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26/09/1985 | CJUE | N°223/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 26 septembre 1985., Telefunken Fernseh und Rundfunk GmbH contre Oberfinanzdirektion München., 26/09/1985, 223/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 26 septembre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par ordonnance du 10 juillet 1984, le Bundesfinanzhof vous a posé les questions préjudicielles suivantes:

...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 26 septembre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par ordonnance du 10 juillet 1984, le Bundesfinanzhof vous a posé les questions préjudicielles suivantes:

« 1) Le tarif douanier commun doit-il être interprété en ce sens qu'un appareil qualifié de minuterie (timer-tuner), se composant d'une unité de réception de télévision en couleur à mémorisation de douze programmes et d'une minuterie pour mémoriser la mise en marche et l'arrêt de l'appareil jusqu'à dix jours à l'avance, qui doit être relié à un magnétoscope (à cassettes) d'un type de construction particulier pour rendre visibles les émissions reçues doit être classé sous la position tarifaire
92.13 D du tarif douanier commun?

2) En cas de réponse négative à la question posée sous 1):

Sous quelle autre sous-position tarifaire du tarif douanier commun l'appareil doit-il être classé? »

Précisons tout d'abord exactement les caractéristiques de l'appareil en cause, et par ailleurs les différents classements possibles tels qu'ils ont été évoqués en cours de procédure.

2.  L'appareil, qualifié de minuterie — Timer/Tuner T 50 (ci-après T 50) — est fabriqué au Japon, d'où la société Telefunken Fernseh und Rundfunk GmbH (ci-après la société Telefunken) a voulu l'importer en République fédérale d'Allemagne.

D'après les explications techniques données, il apparaît qu'il est destiné à compléter exclusivement un magnétoscope (à cassettes) VR 510 auquel il est relié par un câble spécial à sept pôles, construit par le même fabricant, à l'exclusion de tout autre modèle de magnétoscope. Il paraît avoir plusieurs fonctions:

— assurer l'alimentation en courant du magnétoscope,

— programmer un enregistrement, jusqu'à dix jours à l'avance,

— recevoir les signaux d'émissions de télévision et les diriger vers le magnétoscope. C'est la fonction du tuner qui comporte une « mémorisation » de douze programmes permettant de sélectionner, en vue de l'enregistrement sur magnétoscope, un des douze programmes possibles. Les signaux couleurs ainsi captés et retransmis au magnétoscope nécessiteront encore une amplification et un décodage qui seront effectués par l'appareil de télévision. La particularité technique essentielle paraît toutefois
être que l'enregistrement d'une émission de télévision est possible alors que, dans le même temps et à partir de la même antenne, un autre programme peut être suivi directement sur le récepteur de télévision.

3.  Lors de l'importation du Timer/Tuner T 50, la société Telefunkeri a sollicité de l'Oberfinanzdirektion un avis officiel de classement tarifaire, lequel a été délivré le 14 avril 1982. L'administration allemande des douanes a classé l'appareil sous la sous-position tarifaire 85.15 A III b 2 du TDC, correspondant aux « appareils récepteurs, même combinés avec un appareil d'enregistrement ou de reproduction du son ». Un tel classement implique des droits autonomes au taux de 22 % ou conventionnels
au taux de 14 %.

Ce classement a été opéré en application de la règle générale A 3 b) pour l'interprétation du TDC. Cette règle s'énonce comme suit:

« 3) Lorsque des marchandises paraissent devoir être classées sous deux ou plusieurs positions ... la classification s'opère comme suit:

a) ...

b) les produits mélangés, les ouvrages composés de matières différentes ou constitués par l'assemblage d'articles différents et les marchandises présentées en assortiments, dont la classification ne peut être effectuée en application de la règle 3 a), doivent être classés d'après la matière ou l'article qui leur confère leur caractère essentiel lorsqu'il est possible d'opérer cette détermination... »

Rappelons que, selon la règle 3 a),

« la position la plus spécifique doit avoir la priorité sur les positions d'une portée plus générale ».

Le juge de renvoi a précisé que l'appareil de télévision en couleur a été considéré comme l'article conférant le caractère essentiel dont fait état la règle 3 b).

