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27/09/1984 | CJUE | N°257/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 27 septembre 1984., Calvin E. Williams contre Cour des comptes des Communautés européennes., 27/09/1984, 257/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. MARCO DARMON,

PRÉSENTÉES LE 27 SEPTEMBRE 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Nous référant au rapport d'audience pour l'exposé des faits et de la procédure, nous ne retiendrons de ceux-ci que les éléments qui paraissent déterminants pour la solution du présent litige.


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. MARCO DARMON,

PRÉSENTÉES LE 27 SEPTEMBRE 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Nous référant au rapport d'audience pour l'exposé des faits et de la procédure, nous ne retiendrons de ceux-ci que les éléments qui paraissent déterminants pour la solution du présent litige.

Le 1er octobre 1982, la Cour des comptes décide d'organiser un concours interne en vue de pourvoir un emploi d'administrateur principal de carrière A 5/A 4 chargé, sous l'autorité d'un supérieur hiérarchique, d'exécuter des travaux de conception et d'analyse portant sur le service administratif interne et des questions budgétaires.

Pour concourir, les candidats doivent notamment satisfaire à deux conditions.

La première est alternative. Ils doivent à ce titre :

— soit posséder un diplôme sanctionnant quatre années d'études universitaires dans une ou plusieurs disciplines déterminées;

— soit justifier d'une expérience professionnelle équivalente, étant précisé que doit être considérée comme telle celle acquise dans une activité: à plein-temps, exigeant normalement un diplôme universitaire, «d'une durée au moins égale à celle nécessaire pour achever les études complètes conduisant à l'obtention du diplôme», à défaut duquel l'expérience professionnelle est exigée.

La seconde s'impose à tous les candidats. Ceux-ci doivent avoir une expérience professionnelle d'au moins six ans à un niveau responsable dans des activités en rapport avec la nature des fonctions afférentes à l'emploi postulé.

Par référence à la première condition, il est précisé que

— «sera prise en considération l'expérience professionnelle postérieure au diplôme universitaire»;

— «au cas où le candidat n'est pas titulaire d'un diplôme universitaire»;

— «au cas où le candidat n'est pas titulaire d'un diplôme universitaire, l'expérience de six années vient s'ajouter à l'expérience professionnelle exigée pour compenser l'absence de diplôme» (dans ce dernier cas, le candidat doit donc justifier au total d'au moins dix années d'expérience professionnelle).

2.  Le 7 décembre 1982, le jury du concours arrête, par ordre de mérite, la liste des trois candidats qu'il a reconnus aptes à l'emploi offert. Sur cette liste, communiquée dès le lendemain au personnel, M. Calvin Williams ne figure qu'en second rang. En tête se trouve M. Hartmut Schwiering que la Cour des comptes décide de nommer.

Ce succès et la nomination qui l'a suivi ne sont pas une surprise pour M. Williams. L'intéressé avait, en effet, dès le 16 novembre 1982, déposé chez un notaire de Luxembourg une liste de six candidats à six concours au nombre desquels figurait M. Schwiering, dont il considérait comme certain qu'ils seraient les lauréats de ces épreuves, par lui qualifiées de «simulacres».

Les prévisions de M. Williams devaient se révéler exactes.

Le contrôleur financier ayant refusé de viser la nomination de M. Schwiering au motif que l'intéressé ne remplissait pas les conditions prévues par l'avis de concours pour être admis à participer aux épreuves, la Cour des comptes lui présente une nouvelle décision n° 2239 en date du 1er février 1983, assortie de justifications complémentaires, qui se heurte le 28 février 1983 à un second refus de visa. Par décision du 24 mars 1983, la Cour des comptes décide de passer outre à ce refus,
confirmant ainsi «la décision ... n° 2239 du 1er février 1983 portant nomination de M. Schwiering comme fonctionnaire stagiaire de grade A 5».

Le 5 mai 1983, M. Williams introduit à l'encontre de cette dernière décision une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut. Cette réclamation est rejetée par la Cour des comptes le 5 septembre 1983.

3.  C'est dans ces conditions que M. Williams a introduit le présent recours, enregistré le 18 novembre 1983 au greffe de la Cour, aux fins de voir:

— annuler la nomination de M. Schwiering;

— renvoyer l'affaire devant l'autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) de la Cour des comptes pour l'exécution de l'arrêt à intervenir;

— condamner la Cour des comptes à lui verser à titre de dommages et intérêts une somme non précisée pour son dommage moral et celle de 500000 LFR pour son dommage matériel) «cette somme n'étant pas due en cas de nomination du requérant au poste en question».

