorgio Bernardi contre Parlement européen., 23/01/1986, 150/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 23 janvier 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le requérant, M. Giorgio Bernardi, est né en 1937. Il a travaillé à compter du 10 octobre 1966 comme traducteur à la division de la traduction italienne du Parlement européen où il a été promu au grade LA 5 le 1er avril 1975.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 23 janvier 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le requérant, M. Giorgio Bernardi, est né en 1937. Il a travaillé à compter du 10 octobre 1966 comme traducteur à la division de la traduction italienne du Parlement européen où il a été promu au grade LA 5 le 1er avril 1975.

Par décision du président du Parlement européen du 5 mars 1982, M. Bernardi a été mis à la retraite à compter du 1er mars 1982, la commission d'invalidité prévue à l'article 59, paragraphe 1, alinéa 4, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après: le statut) ayant considéré qu'il remplissait les conditions prévues à l'article 78 de ce statut. Une pension d'invalidité égale à 70 % de son traitement lui a alors été attribuée.

Les alinéas 2 et 3 de l'article 78 précité sont ainsi libellés:

« Lorsque l'invalidité résulte d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice (des fonctions), d'une maladie professionnelle..., le taux de la pension d'invalidité est fixé à 70 % du traitement de base du fonctionnaire.

Lorsque l'invalidité est due à une autre cause, le taux de la pension d'invalidité est égal au taux de la pension d'ancienneté à laquelle le fonctionnaire aurait eu droit à 65 ans s'il était resté en service jusqu'à cet âge. »

C'est sur le fondement de cet alinéa 3 que, selon le Parlement européen, la pension a été attribuée à M. Bernardi.

2.  Toutefois, antérieurement à la saisine de la commission d'invalidité, M. Bernardi, par lettre du 27 mars 1979, accompagnée de deux certificats médicaux des docteurs Castrica (Rome) et Conraux (Strasbourg), avait demandé que lui soit appliquée la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la réglementation) arrêtée en application de l'article 73, alinéa 1, du statut. Il déclarait, à cet
effet, souffrir depuis quelques temps d'une « laryngo-pharyngite chronique associée à une atrophie rhino-pharyngique évidente, non susceptible de guérison, et à des épisodes fréquents de dysphonie ». Cette affection, selon le certificat médical du docteur Castrica, aurait résulté de l'environnement et des conditions d'exercice de son travail.

Si une telle demande avait abouti à la constatation d'invalidité permanente totale ou partielle trouvant son origine dans une maladie professionnelle, M. Bernardi aurait pu, en vertu de l'article 73, paragraphe 2, sous b) et c), du statut, prétendre au paiement d'un capital en sus du versement de la pension déjà octroyée.

La procédure prévue par la réglementation a été ouverte à la suite de la demande de M. Bernardi. Cette procédure comprend deux phases:

— une phase d'enquête médicale diligentée par l'administration, aboutissant à un projet de décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après: AIPN) quant à la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie, notifié à l'intéressé en même temps que les conclusions du ou des médecins désignés par l'institution (articles 17, paragraphe 2, 19 et 21 de la réglementation);

— une seconde phase ne s'ouvrant que si, dans un délai de soixante jours à compter de la notification du projet de décision, le fonctionnaire concerné, en désaccord avec ce projet, demande la constitution d'une commission médicale composée de trois médecins, le premier désigné par l'AIPN, le second par le fonctionnaire et le troisième d'un commun accord par ses deux confrères. A défaut d'une telle demande présentée en temps utile, l'AIPN « prend la décision telle que le projet en a été notifié »
(articles 21, alinéas 1 et 3, et 23, paragraphe 1, de la réglementation).

L'examen des annexes du recours et des mémoires en défense et duplique permet de constater ce qui suit.