La société Telefunken conteste cet avis en soutenant que le T 50, à lui seul, ne peut remplir aucune fonction propre et ne saurait donc être considéré comme un appareil de réception pour la télévision. Notamment, il ne permettrait pas la reproduction immédiate des signaux captés et, dès lors, il ne pourrait être assimilé à un récepteur. Elle soutient que l'appareil T 50 devrait être classé dans la sous-position tarifaire 92.13 D du TDC ainsi libellée:

«92.13) autres parties, pièces détachées et accessoires des appareils repris au no 92.11.
...  
D.autres ».

L'appareil T 50 devrait, selon elle, être considéré comme une pièce détachée d'un « appareil d'enregistrement ou de reproduction des images et du son en télévision », repris sous la sous-position 92.11 B du TDC. Ce classement entraînerait l'application de droits de douane autonomes au taux de 18 % ou conventionnels au taux de 9 %.

La société Telefunken souligne que l'appareil T 50 n'a pas pour fonction la reproduction d'images, mais la transmission aux fins d'enregistrement de signaux au magnétoscope VR 510. Selon elle, il faut procéder à une distinction du point de vue technique entre le marché de la radiodiffusion et celui de la télévision. Alors qu'un appareil de réception (tuner) pour la radiodiffusion est un module indépendant qui peut être relié à des amplificateurs et haut-parleurs de toutes marques, ce qui permet
leur classement tarifaire en tant que marchandises indépendantes, les appareils de réception (tuner) pour la télévision seraient obligatoirement incorporés aux appareils complets permettant de recevoir les images et ne pourraient donc être commercialisés en tant que' marchandises indépendantes.

Le niveau de développement de la technique du magnétoscope se situerait entre celui de la télévision et celui de la radiodiffusion: alors qu'à l'origine le magnétoscope aurait été fabriqué avec tuner incorporé (« vidéocompact ») comme pour les appareils de télévision, la demande de la clientèle aurait amené à fabriquer deux modules, tunertimer, d'une part, magnétoscope à cassettes, d'autre part. Ce découplage ne permet cependant pas l'usage de l'appareil T 50 avec un magnétoscope autre que le VR
510. Ces considérations impliqueraient en conséquence de qualifier l'appareil T 50 comme un accessoire du magnétoscope à cassettes, ce qui permettrait de le classer sous la sous-position 92.13 D du TDC.

Subsidiairement, la société Telefunken estime que l'on pourrait retenir le classement, sous la sous-position 92.11 B du TDC, du timer-tuner, considéré comme partie nécessaire du magnétoscope, mais présenté en module isolé pour de simples raisons liées à la demande, et qui devrait être considéré comme une partie à monter du VR 510. Elle se fonde, à cet égard, sur la règle générale A 2 a) pour l'interprétation de la nomenclature du TDC, selon laquelle:

« 2 a) Toute référence à un article dans une position déterminée du tarif couvre cet article même incomplet ou non fini à la condition qu'il présente, en l'état, les caractéristiques essentielles de l'article complet ou fini [et] couvre également l'article complet ou fini, ou à considérer comme tel en vertu des dispositions qui précèdent, lorsqu'il est présenté à l'état démonté ou non monté. »

Un tel classement donnerait lieu à des droits de douane autonomes de 13 % et conventionnels de 8 %.

4.  Dans ses observations, la Commission a estimé que serait exclu le classement du T 50 comme « pièce détachée ou accessoire » au sens de la sous-position 92.13 D du TDC: la fonction essentielle qu'il assure étant de recevoir des émissions de télévision, il conviendrait de le classer dans la sous-position tarifaire 85.15 A III b) 2, comme l'avait fait l'Oberfinanzdirektion dans son avis officiel.

Elle s'est référée à la note 1, sous c), du chapitre 92, en vertu de laquelle

« Le chapitre 92 ne comprend pas:

...

c) les microphones, amplificateurs, haut-parleurs, écouteurs, interrupteurs, stroboscopes et autres instruments, appareils et équipements accessoires utilisés avec les articles du présent chapitre, mais non incorporés à ceux-ci, ni logés dans le même coffret (chapitre 85 ou 90); les appareils d'enregistrement ou de reproduction du son combinés avec un appareil de réception par la radiodiffusion ou la télévision (no 85.15) »,

et a rappelé que toute interprétation tarifaire est basée sur le principe que chaque marchandise ou appareil doit être classé en fonction de sa nature ou de ses caractéristiques propres.

