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21/11/1984 | CJUE | N°53/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 21 novembre 1984., Allied Corporation et autres contre Conseil des Communautés européennes., 21/11/1984, 53/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT

présentées le 21 novembre 1984 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

1.1. Objet du recours

La présente procédure introduite par recours des entreprises Allied Corporation, Demufert SA, Kaiser Aluminium Domestic and International Sales Corporation (ci-après dénommée « Kaiser ») et Transcontinental Fertilizer Company (ci-après dénommée « Transcontinental ») concerne les droits antidumping définitifs sur les engrais

composés d'urée et de nitrate d'ammonium en solution (UNA) importés par les entreprises requérantes des États-...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT

présentées le 21 novembre 1984 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

1.1. Objet du recours

La présente procédure introduite par recours des entreprises Allied Corporation, Demufert SA, Kaiser Aluminium Domestic and International Sales Corporation (ci-après dénommée « Kaiser ») et Transcontinental Fertilizer Company (ci-après dénommée « Transcontinental ») concerne les droits antidumping définitifs sur les engrais composés d'urée et de nitrate d'ammonium en solution (UNA) importés par les entreprises requérantes des États-Unis d'Amérique, qui ont été fixés par l'effet du règlement (CEE) no
101/83, du 17 janvier 1983 (JO L 15 du 19.1.1983). Les requérantes demandent l'annulation dudiţ règlement. Les droits antidumping définitifs qui s'élèvent respectivement à 19,05 % (pour Allied Corporation), à 12,13 % (pour Kaiser) et 12,01 % (pour Transcontinental) représentent, à peu près, soit le triple soit le double des droits antidumping provisoires, c'est-à-dire un montant nettement plus élevé que celui des droits que la Commission avait institués par l'effet des règlements (CEE) nos 1976/82
et 2302/82 (JO L 214 du 22.7.1982 et JO L 246 du 21.8.1982), qui s'élevaient à 6,5 et à 5 % (pour Kaiser) et qui ont donné lieu à l'arrêt de la Cour du 21 février 1984 (affaires 239 et 275/82, Allied Corporation et autres/Commission, Rec. 1984, p. 1005).

1.2. La question de la recevabilité

Le curateur de la faillite de la société anonyme Demufert s'est désisté du recours introduit par cet importateur des produits de Allied Corporation, après que le recours qu'il avait formé dans les affaires 239 et 275/82 a été déclaré irrecevable par la Cour. En ce qui concerne les recours des autres parties requérantes, le Conseil ne soulève pas d'exception d'irrecevabilité. Pour les motifs développés dans l'arrêt de la Cour du 21 février 1984 ainsi que dans nos conclusions qui l'ont précédé, le
présent recours doit certainement être considéré comme recevable.

1.3. Historique de l'affaire et déroulement de la procédure

En ce qui concerne les faits essentiels de l'historique de l'affaire et le déroulement de la procédure, nous nous permettons de renvoyer respectivement aux douze premiers considérants du règlement attaqué ainsi qu'au rapport d'audience. Dans la présente affaire, la Commission est intervenue aux côtés du Conseil. Le règlement attaqué est effectivement basé, pour l'essentiel, sur les résultats du réexamen que la Commission a entamé le 16 juillet 1982 (avant d'arrêter des mesures provisoires les 19
juillet et 18 août 1982 après que les requérantes Allied Corporation, Transcontinental et Kaiser ont eu dénoncé leurs engagements de prix antérieurs).

Comme le montre l'avis publié au Journal officiel des Communautés européennes C 179 du 16 juillet 1982, à la page 4, et joint en annexe 4 à la requête, la Commission a engagé ce réexamen sur la base de demandes — initialement rejetées — formulées par deux des requérantes, d'une part, et par un comité représentant la quasi-totalité des producteurs européens des produits en cause, d'autre part. Cette constatation revêt une certaine importance parce que les requérantes ont suscité l'impression que la
Commission n'avait décidé de procéder à un réexamen qu'à la seule demande des producteurs européens. L'étendue du réexamen apparaît, entre autres, des onzième et douzième considérants du règlement entrepris, ainsi que du fait que selon le dixième, considérant dudit règlement, le délai de validité des droits antidumping provisoires a été prorogé de deux mois le 18 novembre 1982.

1.4. Différences par rapport à la première procédure

Ce qui a joué un grand rôle dans le rejet du recours formé par les requérantes contre la fixation de droits antidumping provisoires, c'est la rapidité qui s'impose par nature pour une telle mesure provisoire après la dénonciation d'un engagement de prix. A cet égard, nous renvoyons aux points 18 à 24 des motifs de l'arrêt de la Cour du 21 février 1984. L'adoption de telles mesures provisoires est également soumise à d'autres dispositions du règlement de base (CEE) no 3017/79 (JO L 339 du
31.12.1979), qui sont moins rigoureuses que celles applicables lors de la fixation de droits antidumping définitifs. En l'occurrence, dans la première espèce, c'est en particulier l'article 10, paragraphe 6, du règlement de base qui importait.

Les faits nouveaux que les requérantes ont invoqués dans la première procédure concernaient exclusivement l'exigence d'un préjudice et avaient trait: 1) aux mesures adoptées par les autorités françaises en matière de politique des prix et de la concurrence, 2) à la hausse constante du dollar, et 3) à la prétendue diminution des importations des produits en cause. En l'espèce, les requérantes ont finalement retiré en particulier leurs arguments quant au premier point. Le point 29 des motifs de
l'arrêt de la Cour cité impose également d'écarter en soi l'incidence de la hausse continue du cours du dollar. Les requérantes elles-mêmes ont à présent expliqué en des termes différents les griefs qu'elles formulent relativement à l'exigence d'un préjudice. Les constatations de la Cour quant au troisième point évoqué ci-dessus ne revêtent plus une grande importance en l'espèce, puisque la période de référence pour déterminer les importations s'étend actuellement sur les huit premiers mois de
l'année 1982 et non plus exclusivement sur le premier trimestre de la même année (comme c'était le cas dans la première affaire).

Le résumé des moyens invoqués par les requérantes en l'espèce, que nous allons faire à présent, montrera que pour l'essentiel ceux-ci concernent les exigences posées par le règlement de base pour la fixation de droits antidumping définitifs. Ces exigences sont plus strictes que celles que la Cour a déduites de l'article 10, paragraphe 6, du règlement de base dans son arrêt du 21 février 1984. L'arrêt qu'il appartient à la Cour de rendre à présent devra, en premier lieu, vu les moyens invoqués, jeter
un jour nouveau sur la notion de « dumping » et sur les exigences posées pour l'application de cette notion dans les articles 2 et 7, paragraphe 7, sous b), du règlement de base. En deuxième lieu, l'exigence d'un préjudice (article 2, paragraphe 1, et article 4 du règlement de base) joue un rôle important en l'espèce. En troisième lieu, il apparaît que l'exigence posée à l'article 12, paragraphe 1, du règlement de base, à savoir que « les intérêts de la Communauté nécessitent une action
communautaire », joue un certain rôle. Outre ces trois conditions principales auxquelles la fixation d'un droit antidumping définitif est subordonnée et qui relèvent du droit quant au fond, ce sont toutefois des éléments plus procéduraux qui importent en l'espèce.

2. Les moyens invoqués

Les six moyens invoqués par les requérantes et qui sont reproduits dans le rapport d'audience se recoupent en partie. Nous examinerons ces moyens selon l'ordre suivant.

Dans la première sous-partie de notre examen des moyens invoqués (point 4.1 de nos conclusions), ce sont les griefs formulés dans le cadre des cinquième et sixième moyens, relatifs au mode de fixation de la « valeur normale » des produits en cause [article 2, paragraphes 3 à 7 inclus, et article 7, paragraphe 7, sous b), du règlement de base] qui retiendront notre attention. Dans cette sous-partie de nos conclusions, nous traiterons également du grief inclus dans le quatrième moyen, à savoir
l'insuffisance de la motivation du règlement sur ce point. Il en sera de même pour le reproche adressé à la Commission dans le cadre du troisième moyen, à savoir qu'elle n'a pas procédé à un réexamen « ab initio ».