4.  La Cour des comptes conclut à l'irrecevabilité de cette demande qui serait entachée à la fois de forclusion et de défaut d'intérêt.

Ces deux exceptions d'irrecevabilité doivent être rejetées. En effet, il est inexact de prétendre, comme le fait la Cour des comptes, que «la nomination de M. Schwiering n'est que la conséquence automatique de la publication de la liste d'aptitude le 8 décembre 1982» et que, dès lors, elle ne constitue qu'«un acte confirmatif, dénué d'effets juridiques propres et ne pouvant faire grief».

Par application de l'article 1 de l'annexe III du statut consacrée à la procédure de concours, il incombe à l'AIPN de spécifier dans l'avis de concours qu'elle arrête

«...

d) les diplômes et autres titres ou le niveau d'expérience requis pour les emplois à pourvoir ...»

L'article 5 de la même annexe donne certes compétence au jury pour déterminer «la liste des candidats qui répondent aux conditions fixées par l'avis de concours».

On ne saurait toutefois interpréter cette disposition comme retirant à l'AIPN le pouvoir, voire l'obligation, de vérifier que tel candidat inscrit sur la liste d'aptitude par le jury réunit effectivement les conditions de diplôme ou d'expérience qu'elle a elle-même édictées.

C'est donc la date de la nomination qui constitue le point de départ du délai de trois mois fixé à l'article 90, paragraphe 2.

Comme le relève le rapport d'audience, la nomination de M. Schwiering a fait l'objet de trois décisions intervenues sucessivement le 17 décembre 1982 et les 1er février et 24 mars 1983.

La première de ces décisions ne peut être retenue comme comportant des effets juridiques. Il apparaît, en effet, qu'elle a été implicitement rapportée par celle du 1er février 1983 (n° 2239) soumise au contrôleur financier «accompagnée d'une note explicative n° 2237 et de nouveaux documents relatifs aux titres et à l'expérience professionnelle de M. Schwiering» ( 1 ) et ayant fait l'objet du second refus de visa en date du 28 février 1983.

C'est à ce second refus de visa et non au premier que la Cour des comptes a passé outre par sa décision du 24 mars 1983 et ce dans les termes suivants:

«Il est passé outre au refus de visa du contrôleur financier du 28 février 1983, réf. CDV/CPF a — 70/83, concernant la proposition d'engagement de dépenses constituée par la décision de l'AIPN n° 2239 du 1er février 1983 portant nomination de M. H. Schwiering comme fonctionnaire stagiaire de grade A 5.»

C'est également la décision du 1er février 1983 que vise le président de la Cour des comptes dans sa correspondance du 5 septembre 1983 adressée à M. Williams pour l'informer du rejet de sa réclamation.

Même si l'on retient comme point de départ la date du 1 er février et non celle du 24 mars 1983, on ne peut considérer que la réclamation de M. Williams était tardive puisqu'il n'est ni prouvé, ni même soutenu que le concurrent ait eu connaissance avant le 4 mai 1983 de la décision nommant M. Schwiering.

L'action introduite par le requérant n'est pas davantage dénuée d'intérêt puisqu'en cas d'annulation de la nomination de M. Schwiering, M. Williams retrouve vocation à l'emploi ainsi devenu vacant.

5.  M. Schwiering remplissait-il les conditions pour être admis à concourir?

La Cour des comptes estime qu'en tant qu'AIPN elle n'est «pas compétente pour apprécier le bien-fondé de la décision du jury d'admettre un lauréat à concourir».

Une fois exprimée cette réserve, dont nous avons signalé les limites, la Cour des comptes a donné des justifications successives de l'aptitude à concourir de M. Schwiering.

Vous lui avez donc demandé de préciser sur quel fondement elle estimait, en dernière analyse, que M. Schwiering pouvait être admis à participer aux épreuves du concours. «Par déférence pour l'indépendance et l'objectivité des jurys», la Cour des comptes s'est retranchée à cet égard sur une note qui a été établie à cet effet le 16 avril 1984 par M. Mart, président du jury, et à laquelle elle vous prie de vous reporter, se ralliant dès lors au contenu de ce document. Ce dernier mentionne que

«A — Le jury a refusé à M. Schwiering la possession des connaissances de niveau universitaire, parce que le candidat ne pouvait justifier d'un diplôme sanctionnant la bonne fin de telles études.