Pour la Commission qui cite les notes explicatives de la nomenclature de Bruxelles, le T 50 se présente sous la forme d'un appareil indépendant, réunissant incontestablement, affirme-t-elle, tous les caractères et toutes les fonctions propres à un appareil de réception pour la télévision. Peu importerait que les signaux qu'il capte ne permettent pas la visualisation immédiate des émissions reçues. En effet, comme l'a indiqué le juge de renvoi dans son ordonnance, des appareils radiophoniques
sans haut-parleurs incorporés seraient, dans la pratique tarifaire constante, considérés comme des appareils de réception du son (position tarifaire 85.15), même s'ils ne peuvent le reproduire immédiatement.

5.  Il importe, pour aboutir à un classement tarifaire, de se déterminer en fonction soit des caractéristiques essentielles du tunertimer soit de sa nature par rapport à un magnétoscope avec lequel il constituerait une « unité fonctionnelle ».

Il ressort effectivement de la note 1, sous c), du chapitre 92 précitée que, lorsqu'un appareil est présenté de façon indépendante, non incorporé à un article du chapitre 92 ou logé dans un même coffret (au sens de boîtier et non d'emballage), il y a lieu de le classer en fonction de sa nature particulière, selon son régime propre de classement tarifaire.

A la différence cependant des appareils — tels que microphones, amplificateurs, etc. — cités dans la note 1, sous c), le timer-tuner ne figure pas dans l'énumération du TDC. Il n'a pas de régime tarifaire propre.

Il importe dès lors de déterminer tout d'abord s'il peut être assimilé à une catégorie d'appareils figurant dans le TDC.

Si l'on envisage celle des « appareils de réception pour la télévision » (position 85.15 du TDC), il vous revient de préciser, dans le cadre de votre pouvoir d'interprétation, ce qu'est un récepteur de télévision au sens du TDC. Nous estimons que doit être considéré comme tel un appareil qui est non seulement capable de capter un signal, mais aussi de le transformer de telle façon qu'il puisse être reproduit en image. Une définition technique ou juridique ne correspond pas forcément à celle
admise par le public, mais leur concordance n'en reste pas moins toujours souhaitable. Il est bien certain, comme l'a souligné la société Telefunken, que l'« homme de la rue » ne concevra pas qu'un récepteur de télévision puisse être autre chose qu'un appareil muni d'un tube à rayon cathodique, permettant de voir une image. Or, et cela n'a pas été contesté, non seulement le timer-tuner ne comporte pas ce tube, mais de plus il ne peut amplifier ni démoduler les signaux couleurs qu'il capte et
canalise vers un magnétoscope. Si nous avons bien compris les explications données à l'audience, ces opérations et la production d'une grille-image seront assurées par le téléviseur lorsque le magnétoscope lui retransmettra ultérieurement les signaux enregistrés.

La Commission a fait état de la distinction établie dans la nomenclature fondée sur le TDC, pour les statistiques du commerce extérieur de la Communauté et du commerce entre États membres (Nimexe), entre les « appareils de télévision avec tubeimage incorporé » et les « autres appareils de télévision ». Ceci ne permet pas d'en tirer la conclusion que les « autres appareils » ne comportent pas un moyen de reproduction de l'image et du son, tel un grand écran sur lequel est projetée l'image (cas
envisagé par une fiche de classement du 7 mars 1975 de la Commission, également évoquée par celle-ci). Aucun exemple de récepteur de télévision sans moyen de reproduction de l'image n'a été donné, qui soit de nature à modifier cette thèse.