Le point 4.2 de nos conclusions concernera les griefs que les requérantes ont formulés dans le cadre des cinquième et sixième moyens relativement à l'exigence d'un préjudice (article 4 du règlement de base).

Le point 4.3 concernera les griefs formulés dans le cadre du sixième moyen, relatifs à l'exigence d'un intérêt communautaire (article 12, paragraphe 1, du règlement de base). Néanmoins, à cet endroit, nous évoquerons également le grief formulé dans le cadre du troisième moyen (point 50 de la requête), dans le cadre du cinquième moyen (points 59, 79 et 86 de la requête) et du sixième moyen (points 104 et 107), à savoir que les droits institués contiendraient une sanction pour la dénonciation des
engagements de prix.

Au point 4.4, nous traiterons des griefs formulés dans le cadre du premier moyen, à savoir que les requérantes ont été insuffisamment informées au préalable [article 7, paragraphe 4, sous b), du règlement de base].

Enfin, au point 4.5, nous examinerons le deuxième moyen avancé par les requérantes, par lequel celles-ci reprochent au Conseil de leur avoir fait subir une discrimination arbitraire par rapport aux autres exportateurs américains.

3. Les principes du règlement de base

3.1. Pour la bonne compréhension de l'analyse des moyens que les requérantes ont avancés et que nous avons brièvement évoqués, nous estimons qu'il est tout d'abord utile de faire quelques remarques générales sur les principes du règlement de base, considérés les uns par rapport aux autres. Le principe essentiel du règlement en cause figure dans l'article 2, paragraphes 1 et 2, ainsi formulé que le prononcé d'un droit antidumping est soumis à deux conditions. En premier lieu, le produit en cause doit
faire l'objet d'un « dumping ». Le paragraphe 2 du même article précise cette condition en ce sens qu'un produit est considéré comme faisant l'objet d'un « dumping », lorsque son prix à l'exportation vers la Communauté est inférieur à la valeur normale d'un produit similaire. En deuxième lieu, l'application d'un droit antidumping est soumise à la condition que l'importation du produit envisagé en vue de sa mise à la consommation dans la Communauté cause un préjudice.

3.2. Bien que l'article 91 du traité CEE ne prévoie pas expressément l'exigence d'un préjudice en cas de « dumping » à l'intérieur de la Communauté, l'existence d'un préjudice était cependant également exigée lors de l'application de cette disposition en pratique. En règle générale, en ce qui concerne les deux conditions exigées, on pouvait se contenter, dans l'application pratique de ces dispositions (dont nous étions responsables pendant la période de transition en tant que directeur général de la
direction générale Concurrence), de se référer à deux principes sommaires. Le produit en cause était considéré faire l'objet d'un « dumping » lorsque son prix à l'exportation était inférieur au prix normalement pratiqué pour ce produit dans le pays d'exportation [voir le point de départ analogue de 1 article 2, paragraphe 2 et paragraphe 3, sous a), du règlement de base]. En principe, on considérait qu'un préjudice avait été causé dans le pays d'importation lorsque le prix à l'exportation était
en même temps manifestement inférieur au prix normalement appliqué sur le marché dans le pays d'importation; l'importation devait simultanément porter sur une quantité suffisante des produits considérés pour causer ainsi un dommage sensible au secteur concerné dans le pays d'importation.

Le deuxième principe sommaire fait apparaître, lui aussi, un parallèle avec les dispositions du règlement de base, en l'occurrence avec l'article 4, paragraphe 2, sous la réserve cependant qu'à l'époque, lors de l'examen des demandes au titre de l'article 91 du traité CEE, l'importance des quantités importées en soi constituait plutôt un élément secondaire (en vue de déterminer l'étendue du préjudice subi).

3.3. L'importance de la double comparaison de prix, à laquelle il était procédé dans un cas d'application de l'article 91 du traité CEE, est encore mise en évidence du fait que la sanction prévue à l'article 91 paragraphe 2, du traité CEE, ainsi que l'application seulement temporaire de cet article (uniquement au cours de la période de transition) ne s'expliquent que sur le fondement de celle-là même. Hormis le cas d'une discrimination de prix dans le cadre d'une entente ou du chef d'une entreprise
détenant une position dominante, le « dumping » pratiqué avec une marge de « dumping » qui dépasse le coût de transport de produits de série (excepté le cas d'aides à l'exportation), ne saurait être envisagé que lorsqu'il existe des droits de douane ou des restrictions quantitatives à l'importation ou des mesures d effet équivalent. En l'absence de tels obstacles à l'importation, institués par les autorités publiques, l'éventualité d'une réimportation dans le pays d'exportation paraît
constituer effectivement une garantie suffisante pour empêcher les pratiques de « dumping ».

L'alignement des prix sur les prix du marché dans le pays d'importation a en outre toujours été considéré, à l'intérieur de la Communauté économique européenne, comme une pratique commerciale tout à fait normale qui, en tant que telle, ne saurait être considérée comme causant un préjudice susceptible d'entraîner l'application de l'article 91 du traité CEE. A cet égard, il convient aussi de ne pas ignorer que l'article 91 est une section du chapitre intitulé « Les règles de concurrence ». Le «
dumping » représente également une forme de discrimination par les prix qui empêche le bon fonctionnement du mécanisme de la concurrence et qu'il convient de combattre.

3.4. En l'espèce, il est aussi important, selon nous, de rappeler l'arrière-plan — qui a trait à l'économie de marché — de la politique antidumping intracommunautaire des années 1958 à 1968. Dans l'ouvrage qui a été cité régulièrement dans la procédure en l'espèce et qui concerne le droit communautaire antidumping externe de la Communauté économique européenne ( 1 ) (à la page 41), J. F. Beseler considère en effet également le « dumping » comme une forme particulière de discrimination par les prix
(faussant le jeu de la concurrence) qui, en règle générale, n'est praticable que lorsqu'il existe des obstacles internationaux aux échanges. A cet égard, le GATT part effectivement, en matière d'économie de marche, d'éléments de base comparables à ceux du traité CEE, bien que dans le cadre du GATT ces éléments ne visent qu'à une diminution et non pas, comme à l'intérieur de la Communauté économique européenne, a une élimination totale des droits de douane et d'autres obstacles aux échanges
internationaux. C'est pourquoi des usages commerciaux normaux, compatibles avec un principe prévoyant que le jeu de la concurrence ne soit pas faussé, doivent également être respectés lors de l'application durèglement de base qui est fondé sur le GATT et sur le code du GATT, comme le confirme, entre autres, le texte de l'article 2, paragraphe 3, sous a), du règlement de base en cause.

3.5. En l'espèce, la dernière conclusion à laquelle nous avons abouti semble tout d'abord jouer un certain rôle pour l'application éventuelle de l'article 2, paragraphe 4, du règlement de base. Pour cette seule raison, il faudra, lors de l'application de ladite disposition, observer une certaine réserve parce que, en tant que telle, el e ne trouve pas de fondement dans l'article 2, paragraphe 4, du code du GATT ( 2 ). Cette dernière disposition ne permet pas 1 application des critères prévus à
l'article 2, paragraphe 4, du règlement de base du seul tait qu'il existe une présomption de vente a perte, mais ne l'admet que dans les circonstances de l'article 2, paragraphe 3, sous b), du règlement de base. Une certaine réserve lors de l'application de la disposition mentionnée est en outre souhaitable parce qu'à défaut de celle-ci, en période de recession générale (pendant laquelle une part importante des entreprises se voient obligees de vendre à perte au sens de 1 article 2, paragraphe
4), presque toute limitation de fixation de droits antidumping disparaîtrait. C'est entre autres à cause du principe de réciprocité qui figure dans le GATT, que l'application pratique d'une telle possibilite, presque illimitée, d'appliquer le règlement de base comporte alors un risque important de mesures de représailles contre la Communauté. Enfin, il convient de ne pas oublier qu'en période de récession, la vente de produits à un prix qui, outre les coûts de production variables, ne couvre
qu'une part des coûts de production fixes et qui n'inclut certainement pas de marge bénéficiaire, peut être tout à fait justifiée du point de vue de la gestion des entreprises (et également du point de vue socioéconomique) afin de maintenir les pertes au niveau le plus bas et à assurer la continuité de l'entreprise. Dans des circonstances de crise, une telle pratique peut donc aussi être considérée le plus souvent comme une pratique commerciale tout à fait raisonnable et normale. A la
difference de l'article 2, paragraphe 4, du reglement de base, l'article 2, paragraphe 4, du code du GATT n'admet d'ailleurs certainement pas l'application d'une marge bénéficiaire dans une telle situation généralisée de pertes. Il est alors également symptomatique de constater que, selon son texte et son économie, tels que nous les avons mentionnés, l'article 91 du traité CEE ne considère manifestement pas de telles pratiques sans plus comme des pratiques de « dumping ». Selon le traité CEE,
même en période de récession, on ne saurait parler de pratique de «dumping» que lorsque [exportation est effectuée à des prix plus bas que ceux pratiqués à la vente sur le marche national.

