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15/05/1985 | CJUE | N°141/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 15 mai 1985., Henri de Compte contre Parlement européen., 15/05/1985, 141/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT

présentées le 15 mai 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Les faits et le déroulement de la procédure

1.1.

Nous ne croyons pas possible d'exposer les points essentiels du volumineux dossier de l'affaire de Compte plus succinctement que ne le fait le rapport d'audience. Par conséquent, nous commencerons nos conclusions dans la présente affaire en reprenant à notre compte l'exposé des faits et de la procédure contenu dans le rapp

ort d'audience, auquel nous pouvons en effet souscrire entièrement.

1.2. Les faits

Le 14 janvie...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT

présentées le 15 mai 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Les faits et le déroulement de la procédure

1.1.

Nous ne croyons pas possible d'exposer les points essentiels du volumineux dossier de l'affaire de Compte plus succinctement que ne le fait le rapport d'audience. Par conséquent, nous commencerons nos conclusions dans la présente affaire en reprenant à notre compte l'exposé des faits et de la procédure contenu dans le rapport d'audience, auquel nous pouvons en effet souscrire entièrement.

1.2. Les faits

Le 14 janvier 1983, le président du Parlement européen a informé M. de Compte, alors fonctionnaire de grade A3 exerçant les fonctions de comptable au Parlement européen, de l'existence de certains faits susceptibles de donner lieu à l'ouverture d'une procédure disciplinaire à son encontre.

Le 28 janvier 1983, il a été procédé à l'audition préalable de l'intéressé, conformément à l'article 87 du statut, par le directeur général de l'administration, du personnel et des finances du Parlement européen.

Le 13 avril 1983, le président du Parlement a saisi, conformément à l'article 87, paragraphe 2, du statut, le président du conseil de discipline d'un rapport sur les griefs formulés à l'encontre de M. de Compte, chef de division exerçant les fonctions de comptable au Parlement.

Le conseil de discipline s'est réuni à plusieurs reprises au cours d'une période allant du 2 juin 1983 au 10 février 1984.

A cette dernière date, il a proposé, par trois voix contre deux, d'infliger à M. de Compte la sanction du blâme, les deux membres du conseil disciplinaire hostiles à une telle sanction se prononçant pour la relaxe pure et simple du fonctionnaire incriminé.

En application de l'article 7, dernier alinéa, de l'annexe IX au statut, M. de Compte a été entendu le 8 mars 1984 par le président du Parlement européen, autorité investie du pouvoir de nomination.

Le 16 mars 1984, le président du Parlement européen décidait d'infliger à M. de Compte la sanction de la révocation, sans réduction ou suppression des droits à pension, par une décision longuement motivée.

Le 21 mars 1984, M. de Compte a saisi le président du Parlement d'une réclamation, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, dirigée contre la décision de révocation du 16 mars 1984; cette réclamation a été complétée par une réclamation complémentaire en date du 11 avril 1984.

Le 10 avril 1984, le Parlement européen a accordé à M. de Compte, à une très large majorité, le quitus pour l'exercice 1981 (exercice litigieux).

Le 24 mai 1984, le président du Parlement européen, en réponse à la réclamation et à la réclamation complémentaire dont il était saisi, a décidé de transformer la sanction de la révocation en celle de rétrogradation au grade A7, échelon 6. Cette décision est motivée par référence à la motivation invoquée à l'appui de la sanction initiale de révocation.

1.3. Le déroulement de la procédure et les conclusions des parties

a) Le 4 juin 1984, M. de Compte a introduit tout à la fois:

— une réclamation auprès du président du Parlement européen, fondée sur le fait que la simple motivation par référence à la décision initiale de révocation n'était plus appropriée, dès lors que, entretemps, le Parlement européen lui avait accordé quitus pour l'exercice litigieux et avait ainsi reconnu que sa gestion de comptable était correcte et à l'abri de toute critique;

— le présent recours tendant à l'annulation de la décision précitée du 24 mai 1984, portant rétrogradation de grade;

— un recours en référé tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cette décision jusqu'à l'intervention de l'arrêt de la Cour sur ce recours au fond.

b) Par ordonnance en date du 3 juillet 1984, le président de la troisième chambre, délégué par le président de la Cour, a ordonné le sursis à l'exécution de la décision du 24 mai 1984, jusqu'à l'intervention de l'arrêt de la Cour.

