CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT
présentées le 15 octobre 1985 ( *1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Résumé de l'affaire
1.1. Observations générales
Pour autant que nous avons pu le vérifier, la présente procédure engagée par la Commission contre la France constitue la première affaire dans laquelle des entraves aux échanges commerciaux, pouvant résulter de prescriptions techniques concernant les machines et autres appareils et produits techniques, apparaissent dans toute leur complexité.
D'une manière globale, ce qu'il est convenu d'appeler les entraves techniques aux échanges commerciaux des produits industriels peuvent se manifester sous trois formes différentes, présentées en ordre croissant de contrainte.
En premier lieu, elles peuvent être la conséquence pratique de normes techniques divergentes, arrêtées par des instituts de normalisation nationaux du secteur privé. Un effet sensible de restriction des échanges commerciaux peut évidemment déjà résulter du fait que, dans la pratique, ces normes techniques sont appliquées systématiquement par des commettants privés. La Commission semble avoir pour objectif d'éliminer ce genre d'entraves particulières aux échanges en prescrivant le remplacement des
normes nationales concernées par des normes européennes. Dans la mesure où on pourrait constater l'existence d'une pratique concertée de commettants professionnels privés en vue de l'application exclusive de normes nationales, combinée avec l'exclusion des produits satisfaisant uniquement aux normes d'autres États membres, l'application de l'article 85 du traité CEE pourrait évidemment être prise en considération également.
L'effet restrictif des échanges, dû aux normes techniques arrêtées par des instituts nationaux privés, subit un premier renforcement lorsque des organismes publics, agissant en qualité de maîtres d'ouvrage, subordonnent la livraison au respect de telles normes techniques nationales d'origine privée. Dans la mesure où les pouvoirs publics ne peuvent pas invoquer, à cet égard, une des dérogations visées à l'article 36 du traité CEE (il est rare qu'ils puissent le faire lorsque les normes ont un
caractère purement privé), il sera possible de faire échec aux entraves aux échanges, créées ainsi par une pratique administrative constante des pouvoirs publics, par l'application de l'article 30 ou (lorsque de nouvelles entraves de ce genre apparaissent ou que des entraves existantes sont aggravées) des articles 31 ou 32 du traité CEE.
Or, la forme la plus grave d'entraves techniques aux échanges est créée par les prescriptions édictées par les pouvoirs publics et qui imposent impérativement le respect de certaines normes techniques à tous les fournisseurs nationaux et étrangers des produits en cause (peu importe qu'elles renvoient ou non aux normes promulguées par des instituts de normalisation nationaux). Ces entraves techniques aux échanges ne devront pas nécessairement résulter de divergences entre les normes nationales. Elles
pourront être renforcées par certaines procédures prescrites en matière de contrôle et par les charges administratives et financières résultant directement ou indirectement de ces procédures pour les producteurs concernés. D'une manière générale, un État membre pourra estimer que de telles règles sont nécessaires pour la protection de la sécurité, de la santé ou de la vie des utilisateurs de ces produits. Dans pareil cas, la Commission et aussi, le cas échéant, la Cour devront se demander non
seulement si l'article 30 est applicable, mais aussi si l'article 36 l'est. L'appréciation des règles nationales en cause au regard de l'article 36 du traité CEE paraît effectivement constituer l'élément essentiel de la présente procédure.
1.2. L'origine de la présente procédure
C'est la Commission qui a saisi la Cour de la présente affaire après que lui furent parvenues, en 1982 et 1983, un certain nombre de plaintes émanant de la représentation permanente d'un État membre et d'une organisation professionnelle d'un autre État membre, et portant sur les effets restrictifs des échanges d'une série de nouvelles prescriptions arrêtées au cours des années 1979 à 1981 par les autorités françaises. Ces prescriptions concernaient les conditions techniques et administratives de la
mise sur le marché français de machines à travailler le bois. Les textes de ces prescriptions sont joints en annexes I et II à la requête de la Commission. Leur champ d'application matériel est réglé par le décret n° 80-542 du 15 juillet 1980. Le principe de base à cet égard est énoncé de manière caractéristique à l'article R 233-85 du décret n° 80-543 du 15 juillet 1980, qui dit que les machines en cause doivent, par construction, être aptes à assurer leur fonction, à être réglées, entretenues,
sans que les travailleurs soient exposés à un risque lorsque ces opérations sont effectuées dans les conditions prévues par le constructeur ou l'importateur. Ce principe de base est ensuite mis en oeuvre dans un certain nombre de prescriptions techniques et administratives précises du décret (articles R 233-86 à R 233-107).