C'est en deuxième lieu l'aspect d'économie de marché de l'arrière-plan du règlement antidumping qui importe, selon nous, pour apprécier l'argument tiré de l'alignement des prix, qui en l'espèce a joué un rôle relativement grand dans des discussions relatives a l'exigence d'un préjudice. En soi, il ressort aux usages commerciaux normaux, au niveau du commerce international, d'adapter les prix aux prix pratiqués sur le marché du pays d'importation. Si l'on éliminait une telle possibilité
d'adaptation des prix, l'exportation à partir de pays ayant un niveau de prix relativement élevé deviendrait pratiquement impossible et le commerce international des pays d'exportation en cause ne pourrait plus correspondre a la recherche d'un équilibre des balances du commerce extérieur. Il est certain que combinée à une application trop facile de l'article 2, paragraphe 4, du règlement de base, l'élimination de la possibilité d'aligner les prix sur les prix de marché en vigueur dans le pays
d'importation (et cela, en cas de situation de pene généralisée, de nouveau sans marge bénéficiaire et même, le cas échéant, sans couverture totale des frais généraux) pourrait être en contradiction avec les efforts de libéralisation du commerce international, libéralisation qui est un fondement du GATT et — comme le montre l'alinéa 6 du préambule au traité CEE — également un fondement de la politique commerciale commune de la Communauté.

3.6. Enfin, pour apprécier le poids que le règlement entrepris accorde au refus d'admettre des contrôles dans le pays d'exportation, opposé par Allied Corporation en particulier, il convient encore de faire une dernière remarque préalable. Il découle du principe de souveraineté que, sans approbation des autorités du pays d'exportation et, en outre, sans collaboration des entreprises concernées, la Communauté ne peut pas procéder à de tels contrôles sur place. Pour apprécier le cas d'espèce, le refus
opposé par les entreprises concernées de coopérer comme il le leur était demandé joue un rôle à deux niveaux. Tout d'abord, il convient de rechercher quel rapport il convient d'établir entre les « données disponibles » mentionnées à l'article 7, paragraphe 7, sous b), et les principes qui régissent l'application de la « valeur normale » au sens de l'article 2, paragraphes 3 et 4. En deuxième lieu, eu égard au vingt-quatrième considérant, eu égard à l'exigence d'un préjudice, eu égard à
l'exigence d'un intérêt de la Communauté et à la motivation du montant des droits antidumping fixés, il importe de se demander dans quelle mesure le refus d'apporter sa collaboration comme en l'espèce peut avoir une incidence sur le montant des droits fixés.

Dans la requête, cette deuxième question fait l'objet du point 50, relatif au troisième moyen, et des points 59, 79, 86, 104 et 107, qui traitent des cinquième et sixième moyens.

4. Appréciation des moyens avancés

4.1. La détermination de la valeur normale

Les requérantes reprochent en particulier à la Commission et au Conseil que, conformément aux propositions de la Commission, le règlement entrepris prévoit le calcul de la valeur normale d'après une formule d'indexation qui figurait dans les engagements de prix dénoncés et s'appliquait au prix de base convenu (quatorzième et quinzième considérants du règlement). En ce qui concerne Kaiser et Transcontinental, la violation de l'interdiction d'exportation indirecte par l'intermédiaire de
Transcontinental qui a été constatée — interdiction qui figurait, pour la période en cause, dans l'engagement de prix de Kaiser —, a entraîné 1 application d'un correctif au rapport de prix existant entre les deux entreprises (seizième à dix-neuvième considérants). Pour tenir compte d'une marge bénéficiaire de 5 % pour Transcontinental, la marge de «dumping» de Kaiser a été fixée à un niveau plus élevé que pour Transcontinental. Simultanément, comme la différence de prix était plus grande dans les
engagements de prix dénoncés de ces deux entreprises, on s'est davantage rapproché de la valeur normale puisqu'à l'examen, il s'est avéré qu'au cours de la période de référence — à la différence de ce qui s'était passé antérieurement —, Transcontinental avait exclusivement exporté des produits de Kaiser.

Pour autant qu'ils concernent la méthode de calcul, les cinquième et sixième moyens avancés par les requérantes doivent en définitive être rejetés, bien qu'ils soient pour partie fondés. A cet égard, il convient de relever tout d'abord que c'est à bon droit que le Conseil et la Commission ont fait grief aux trois requérantes d'avoir refusé de collaborer lors du nouvel examen, au sens de l'article 7, paragraphe 7, sous b), du règlement de base. Allied Corporation a refusé sans plus que l'on procède à
un Examen sur place. Transcontinental a certes admis l'examen, mais elle a alors refusé de communiquer les prix d'achat, ce qui était essentiel au regard de la vérification effectuée. En ce qui concerne l'exportation indirecte à destination de la Communauté au cours de la période de référence, que la vérification effectuée chez Transcontinental avait fait apparaître, Kaiser a refusé toute coopération lors des vérifications. Comme les documents produits devant la Cour le montrent, la coopération que
les requérantes ont accordée aux autorités communautaires à un stade ultérieur des vérifications, n'a pas pu compenser le refus de collaborer opposé lors de l'enquête sur les données mentionnées à l'article 2, sous b), du règlement de base.

C'est en soi à bon droit que les requérantes ont fait valoir que les « données disponibles » au sens de l'article 7, paragraphe 7, sous b), doivent avoir un rapport raisonnable avec les méthodes de calcul fixées par l'article 2, sous b). Elles doivent également servir à déterminer la « valeur normale » aussi correctement que possible. Nous avons en outre déjà exprimé précédemment les réserves notables que nous formulons quant à l'importance déterminante accordée à la présomption figurant dans le
treizième considérant du règlement, à savoir qu aux États-Unis, Allied Corporation vendrait a des prix ne couvrant pas ses coûts. Une interprétation équitable de l'article 7, paragraphe 7, sous b), exigeait certainement en l'espece que dès l'époque de ses vérifications, la Commission tienne compte aussi de toutes les autres données auxquelles elle pouvait avoir accès sans développer une activité administrative démesurée, et non pas exclusivement de la formule d'indexation figurant dans les
engagements de prix dénoncés. A cela s'ajoute qu'en raison de l'expérience acquise et généralement connue, la Commission ne pouvait pas considérer sans plus que le « Implicit Pnce Deflator of Gross National Product» general applique en l'espece fournissait des résultats fiables également en ce qui concerne les matières premières ou adjuvants en cause. Même la circonstance que, pendant une certaine période, les requérantes avaient admis la formule d'indexation, ne pouvait justifier sans plus
l'application de cette formule après la résiliation des engagements de prix. Toutefois, cette négligence ne saurait entraîner l'annulation du règlement puisqu'à l'audience la Commission a déclaré sans être contredite, que les autres données dont elle disposait à l'époque et qui provenaient de communications des producteurs européens, d'une part, et de vérifications sur place effectuées auprès d'autres producteurs américains, d'autre part, avaient montré que leur application aurait entraîné la
fixation d'une valeur normale plus élevée. Enfin, il est apparu à l'audience que l'application des statistiques sur l'évolution du prix du produit en cause aux États-Unis au cours des six premiers mois de la période de référence, que les requérantes avaient proposées comme données de remplacement en réponse à une question de la Cour, aurait également entraîné la fixation d'une valeur norma e plus élevée que celle déterminée par la Commission. Même l'application de données que les requérantes
elles-mêmes ont considérées comme plus fiables ne pourrait donc pas entraîner un résultat plus avantageux pour elles. Enfin, les requérantes n'ont pas déclaré — et il ne s'est d'ailleurs pas avéré — que la formule d'indexation appliquée impliquait que l'on reconnaisse que les prix de vente normaux aient été rehaussés d'une marge bénéficiaire.