Le 10 juin 1980, M. J. M. Mutter, chef de la division des affaires sociales au Parlement européen, adresse à M. Bernardi une lettre l'informant qu'après l'avoir examiné le 22 février 1980, le docteur De Meersman, mandaté par l'institution, estime que les troubles du requérant ne sont pas consécutifs à ses conditions de travail. « Par conséquent, est-il précisé, votre affection ne peut être reconnue comme une maladie professionnelle. » M. Mutter demande à M. Bernardi de lui faire connaître s'il
est d'accord avec cette décision, l'informant qu'en cas de contestation il lui est loisible de saisir la commission médicale prévue à l'article 23 de la réglementation, étant précisé que, si l'avis de la commission est conforme à celui du médecin-conseil, une partie des frais sera mise à la charge de M. Bernardi.

Par réponse du 19 juin 1980, l'intéressé conteste les conclusions du docteur De Meersman, demande « formellement » la saisine de la commission médicale et indique le nom de son propre médecin-conseil, le docteur Fidotti de Rome.

M. Mutter accuse réception de cette lettre le 28 juillet 1980 en indiquant que la commission médicale ne pourra se réunir qu'après avoir obtenu le rapport définitif an docteur De Meersman, subordonné aux résultats de l'examen auquel doit procéder le docteur Stumper, médecin spécialiste avec lequel M. Bernardi est invité à prendre rendez-vous « le plus rapidement possible ». « Il va de soi, poursuit M. Mutter, que si la commission médicale devait se réunir nous prendrions contact avec le docteur
Fidotti. »

Le 22 mai 1981, le chef de la division des affaires sociales écrit à nouveau dans les termes suivants à M. Bernardi:

« Monsieur,

J'ai l'honneur de vous informer que le docteur De Meersman, après lecture du rapport du docteur Stumper, maintient sa première conclusion et est d'avis que votre maladie ne peut être considérée comme une maladie professionnelle. Nous pouvons donc entamer la procédure de la commission médicale demandée dans votre lettre du 19 juin 1980.

D'autre part, ainsi que vous le souhaitiez, j'adresse ce jour au docteur Fidotti copie des deux rapports du docteur De Meersman.

... »

La commission médicale, composée du docteur Fidotti, du docteur De Meersman, désigné par le Parlement européen, et du professeur Van Den Eeckhaut, choisi d'un commun accord par les deux premiers, procède, le 15 décembre 1981, à Bruxelles à l'examen de M. Bernardi. Chargé par ses deux confrères de rédiger le rapport, le professeur Van Den Eeckhaut communique, le 3 juin 1983, au service médical du Parlement européen les conclusions de la commission médicale, signées par lui-même et le docteur De
Meersman, mais non par le docteur Fidotti. En effet, ce dernier, après avoir adressé le 13 octobre 1982 au professeur Van Den Eeckhaut un contreprojet de rapport, lui avait envoyé, le 21 avril 1983, un télégramme demandant de surseoir au dépôt de tout document. Cette missive annonçait une lettre motivée qui, bien que datée du 23 mai 1983, ne parvient au professeur Van Den Eeckhaut que postérieurement au 3 juin. Le professeur Van Den Eeckhaut et le docteur De Meersman n'en maintiennent pas moins
les conclusions du rapport de la commission médicale.

Ce rapport énonçait notamment que « la dysphonie et les autres plaintes dont fait état M. Bernardi ne reposent pas sur une maladie et... sont susceptibles de disparaître même dans le cadre de sa profession de traducteur... ».

Précisons que la lettre du docteur Fidotti a été aussitôt communiquée au service médical du Parlement européen et que ce praticien a été avisé du maintien, par ses confrères, des termes du rapport du 3 juin 1983.

Par lettre du 4 octobre 1983, le chef de la division des affaires sociales du Parlement européen

— communique à M. Bernardi le rapport de la commission médicale confirmant les conclusions du docteur De Meersman;

— informe l'intéressé qu'il est tenu, en application des dispositions de l'article 23, paragraphe 2, alinéa 3, de la réglementation, dans la mesure où les conclusions de la commission médicale sont conformes au projet de décision de l'AIPN notifié en vertu de l'article 21, de supporter les frais et honoraires du médecin qu'il a désigné pour le représenter au sein de la commission, ainsi que la moitié des honoraires et frais du troisième médecin et lui demande, en conséquence, de reverser au
Parlement européen la somme de 43050 BFR au titre du remboursement des honoraires et frais du professeur Van Den Eeckhaut.