c) Par décision du 4 juillet 1984, le président du Parlement européen a rejeté la réclamation présentée le 4 juin 1984 par le requérant.

d) Le présent recours, parvenu à la Cour le 4 juin 1984, tend à ce qu'il plaise à la Cour:

«principalement:

— dire que la procédure disciplinaire poursuivie à l'encontre de M. de Compte était irrecevable en vertu de la maxime ‘non bis in idem’; et, en conséquence, annuler la décision disciplinaire;

sinon:

— dire que le conseil de discipline a commis au cours de la procédure à diverses reprises une violation manifeste des droits de la défense ainsi qu'une aussi manifeste violation des dispositions impératives de l'annexe IX au statut; partant, annuler la procédure disciplinaire ainsi que la sanction qui s'est ensuivie;

très subsidiairement et quant au fond:

— constater que l'Assemblée du Parlement européen a accordé sans réserves aucunes, en date du 10 avril 1984, le quitus au comptable de l'institution;

— constater que les griefs qui se trouvent à la base de l'acte d'accusation de l'autorité investie du pouvoir de nomination se recouvrent avec les problèmes et questions qui se trouvaient au cœur des débats amenant à la décision du quitus;

— en tout cas, dire que tel est le cas pour les deux premiers griefs de l'acte d'accusation ;

— dire qu'il n'est pas sensé de sanctionner disciplinairement un comptable pour des motifs identiques à ceux pour lesquels il a obtenu le quitus;

— dire qu'en présence du quitus du 10 avril 1984 la sanction disciplinaire de l'autorité investie du pouvoir de nomination est devenue sans base en fait et en droit;

— partant, annuler cette décision; encore plus subsidiairement:

constater que la sanction retenue est aux antipodes de l'avis du conseil de discipline;

— constater que la sanction ne tient en rien compte du quitus obtenu le 10 avril 1984;

— constater que, dans sa sanction, l'autorité investie du pouvoir de nomination n'a en rien pris en considération ce que le président du conseil de discipline appelle ‘environnement humain et fonctionnel’, qui fait la condition spécifique du comptable du Parlement européen;

— constater que l'autorité investie du pouvoir de nomination a nonobstant les énergiques contestations de la défense gratuitement retenu des griefs dont elle n'a jamais pu démontrer la réalité;

— constater enfin que l'autorité investie du pouvoir de nomination n'a en rien tenu compte des excellents antécédents de M. de Compte;

— partant, dire que la décision disciplinaire est entachée de détournement de pouvoir, sinon qu'elle est en disproportion flagrante avec la réelle responsabilité du comptable;

— partant, annuler la sanction disciplinaire et ordonner que M. de Compte soit réintégré dans la plénitude de ses droits avec rétroactivité à la date où la décision disciplinaire a pris effet;

dommages-intérêts :

— donner acte à M. de Compte qu'il se réserve le droit de revendiquer en temps et lieu utiles tels dommages-intérêts qui lui reviennent suite aux diffamations et calomnies dont il a été l'objet dans la presse nationale et internationale;

— condamner le Parlement européen aux frais et dépens de l'instance ».

e) Le Parlement européen conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

« — rejeter le recours comme non fondé;

— statuer quant aux frais selon les dispositions statutaires applicables ».

f) Sur rapport du juge rapporteur, l'avocat général entendu, la Cour (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans instruction préalable.

Toutefois, dans sa réunion administrative du 17 janvier 1985, la Cour (troisième chambre) a décidé de faire savoir aux parties qu'en raison de la complexité de l'affaire, elle avait estimé préférable, à tout le moins dans un premier temps, d'examiner uniquement, lors de l'audience publique du 7 mars 1985, les seuls moyens du recours relatifs à la régularité de la procédure suivie devant le conseil de discipline. Il a été demandé en conséquence aux parties, lors de cette procédure orale, de
limiter leurs plaidoiries à ces seuls moyens.

La Cour a également informé les parties, d'une part, que l'avocat général présenterait ses conclusions sur la valeur de ces moyens lors d'une audience ultérieure dont la date serait communiquée en temps utile aux parties et, d'autre part, que la Cour (troisième chambre) déciderait, à la lumière de l'examen de ces moyens, si une seconde audience publique, portant sur les autres moyens du recours, serait nécessaire.