L'argumentation développée par Kaiser à l'audience, à savoir que pour les exportations directes et indirectes (avec l'intervention d'un niveau de commerce intermédiaire) de ses produits, il n'était pas possible de déterminer des valeurs normales et des marges de « dumping » différentes, doit être rejetée sur le fondement de l'article 2, paragraphe 3, sous b), et paragraphes 9 et 10, sous c). Le point de vue défendu par Kaiser impliquerait une impossibilité d'agir séparément contre les pratiques de
«dumping» d'une entreprise exerçant un commerce d'exportation. Toutefois, ce point de vue ne trouve pas de soutien dans le règlement de base. Si la marge de « dumping » de Kaiser est calculée par comparaison des prix au stade « usine », cela est conforme à l'article 2, paragraphe 9, deuxième phrase, du règlement de base, alors que c'est à bon droit que pour les exportations effectuées par l'entreprise commerciale Transcontinental, on a tenu compte d'une marge bénéficiaire raisonnable, de la façon
exposée au dix-septième considérant du règlement et expliquée par Kaiser à l'audience grâce à un schéma de comparaison des prix. Le grief qui fait l'objet du quatrième moyen des requérantes, à savoir que le mode de calcul de la valeur normale n'a pas été motivé suffisamment, n'est pas tout à fait dépourvu de fondement pour les mêmes motifs que ceux qui ont été développés ci-dessus. Toutefois, pour les mêmes raisons que celles qui ont déjà été exposées eu égard aux cinquième et sixième moyens, ce
moyen ne peut entraîner l'annulation du règlement. Une motivation plus correcte ne saurait en l'espèce conduire à un autre résultat.

Le grief qui fait l'objet du troisième moyen des requérantes, à savoir qu'à la suite de la dénonciation des engagements de prix, la Commission n'a pas rouvert la procédure de vérification « ab initio », doit également être rejeté. Si la Commission n'a pas pu procéder à une nouvelle vérification sur place de la comptabilité des requérantes pour rechercher, en particulier, quels étaient les prix d'achat des matières premières nécessaires et les prix de vente des requérantes sur le marché américain,
c'est à leur propre refus de coopérer à une telle vérification que les requérantes doivent l'imputer. Dans ces circonstances, la Commission était en droit, sur le fondement de l'article 7, paragraphe 7, sous b), du règlement de base, de ne fonder son examen que sur les données disponibles au cours de la phase administrative des vérifications. Nous avons déjà exposé pourquoi l'interprétation trop limitative de la notion de « données disponibles » par la Commission ne saurait en l'espèce entraîner
l'annulation du règlement entrepris.

4.2. L'exigence d'un préjudice

Dans le sixième moyen, les requérantes rassemblent notamment un certain nombre de griefs qui, selon elles, devraient impliquer que l'existence d'un préjudice au sens de l'article 2, paragraphe 1, et de l'article 4 du règlement de base n'aurait pas été démontrée. Les griefs formulés à cet égard doivent être examinés à la lumière de l'article 4 du règlement de base, des considérants 25 à 28 du règlement attaqué et des données statistiques que le Conseil et la Commission ont produites devant la Cour en
réponse à des questions écrites de celle-ci et qui concernent la production, le commerce intracommunataire, le commerce d'importation et les prix à l'importation sur le plus important marché pour la vente des produits en cause, à savoir le marché français (annexes 2 et 3 à la réponse du Conseil et de la Commission, du 17 juillet 1984).

Les requérantes contestent en premier lieu que, comme il est dit au vingt-cinquième considérant du règlement attaqué, au cours de la période de référence (à savoir les huit premiers mois de l'année 1982), elles auraient importé 118850 tonnes d'UNA dans la Communauté. Dans la mesure où la contestation des requérantes concerne les 20000 tonnes que Transcontinental a importées indirectement au cours du premier semestre, en violation de son engagement de prix, il convient de la rejeter puisque lors des
vérifications effectuées sur place, il s'est avéré qu'il s'était agi en fait d'une exportation indirecte interdite de Kaiser. Le fait que, selon les requérantes, Allied Corporation n'a importé 100000 tonnes environ d'UNA qu'en août 1982 n'est pas déterminant puisque le mois d'août tombe également dans la période de référence choisie.

Les considérants 26 et 28 du règlement montrent que le grief des requérantes, selon lequel le règlement attaqué ne concernerait que le préjudice subi par les producteurs français, n'est pas exact.

C'est pourquoi, ce qui importe en définitive, c'est la double question de savoir si le règlement a fait une application correcte de l'article 4 du règlement de base et si les données statistiques que le Conseil a produites maintenant confirment suffisamment les constatations figurant dans le règlement attaqué.

Selon l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base, le principe qui régit l'application de l'exigence d'un préjudice est qu'« il ne sera déterminé de préjudice que si les importations qui font l'objet de ‘dumping’ ... causent un préjudice important à une production établie de la Communauté ou retardent sensiblement l'établissement de cette production. Les préjudices causés par d'autres facteurs, tels que le volume et les prix d'importation qui ne font pas l'objet de ‘dumping’ ou de subventions,
ou la contraction de la demande, qui, individuellement ou en combinaison, exercent également une influence défavorable sur la production communautaire, ne doivent pas être attribués aux importations qui font l'objet de ‘dumping’ ou de subventions ».

Comme le vingt-sixième considérant du règlement attaqué établit qu'il y a eu des sous-cotations par rapport aux prix des producteurs dans la Communauté, on peut faire abstraction en l'espèce du point de savoir dans quelle mesure le préjudice subi par les producteurs français a également été causé par les prix bas à l'exportation pratiqués par les producteurs des Pays-Bas.

Vous vous souviendrez qu'au cours de la procédure antérieure, la Commission avait fourni plus d'arguments poussant à supposer que notamment le préjudice subi par les producteurs français avait été inclus dans les considérations de la Commission; nous avions donc accordé une très ample attention à l'incidence des prix néerlandais à l'exportation dans nos conclusions du 10 janvier 1984. Le texte du vingt-sixième considérant du règlement en cause aujourd'hui oblige à tenir compte, lors de
l'appréciation du règlement attaqué à la lumière de l'article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement de base, des prix pratiqués par tous les producteurs importants à l'intérieur de la Communauté qui vendent leurs produits sur le marché le plus important, à savoir le marché français.