Par lettre du 19 octobre 1983, l'intéressé conteste les conclusions de la commission médicale. Mettant en doute la régularité de la procédure suivie par la commission, il refuse de payer les frais et honoraires réclamés. Il demande, en outre, le remboursement des frais de déplacement relatifs aux consultations de trois médecins, les docteurs Cis, Vigan et Lieschke, dont les certificats, établis dans le cadre de la procédure diligentée devant la commission d'invalidité, avaient été traduits et
soumis par M. Bernardi à la commission médicale. Il réclame enfin le remboursement des frais de traduction de ces attestations.

Par lettre du 10 novembre 1983, le chef de la division des affaires sociales rejette cette requête et réitère la demande de reversement de la somme de 43050 BFR dans le délai d'un mois.

Le 19 novembre 1983, M. Bernardi présente une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut qui fait l'objet d'un rejet implicite le 19 mars 1984.

Une retenue, à raison de 4305 BFR par mois, est ultérieurement effectuée sur la pension de M. Bernardi.

3.  Celui-ci a donc introduit le présent recours pour déférer à votre censure la décision du 10 novembre 1983, ainsi que «tout autre acte présupposé, connexe et/ou consécutif », en particulier la décision précitée du 10 novembre 1983 confirmant celle du 4 octobre 1983.

Nous ne reprendrons pas en détail sa requête qui est récapitulée dans le rapport d'audience.

Vous aurez noté qu'il vous est demandé de rappeler le Parlement européen au respect de certaines règles statutaires, de lui adresser des injonctions et, « à titre encore plus subsidiaire..., (d')apprécier l'irrégularité » des conclusions de la commission médicale.

En substance, la demande de M. Bernardi tend à voir:

— annuler la procédure antérieure à la saisine de la commission médicale, celle qui s'est déroulée devant cet organisme, enfin les décisions prises au vu de l'avis de ce dernier par le Parlement européen, en conséquence, reprendre la procédure en cause à partir d'un nouveau « projet de décision » régulièrement établi et notifié par l'autorité compétente;

— condamner le Parlement européen à lui verser une indemnité provisionnelle et, au terme de cette nouvelle procédure, le capital visé à l'article 73, paragraphe 2, sous b), ou subsidiairement sous c), du statut, prévu en cas d'incapacité permanente totale ou, subsidiairement, partielle, consécutive à une maladie professionnelle, le cas échéant « établir l'indemnité conformément à l'équité »;

— ordonner à son profit le remboursement des frais exposés pour se soumettre aux consultations médicales demandées par le Parlement européen et de traduction des rapports médicaux délivrés à l'issue de ces consultations.

Les conclusions à cette fin de M. Bernardi s'ordonnent autour des moyens suivants.

a) La constitution de la commission médicale serait viciée tant par la circonstance que le chef de la division des affaires sociales n'aurait pu agir en qualité d'AIPN à l'époque des faits, à défaut de délégation de compétence à cet effet, que parce que, dans sa lettre du 10 juin 1980, communiquant les conclusions provisoires du 14 mars 1980 du docteur De Meersman dans la phase d'enquête, le Parlement européen n'aurait pas pris également en considération les certificats médicaux des docteurs Cis
(daté du 5 décembre 1979) et Lieschke (daté du 23 avril 1981). En outre, les conclusions des docteurs De Meersman et Stumper euxmêmes auraient permis de constater que l'activité professionnelle était une « cause concomitante » de la maladie chronique du requérant. En conséquence, ce serait « par erreur » que le requérant aurait, de façon intempestive, demandé la constitution de la commission médicale, ce d'autant plus que les certificats des docteurs Cis et Lieschke ne lui auraient pas été
notifiés avec le projet de décision. Ce projet ne saurait, au gré de l'AIPN, s'écarter des conclusions médicales ni se fonder sur des conclusions provisoires, le premier rapport du docteur De Meersman ayant été suivi de l'examen par le docteur Stumper et d'un rapport définitif du 24 février 1981.