2. Moyens et arguments des parties

2.1. Observations liminaires

Conformément aux décisions relatives à la procédure que nous venons de citer, nous nous limiterons dans les présentes conclusions à un examen des six moyens du requérant qui concernent la régularité de la procédure disciplinaire. Nous examinerons successivement ces six moyens et, afin de gagner du temps, nous ne ferons pas précéder cet examen d'un bref aperçu de ces moyens. Nous n'examinerons ni même ne mentionnerons les quatre moyens du requérant relatifs à la motivation et au bien-fondé de la
décision attaquée. A notre avis, ils ne présentent même pas un intérêt indirect pour apprécier les six premiers moyens. Par contre, nous estimons qu'il est bel et bien important de reprendre en les complétant quelque peu les observations liminaires suivantes figurant dans le rapport d'audience. Ces observations (auxquelles nous pouvons nous rallier entièrement) concernent la façon dont le Parlement européen a réagi à l'ensemble des moyens que le requérant a fait valoir pendant la procédure écrite.
Nous en déduisons que, lors de la procédure écrite, le Parlement européen a surtout voulu contribuer à clarifier les faits complexes qui sont à l'origine de cette affaire. Pour apprécier le bien-fondé des moyens allégués par le requérant, le Parlement, d'après les observations liminaires citées ci-après, s'est référé pour une large part dans son mémoire en défense, en particulier en ce qui concerne les moyens sur le fond, au jugement de la Cour. De même pour ce qui est des six moyens sur la forme,
qu'il s'agit d'examiner aujourd'hui, le Parlement européen a, en fait, limité essentiellement sa défense proprement dite à une défense orale lors de l'audience.

Les observations liminaires que nous reprenons ici sont les suivantes:

— Alors que, dans ses observations sur la demande de référé, le Parlement européen avait fait savoir qu'il répondrait aux différents moyens du requérant dans le cadre du recours au fond, il s'est finalement abstenu de le faire lors de la procédure écrite. En effet, insistant sur son souci d'assurer tout à la fois « le respect plein et entier de tous les droits des fonctionnaires ... et des obligations qui sont les siennes en tant qu'autorité budgétaire », le Parlement européen a annoncé, en
introduction à son mémoire en défense, son intention de se borner à « présenter à la Cour tous les éléments de fait de cette affaire, en laissant à sa sagesse le soin d'établir la recevabilité et le bien-fondé des griefs soulevés par la partie requérante ».

— Le Parlement européen a ainsi procédé à un exposé minutieux des éléments de fait de l'affaire, tant au fond qu'en ce qui concerne la procédure disciplinaire, depuis le mois de juillet 1981, date à laquelle la Cour des comptes a entrepris l'examen de la caisse des délégués du Parlement européen, jusqu'à l'introduction du présent recours (cet exposé est assorti de 53 annexes).

— Selon le Parlement européen, il ressort de cet exposé que toutes les instances du Parlement européen qui ont été saisies de l'affaire « ont estimé qu'un certain degré de culpabilité pouvait être reproché au requérant » et que l'annulation pure et simple de la décision attaquée aboutirait à faire échapper le requérant à toute sanction.

2.2. Le premier moyen

Dans son premier moyen, le requérant soutient qu'il y a « irrecevabilité » de la procédure disciplinaire en raison de la méconnaissance de la règle « non bis in idem », énoncée à l'article 86 du statut. La prescription figurant au paragraphe 3 de cet article, selon laquelle « une même faute ne peut donner lieu qu'à une seule sanction disciplinaire », interdirait également d'engager deux procédures disciplinaires en raison d'un même ensemble de faits. Le requérant estime, en particulier, que sa
mutation en mai 1982 pour les faits qui lui sont reprochés aujourd'hui devait déjà être considérée comme une sanction disciplinaire.

Ce moyen doit, selon nous, être rejeté. En premier lieu, le Parlement européen a souligné à bon droit que la mutation (avec maintien du grade) ne figure pas parmi la liste des sanctions disciplinaires énumérées à l'article 86 du statut. Le fait qu'une mutation ne puisse pas être considérée en principe comme une sanction disciplinaire ressort déjà, selon nous, également de l'article 7 du statut. Il en résulte, en particulier, qu'une mutation d'un fonctionnaire dans l'intérêt du service et à un emploi
correspondant à son grade est toujours possible par principe, et cela aussi bien à la demande du fonctionnaire concerné qu'en l'absence d'une telle demande. Enfin, le requérant n'a pas contesté lors de l'audience que la mutation en question avait eu lieu avec son accord.