C'est en particulier lors de l'appréciation du vingt-cinquième considérant du règlement attaqué à la lumière de l'article 4, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, qu'il conviendra de respecter, dans une très large mesure, la marge de discrétion dont jouit la Commission et dont l'avocat général M. Warner a souligné à bon droit l'importance dans ses conclusions dans l'affaire 113/77, à la page 1266 (affaire des « roulements à billes », Rec. 1979, p. 1185 etsuiv.). Comme en l'espèce, ainsi que
nous l'avons déjà dit, il s'agit d'une appréciation dans le domaine du droit de la concurrence, on ne saurait selon nous reprocher à la Commission d'interpréter ce facteur comme une sorte de « critère de l'effet sensible » qu'elle applique également pour ne pas faire application de l'article 85 du traité CEE à des « accords d'importance mineure ». Si l'on se reporte aux données fournies par le Conseil, une telle interprétation correspond également à la pratique américaine en la matière. Dans le
cadre de cette marge de discrétion, et sans oublier le principe de réciprocité qui revêt une grande importance en matière de politique commerciale, la Commission peut d'ailleurs toujours tenir compte de la pratique américaine, bien qu'une certaine harmonisation internationale vers le haut soit peut-être souhaitable. Même si on assortit d'un point d'interrogation l'extrapolation des quantités importées pendant les huit premiers mois de l'année 1982 à l'année entière, qui figure dans le
vingt-cinquième considérant du règlement litigieux, la part que l'importation en cause en l'espèce représente sur le marché et qui est établie peut être considérée comme suffisamment importante, pour les motifs déjà évoqués, pour empêcher de qualifier d'inéquitable la façon de tenir compte du premier facteur de l'article 4, paragraphe 2, du règlement de base. A nos yeux, la pratique suivie reste tout à fait à l'intérieur des limites de la liberté d'appréciation qui appartient à la Commission et au
Conseil en la matière. Le point de savoir si les importations effectuées au cours de la période de référence étaient ou non notablement inférieures aux importations des années précédentes (comme les requérantes l'ont prétendu en produisant devant la Cour des données statistiques) n'est à cet égard pas à considérer comme déterminant en soi.

Nous avons d'ailleurs déjà fait observer que par son aspect d'économie de marché, l'arrière-plan du droit de « dumping » impose d'accorder plus d'importance au deuxième facteur mentionné à l'article 4, paragraphe 2, sous b). Comme le montre aussi la formulation choisie dans le règlement de base, le premier facteur revêt notamment un intérêt autonome en cas d'augmentation notable des importations. Au reste, comme nous l'avons déjà dit, ce facteur a exclusivement la signification d'un « critère de
l'effet sensible » eu égard au préjudice déterminé en application des facteurs mentionnés sous b) et c). Selon le facteur sous b), il faut en particulier rechercher « s'il y a eu sous-cotatipn significative du prix par rapport au prix d'un produit similaire dans la Communauté ». Selon nous, ce prix doit désigner le prix de marché effectif comparable, pratiqué par les producteurs du pays d'importation. Nous estimons qu'il n'est conforme ni au texte de l'article 4 ni à l'aspect d'économie de marché de
l'arrière-plan du domaine juridique considéré que la Commission — selon les informations fournies par le Conseil à l'audience — établisse abstraitement, pour cette comparaison des prix, un prix de marché idéal des producteurs communautaires sur la base des coûts de production, en les majorant d'une marge bénéficiaire considérée comme normale. La Commission a confirmé l'exactitude de ces informations à la fin de l'audience en répondant à une question de l'un des membres de la Cour. Elle estime que
les opérateurs faisant des importations à partir de pays tiers ne peuvent aligner leurs prix sur les prix des producteurs de la Communauté que dans la mesure où, outre la couverture des coûts, ces prix réservent un bénéfice normal. Comme il convient de considérer que le vingt-sixième attendu du règlement entrepris est également fondé sur cette interprétation de l'article 4, paragraphe 2, sous b), qui, selon nous, n'est pas soutenable, ce point de vue pourrait fournir un motif d'annulation du
règlement s'il ne s'avère pas que, simultanément, il y a eu une sous-cotation des prix comparables effectifs à l'intérieur de la Communauté.

Pour cette dernière comparaison des prix, l'annexe 3 de la réponse du Conseil et de la Commission, du 17 juillet 1984, aux questions écrites de la Cour, peut fournir un point de départ. Comme vous l'avez déjà évoqué, M. le Président, en posant une question au cours des débats, le Conseil n'a cependant pas fourni, à l'audience, une réponse satisfaisante à l'argumentation soutenue par les requérantes, à savoir que les chiffres figurant dans l'annexe mentionnée ne concernent pas le même stade de
commercialisation et ne sont donc pas tout à fait comparables. Les producteurs français en particulier vendraient 70 à 80 % de leurs produits directement au commerce de détail et aux coopératives agricoles et seulement 20 à 30 % au commerce de gros, alors que les importateurs (il s'agit en l'espèce surtout à cette époque de la SA Demufert) vendraient 97 % des produits importés aux grossistes. C'est pourquoi, dans la présente procédure, la Commission et le Conseil avaient dû comparer, en ce qui
concerne les importations, les prix pratiqués par les grossistes avec les prix « usine » des producteurs communautaires concernés, ce qui, de l'avis des requérantes, avait dû entraîner une augmentation des prix à l'importation communiqués de 2 à 3 %.

Dans sa réponse, le Conseil a reconnu que les prix qu'il avait présentés eu égard aux producteurs de la Communauté étaient les prix pratiqués en cas de livraison par le fabricant aux coopératives agricoles. Selon lui, il devrait en découler qu'à titre de prix à l'importation comparables, il aurait fallu prendre les prix cif des producteurs américains. De ce fait, les prix pour les importations américaines ne seraient pas trop bas, mais précisément trop élevés puisqu'ils sont calculés à partir des
prix pratiqués par l'importateur.

Il nous semble que cette réponse ignore complètement le point crucial de l'argumentation des requérantes. L'essentiel de leur argumentation est que la concurrence par les prix venant des produits importés n'a une incidence qu'au niveau de l'utilisateurd'engrais composés ou eu égard aux prix d'achat du dernier maillon commercial auquel ont recours tant les producteurs communautaires que les importateurs, c'est-à-dire les détaillants ou les coopératives agricoles. Dans cette discussion, les
requérantes ont en principe, selon nous, effectivement le droit de leur côté.

Malheureusement, cela ne fournit cependant pas encore de clarté suffisante quant au caractère comparable des chiffres produits. Sur la base des données de fait que les requérantes ont versées au dossier eu égard aux canaux de commercialisation utilisés par les producteurs européens, d'une part, et par les importateurs, d'autre part — et que le Conseil n'a pas contestées en tant que telles —, une rectification de l'ordre de sept dixièmes de 2 à 3 %, c'est-à-dire de 1,5 à 2 % des prix à l'importation
serait justifiée ( 3 ), ce qui, pour le premier semestre de l'année 1982, donnerait donc un prix à l'importation de 827 à 831 FF par tonne. Dans cette hypothèse, les prix à l'importation resteraient encore au-dessous des prix pratiqués par les producteurs français mais non plus au-dessous des prix des producteurs néerlandais. La « marge de préjudice » (qu'il ne faut pas confondre avec la marge de « dumping ») serait cependant alors tout au plus de 1,5 à 2 %.

Comme le montre l'annexe 2 de la réponse déjà mentionnée de la Commission et du Conseil, la part des producteurs néerlandais sur le marché français au cours de la campagne 1982-1983 était notablement supérieure à la part des producteurs français sur leur marché national et, au cours de la campagne antérieure, elle avait été quelque peu inférieure, tout en ayant déjà cependant une grande importance dans les rapports entre les prix sur ce marché. En outre, le texte du vingt-sixième considérant du
règlement entrepris confère aussi un caractère déterminant au regard de l'arrêt à rendre à la comparaison avec les prix des producteurs néerlandais.

Pour les raisons que nous avons déjà développées, nous estimerions en principe admissible, sur le fondement de la lettre de la disposition en cause et de l'aspect d'économie de marché de l'arrière-plan de l'article 4, paragraphe 2, sous b), que les prix à l'importation soient alignés sur les prix pratiqués par les producteurs néerlandais concurrents. Néanmoins, il existe deux motifs pour lesquels les requérantes ne peuvent en définitive, à notre avis, pas obtenir gain de cause en ce qui concerne la
comparaison avec les prix effectivement pratiqués par les producteurs néerlandais. En premier lieu, les chiffres figurant dans l'annexe 3 de la réponse du Conseil et de la Commission aux questions de la Cour montrent clairement qu'en l'espèce il n'est pas tant question d'un alignement des prix à l'importation sur les prix des producteurs néerlandais mais plutôt, au contraire, d'un alignement des prix de ces derniers sur les prix à l'importation. En effet, les prix néerlandais sont notablement
inférieurs aux prix français et bien plus proches des prix à l'importation américains. Cette remarque reste vraie lorsqu'on applique à ces prix à l'importation les correctifs souhaités par les requérantes, de la façon mentionnée ci-dessus.^ En deuxième lieu, nous doutons fort que l'application de ces correctifs soit effectivement justifiée pour la comparaison des prix qu'il convient de faire ici. Dans la note explicative qui suit les statistiques de l'annexe 3, il est dit expressément que les prix
des producteurs dans la Communauté sont soit les prix «usine» soit les prix pratiqués par le commerce de gros. Il nous semble plausible qu'en particulier les producteurs néerlandais effectuent leurs ventes en France par l'intermédiaire des grossistes. Les prix pratiqués par les producteurs néerlandais sont alors bien comparables aux prix à l'importation, même si on ajoute aux deux catégories de prix une même marge de 2 à 3 % pour les grossistes. Les prix à l'importation restent alors en tout cas
environ 1 % inférieurs aux prix effectivement pratiqués par les producteurs néerlandais.