Les prescriptions techniques ont encore été renforcées par le décret n° 80-544 du 15 juillet 1980, puis adaptées par les décrets nos 81-170, 81-171, 81-172 et 81-173 du 20 février 1981 et 81-408, 81-409, 81-410 et 81-411 du 15 avril 1981, ainsi que par un certain nombre de prescriptions techniques d'application arrêtées par le ministre du Travail et le ministre de l'Agriculture, et promulguées les 1er, 2 et 3 avril et 2 juin 1981. Toutes ces prescriptions sont jointes en annexe à la requête.
Les procédures de contrôle administratif sont réglées dans le décret n° 79-229 du 20 mars 1979. Ce décret soumet les matériels neufs les plus dangereux et leurs protecteurs à un contrôle technique préalable de l'Institut national de la recherche et de la sécurité, le ministre du Travail étant toutefois chargé en définitive de délivrer la déclaration de conformité. Toutefois, certains types d'appareils ne doivent être soumis qu'à un examen technique effectué par l'institut précité et débouchant sur
un visa délivré par cet institut, et donnant droit à la vente du type de produit concerné. Les articles R 233-68 et suivants règlent la procédure relative aux matériels pour lesquels il n'est exigé qu'une déclaration de conformité du producteur ou de l'importateur. Les modalités de ces déclarations de conformité ont été arrêtées les 28 novembre 1980 et 15 décembre 1981 par les ministères compétents. Les articles R 233-70 et suivants du décret règlent le contrôle des matériels en service ou usagés et
n'ont pas d'importance pour la présente procédure.
Ainsi qu'il ressort des annexes à la requête, les tarifs applicables au contrôle technique préalable de certains types de machines à travailler le bois, que l'institut de recherche concerné peut facturer aux constructeurs ou importateurs, sont également fixés par le ministère du Travail et, selon le barème produit (mais qui doit être adapté chaque année), ils pouvaient varier, pour chaque type de machine, entre 1470 et 3890 FF. Lorsque le constructeur ou l'importateur invoque le droit que lui
confère l'article R 233-64 du décret n° 79-229 pour faire effectuer le contrôle dans un autre lieu avec l'autorisation de l'institut de recherche, ces tarifs sont majorés des frais de déplacement des contrôleurs concernés.
Les 29 octobre 1982 et 29 septembre 1983, les dates initialement prévues pour l'entrée en vigueur de l'obligation du contrôle préalable ont été reportées pour certaines machines à des dates variant entre le 1er mai 1983 et le 1er janvier 1985. Le 29 septembre 1983, la date de péremption des autorisations accordées sans contrôle préalable dans le cadre de l'ancienne réglementation a été reportée, pour les machines soumises au contrôle préalable dans le cadre de la nouvelle réglementation, du 1er
octobre 1983 au 1er janvier 1985.
Au cours des quatre phases de la procédure administrative au titre de l'article 169, le gouvernement français n'a fourni, en réponse à la demande d'informations de la Commission du 18 juin 1982, que des informations sur les délais d'entrée en vigueur ultérieure de la nouvelle réglementation et les délais d'adaptation des intéressés à la nouvelle procédure. Le gouvernement français n'a pas répondu à l'invitation de la Commission, du 21 février 1983, de présenter ses observations sur le point de vue
de la Commission selon lequel la réglementation en question était contraire à l'article 30 du traité CEE. Il n'a pas non plus répondu dans le délai imparti de trente jours à l'avis motivé qui lui avait été ensuite adressé le 29 août 1983. Au cours d'une réunion qui a ensuite eu lieu les 1er et 2 février 1984 à Paris, les autorités françaises ont promis de faire parvenir des informations complémentaires, notamment en ce qui concerne les délais d'instruction des demandes de visa. Comme ces
informations n'étaient toujours pas parvenues à la Commission à cette date, la Commission a introduit le présent recours le 10 juillet 1984.