B — Le jury a par contre reconnu à M. Schwiering une expérience professionnele d'au moins 48 mois équivalente aux études universitaires.»

En relisant la note de M. Mart, vous constaterez que le jury a considéré qu'au 15 octobre 1982, date limite à laquelle, aux termes de l'avis de concours, devaient être introduites «les candidatures accompagnées d'une copie des diplômes ou titres ainsi que des certificats attestant l'expérience professionnelle», M. Schwiering justifiait:

— non seulement de fonctions d'attaché personnel de M. Leicht, alors président de la Commission du budget au Bundestag, du 1er janvier 1974 au 30 novembre 1977, et d'une expérience professionnelle postérieure à la Cour des comptes jusqu'au 15 octobre 1982, soit au total d'une durée de huit ans, neuf mois et quinze jours;

— mais également d'études juridiques à l'université de Bonn du mois d'octobre 1971 jusqu'au 1er janvier 1974, c'est-à-dire pendant vingt-sept mois.

«Le jury (précise à cet égard M. Mart) assimilait les études en droit passées avec succès comme une partie de l'expérience professionnelle requise pour le motif que si, au lieu de se livrer à des études, M. Schwiering avait tout de suite commencé à travailler, les pratiques administratives de la Cour pour le classement de l'ensemble du personnel recruté à cette date, lui auraient sans difficulté reconnu l'équivalence.»

C'est donc au moyen de cette assimilation et en totalisant la durée des études accomplies et celle des diverses fonctions exercées par M. Schwiering que le jury a cru pouvoir considérer que ce candidat justifiait des dix années d'expérience professionnelle requises au total en cas d'absence de diplôme.

Une telle assimilation est absolument contraire aux dispositions précitées de l'avis de concours. On ne peut, en effet, par définition, considérer comme une activité «exigeant normalement un diplôme universitaire» celle qui, exercée sous la forme d'études tend justement à l'obtention de ce diplôme. Dès lors, même en supposant que la fonction d'attaché personnel exercée auprès de M. Leicht puisse être prise en considération, M. Schwiering ne pouvait justifier à la date du 15 octobre 1982 des dix
années d'expérience professionnelle requises au total dans son cas pour pouvoir être admis à concourir.

Il s'ensuit que la décision du 1er février 1983 le nommant comme fonctionnaire stagiaire de grade A 5 ainsi que, en tant que de besoin, celle du 24 mars 1983 passant outre au refus de visa du contrôleur financier du 28 février 1983 doivent être annulées.

6.  Si vous estimez, conformément à nos conclusions, que la demande de M. Williams est recevable et qu'elle est fondée en tant qu'elle tend à l'annulation de la nomination de M. Schwiering au poste offert au concours litigieux, il y aurait lieu de faire supporter les dépens de l'instance par la Cour des comptes.

Faut-il aller plus loin? Nous ne le pensons pas. Comme le fait observer la défenderesse, même le fait d'être inscrit en premier rang sur une liste d'aptitude ne confère pas à un droit automatique à nomination. L'AIPN pouvait soit recommencer une procédure de recrutement, soit, par décision motivée, ne pas nommer le premier inscrit.

M. Williams, qui ne peut justifier d'un préjudice réel, ne peut dès lors valablement prétendre au versement de dommages et intérêts.

7.  Nous concluons en conséquence à ce que

— vous déclariez M. Williams recevable en sa demande;

— vous annuliez la décision du 1er février 1983 et, en tant que de besoin, celle du 24 mars 1983 portant nomination de M. Schwiering comme fonctionnaire stagiaire de grade A 5;

— vous déclariez M.Williams mal fondé en sa demande de dommages et intérêts;

— vous condamniez la Cour des comptes aux dépens de la présente procédure.

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( 1 ) Extrait de la lettre du 28 février 1983 du contrôleur financier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 257/83
Date de la décision : 27/09/1984
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé, Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Fonction publique - Concours - Demande d'annulation de la décision de la nomination du lauréat - Admission à concourir.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Calvin E. Williams
Défendeurs : Cour des comptes des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:298

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