Comme les différences de prix établies sont relativement minimes, il peut cependant subsister un doute quant au point de savoir s'il existe une « sous-cotation significative » au sens de l'article 4, paragraphe 2, sous b). Toutefois, selon nous, il conviendra ici également de laisser à la Commission une certaine marge d'appréciation parce que celle-ci doit aussi pouvoir tenir compte de la pratique des principaux partenaires commerciaux de la Communauté. En outre, et certainement en période de
récession, des différences de prix relativement minimes peuvent déjà entraîner un glissement substantiel des parts de marché. C'est ce qu'illustrent très justement les chiffres figurant dans l'annexe 2 de, la réponse de la Commission et du Conseil aux questions posées par la Cour, qui a été citée à plusieurs reprises, et particulièrement les premier et deuxième groupes de chiffres (qui ont trait à l'augmentation des exportations néerlandaises à destination de la France). L'article 13, paragraphe 3,
du règlement de base imposera alors bien de tenir compte de l'importance de la différence de prix pour déterminer le montant des droits antidumping qu'il conviendra de fixer. Nous reviendrons sur ce point dans un autre contexte.

Pour apprécier le règlement attaqué à la lumière du troisième facteur mentionné à l'article 4, paragraphe 2, sous c), ce sont, outre les statistiques produites, en particulier les vingt-septième et vingt-huitième considérants du règlement qui importent. Ces considérants viennent en premier lieu à l'appui de la conclusion à laquelle nous avons abouti antérieurement, à savoir que les producteurs néerlandais adaptaient leurs prix aux prix à l'importation américains. En deuxième lieu, il est dit au
vingt-huitième considérant que les prix pratiqués par les producteurs néerlandais ont entraîné des pertes considérables, ce que les requérantes ne contestent pas. Le vingt-septième considérant mentionne les pertes subies par l'ensemble du secteur concerné dans la Communauté. En conséquence, les circonstances de fait satisfont en toute hypothèse aux critères mentionnés à l'article 4, paragraphe 2, sous c), sixième et septième tirets, à savoir que les prix à l'importation des requérantes ont exercé
une pression à la baisse sur les prix pratiqués par les, producteurs de la Communauté et ont eu une influence défavorable sur les bénéfices. De ce fait, l'appréciation au regard du troisième facteur établi à l'article 4 entraîne en définitive également un résultat négatif pour les requérantes. Même si la pression à la baisse exercée sur les prix des producteurs français (comme les requérantes le soutiennent) provenait pour l'essentiel des prix pratiqués par les producteurs néerlandais, cela ne
saurait servir les intérêts des requérantes. En effet, comme nous l'avons dit, les prix pratiqués par les producteurs néerlandais subissent presque certainement une pression à la baisse du fait des prix à l'importation en cause en l'espèce, de sorte que même une pression à la baisse exercée sur les prix des producteurs français semble indirectement provenir en partie des prix à l'importation pratiqués par les requérantes. Dans le cadre de la marge d'appréciation qu'il convient également de
reconnaître à la Commission pour l'interprétation de l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base, cela semble suffisant.

4.3. L'exigence d'un intérêt de la Communauté

L'article 12, paragraphe 1, du règlement de base exige, comme nous l'avons déjà dit, que les intérêts de la Communauté nécessitent une action communautaire. Dans le trente-deuxième considérant du règlement attaqué, la nécessité d'instituer des droits antidumping définitifs est motivée par la constatation que « en tout cas, l'intérêt à long terme des consommateurs de la Communauté n'est pas de laisser des pratiques de ‘dumping’ persistantes affaiblir une industrie communautaire ou en réduire les
activités ». Quant au montant des droits, il est simplement dit que « eu égard à l'ampleur du préjudice causé, les taux de ces droits devraient être égaux aux marges de ‘dumping’ constatées ».

Dans le cadre de leur sixième moyen, les requérantes soutiennent que l'intérêt de la Communauté ne saurait sans plus être assimilé à l'intérêt de certains producteurs et qu'en l'espèce, l'intérêt des consommateurs n'a fait l'objet d'aucun examen. Le Conseil ne contredit pas le premier argument avancé; il y souscrit plutôt. A cet égard, le Conseil mentionne un certain nombre d'autres aspects de l'intérêt communautaire parmi lesquels seul le prétendu intérêt des consommateurs est cependant
expressément mentionné dans le considérant cité. Bien qu'il convienne certainement de reconnaître au Conseil une large marge d'appréciation pour déterminer le contenu de la notion d'intérêt communautaire, celle-ci ne libère cependant pas le Conseil de l'obligation d'inclure également dans le règlement les motifs qui, à son avis, rendent nécessaire une intervention. Le deuxième argument des requérantes trouve clairement un appui dans le début du trente-deuxième considérant où il est dit que « la
Commission n'a reçu aucune demande de la part des consommateurs communautaires ». La suite du considérant, que nous avons déjà citée, à savoir « que ... l'intérêt à long terme des consommateurs de la Communauté n'est pas de laisser des pratiques de ‘dumping’ persistantes affaiblir une industrie communautaire ou en réduire les activités », relève certes, en tant que considération générale, du cadre de la marge d'appréciation qui appartient ici également au Conseil et à la Commission. Comme son
applicabilité dans le cas concret n'a pas été étayée plus précisément, elle ne saurait cependant admettre la conclusion qui en a été déduite, à savoir que les intérêts de la Communauté exigeaient en l'espèce l'institution de droits antidumping définitifs. Les données statistiques que - le Conseil a produites devant la Cour en réponse aux questions de celle-ci, soulignent le caractère exclusivement abstrait de la considération citée et le fait qu'elle ne s'applique pas sans plus en l'espèce. Elles
font apparaître pour le moins qu'on ne saurait ici parler d'une réduction des activités de l'industrie communautaire. Au vu des données communiquées pour les campagnes 1979-1980 à 1982-1983, il s'avère que la production de la Communauté s'est précisément accrue continuellement.

Comme il a été dit à l'audience en réponse à une question que nous avons posée, la preuve qu'en l'espèce l'industrie communautaire s'est trouvée affaiblie doit être recherchée dans la constatation figurant dans le vingt-huitième considérant, qui concerne les pertes substantielles subies par les producteurs néerlandais. Néanmoins, le fait que le trente-deuxième considérant renvoie implicitement au vingt-huitième considérant ne saurait en aucun cas constituer une motivation suffisante de la conclusion
tirée dans le trente-deuxième considérant, à savoir que les droits définitifs doivent être égaux aux marges de ‘dumping’ constatées.

Selon nous, pour apprécier les conséquences du défaut de motivation du montant des droits définitifs, c'est l'article 13, paragraphe 3, du règlement qui revêt un caractère déterminant. Cette disposition prévoit que « le montant de ces droits ne peut dépasser la marge de ‘dumping’ ou le montant de la subvention provisoirement estimés ou définitivement établis; il devrait être moindre si ce droit moindre suffisait à faire disparaître le préjudice» (mot souligné par nous). Selon nous, il convient de
déduire de cette disposition qui suit immédiatement l'article 12, que l'exigence d'un intérêt communautaire figurant dans l'article 12 doit être entendue en ce sens que le niveau des droits exigés lors de la fixation de droits antidumping définitifs doit également être motivé. Il conviendra en particulier de constater que des droits inférieurs ne sont pas suffisants pour faire disparaître le préjudice. En conséquence, outre la marge de « dumping », la « marge de préjudice » constitue également une
limite qui ne saurait être dépassée.