1.3. Moyens et conclusions du recours
Dans sa requête, la Commission maintient sa thèse selon laquelle la réglementation française en cause doit être considérée comme une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation. A cet égard, elle renvoie à votre jurisprudence constante depuis l'arrêt dans l'affaire 8/74, Dassonville (Rec. 1974, p. 837).
Les mesures en cause devraient dès lors être considérées comme incompatibles avec l'article 30, sauf si elles sont justifiées par des raisons de protection de la vie et de la santé des personnes.
Or, la Commission estime que l'ensemble de la réglementation arrêtée par la France en ce qui concerne les machines à travailler le bois (que nous avons résumée plus haut) n'est pas nécessaire pour la protection de la vie et de la santé des personnes et, partant, que l'article 30 est applicable à cet égard, sans que l'article 36 puisse fournir une justification.
A cet égard, la Commission ne conteste pas le principe de la nécessité d'un contrôle préalable des machines à travailler le bois en question. Toutefois, elle estime, pour les raisons énoncées ci-après, soit que les effets restrictifs des mesures dépassent ce qui est nécessaire pour garantir la sécurité des utilisateurs des machines, soit que les mesures ne sont pas appropriées à cet effet.
a) Les machines construites selon les prescriptions légales d'autres États membres offriraient, au moins dans certains cas, les mêmes garanties de sécurité et ne pourraient pas, néanmoins, être utilisées en France. C'est ainsi, par exemple, que le mécanisme protecteur, prescrit en République fédérale d'Allemagne, ne serait pas admis parce que la réglementation française en cause n'admet qu'un seul type déterminé de mécanisme protecteur.
b) Les délais impartis seraient souvent trop courts — même après prorogation — et les retards intervenus seraient eux-mêmes aussi des mesures d'effet équivalent au sens de l'article 30 qu'à la suite de votre arrêt du 22 mars 1983 dans l'affaire 42/82 (Commission/France, Rec. 1983, p. 1013), il serait nécessaire de justifier, mais qui ne pourraient pas l'être en faisant état de la surcharge des services concernés.
c) L'effet combiné des exigences françaises serait tel que seules des machines fortement automatisées et soumises au contrôle préalable pourraient y satisfaire. Or, une réglementation entravant dans une moindre mesure les échanges pourrait également offrir une protection suffisante et le recours en donne un certain nombre d'exemples.
d) Les tarifs applicables au contrôle technique préalable pourraient atteindre, en cas d'inspection sur place, 15000 FF ou plus et seraient ainsi susceptibles de décourager les importations potentielles. Il deviendrait notamment très difficile pour un producteur étranger de construire certaines machines sur commande et conformément aux désirs exprimés par le client. Le tarif (qui est en principe calculé selon les mêmes critères pour les fabricants nationaux et étrangers) rendrait ainsi les
importations « plus difficiles ou onéreuses que l'écoulement de la production nationale » pour les fabricants étrangers établis loin de l'institut de recherche, cela en violation de la directive 70/50/CEE du 22 décembre 1969 (JO 1970, L 13, p. 29).
e) Les délais d'homologation des machines soumises au contrôle technique préalable et parfois aussi encore à une déclaration de conformité préalable du ministre du Travail seraient susceptibles d'augmenter, tout comme les frais qui en résultent, en raison des facteurs suivants:
1) la nécessité d'une décision discrétionnaire de l'administration quant au caractère complet du dossier;
2) la pratique administrative consistant à imposer une nouvelle procédure de contrôle préalable pour d'autres machines appartenant à la même famille, offrant les mêmes garanties de sécurité et dont un type a déjà fait l'objet d'un visa technique ou d'une déclaration de conformité;
3) l'exigence de procédures distinctes pour chaque machine faisant partie d'une machine combinée.
En conclusion, la Commission demande à la Cour:
— de déclarer qu'en adoptant les mesures de contrôle susvisées à l'égard des machines à travailler le bois, dans la mesure où elles provoquent, pour l'importation de machines des autres États membres, des charges non nécessitées par l'exigence d'assurer la sécurité ou,.en tout cas, disproportionnées pour satisfaire à cette exigence, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE, et notamment de son article 30;
— de condamner la République française aux dépens.
En réponse à des questions de la Cour, la Commission a précisé quels sont les articles de la réglementation française et quelles sont les mesures pratiques et administratives de contrôle qui, selon elle, ne sont pas nécessaires pour assurer la protection de la vie et de la santé des personnes.