De plus, en lui accordant 70 % du traitement de base, l'AIPN aurait implicitement, mais nécessairement admis l'origine professionnelle de la maladie et de l'invalidité, conformément à l'article 78, paragraphe 2, du statut.

Or, même si les procédures de mise à la retraite prévue à l'article 78 du statut et de détermination de la couverture des risques de maladie professionnelle de l'article 73 du statut sont distinctes, il résulterait de la jurisprudence de la Cour (arrêts 731/79, B./Parlement, 15 janvier 1981, Rec. p. 107, et 257/81, K./Conseil, 12 janvier 1983, Rec. p. 1) qu'elles suivent un « cours parallèle » et que les décisions qui les clôturent ne peuvent être en contradiction flagrante.

b) La procédure suivie par la Commission médicale aurait également été viciée par le fait que le professeur Van Den Eeckhaut et le docteur De Meersman n'auraient pas tenu compte de leurs propres constatations antérieurement faites en faveur de la thèse du requérant. Surtout, le rapport de la commission n'aurait pas mentionné les observations du docteur Fidotti, ce qui équivaudrait à un défaut de motivation. La signature de ce médecin, représentant les intérêts du requérant n'aurait pas été
considérée comme nécessaire et il ne lui aurait pas été fait communication du « prétendu rapport définitif ».

4.  Le Parlement européen conclut au rejet du recours qu'il considère partiellement irrecevable et pour le surplus mal fondé.

Sur la recevabilité, le défendeur soutient que la Cour ne serait pas compétente pour rendre des arrêts purement déclaratoires ni pour adresser des injonctions à une administration. Elle ne saurait davantage, allant à l'encontre des conclusions de la commission médicale, ordonner directement le versement d'un capital ou d'une indemnité provisionnelle ni fixer elle-même cette indemnité sur la base de l'équité.

Le Parlement considère en outre que les conclusions formulées à titre principal seraient dénuées d'objet. La procédure prévue aux articles 19 à 21 de la réglementation aurait été intégralement respectée et le chef de la division des affaires sociales aurait reçu délégation, le 1er mars 1982, « pour l'application aux fonctionnaires de tous les grades des dispositions des articles... 72 et 73 du statut », couvrant ainsi la décision finale prise par l'AIPN. De même, les conclusions tendant à
obtenir une décision sur réclamation seraient irrecevables compte tenu de la décision de rejet implicite déjà intervenue le 19 mars 1984.

S'agissant des demandes de remboursement des frais de déplacement relatifs aux visites de contrôle effectuées par les docteurs Cis, Vigan et Lieschke, et de traduction des certificats par eux délivrés, elles n'auraient aucun rapport avec la procédure de reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie. Ayant de plus été présentées pour la première fois dans les lettre et réclamation du requérant des 19 octobre et 19 novembre 1983, sans suite favorable dans le délai prévu par l'article
90 du statut, elles ne pourraient, à défaut de réclamation préalable, faire l'objet d'un recours devant la Cour de justice (article 90, paragraphe 2, du statut).

Enfin, toujours sur la recevabilité, le Parlement européen affirme que les conclusions de la commission médicale constitueraient un acte préparatoire, non attaquable séparément. Or, le requérant ne demanderait pas l'annulation de la décision communiquée par l'AIPN le 4 octobre 1983. Les conclusions subsidiaires ou très subsidiaires seraient, en conséquence, irrecevables.

En ce qui concerne le fond, il expose que l'identité des médecins désignés en vertu de l'article 17 de la réglementation, soit les docteurs De Meersman et Stumper, avait été précisée au requérant par lettre du 14 novembre 1980. En demandant, à la suite du premier examen par le docteur De Meersman, la saisine de la commission médicale et en se soumettant à l'examen de celle-ci, le requérant aurait reconnu que le déroulement de la procédure attaquée était régulier.

Il n'existerait aucune contradiction entre les conclusions de la commission d'invalidité et de la commission médicale, le document de calcul des droits à pension d'invalidité établissant selon le défendeur que le texte appliqué en l'espèce est l'article 78, alinéa 3, du statut.