Nous estimons que c'est à la lumière de ces considérations qu'il convient également de lire le vingt-quatrième considérant du règlement entrepris et surtout — mais en tout cas pas exclusivement — les griefs formulés aux points 50, 59, 79, 86, 104 et 107 de la requête, qui s'y rapportent. Le cinquième moyen, dans le cadre duquel ces griefs sont développés en particulier, inclut aussi expressément [au point 58, sous b)], la violation de l'article 13, paragraphe 3, du règlement de base, que nous venons
de citer. C'est ce qui est repris encore plus clairement dans le grief formulé au point 104 et dans la dernière phrase du grief formulé en conclusion, au point 107 de la requête. Le vingt-quatrième considérant du règlement en cause reproduit l'avis de la Commission, à savoir que « les résultats de son enquête (concernant la marge de ‘dumping’) fournissent une base aussi précise que possible pour la détermination du niveau de ‘dumping’ et que des niveaux inférieurs constitueraient pour Allied
Corporation une récompense pour avoir dénoncé son engagement et s'être ensuite abstenue de collaborer, et pour Kaiser et Transcontinental une récompense pour avoir dénoncé leur engagement ».

C'est à juste titre que le Conseil a en soi observé dans son mémoire en défense que le « refus de récompenser » la dénonciation d'engagements de prix et le refus de collaboration qui a suivi ne constituent pas encore une « sanction ». Néanmoins, il convient d'y opposer, en premier lieu, que le passage cité du vingt-quatrième considérant du règlement en cause soulève cependant des objections. Comme les requérantes ont incontestablement le droit de dénoncer les engagements de prix convenus
(certainement lorsque les conditions de marché supposées exister à l'origine se sont prétendument, à tort ou à raison, modifiées), la résiliation en tant que telle ne doit avoir aucun effet sur la diligence et l'objectivité qui doivent régir l'enquête. Le refus de collaborer à l'enquête est lui-même un droit qui a un fondement incontestable et généralement reconnu en droit international public, comme nous l'avons déjà fait observer. Il ne saurait donc en soi pas non plus justifier le passage en
cause. Toutefois, nous estimons bien plus important que ce passage soit en fait le seul considérant du règlement susceptible de motiver éventuellement la non-application de l'article 13, paragraphe 3, dernière partie. Il est surprenant à cet égard que, dans son mémoire en défense, le Conseil ne prête presque aucune attention au grief fondé sur la violation de cet article. Enfin, nous estimons déterminant que pour le calcul des droits définitifs et pour se permettre de faire abstraction de la
dernière partie de l'article 13, paragraphe 3, le Conseil et la Commission n'aient donné aucun motif se rapportant au niveau du préjudice constaté.

Nous estimons que la négligence des institutions communautaires à cet égard est d'autant plus grave que nos analyses du mode de calcul de la marge de « dumping » et la façon de motiver le préjudice subi montrent que, quant à ces deux éléments, un certain nombre de points de vue inacceptables de la Commission ont également joué un rôle. En ce qui concerne le calcul de la marge de « dumping », l'analyse que nous avons faite ne nous a pas permis de conclure que le mode de calcul finalement appliqué
était en définitive inacceptable. Il est vrai aussi qu'en ce qui concerne le préjudice, nous avons somme toute abouti à la conclusion que l'article 4 n'avait pas été appliqué de façon inacceptable en droit. Néanmoins, nous avons alors ajouté que le préjudice, que le texte du règlement établit, est en fait bien inférieur à ce que la Commission et le Conseil semblent avoir supposé au vu du règlement et des explications fournies à cet égard. Pour les producteurs français, nous avons calculé une marge
de préjudice de 1,5 à 2 %. Les pertes que les producteurs néerlandais ont subies selon le règlement par suite de l'alignement de leurs prix sur les prix à l'importation peuvent tout au plus justifier une rectification du préjudice subi pour le ramener au même niveau. Même en l'absence d'importations en provenance des États-Unis, ils n'auraient en effet pas pu calculer, pour le marché français, des prix plus élevés que leurs concurrents français. La marge de préjudice mentionnée pourrait
éventuellement être augmentée à juste titre d'un supplément eu égard aux pertes subies par les producteurs français, dans la mesure où pour l'UNA les pertes seraient plus importantes que celles subies par ces producteurs sur les engrais composés ne faisant pas l'objet de « dumping ». Les pertes que les producteurs français ont subies du fait de la récession ou du fait des importations néerlandaises ne peuvent en soi, conformément à l'article 4, paragraphe 1, deuxième phrase, pas être considérées
comme un préjudice au sens de l'article 13, paragraphe 3. Il convient de même d'exclure l'incidence d'autres importations en provenance des États-Unis sur les pertes françaises. Les droits antidumping fixés pour les requérantes ne devront donc pas entraîner, pour celles-ci, un niveau de prix à l'importation plus élevé que celui qui avait été appliqué à leurs concurrents américains au moment de l'adoption du règlement. C'est pourquoi un montant de droits notablement inférieur que celui institué
aurait en l'espèce probablement été suffisant pour faire disparaître le préjudice subi du fait du « dumping ». La nécessité de tripler ou de doubler respectivement les droits institués à titre provisoire semble en tout cas hautement improbable, de sorte que c'est sans doute à tort que l'article 13, paragraphe 3, dernière partie, n'a pas été appliqué. Néanmoins, ce qui importe pour la Cour, c'est le fait que le trente-deuxième considérant du règlement attaqué ne contient aucun motif prouvant que le
droit institué respecte également la deuxième limite prévue de façon obligatoire par l'article 13, paragraphe 3, et relative à la marge de préjudice, et aucun motif faisant apparaître que même le triplement ou le doublement respectivement des droits institués à titre provisoire était justifié.

En résumé, nous considérons donc que les troisième, cinquième et sixième moyens avancés par les requérantes et examinés ici sont fondés dans la mesure où ils s'appuient ou tendent à s'appuyer sur l'argumentation selon laquelle les intérêts de la Communauté ne justifient pas les droits définitifs institués, ou pour le moins selon laquelle le respect de cette exigence, considéré également à la lumière de l'article 13, paragraphe 3, dernière partie, n'a pas été démontré. Sur ce point, nous concluons
que les griefs mentionnés revêtent une gravité telle qu'ils sont de nature à justifier l'annulation du règlement attaqué.

4.4. L'information prétendument insuffisante des requérantes

Dans le cadre du premier moyen avancé, les requérantes font grief à la Commission de ne pas s'être conformée suffisamment à l'obligation qui lui incombe au titre de l'article 7, paragraphe 4, sous b), du règlement de base, à savoir qu'elle devait informer les entreprises intéressées au début de l'enquête (en l'espèce au début de la nouvelle enquête) « des principaux faits et considérations sur la base desquels il était envisagé de recommander l'imposition de droits définitifs ou la perception
définitive des montants garantis par un droit provisoire ». Pour apprécier le grief formulé, on peut faire abstraction du point de savoir si, dans son mémoire en défense, le Conseil a soutenu à tort ou à raison que les requérantes avaient négligé de demander à la Commission de leur communiquer ces informations ( 4 ). De même, la question de savoir si l'article 7 prévoit effectivement en l'espèce (comme le Conseil le prétend) l'introduction d'une demande en ce sens comme condition préalable peut être
laissée de côté ici. Il est clair en effet que, par télex des 17 et 30 novembre 1982, la Commission s'est conformée à l'article 7, paragraphe 4, sous b) (voir annexes II et III au mémoire en défense). Ces télex donnent les faits essentiels sur la base desquels la Commission envisageait de recommander l'imposition de droits antidumping définitifs pour les requérantes.