1.4. Le mémoire en défense du gouvernement français
Invoquant à cet égard les arrêts de la Cour dans les affaires 788/79 (Gilli et Andres, attendus 5 et 6, Rec. 1980, p. 2071) et, plus particulièrement, 104/75 (De Peijper, Rec. 1976, p. 613), le gouvernement français déduit de votre jurisprudence relative à l'article 36 que, « parmi les biens ou intérêts protégés par l'article 36, la santé et la vie des personnes occupent le premier rang et il appartient aux États membres, dans les limites imposées par le traité, de décider du niveau auquel ils
entendent en assurer la protection, en particulier du degré de sévérité des contrôles à effectuer » (affaire De Peijper, attendu 15). Il n'existe pas encore de réglementation communautaire relative à la sécurité des machines à travailler le bois, de sorte qu'il appartient aux États membres d'adopter toutes mesures dans ce secteur. Cela vaut d'autant plus que les machines à travailler le bois figurent parmi les machines les plus dangereuses pour les utilisateurs, si bien qu'il n'est pas surprenant
gue la France, comme la plupart des autres États membres, ait arrêté une réglementation à cet égard. Une première réglementation avait déjà été arrêtée en 1893. Assez rapidement s'est alors imposé le principe — qui est aussi à la base de la réglementation actuelle — selon lequel les objectifs de sécurité doivent être intégrés dans la conception même des appareils. Un contrôle préalable de la conformité aux exigences techniques prescrites a aussi déjà été instauré en 1946 pour les quatorze catégories
de machines jugées les plus dangereuses. La loi du 6 décembre 1976 et ses textes d'application ont adapté le principe de base précité à l'évolution technique et étendu les exigences de sécurité à tous les éléments des machines à travailler le bois. La réglementation dont il s'agit en l'espèce n'aurait apporté aucun changement pratique important au régime de 1976, mais il se serait borné à le réadapter à l'évolution technique. Le système du contrôle préalable aurait été maintenu, mais la procédure à
suivre aurait été actuellement subdivisée, pour les machines les plus dangereuses, en deux systèmes, étroitement liés: une procédure d'homologation et une procédure de « visa d'examen technique ». L'homologation (c'est-à-dire la déclaration de conformité) est délivrée par le ministre du Travail sur la base d'un dossier contenant, notamment, un rapport d'examen préalable de l'institut de recherche déclaré compétent à cet effet. Les visas de conformité technique sont délivrés directement par
l'institut pour les sept catégories de machines pour lesquelles ce visa suffit. La différence essentielle avec le système antérieur réside dans la nécessité selon laquelle, à l'examen des pièces du dossier, s'ajoute actuellement un examen de la machine type ou du matériel individuel. De ce fait, les frais d'examen, qui ont fortement augmenté en raison de cet examen, ont été facturés aux demandeurs. Pour la procédure des visas, ces tarifs sont publiés au Journal officiel français; pour la procédure
d'homologation, ils sont communiqués sur demande aux intéressés.
La nouvelle procédure offrirait aussi aux producteurs une plus grande sécurité que celle qui serait offerte lorsque l'examen n'a lieu que sur dossier et elle constituerait un argument important vis-à-vis des clients.
Le gouvernement français réfute ensuite en détail les moyens de la Commission, que nous avons exposés succinctement plus haut aux points a) à e).
En ce qui concerne le moyen a) (non-reconnaissance des garanties de sécurité données par d'autres États membres), le gouvernement français répète tout d'abord qu'il appartient aux États membres de décider du niveau de sécurité qu'ils jugent nécessaire. C'est ainsi que les spécialistes français estimeraient que la réglementation applicable en République fédérale d'Allemagne est insuffisante, entre autres parce qu'elle supposerait une formation appropriée de l'utilisateur des machines en question,
tandis que la réglementation française tient compte du risque de défaillances de l'utilisateur. Du reste, il serait erroné de conclure que la réglementation française ne permet qu'un seul type de dispositif protecteur. Le décret n° 81-171 du 20 février 1981 définirait seulement les résultats à atteindre.