S'agissant de la prétendue incompétence du chef de la division des affaires sociales, le Parlement européen fait observer que, par décision du 1er mars 1982, ce responsable administratif aurait reçu délégation du secrétaire général « pour l'application aux fonctionnaires de tous les grades des dispositions des articles 59 (paragraphe 4, dernier alinéa), 72 et 73 du statut ».

Sur le grief relatif au fait que le « projet de décision » devait être conforme aux conclusions des médecins désignés par l'administration pour enquête, l'institution défenderesse se réfère à l'arrêt Suss (265/83, 29 novembre 1984, Rec. 1984, p. 4029), par lequel vous avez dit que « l'administration n'est pas liée par les conclusions émises par un médecin désigné par elle » et qu'elle « arrête la position qu'elle estime objectivement justifiée » (point 18).

Quant aux griefs relatifs à la procédure suivie devant la commission médicale, le requérant pourrait d'autant moins soutenir qu'il n'a pas été suffisamment tenu compte des observations des médecins chargés de le représenter que, outre le docteur Fidotti, le docteur Castrica a été admis par la commission à participer, le 15 décembre 1981, à l'examen de M. Bernardi. Les observations du docteur Fidotti et du docteur Castrica auraient été soigneusement examinées, sans cependant avoir emporté la
conviction des deux autres membres de la commission.

L'absence de signature du rapport de la commission médicale par le docteur Fidotti serait la preuve du désaccord persistant entre celui-ci et la majorité de la commission, et le rapport reflétant l'opinion majoritaire devrait, conformément à la jurisprudence de la Cour (notamment affaire 156/80, Morbelli/Commission, arrêt du 21 mai 1981, Rec. p. 1357), «être considéré comme valable au sens du statut avec toutes les conséquences en droit ».

Enfin, il résulterait de l'arrêt Suss (265/83, précité) que la commission médicale, instance totalement indépendante, ne serait nullement tenue par des conclusions médicales antérieures. La Cour, selon l'arrêt Morbelli (156/80, précité), ne pourrait contrôler les appréciations médicales définitives intervenues dans des conditions régulières. Sa compétence se limiterait au seul contrôle des « questions relatives à la constitution et au fonctionnement régulier des commissions prévues par les
articles 19 et 23 de la réglementation » (point 20, Rec. 1981, p. 1374).

5.  La discussion sur la recevabilité ne nous retiendra pas longtemps. Comme le rappelle à juste titre le Parlement européen, votre compétence en matière de litiges opposant une institution communautaire à l'un de ses agents porte « sur la légalité d'un acte faisant grief à cette personne », pour reprendre les termes de l'article 91, paragraphe 1, du statut, qui précise que « dans les litiges de caractère pécuniaire, la Cour de justice a une compétence de pleine juridiction ». Il vous appartient
donc, le cas échéant, d'ordonner la réparation du dommage subi par un agent du fait d'un acte ou d'une omission préjudiciable à ses droits, entaché d'illégalité et imputable à l'institution à laquelle il appartient.

Là s'arrête votre compétence qui ne comporte aucun pouvoir d'injonction.

Ainsi, pour reprendre l'exemple de l'obligation mise à la charge de l'administration par l'article 21 de la réglementation, vous pouvez être amenés à sanctionner la carence éventuelle de l'institution en la matière, mais vous ne sauriez enjoindre à celle-ci de procéder à la notification qui lui incombe en vertu de ce texte. Il convient donc, sur ce point, d'accueillir l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Parlement européen.

Doit, elle aussi, être accueillie, pour les raisons indiquées par l'institution défenderesse, celle relative à la demande de remboursement des frais de déplacement et de traduction afférents aux consultations des docteurs Vigan, Cis et Lieschke.

Quant à la distinction — classique — des arrêts déclaratoires — appelés aussi déclaratifs — et des arrêts constitutifs, elle est connue de vous. Les premiers se bornent à proclamer l'existence d'un état de droit antérieur. Les seconds créent une situation juridique nouvelle.

