La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/1985 | CJUE | N°281/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 12 juin 1985., Commission des Communautés européennes contre République italienne., 12/06/1985, 281/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 12 juin 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par arrêt du 9 décembre 1981 (affaire 193/80, Commission/République italienne, Rec. p. 3019), vous avez jugé que,


...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 12 juin 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par arrêt du 9 décembre 1981 (affaire 193/80, Commission/République italienne, Rec. p. 3019), vous avez jugé que,

« en interdisant la commercialisation et l'importation des vinaigres d'origine agricole autres que ceux provenant de la fermentation acétique du vin et en réservant la dénomination ‘vinaigre’ au vinaigre de vin, la République italienne a manqué aux obligalions qui lui incombent en vertu des articles 30 et suivants du traité CEE ».

Ainsi étaient déclarés non conformes au droit communautaire la loi italienne no 991 du 9 octobre 1964 et le décret no 162 du président de la République du 12 février 1965, en ce qu'ils interdisaient la commercialisation et la vente de tous produits contenant de l'acide acétique ne provenant pas de la fermentation acétique du vin ou de la piquette, le décret précité réservant en particulier la dénomination « vinaigre » aux produits obtenus par cette fermentation.

2.  A la suite de cet arrêt, la loi italienne no 527 du 2 août 1982 (GURI no 221, du 12.8.1982, p. 5735), sous l'intitulé «Règles relatives à la production et à la commercialisation des aigres » (agri), a autorisé par son article 1er l'importation et la commercialisation, « sous la dénomination ‘aigre de...’ suivie de l'indication de la matière première dont il provient », du « produit, provenant de la fermentation acétique de liquides alcoolisés d'origine agricole propres à la consommation
alimentaire... ».

Cependant, aux termes de l'alinéa 3 du même article, « la dénomination ‘vinaigre’ (aceto) ou ‘vinaigre de vin’ (aceto di vino) ... doit être accompagnée de la dénomination ‘aigre de vin’ (agro di vino). Pour l'aigre de vin, il est obligatoire d'utiliser conjointement le terme ‘vinaigre’ (aceto) ».

En d'autres termes, un vinaigre de vin doit, selon cette législation, être dénommé « aigre de vin — vinaigre ». Tout autre vinaigre d'origine agricole — de pommes, de malt, par exemple — doit être dénommé « aigre de pommes » ou « de malt » et non vinaigre. C'est ce qu'a admis la République italienne lorsque la Commission, à la suite de la promulgation de cette loi, a ouvert, conformément à l'article 169 du traité, une procédure fondée sur l'article 171.

3.  Selon la Commission, en effet, la loi italienne du 2 août 1982 est contraire à la lettre et à l'esprit de l'arrêt du 9 décembre 1981: ce texte continuerait à réserver aux seuls vinaigres de vin la dénomination « vinaigre », pour lesquels elle serait même rendue obligatoire. Ceci constituerait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité CEE.

Selon la République italienne, l'arrêt 193/80 comportait une double prescription. Il ordonnait, d'une part, de supprimer l'interdiction d'importation et de commercialisation de vinaigres autres que les vinaigres de vin, obligation à laquelle il a été satisfait par la loi du 2 août 1982. Il impliquait, d'autre part, que soit réglée la question de la dénomination de ces produits, nouveaux pour le consommateur italien. Il fallait donc informer correctement et loyalement le consommateur, qui, en
raison de la réglementation antérieure, ne connaissait que le vinaigre de vin.

La dénomination « aigre » serait une dénomination générique, appliquée à tous les vinaigres d'origine agricole (de vin, de pommes, etc.), celle de « vinaigre » étant spécifique et devant accompagner, et non remplacer, celle d'aigre de vin. Si, comme le soutient la Commission, la Cour, dans son arrêt du 9 décembre 1981, a considéré la dénomination « vinaigre » comme générique, c'est-à-dire se rapportant à la catégorie des vinaigres d'origine agricole, le genre et l'espèce se confondaient en
Italie dans le seul vinaigre de vin, commercialisé à l'exclusion de tout autre. La Cour, en reprenant le terme « vinaigre » (aceto) utilisé dans le tarif douanier commun, aurait, à défaut d'autre référence, considéré qu'il s'agissait de la dénomination générique.

Cependant, usant de son pouvoir légitime en matière de dénomination commerciale, le législateur italien, tenant compte de l'usage traditionnel en Italie du terme « vinaigre de vin » (aceto), aurait créé une nouvelle dénomination générique sous le terme de « aigre », valable pour tous les vinaigres et remplaçant celle de « vinaigre » retenue par la Cour. Ce faisant, il aurait conféré valeur spécifique au terme « vinaigre », afin d'assurer la protection du consommateur habitué à cette
dénomination. Ce souci aurait été reconnu par la Cour comme légitime, puisqu'elle a admis dans l'arrêt 193/80 que

« la préoccupation du gouvernement italien de veiller à la protection du consommateur peut être justifiée » (point 27 de l'arrêt précité),

impératif dont l'importance est soulignée par le sixième considérant de la directive du Conseil 79/112/CEE du 18 décembre 1978 (JO L 33 du 8.2.1979).

Le terme vinaigre continuerait ainsi à avoir valeur de dénomination commerciale pour rendre reconnaissable dans les termes du langage commun un produit auquel le consommateur italien est traditionnellement habitué. La différence existant entre cette nouvelle appellation générique et la dénomination douanière ne saurait suffire à rendre la première incompatible avec les règles communautaires.