En ce qui concerne le moyen b) (délais imposés trop courts, ce qui entraînerait des retards par suite de la surcharge des services compétents), le gouvernement français observe tout d'abord que le but de la réglementation (à savoir la sécurité des utilisateurs) exigeait que les délais soient aussi brefs que possible pour que la nouvelle réglementation sorte tous ses effets. Or, à la demande des fabricants, les principaux délais avaient été prorogés, tandis que les services concernés avaient été
invités à éviter tout retard par des mesures de procédure spécifiques. Les retards intervenus seraient dès lors dus uniquement maintenant àl'envoi tardif des dossiers par les fabricants concernés. Le délai moyen de notification d'une décision au demandeur serait actuellement de deux mois. Du reste, l'allongement des délais avantagerait le demandeur, étant donné qu'il est ainsi mis en mesure de compléter son dossier et, le cas échéant, d'effectuer des modifications aux machines concernées. C'est ce
qui permettrait de ne pas rejeter la demande. En outre, la possibilité de recours, offerte au demandeur, n'aurait jamais été utilisée, ce qui confirmerait que le problème des délais ne se serait posé que temporairement dans des cas secondaires, où le retard intervenu était dû au demandeur lui-même. L'examen des états annuels de délivrance de visas n'aurait permis de constater aucune attitude discriminatoire à l'égard des fabricants étrangers.
En ce qui concerne le moyen c) (le fait que la réglementation française a prétendument pour effet que seules des machines fortement automatisées seraient admises), le gouvernement français nie que sa réglementation conduirait à privilégier les machines automatisées ou que l'automatisation aurait jamais été exigée. Il est vrai que les machines totalement automatisées sont dispensées du contrôle préalable.
En ce qui concerne le moyen d) (coût élevé des procédures de contrôle), le gouvernement français observe que la facturation des coûts du contrôle aux demandeurs est justifiée par le caractère approfondi des examens réalisés. Les tarifs fixés n'établissent aucune distinction entre les fabricants français et étrangers, bien que les frais de déplacement soient, dans certaines circonstances, plus élevés pour les fabricants étrangers (à l'exception toutefois des fabricants allemands) que pour les
fabricants français. Le système allemand entraînerait, du reste, des coûts comparables dans la pratique. En outre, les coûts du contrôle préalable seraient compensés par l'avantage de la garantie quasi absolue de la conformité des machines concernées.
En ce qui concerne le moyen e) (facteurs susceptibles d'accroître les délais de contrôle et les coûts), le gouvernement français observe ce qui suit dans son mémoire en défense.
La décision de l'administration quant au caractère complet du dossier n'aurait aucun caractère discrétionnaire, étant donné que la composition du dossier est réglée par arrêté ministériel (du 30 octobre 1981 pour les visas et du 12 mars 1982 pour les homologations). L'autorisation de mise sur le marché (délivrée par homologation ou visa) vaudrait pour un type déterminé de machine, c'est-à-dire pour tous les exemplaires du même modèle.
Contrairement à ce que la Commission affirme, les services chargés des contrôles regrouperaient effectivement certaines catégories de machines de même type dans certaines « familles ». Or, un tel regroupement serait impossible pour les machines dont les dimensions et les systèmes de protection sont différents.
Enfin, les machines combinées ne pourraient pas être considérées comme un simple assemblage des machines composantes. Elles présentent des risques spécifiques et certains éléments de la protection doivent être considérés de manière globale. Dans ce cas, le fabricant a intérêt à soumettre au contrôle la combinaison la plus complète de machines.
En conclusion, le gouvernement français prétend que l'exigence d'un contrôle préalable des machines à travailler le bois est justifiée en raison du caractère dangereux de ces machines, que les mesures adoptées sont appropriées à l'objectif poursuivi, que les effets restrictifs qui en résultent ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour garantir la sécurité des utilisateurs, que les mesures en question sont appliquées d'une manière non discriminatoire tant aux produits nationaux qu'aux produits
importés et que la requête de la Commission doit dès lors être rejetée, la Commission étant condamnée aux dépens.
1.5. Le déroulement ultérieur de la procédure
Pour des raisons qui n'ont pas été totalement éclaircies au cours de la procédure, le mémoire en défense du gouvernement français est parvenu trop tard chez l'agent de la Commission pour que celui-ci puisse encore déposer un mémoire en réplique. Il n'y a dès lors pas eu non plus de mémoire en duplique. En revanche, les réponses écrites des parties à certaines questions de la Cour ont encore fourni un certain nombre de précisions utiles concernant l'effet des mesures françaises et de la
réglementation existant dans les autres États membres et l'effet des frais de contrôle dans les différents États membres. Nous reviendrons encore en détail, en tant que de besoin, sur ces différents points lors de notre appréciation de l'affaire.