Enfin, pour répondre au dernier argument de la Commission, il nous paraît que la société Telefunken est fondée à soutenir qu'une comparaison entre un appareil de réception pour la radiodiffusion et un appareil de réception pour la télévision n'est guère pertinente, s'agissant de techniques différentes. Le signal acoustique, en matière de radiodiffusion, ne nécessite, après avoir été capté, qu'une amplification pour devenir son par le canal des haut-parleurs. Par contre, le signal capté, en
matière télévisuelle couleur, est incomplet en ce sens qu'il dépend de normes et qu'il implique une « démodulation » préalable ainsi qu'un ordonnancement sous forme de grille pour obtenir une image. Actuellement, alors qu'un « tuner » pour la radio, même non accompagné de haut-parleurs, peut à notre sens être considéré comme un récepteur au sens complet, puisqu'il peut « travailler » complètement le signal capté, la fonction totale de réception de signaux audiovisuels ne nous paraît pas, en
l'état de la technique actuelle, pouvoir être assumée par un appareil autre que celui qui non seulement capte, mais aussi amplifie, démodule et forme l'image.

Nous pensons donc que le Timer/Tuner T 50 qui se borne à capter le signal ne saurait être considéré comme ayant pour fonction essentielle la réception pour la télévision.

6.  Il ne nous semble pas non plus possible de considérer que le T 50 soit, au sens de la règle générale A 2 a), un élément du magnétoscope VR 510 avec lequel il formerait une « unité fonctionnelle ». En effet, le T 50 ne peut être utilisé isolément. Il est destiné exclusivement au magnétoscope. Par contre, ce dernier peut fonctionner de façon autonome pour, par exemple, enregistrer une émission directement à partir de l'appareil de télévision. Il peut donc être utilisé « indépendamment » et pour
des fonctions autres que celles assurées par l'ensemble qu'il forme avec le T 50, qui sont l'enregistrement d'une émission distincte de celle pouvant être reçue simultanément sur écran.

Nous estimons donc que le T 50 ne pourrait être classé sous la sous-position 92.11.B du TDC par application de la règle générale A 2 a) pour l'interprétation du TDC.

7.  En revanche et en tenant compte du fait que, contrairement aux instruments, appareils et équipements accessoires visés par la note 1, sous c), du chapitre 92 du ŢDC précitée, il n'existe pas de régime tarifaire correspondant au timer-tuner, le classement de cette marchandise nous paraît devoir être effectué sous la sous-position 92.13 D du TDC, en liaison avec la sous-position 92.11 B.

Comme nous l'avons dit, le T 50 ne peut être utilisé qu'avec le magnétoscope VR 510, mais l'inverse n'est pas vrai. S'il ne peut donc être regardé comme une partie nécessaire pour constituer le VR 510, il peut par contre être admis qu'il en soit un accessoire.

Il nous paraît important de rappeler ici une information, donnée à l'audience par la société Telefunken: il existe aussi des magnétoscopes vidéocompacts dans lesquels est -incorporé un vidéotuner. Dans ce cas, et la Commission ne l'a pas contesté, l'ensemble est classé au chapitre 92, en tant que magnétoscope. Dès lors, en l'état, en l'absence de toute autre position tarifaire spécifique et en raisonnant par analogie avec le cas de l'appareil compact précité, il nous paraît possible de dire que
le Timer/Tuner T 50, exclusivement destiné au VR 510 et n'ayant pas sans lui de fonction propre, doit être considéré comme un accessoire d'un magnétoscope c'est-à-dire d'un « appareil repris au no 92.11 » au sens de la sous-position tarifaire 92.13 D.

La réponse proposée à la première question préjudicielle étant affirmative, il n'y a pas lieu, à notre avis, de répondre à la seconde, laquelle au surplus appellerait de la part de votre Cour un classement tarifaire pur et simple, ressortissant à la compétence du juge national.

8.  En conséquence, nous vous proposons de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par le Bundesfinanzhof:

Un appareil qualifié de minuterie (timer-tuner) se composant d'une unité de réception de télévision en couleur à mémorisation de douze programmes et d'une minuterie pour mémoriser la mise en marche et l'arrêt de l'appareil jusqu'à dix jours à l'avance, qui doit être relié à un magnétoscope (à cassettes) d'un type de construction particulier pour restituer les émissions reçues, peut être considéré comme pièce détachée ou accessoire au sens de la position 92.13 du tarif douanier commun.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 223/84
Date de la décision : 26/09/1985
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne.

Classement tarifaire - Timer-tuner.

Libre circulation des marchandises

Tarif douanier commun

Union douanière


Parties
Demandeurs : Telefunken Fernseh und Rundfunk GmbH
Défendeurs : Oberfinanzdirektion München.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Bahlmann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:376

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