Il n'est pas sûr que la solution du présent litige apparaisse à l'obscure clarté de cette distinction dont la portée est incertaine et le principe contesté en doctrine.

En réalité, vous n'aurez pas à rappeler au Parlement européen, qui, au demeurant, ne l'a jamais nié, qu'il doit strictement observer les règles statutaires applicables à l'espèce, le seul problème étant de savoir si, en l'occurrence, ces règles ont été respectées.

Restent à examiner deux exceptions d'irrecevabilité que nous vous demandons de rejeter: la première parce que, contrairement aux affirmations du Parlement européen, M. Bernardi poursuit expressément l'annulation de la décision du 4 octobre 1983; la seconde, parce que l'irrecevabilité pour « absence d'objet » invoquée au motif qu'au cas d'espèce la procédure aurait été parfaitement régulière s'analyse en réalité comme une défense au fond.

6.  Abordons donc le fond.

Notons d'emblée que l'on ne relève aucune contradiction entre la décision prise par la commission médicale et l'attribution d'une pension d'invalidité à un taux de 70 %. En effet, rien ne permet de contester sérieusement l'affirmation faite, décompte à l'appui, par le Parlement européen, selon laquelle ce taux a été attribué par application de l'article 78, paragraphe 3, en fonction de l'ancienneté de service de M. Bernardi et non d'un rattachement de l'invalidité à une prétendue origine
professionnelle.

Cela étant posé, il convient, en premier lieu, d'examiner si la procédure suivie au cours de la phase de l'enquête médicale est ou non entachée d'illégalité. Nous nous poserons donc les questions suivantes:

— L'enquête médicale visée à l'article 17, paragraphe 2, de la réglementation a-t-elle été régulièrement diligentée?

— Le projet de décision, objet de l'article 21, alinéa 1, du même texte, a-t-il été régulièrement pris et notifié?

L'enquête médicale a été confiée au docteur De Meersman qui y a procédé, assisté par son confrère le docteur Stumper, dans des conditions qui ne paraissent pas devoir encourir votre censure.

S'agissant du projet de décision, les choses sont moins simples. Celui-ci prend curieusement la forme d'un triptyque.

Premier volet: la lettre précitée du 10 juin 1980, qui invite le requérant à faire savoir s'il est d'accord avec la conclusion négative du docteur De Meersman et le projet de décision conforme envisagé par l'AIPN, rappel étant fait de la faculté offerte à M. Bernardi, en cas de contestation, de saisir la commission médicale. Les conditions matérielles requises par l'article 21, alinéa 1, pourraient paraître réunies dès cet instant s'il ne devait s'avérer ultérieurement que les conclusions
médicales n'ont qu'un caractère provisoire.

Ce caractère n'apparaîtra que dans le deuxième volet que constitue la lettre du 28 juillet 1980. Quoi qu'il en soit, avant d'avoir reçu cette dernière correspondance et par lettre du 19 juin 1980, M. Bernardi demande la saisine de la commission médicale.

Troisième volet: la lettre du 22 mai 1981 dont nous rappelons l'essentiel. Les conclusions définitives, confirmant les conclusions provisoires, sont notifiées à M. Bernardi qui est avisé que, conformément à sa demande du 19 juin, la commission médicale sera saisie pour avis.

Disons-le clairement: cette façon de procéder ne nous paraît pas un modèle de gestion administrative. Un projet de décision ne doit pas se fonder sur des conclusions provisoires. Certes, celles-ci sont devenues définitives et la lettre du 22 mai 1981 est venue confirmer celle du 10 juin 1980. Mais il eût été préférable que le projet de décision intervînt seulement à cette date. C'est alors que M. Bernardi aurait dû être placé devant l'option statutaire entre l'acceptation des conclusions de
l'enquête et leur contestation avec saisine de la commission médicale.

Mais, même mal articulés, ces trois volets nous paraissent pouvoir être considérés comme formant un tout, matériellement conforme aux prescriptions des articles 17, paragraphe 2, et 21, alinéa 1, de la réglementation.