Au cours de la procédure orale, la Commission a admis que l'essentiel de la présente affaire résidait dans le principe précité de la réglementation française, à savoir que les objectifs de sécurité doivent être intégrés dans le projet des machines concernées. Contrairement à certains autres États membres, le législateur français part de l'idée que le travailleur doit être protégé contre lui-même et que la protection offerte par la machine doit donc avoir, dans toute la mesure du possible, un
caractère automatique. D'autres États membres, notamment la République fédérale d'Allemagne, partent du principe que le travailleur doit recevoir une formation professionnelle approfondie et continue en ce qui concerne l'utilisation des machines, de sorte qu'il pourra aussi agir correctement si une panne, toujours possible, survient dans le fonctionnement correct de la machine. La question juridique que la Commission a déduit de cet état de choses était de savoir s'il ne fallait pas exiger des États
membres d'une communauté qu'ils modifient leur réglementation ou l'application de celle-ci aux produits importés de telle sorte que les principes existant dans d'autres Etats membres soient pris en considération lorsqu'il est établi statistiquement que la réglementation, basée sur ces principes différents, n'entraîne pas un nombre plus élevé d'accidents.
Du reste, une partie importante des plaintes parvenues à la Commission concernerait en particulier les coûts élevés résultant de la nouvelle procédure de contrôle des machines elles-mêmes.
Il résulterait des réponses du gouvernement français aux questions de la Cour que, sur trois types d'éléments protecteurs de certaines machines autorisées dans d'autres États membres, un seul seulement serait admis en France. En outre, dans son mémoire en défense, le gouvernement français aurait cité de manière incomplète l'arrêt dans l'affaire De Peijper.
La Commission a pris acte avec satisfaction de ce que, ainsi qu'il ressort de la réponse du gouvernement français à des questions de la Cour, l'administration française a effectivement tenu compte aussi des visas ou homologations accordés par les autorités d'autres États membres. En vertu des articles R 233-54 et R 233-57 du code du travail, ce fait pourrait même aboutir, dans certains cas, à ce que des produits soient admis sur le marché français sans qu'ils remplissent toutes les conditions
techniques prescrites.
Dans son mémoire en défense, le gouvernement français aurait expressément confirmé la position privilégiée des machines entièrement automatisées dans la mesure où il a affirmé que de telles machines ne sont pas soumises au contrôle préalable. Selon la Commission, les coûts du contrôle seraient beaucoup trop élevés, en particulier pour les fabricants étrangers, lorsque la machine en question est difficile à transporter en raison de son poids et de son volume, de sorte que le contrôle doit
inévitablement se faire sur place, ce qui entraîne des frais de déplacement pour l'ingénieur chargé du contrôle. Ces coûts grèveraient plus lourdement les fabricants étrangers, non seulement parce qu'ils sont soumis à des frais de déplacement plus élevés en raison des distances plus grandes, mais aussi parce que les fabricants français sont toujours soumis au contrôle préalable, quel que soit le pays où la machine a été vendue. Étant donné que les fabricants étrangers ne sont soumis aux
prescriptions en matière de contrôle que pour leurs ventes relativement faibles sur le marché français, les coûts de ces contrôles grèveraient d'une manière relativement plus lourde les exportations en question. Ni dans sa réponse écrite à une question de la Cour ni à l'audience, la Commission n'a fourni de comparaison chiffrée des coûts occasionnés par les contrôles dans les quatre autres États membres qui facturent ces coûts aux demandeurs. En ce qui concerne le moyen relatif aux retards et aux
délais trop courts, la Commission n'a pas été à même de communiquer des données susceptibles de réfuter le mémoire en défense du gouvernement français à cet égard en raison du manque de collaboration des plaignants.
Nous nous abstiendrons, pour les raisons que nous préciserons encore lors de l'appréciation de la présente affaire, de résumer les discussions qui ont eu lieu à l'audience en ce qui concerne les nouveaux aspects techniques de l'affaire et qui ont encore été complétées après l'audience par les observations écrites y relatives du gouvernement français dans une lettre du 18 juillet 1985.