2.3. Le deuxième moyen

Dans son deuxième moyen, le requérant soutient que, lors de l'audition préalable qui constitue la phase initiale de la procédure disciplinaire et qui est prévue par l'article 87 du statut, l'autorité investie du pouvoir de nomination ne peut, comme cela a été le cas en l'espèce, se faire remplacer par un fonctionnaire, même habilité à cet effet.

Après que le Parlement européen eut indiqué que la Cour avait déclaré expressément dans son arrêt du 8 juillet 1965 (affaires jointes 27 et 30/64, Fonzi, Rec. 1965, p. 616) qu'une telle procédure est conforme à l'article 87 du statut, le requérant n'est plus revenu sur ce moyen. Selon nous, celui-ci devra effectivement être rejeté, en vertu de l'arrêt précité.

2.4. Les troisième, quatrième et cinquième moyens

Nous examinerons ensemble les trois moyens suivants du requérant, étant donné qu'ils sont tous fondés sur des méconnaissances du droit de la défense.

a) Dans son troisième moyen, le requérant fait valoir que le principe d'une « enquête contradictoire » prévu à l'article 6 de l'annexe IX au statut a été méconnu, dès lors que les documents qu'il a remis au fonctionnaire concerné, lors de l'audition préalable, n'ont jamais été transmis au conseil de discipline. A l'origine, l'exactitude matérielle de ce moyen a semblé quelque peu douteuse par suite du mémoire en défense du Parlement européen. En définitive, il est cependant apparu au cours de
l'audience que le Parlement européen n'avait effectivement pas communiqué au conseil de discipline l' ensemble des documents transmis, mais uniquement les documents qu'il estimait utiles pour expliciter son rapport tel qu'il est visé à l'article 1er de l'annexe IX au statut. Par contre, il est apparu au cours de l'audience que le requérant n'avait pas fait usage de la possibilité qui s'offrait à lui pendant la procédure disciplinaire soit de transmettre encore lui-même les documents manquants ou
des copies de ceux-ci, soit de les faire transmettre par la partie adverse au conseil de discipline. Nous renvoyons à ce propos aux articles 1er, 3 et 4 de l'annexe IX au statut. Ce moyen doit, par conséquent, également être rejeté.

b) Dans son quatrième moyen, le requérant soutient que le principe du caractère contradictoire de la procédure et du respect des droits de la défense a également été méconnu du fait que les trois témoins entendus par le conseil de discipline l'ont été en dehors de sa présence et sans qu'il ait été informé verbalement ou par écrit de la date à laquelle il serait procédé à ces auditions. Le requérant estime que cela est, en particulier, contraire à l'article 6 de l'annexe IX, mais également à un
principe général commun aux ordres juridiques de différents Etats membres.

Le Parlement européen a fait observer à propos du déroulement effectif des faits en ce qui concerne l'audition des témoins cités par l'institution que les trois auditions ont fait l'objet d'enregistrements et de comptes rendus dont le texte a été approuvé par les témoins et qui, le cas échéant après avoir été traduits, ont été transmis au requérant et à son conseil ( 1 ). De ce fait, le requérant aurait été en mesure, avant la clôture des travaux du conseil de discipline, de formuler ses
observations sur les auditions des témoins. Le Parlement européen estime que cela suffit en ce qui concerne le respect du caractère contradictoire. Il se fonde à cet effet sur votre arrêt du 11 juillet 1968 dans la première affaire A. J. van Eick (affaire 35/67, Rec. 1968, p. 481, voir en particulier p. 491, attendu 2). Toutefois, nous observerons encore, à cet égard, que ni l'attendu précité ni l'un quelconque des autres attendus de l'arrêt ne traite de la manière dont il y a lieu de procéder à
une audition de témoins de façon contradictoire. L'attendu en question traite exclusivement de l'examen des pièces produites par l'institution concernée.