C'est au Conseil qu'il appartient de motiver une décision définitive en la matière, et la contre-argumentation développée par les entreprises concernées peut également avoir une incidence sur cette décision définitive. Pas plus que cela n'est nécessaire, selon la jurisprudence de la Cour, lors de la communication des « points de grief » dans une procédure en matière d'entente, les « principaux faits et considérations » au sens de l'article 7, paragraphe 4, sous b), du règlement de base ne doivent
déjà contenir les motifs d'une décision définitive ou le montant de la « sanction » envisagée. Il suffit que les données communiquées permettent aux intéressés d'exercer leur droit de se défendre sur les points déterminants. Les documents relatifs à la défense présentée produits par les requérantes (annexes 12, 13 et 14 à la requête) et par le Conseil (annexe 1 à sa réponse, du 27 juillet 1984, aux questions de la Cour) montrent que sur tous les points qu'elles considèrent comme importants, les
requérantes ont été mises en mesure de présenter leur contre-argumentation. Comme il s'avère ainsi que le droit des requérantes à se défendre n'a pas été affecté notablement pendant la procédure administrative d'enquête, il convient de rejeter le moyen invoqué à cet égard.

4.5. La prétendue discrimination arbitraire dont les requérantes font l'objet

Dans le cadre de leur deuxième moyen, les requérantes font grief au Conseil d'avoir adopté le règlement attaqué alors que la nouvelle procédure d'enquête menée à l'égard d'autres exportations en provenance des États-Unis d'Amérique n'était pas encore close. De ce fait, le règlement aurait un caractère arbitraire et les requérantes seraient discriminées par rapport à d'autres exportateurs américains du produit en cause.

En réponse au grief ainsi formulé, le Conseil fait observer à bon droit que les articles 7 et 14 du règlement de base ne font pas obstacle à ce que des enquêtes séparées soient menées relativement à des présomptions de pratiques de « dumping » de différentes entreprises, s'écartant les unes des autres sur des points importants. De même, c'est à bon droit que le Conseil fait observer que les articles 7, 10, paragraphe 6, et 14 ne font pas obstacle à ce que des mesures définitives, différant entre
elles tant par le moment de leur adoption que par leur contenu, soient prises à l'égard de différents exportateurs concernés. Cela est d'autant plus vrai qu'une nouvelle enquête sur les exportations effectuées par les requérantes devait être clôturée dans le délai de quatre ou de six mois tout au plus en raison des mesures provisoires qui avaient été déterminées à leur encontre. Sur ce point, nous renvoyons à l'article 11, paragraphe 5, du règlement de base. En ce qui concerne les autres
exportations en provenance des Etats-Unis, il n'existait pas un tel impératif de délai, puisque, à leur égard, c'est une mesure générale qui restait applicable et que des mesures comparables à titre provisoire n'avaient pas été adoptées. De façon générale, nous observons encore sur ce point que — comme nous l'avons déjà présenté antérieurement — les pratiques de « dumping » revêtent, selon leur nature, un caractère individuel qui peut rendre nécessaire une enquête sur les coûts de production et les
prix de vente (sur le marché national et à l'exportation) individuels, qui peuvent être différents. C'est pourquoi il convient également de rejeter le deuxième moyen avancé par les requérantes.

Le rejet de ce moyen n'affecte certes pas l'éventualité que le mode de fixation des droits antidumping définitifs à leur égard entraîne également, considéré a posteriori, outre une violation des articles 12 et 13 du règlement de base, une discrimination des entreprises concernées par rapport aux autres exportateurs américains. Toutefois, nous n'estimons pas que le deuxième moyen concerne cette éventualité. Il vise exclusivement, selon nous, le moment de clôture de l'enquête qui en soi devrait déjà
selon elles être considéré comme arbitraire et discriminatoire.

5. Résumé et conclusion

5.1. Résumé

Dans les analyses qui précèdent, nous avons tout d'abord abouti à la conclusion que lors de la fixation des marges de « dumping », des considérations relatives à la situation de perte des requérantes ont à tort été incluses dans les considérants. En deuxième lieu, il s'avère que la Commission a interprété trop étroitement la notion de « données disponibles » figurant à l'article 7, paragraphe 7, sous b). Néanmoins, au cours de la procédure, il s'est avéré que l'élimination de ces erreurs n'aurait
pas entraîné de résultats plus avantageux à cet égard pour les requérantes. Les griefs que les requérantes ont soulevés sur ce point ne peuvent donc entraîner l'annulation du règlement contesté.

Les analyses auxquelles nous avons procédé nous ont ensuite conduit à conclure que le mode de constatation de la cause du préjudice subi, au sens de l'article 4 du règlement de base, est demeuré dans les limites de la liberté d'appréciation qui appartient à la Commission. L'élimination des irrégularités que nous avons également constatées ici, dans le raisonnement suivi par la Commission et le Conseil, ne permet pas non plus de conclure que l'existence d'un préjudice n'a pas été suffisamment
démontrée conformément à l'article 4. Il s'avère que les irrégularités mentionnées dans la comparaison des prix revêtent exclusivement un intérêt au regard de l'importance du préjudice constaté. Toutefois, si l'on examine le règlement entrepris à la lumière de l'article 4 du règlement de base, ces irrégularités ne sauraient en l'espèce fournir un motif d'annulation au titre de cet article.

En revanche, nos analyses aboutissent bien à la conclusion inévitable que dans le trente-deuxième considérant, le règlement ne motive pas l'institution de droits antidumping définitifs de façon que, examinés à la lumière de l'article 12, paragraphe 1, du règlement de base, les motifs fournis soient susceptibles de supporter la conclusion qui en a été tirée, à savoir que les intérêts de la Communauté rendaient nécessaire une action communautaire en l'espèce. En outre, nos analyses nous conduisent à
conclure que, contrairement aux dispositions de l'article 12, paragraphe 1, combinées à l'article 13, paragraphe 3, du règlement de base, il n'existe aucune motivation relativement à la conclusion figurant dans le trente-deuxième considérant sur le montant des droits antidumping définitifs institués. Enfin, il convient de déduire du restant de notre examen des faits constants, communiqués par le Conseil et la Commission eux-mêmes, que des droits antidumping notablement moins élevés auraient
probablement été suffisants pour empêcher les requérantes de poursuivre leur pratique de « dumping » contre la concurrence par les prix, ou pour le moins qu'il n'a été rendu plausible d'aucune manière que les droits institués tiennent compte de la disposition contraignante de l'article 13, paragraphe 3, dernière partie, du règlement de base. Les griefs formulés par les requérantes aux points 59, 79, 86, 104 et 107, dernière phrase, de la requête, relativement au montant des droits antidumping
institués, doivent donc également être considérés comme fondés. Selon nous, les griefs que nous avons résumés dans le présent alinéa doivent entraîner l'annulation du règlement en raison de leur gravité.

Pour les motifs développés antérieurement, il convient de rejeter l'ensemble des autres griefs formulés par les requérantes.

5.2. Conclusion

Nous concluons à ce que la Cour:

a) annule le règlement (CEE) no 101/83 du Conseil, du 17 janvier 1983, instituant un droit antidumping définitif sur certains engrais chimiques originaires des États-Unis d'Amérique;

b) condamne le Conseil aux dépens, la Commission étant condamnée à supporter les frais occasionnés par son intervention.

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( *1 ) Traduit du néerlandais.

( 1 ) J.F. Beseler: Die Abwehr von Dumping und Interventionen durch die Europaische Gememschaf, Baden-Baden, 1980.

( 2 ) Pour le texte du code antidumping dans le cadre du GATT, voir Beseler, op. cit., p. 233.

( 3 ) De la sorte, on tient compie de la communication faite par les requérantes, à savoir que les producteurs vendent également jusqu'à 30 % de leur production par l'intermédiaire des grossistes.

( 4 ) L'annexe 10 à la requête fait apparaître que pour le moins Allied Corporation avait effectivement introduit une demande en ce sens le 27 août 1982.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 53/83
Date de la décision : 21/11/1984
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Droits antidumping.

Dumping

Politique commerciale

Relations extérieures


Parties
Demandeurs : Allied Corporation et autres
Défendeurs : Conseil des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Mackenzie Stuart

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:355

Source

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