En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de l'administration française d'apprécier le caractère complet d'un dossier, sur lequel la Commission a fourni des précisions, le gouvernement français a observé à l'audience qu'il résulte du texte du décret en cause que c'est principalement dans son intérêt que le demandeur est mis en mesure de fournir plus de données que les données minimales prescrites. Toutefois, il a admis que les services de contrôle pouvaient aussi tirer un avantage de cette
possibilité pour inviter le demandeur à fournir des données complémentaires.
2. Appréciation de l'affaire
2.1. Remarques procédurales
Selon nous, le fait que la Commission n'a pas instruit de manière satisfaisante la présente affaire, techniquement très complexe, est essentiellement imputable au gouvernement français. Bien que celui-ci ne pût ignorer et ait du reste admis, au cours de la procédure devant la Cour, que la nouvelle réglementation imposait des charges administratives et financières nettement plus lourdes pour les fabricants et les importateurs, et ainsi qu'il ressort de notre résumé de l'affaire, il n'a pas collaboré
de manière satisfaisante au cours des phases administratives habituelles d'une procédure au titre de l'article 169 pour créer, au cours de ces phases, les conditions d'un dialogue avec la Commission et, si possible, d'un règlement extrajudiciaire du litige. Un tel manque de collaboration de la part d'un État membre nous paraît contraire à l'économie de l'article 169. En outre, il est évident que le fait que la Commission doive de ce fait clôturer l'instruction d'une affaire au stade de la procédure
devant la Cour est aussi très contraignant pour la Cour. Selon nous, ce manque de collaboration devra dès lors être pris en considération lors du règlement des dépens.
Il est même probable que, si la Commission l'avait demandé, nous aurions conclu qu'en ne consultant pas la Commission avant l'adoption de la réglementation plus contraignante, le gouvernement français a violé l'article 5 du traité CEE, considéré conjointement avec l'article 32 de ce traité, la recommandation 65/428/CEE de la Commission, du 20 septembre 1965 (JO 160 du 20.9.1965, p. 2611), et l'accord des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, du 28 mai 1969(JO
1969, C 76, p. 9), par lequel les représentants ont déjà accepté d'importantes obligations de consultation et de maintien du statu quo, cela aussi en ce qui concerne les prescriptions pour lesquelles l'article 36 peut être invoqué. La directive du 28 mars 1983 (JO 1983, L 108), qui a le même objet, n'intéresse évidemment pas encore la présente affaire, mais elle pourra, à l'avenir, prévenir de telles procédures.
2.2. Appréciation du recours sur lefond
L'applicabilité de l'article 30 n'est pas contestée en l'espèce. La discussion entre les parties s'est dès lors concentrée à juste titre sur l'appréciation de la réglementation litigieuse au regard de l'article 36 du traité. A cet égard, la Commission a indiqué avec raison à l'audience que l'arrêt dans l'affaire De Peijper, dont le gouvernement français invoque l'attendu 15 à l'appui de son point de vue, dit aussi, dans son attendu 17, « qu'une réglementation ou pratique nationale ne bénéficie donc
pas de la dérogation de l'article 36 lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires ». Il ne nous paraît pas exclu qu'après une consultation de la Commission et des autorités d'autres États membres, et tout en maintenant leurs conceptions de base, les autorités françaises auraient trouvé des solutions partiellement différentes, qui auraient tenu plus largement compte des difficultés
spécifiques des importateurs d'autres États membres. Tant l'article 5 du traité CEE que la recommandation précitée de la Commission de 1965, la décision précitée des représentants des États membres du 28 mai 1969 et la directive précitée de 1983 sont manifestement fondés sur la prémisse qu'une procédure de consultation correcte a un tel effet.
Toutefois, nous pensons que le premier moyen de la Commission devra être rejeté. Dans l'état actuel du droit communautaire, on ne saurait raisonnablement exiger d'un État membre qui part du principe que les travailleurs doivent aussi être protégés contre leur propre imprudence qu'il admette aussi sur son marché national des machines dangereuses fabriquées conformément à la réglementation d'un État membre qui part du principe que le travailleur a reçu une formation professionnelle suffisante pour le
rendre attentif aux dangers de telles machines. On ne saurait pas non plus déduire une autre conclusion des statistiques sur les accidents qui feraient apparaître, par exemple, que les accidents ne sont pas plus nombreux en République fédérale qu'en France. De telles statistiques ne peuvent notamment pas rendre admissible l'idée que l'application de la réglementation allemande (qui part du principe que les travailleurs doivent recevoir une formation correcte) en France (qui part précisément d'un
autre principe) pourrait avoir les mêmes effets favorables. Si l'application du principe de base allemand aboutissait à des effets plus favorables, cela pourrait tout au plus conduire le législateur communautaire à envisager l'adoption (après une période de transition raisonnable) du principe de base allemand dans l'ensemble de la Communauté.