Même en faisant abstraction de ce que la dernière audition de témoins, très importante en l'espèce, a, en tout cas, été communiquée au requérant de manière tellement tardive que le conseil de discipline ne lui a pas laissé un délai raisonnable pour lui permettre de formuler ses observations, nous pensons que le point de vue du Parlement européen doit être rejeté. A ce propos, nous laissons entière la question de savoir si cette conclusion ressort déjà du texte de l'article 6 de l'annexe IX au
statut. A cet égard, nous estimons que des doutes sont possibles. En premier lieu, la comparaison des différentes versions linguistiques de cette disposition a déjà fait apparaître à l'audience, selon nous, que certaines de ces versions linguistiques du moins sont susceptibles d'être interprétées de façon différente. En deuxième lieu, il n'est pas certain, selon nous, que la manière d'organiser l'audition des témoins visée aux articles 4 et 5 de l'annexe est régie exclusivement par l'article 6
précité. En toute hypothèse, l'article 6 ne concerne en aucun cas uniquement de telles auditions de témoins. Les termes « enquête contradictoire » prévus à cet article nécessiteront donc une interprétation appropriée cas par cas, en fonction de la nature de l'enquête en question.

Notre avis selon lequel le requérant aurait dû avoir la possibilité d'assister aux auditions de témoins est plutôt fondé sur la nature de la procédure disciplinaire et sur le principe d'un examen contradictoire qui peut être déduit non seulement de la nature de la procédure disciplinaire, mais également de l'ensemble des dispositions de l'annexe IX au statut.

En ce qui concerne la nature de la procédure disciplinaire, nous nous rallions, tout comme le requérant, aux observations faites à ce propos par l'avocat général Roemer dans ses conclusions dans l'affaire 35/67 précitée (Rec. 1968, p. 510 et 511). Sur la base de son analyse relative à la place du conseil de discipline dans le droit disciplinaire communautaire, laquelle mérite encore toujours d'être lue, il conclut que « nous ne pouvons guère hésiter à dire que les fonctions du conseil de
discipline se rapprochent fortement de celles d'une juridiction d'instruction » et, ensuite, qu'« on est certainement forcé de se rallier à l'opinion selon laquelle la procédure disciplinaire doit revêtir le plus possible les formes judiciaires ».

En ce qui concerne le texte de l'annexe en cause du statut, le principe d'un examen contradictoire ressort, selon nous, en particulier de l'article 1er, alinéa 2, de l'article 2, de l'article 4, de l'article 6, alinéa 2, et de l'article 7.

Le contenu du principe d'un examen contradictoire « in concreto » dépend selon nous de la manière dont sont avancés les arguments ou preuves à l'égard desquels le droit de la défense doit pouvoir être exercé. Lorsqu'il s'agit d'arguments présentés par écrit ou de documents de preuve (comme dans l'affaire 35/67), la partie défenderesse ne peut évidemment pas exiger d'être présente lors de la rédaction des pièces en question. Elle ne pourra y réagir que plus tard, par écrit et oralement. En ce qui
concerne l'audition des témoins, nous pensons, par contre, comme le requérant, qu'il est évident qu'il ressort du principe d'un examen contradictoire que la partie défenderesse doit avoir I occasion de poser des questions complémentaires lors de l'audition de ces témoins. Il est constant que le requérant n'a pas eu cette possibilité en l'espèce.

Nous estimons que le quatrième moyen du requérant est donc fondé et nous considérons que ce vice de procédure est également si substantiel qu'il doit déjà en soi entraîner l'annulation de la décision attaquée, puisqu'il est apparu que l'avis du conseil de discipline a été pris au terme d'une procédure à laquelle il y a lieu de reprocher cette violation de formes substantielles.

L'arrêt du Conseil d'État de Belgique invoqué par le Parlement européen lors de l'audience ne permet pas de modifier cette conclusion. L'interprétation de l'annexe IX au statut ne peut évidemment pas s'appuyer sur l'interprétation d'une réglementation disciplinaire nationale qui n'a, du reste, pas été communiquée.

Votre arrêt récent du 29 janvier 1985 dans l'affaire F. (affaire 228/83, Rec. 1985, p. 290), invoqué par la défenderesse, ne permet pas davantage de modifier cette conclusion. Au contraire, il ressort de l'attendu 21 de cet arrêt que le requérant dans cette affaire avait précisément bel et bien obtenu l'occasion d'assister à l'audition de tous les témoins, de poser également à son tour des questions à ces témoins et de faire connaître immédiatement à tous les membres du conseil de discipline son
point de vue sur les déclarations des témoins.

c) Dans son cinquième moyen, le requérant invoque une méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure et de l'article 4 de l'annexe IX au statut, au motif que le conseil de discipline aurait refusé d'entendre les témoins proposés par lui-même ou par son conseil.