Encore faut-il que le projet de décision ait été pris et notifié par l'autorité compétente, c'est-à-dire, selon les termes de l'article 21 de la réglementation, l'autorité investie du pouvoir de nomination.

Or qu'en est-il en l'espèce? L'article 2 du statut dispose en son alinéa 1 que:

« Chaque institution détermine les autorités qui exercent en son sein les pouvoirs dévolus... à l'autorité investie du pouvoir de nomination. »

Cet article, qui reprend la substance des anciens articles 2 des statuts des fonctionnaires de la CEE et de la CEEA [règlement no 31 (CEE) et 11 (CEEA) des Conseils, du 18 décembre 1961, JO 45 du 14.6. 1962], habilite les institutions à organiser en la matière un système de répartition et de délégation de compétence.

Il résulte de la décision 175/62 du 12 décembre 1962, prise et produite par le Parlement européen que, pour les fonctionnaires appartenant à la catégorie dont relève M. Bernardi, les pouvoirs dévolus à l'AIPN par l'article 73 du statut et par la réglementation établie pour son application sont exercés par le « secrétaire général, qui est autorisé à déléguer ses pouvoirs d'exécution d'ordre administratif au directeur général de l'administration » [point d), sous i) de la décision]. Cette
délégation a été assouplie par décision du bureau du Parlement européen du 16 février 1982, le secrétaire général étant, sans précision de délégataire, « autorisé à déléguer ses pouvoirs ».

Or, la délégation conférée par le secrétaire général au chef de la division des affaires sociales n'est intervenue que le 1er mars 1982, c'est-à-dire postérieurement aux trois correspondances précitées dont la dernière est en date du 22 mai 1981. Elle n'avait — et ne pouvait d'ailleurs avoir — aucun effet rétroactif.

Quelles en sont les conséquences sur la légalité du projet lui-même et de sa notification?

A cet égard, deux de vos décisions doivent être citées.

Par la première, plus récente dans le temps (De Greef/Commission, affaire 46/72, arrêt du 30 mai 1973, Rec. p. 543), vous avez considéré qu'une décision prise par application de l'article 2 du statut — il s'agissait de la désignation de l'autorité chargée de procéder à une audition en matière disciplinaire — devait s'analyser comme une « répartition d'affaires à l'intérieur des services de la Commission » plutôt que comme « une attribution de pouvoirs rigide dont la non-observation serait
sanctionnée par la nullité des actes accomplis en dehors du cadre tracé» (point 18, p. 553).

Mais vous marquiez aussitôt les limites de cette souplesse, en précisant qu'une subdélégation ou une dérogation aux critères de répartition déterminés par la Commission, « ne pourrait entraîner la nullité d'un acte accompli par l'administration que si elle risquait de porter atteinte à l'une des garanties accordées aux fonctionnaires par le statut ou aux règles d'une bonne administration en matière de gestion du personnel » (point 21, p. 553).

Sans doute aviez-vous en mémoire un arrêt antérieurement rendu auquel M. l'avocat général Trabucchi s'était référé dans ses conclusions. Il s'agit de la seconde décision à laquelle nous avons fait allusion, dans une affaire opposant les parties à la présente instance (Bernardi/Parlement européen, affaire 48/70, arrêt du 16 mars 1971, Rec. p. 175). Dans cette affaire, le secrétaire général du Parlement européen avait appelé un traducteur adjoint à occuper par intérim un emploi de traducteur. M.
Bernardi avait demandé et obtenu l'annulation de cette désignation au motif que la décision précitée du bureau du Parlement européen du 12 décembre 1962 conférait compétence en pareille matière non pas au secrétaire général, mais, sur proposition de ce dernier, au président.

En fait, de ces deux arrêts se dégage un critère fondé sur la distinction, qui vous était proposée par M. l'avocat général Trabucchi, entre les actes préparatoires et d'exécution, d'une part, et les décisions procédant du « pouvoir discrétionnaire » de l'institution et ayant pour effet d'« engager » celle-là, d'autre part (conclusions de M. Trabucchi dans l'affaire 46/72, Rec. 1973, p. 557).