Selon nous, le deuxième moyen de la Commission devra également être rejeté, étant donné que la Commission n'a pas pu démontrer, par des exemples concrets, que les délais contestés ont entraîné autre chose que des problèmes transitoires (qui sont pratiquement inévitables).
Nous pensons que le troisième moyen de la Commission, dont le gouvernement français a du reste contesté l'exactitude, est tellement basé sur le principe qui sert de fondement au premier moyen, que nous avons déjà jugé non pertinent, que, dans l'état actuel des connaissances des mérites techniques de la réglementation française, il devra également être rejeté.
Le quatrième moyen de la Commission n'est pas étayé par des données chiffrées relatives aux coûts de contrôle facturés dans d'autres États membres dans des cas comparables. Dans ces conditions et puisque la Commission n'a pas soutenu que les tarifs (qui sont aussi appliqués à l'égard des fabricants français) dépassent ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts, nous estimons que ce moyen devra être rejeté lui aussi. Selon nous, seul le législateur communautaire pourra régler de manière
satisfaisante le problème des effets restrictifs des échanges, qui est incontestablement lié à cette charge des coûts, pour les fabricants éloignés de machines qui, pour des raisons pratiques, ne peuvent être examinées que sur le lieu de fabrication. A cet égard, on pourrait aussi envisager de reprendre la réglementation applicable aux produits agricoles et qui permet d'effectuer le contrôle dans le pays d'exportation sur la base des critères applicables dans le pays d'importation. Dans votre
jurisprudence, nous n'avons pu trouver aucun fondement pour un autre point de vue et, à cet égard, nous pensons notamment à l'attendu 18 de votre arrêt précité dans l'affaire De Peijper. A l'instar de l'organisation professionnelle française citée par la Commission, nous estimons qu'il est en soi contraire aux buts d'un marché commun de régler les coûts de telle sorte que, dans un marché commun de dix et bientôt douze États membres, ces coûts puissent être multipliés par dix ou douze pour les
fabricants souhaitant vendre dans tout le marché commun. Or, à notre avis et comme nous l'avons déjà observé, la Cour ne peut apporter tout au plus qu'une solution partielle à ce problème, et cela sur la base de données comparatives émanant de tous les États membres, lesquelles données n'ont pas été communiquées en l'espèce.
Nous estimons que le cinquième moyen de la Commission est de nouveau tellement lié au principe qui sert de fondement à son premier moyen, jugé non pertinent, qu'il doit, lui aussi, être rejeté.
Nos constatations n'excluent évidemment pas que, dans des cas d'espèce déterminés, la Cour pourrait conclure, dans une procédure préjudicielle, à la violation du droit communautaire.
2.3. Le règlement des dépens
Bien que, sur la base de notre appréciation des moyens invoqués par la Commission, nous devions conclure au rejet du recours, nous estimons que la France devra être condamnée aux dépens de l'instance en vertu de l'article 69, paragraphe 3, alinéa 2, du règlement de procédure. Par son manque de collaboration dans la phase administrative de la procédure, le gouvernement français a assurément empêché un règlement extrajudiciaire du litige et, ce faisant, exposé la Commission à des dépens inutiles.
Cette négligence du gouvernement français nous paraît d'autant plus grave qu'en raison de la complexité technique de la réglementation litigieuse, il était plus facile pour des experts agissant en concertation d'examiner, au cours d'une première phase, le renforcement sensible des restrictions des échanges commerciaux, qui résultait incontestablement de ladite nouvelle réglementation et, si possible, de le réduire, que cela ne l'est pour la Cour.
3. Conclusion
En conclusion, nous vous proposons:
3.1. de rejeter le recours de la Commission,
3.2. de condamner la République française aux dépens.
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( *1 ) Traduit du néerlandais.