Le fait que ces témoins n'aient pas été entendus n'est pas contesté par le Parlement européen. Lors de la procédure écrite, il a cependant allégué que cette demande n'aurait été faite que le 13 janvier 1984 et que le conseil de discipline, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation sur la nécessité de procéder aux demandes d'audition formulées par la défense, pouvait décider de ne pas donner de suite à cette demande. Lors de l'audience, la discussion s'est concentrée sur la question de savoir si
le requérant avait bien précisé de manière suffisante les points sur lesquels les témoins concernés devaient être entendus. Les passages des mémoires du requérant au conseil de discipline des 28 janvier et 10 novembre 1983 cités par écrit après l'audience, à la demande de la Cour, font apparaître, à notre avis, que tel était effectivement le cas, du moins en ce qui concerne un certain nombre de témoins. Ensuite, selon nous, ces précisions ne justifient effectivement pas un rejet « en bloc » de
l'audition de tous les témoins proposés. Le pouvoir d'appréciation du conseil de discipline n'est pas si étendu qu'il puisse vider en fait l'article 4, alinéa 2, de tout contenu pour ce qui est de la possibilité de citer des témoins, sans démontrer l'absence de pertinence de ce qui doit faire l'objet de ces auditions de témoins.

La circonstance que le conseil de discipline a effectivement entendu, sur proposition du Parlement européen, l'un des témoins à décharge proposé par le requérant, ne peut pas non plus remédier à cette violation d'une forme substantielle, car le témoin en question a été entendu en dehors de la présence du requérant et, de plus, ses déclarations n'ont pas porté sur tous les points que le requérant souhaitait voir clarifier par l'audition de témoins.

Le cinquième moyen du requérant est donc, selon nous, également fondé.

2.5. Le sixième moyen

Dans son sixième moyen, le requérant invoque le fait que le conseil de discipline a refusé à tort de surseoir à ses travaux dans l'attente des résultats de l'enquête administrative qui était alors menée simultanément par la commission du contrôle budgétaire. Cette dernière, contrairement au conseil de discipline, aurait procédé à une enquête approfondie qui aurait abouti à prouver la non-responsabilité du comptable (requérant dans la présente procédure).

Le Parlement européen se réfère dans sa défense écrite à l'ordonnance en référé du 3 juillet 1984 du président de la troisième chambre de la Cour, dont il résulterait que la procédure de quitus, qui vise à apprécier la régularité et l'exactitude des comptes et qui était l'objet de l'examen fait par la commission du contrôle budgétaire, est distincte de la procédure disciplinaire qui vise la responsabilité du comptable.

A notre avis, on ne peut déduire de l'attendu 11, sous 2), de l'ordonnance précitée une conclusion manifeste à l'égard de la question de savoir si le conseil de discipline aurait dû ou non surseoir à ses travaux dans l'attente des conclusions de la commission parlementaire concernée.

Le requérant n'étant pas revenu sur ce moyen lors de l'audience, nous vous proposons cependant de ne pas fonder votre décision également sur ce moyen.

3. Conclusion

En résumé, nous estimons fondés, en particulier, le quatrième moyen et le cinquième moyen du requérant relatifs à la régularité de la procédure devant le conseil de discipline. Ensuite, nous estimons que les vices de forme en question sont si substantiels que la décision attaquée, conformément à la première conclusion à titre subsidiaire de la requête, doit être annulée sur la base de ces moyens. Dès lors, il y aurait également lieu de condamner le Parlement européen aux dépens de l'instance.

Les demandes et arguments du requérant qui concernent le fond de l'affaire, y compris sa demande de lui « donner acte qu'il se réserve le droit de revendiquer en temps et lieu utiles tels dommages-intérêts qui lui reviennent suite aux diffamations et calomnies dont il a été l'objet dans la presse nationale et internationale », ne devront évidemment pas être examinés à ce stade de l'examen de l'affaire.

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( *1 ) Traduit du néerlandais.

( 1 ) D'après la réponse écrite du Parlement européen à une question posée par la Cour lors de l'audience, le compte rendu de la dernière audition de témoins n'a cependant été notifie que le 6 février 1984, par la voie du courrier interne, au requérant. D'après la declaration de son conseil lors de l'audience, celui-ci n'a reçu ce rapport qu'après le 10 février 1984, donc postérieurement a la date à laquelle le conseil de discipline a rendu son avis.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 141/84
Date de la décision : 15/05/1985
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé, Recours de fonctionnaires - irrecevable

Analyses

Fonction publique - Mesures disciplinaires.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Henri de Compte
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:206

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