7.  Qu'en est-il du « projet de décision » visé à l'article 21 de la réglementation?

On peut être tenté d'y voir un acte procédant du pouvoir discrétionnaire et engageant l'institution, et ce d'autant plus qu'à défaut de contestation formulée en temps utile par l'intéressé l'alinéa 3 de l'article précité dispose que « l'autorité investie du pouvoir de nomination prend la décision telle que le projet en a été notifié ». L'AIPN est donc, à ce stade, en situation de compétence liée.

Dans cette perspective, il pourrait être envisagé d'annuler un acte pris et notifié par une autorité alors incompétente, ce qui aurait pour effet de rendre nuls et de nul effet tous les actes postérieurs, c'est-à-dire essentiellement la saisine de la commission médicale et la décision entreprise du 4 octobre 1983.

Mais ne serait-ce pas faire preuve d'un bien grand formalisme? Deux observations doivent être faites.

a) Si le projet n'est pas contesté, l'AIPN ne peut que s'y conformer, à condition toutefois qu'il ait été pris par l'autorité compétente. Si tel n'est pas le cas, l'AIPN n'est pas tenue par cet acte.

Si le fonctionnaire demande que la commission médicale donne son avis, le projet de décision est sans effet sur le rattachement de la maladie à une origine professionnelle, une telle imputation étant admise ou refusée par l'AIPN, après avis de la commission médicale.

Dans l'un comme dans l'autre cas, c'est donc la décision clôturant la procédure qui scelle la situation du fonctionnaire et non le projet. Dès lors, ce dernier doit être considéré comme un acte préparatoire malgré les incidences, quant à la prise en charge des frais des travaux de la commission médicale, consécutives aux dispositions de l'article 23, paragraphe 2, alinéa 3, de la réglementation. Observons au demeurant, à cet égard, que l'alinéa suivant autorise l'AIPN, dans des cas
exceptionnels, à laisser l'intégralité des frais à la charge de l'institution.

b) La nullité qui sanctionne l'irrégularité est protectrice des droits de la personne concernée par l'acte qui en est entaché. La question qui se pose est donc de savoir si le projet de décision notifié à M. Bernardi porte atteinte aux garanties que celui-ci tire de son statut.

Si ce projet n'avait pas été contesté et si l'AIPN, s'estimant à tort liée par un acte pris par une autorité incompétente, avait cru devoir faire application des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 21 de la réglementation, on aurait pu envisager une réponse affirmative. Et encore, c'est la décision conforme prise par l'AIPN plutôt que le projet qui aurait dû être considérée comme attentatoire aux droits de l'intéressé.

Quoi qu'il en soit, tel n'est pas le cas en l'espèce. M. Bernardi a demandé et obtenu la réunion de la commission médicale. C'est au vu du rapport de cet organisme et non du projet de décision que la décision du 4 octobre 1983 a été prise.

Nous estimons donc que le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité ayant pris et notifié le projet de décision doit être rejeté.

8.  Quant à la procédure subséquente, elle nous paraît irréprochable. La commission médicale a été régulièrement constituée et a régulièrement fonctionné. Le docteur Fidotti et même le docteur Castrica, qui n'en était pas membre, ont eu tout loisir d'y faire part de leurs observations. Près de dix-huit mois séparent le premier rapport provisoire (29 décembre 1981) du rapport définitif (3 juin 1983) de la commission. Ce délai, principalement imputable aux initiatives du docteur Fidotti, a été
largement mis à profit par ce dernier pour tenter de convaincre ses confrères. Il n'y est pas parvenu. Son refus d'apposer sa signature sur le document final n'en entache pas la validité. Enfin, la décision du 4 octobre 1983, prise par une autorité régulièrement déléguée à cet effet, n'encourt aucune censure.

9.  Nous vous proposons, en conséquence, de rejeter le recours de M. Bernardi et, quant aux dépens, de faire application des dispositions des articles 69, paragraphe 2, alinéa 1, et 70 du règlement de procédure.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 150/84
Date de la décision : 23/01/1986
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaire - Assurance accident et maladie professionnelle.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Giorgio Bernardi
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Joliet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:26

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