La Commission a répliqué que la Cour avait déjà rejeté cet argument en déclarant que la dénomination générique « vinaigre » avait été attribuée à toutes les variétés de ce produit dérivant de la fermentation acétique de matières premières agricoles et que la protection du consommateur pouvait être assurée par l'apposition d'un étiquetage adéquat « concernant la nature du produit vendu » et permettant de spécifier « le type de vinaigre proposé à la vente » (point 27 de l'arrêt 193/80 précité). La
loi no 527 aurait pour effet, par la nouvelle dénomination générique « aigres », inconnue du consommateur italien, de provoquer la confusion des esprits, et pour but de continuer à tout prix à réserver la dénomination vinaigre au vinaigre de vin. Enfin, quels qu'en soient les termes, la directive 79/112 ne saurait être interprétée de manière à justifier des situations contraires aux règles du traité, notamment de l'article 30.

4.  Vous savez que le gouvernement italien avait déposé un projet de loi, qui, s'il avait été adopté, aurait sans doute mis fin au manquement reproché. Ce projet n'a pas encore été examiné par le Parlement.

5.  Les recours en manquement fondés sur l'article 171 du traité sont l'exception. A notre connaissance celui-ci est le troisième.

En vertu de l'article 171, un État membre dont la Cour a constaté un manquement à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt rendu.

La Commission vous demande de

« constater que, en persistant à réserver la dénomination ‘vinaigre’ au seul vinaigre de vin, bien que la Cour de justice ait jugé cette réserve incompatible avec l'article 30 du traité CEE dans l'arrêt qu'elle a rendu le 9 décembre 1981 dans l'affaire 193/80, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 171 du traité ».

Précisons-le d'emblée: nous conclurons dans le sens demandé par la Commission.

En effet, vous avez déjà relevé que le vinaigre de vin est une « production nationale typique » en Italie (point 20 de l'arrêt 193/80). Vous avez donc déjà pris en considération la spécificité du marché italien telle que décrite par la République italienne, à savoir que seul y était connu et commercialisé le vinaigre de vin en raison, notamment, de la législation restrictive antérieure.

Vous avez certes rappelé que:

« En l'absence de réglementation commune de la commercialisation d'un produit, il appartient aux États membres, chacun sur son territoire, de régler tout ce qui concerne la commercialisation dudit produit, et que les obstacles à la circulation intracommunautaire qui en résultent doivent être acceptés » (point 21 de l'arrêt précité).

Mais vous avez aussitôt souligné que ces prescriptions doivent être nécessaires et jugé qu'aucune exigence imperative telle que protection de la santé publique, défense des consommateurs ou loyauté des transactions commerciales ne permettait de considérer la réglementation italienne relative aux vinaigres agricoles comme nécessaire. Vous avez pris en considération le fait que les consommateurs italiens ont pu s'être habitués à l'utilisation commerciale du terme « aceto » pour les seuls vinaigres
de vin, argument qu'utilise à nouveau la République italienne dans la présente affaire, mais, tout en admettant qu'il y avait lieu pour le gouvernement italien de veiller à la protection du consommateur, vous avez sans aucune ambiguïté indiqué (point 27) que suffisait à cette fin « l'apposition obligatoire d'un étiquetage adéquat concernant la nature du produit vendu, comportant les qualificatifs ou compléments spécifiant le type de vinaigre proposé à la vente, à la condition que cette
prescription s'applique à tous les vinaigres, y compris les vinaigres de vin» (c'est nous qui soulignons).

Vous avez fourni cette indication après avoir affirmé (point 26) que

« le terme vinaigre est une qualification générique »

et qu'il serait

« incompatible ... en particulier avec le principe fondamental de la libre circulation de marchandises, qu'une législation nationale puisse réserver un terme générique à une seule variété nationale au détriment des autres variétés produites, notamment, dans d'autres États membres ».

Vous admettiez donc la différenciation par indication de la matière première employée pour la fabrication du vinaigre, et non par la qualification de ce produit lors de sa commercialisation.

Peut-on considérer qu'en substituant le mot « agro » au mot « aceto » en tant que dénomination générique, la République italienne n'a opéré qu'une modification terminologique banale s'insérant dans le cadre de votre décision?

Nous ne le croyons pas. Point n'est besoin à cet égard de se livrer à de longs développements sémantiques. Disons simplement que, dès lors qu'il est conservé pour désigner le vinaigre de vin, le mot « aceto » va, en raison de la « tradition plusieurs fois séculaire » invoquée par le gouvernement italien dans la précédente procédure, continuer à avoir en fait, dans l'esprit du consommateur, la portée générique que la nouvelle loi italienne entend conférer au mot « agro ». Par conséquent, le fait
de réserver, sous une forme obligatoire, la désignation « aceto » au seul vinaigre de vin perpétuera sur ce point la situation que vous avez censurée par votre arrêt du 9 décembre 1981.

Tel n'est pas le résultat que, par application de l'article 171 du traité, on était en droit d'attendre à la suite de cette décision, qui tend à préserver le caractère global inhérent à toute qualification générique.

La protection du consommateur pouvant être assurée par d'autres méthodes, notamment par celles que vous avez pris soin d'énoncer, nous ne pouvons vous recommander de faire vôtre la position soutenue par la République italienne.

6.  En conséquence, nous concluons à ce que:

— vous constatiez qu'en réservant, par la loi no 527 du 2 août 1982 la dénomination « vinaigre » (aceto) au seul vinaigre de vin, alors que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé cette limitation incompatible avec l'article 30 du traité CEE dans son arrêt rendu le 9 décembre 1981 dans l'affaire 193/80 (Rec. p. 3019), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 171 du traité CEE;

— vous condamniez la République italienne aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 281/83
Date de la décision : 12/06/1985
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Mesures d'effet équivalent - Vinaigre.

Mesures d'effet équivalent

Agriculture et Pêche

Restrictions quantitatives

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:256

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award