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11/07/1984 | CJUE | N°323/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 11 juillet 1984., SA Intermills contre Commission des Communautés européennes., 11/07/1984, 323/82


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 11 JUILLET 1984 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

1.1. L'objet du recours

Dans l'affaire 323/82 que nous avons à examiner aujourd'hui, la Cour est principalement confrontée avec la question de savoir comment apprécier au regard de l'article 92 du traité CEE des prises de participation par les États dans des entreprises. Il est vrai que le recours de la requérante et des intervenantes qui la soutiennent

tend à obtenir sans plus l'annulation de la décision 82/670/CEE de la Commission du 22 juillet 1982 con...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 11 JUILLET 1984 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

1.1. L'objet du recours

Dans l'affaire 323/82 que nous avons à examiner aujourd'hui, la Cour est principalement confrontée avec la question de savoir comment apprécier au regard de l'article 92 du traité CEE des prises de participation par les États dans des entreprises. Il est vrai que le recours de la requérante et des intervenantes qui la soutiennent tend à obtenir sans plus l'annulation de la décision 82/670/CEE de la Commission du 22 juillet 1982 concernant les aides du gouvernement belge en faveur d'une entreprise du
secteur papetier (JO 1982, L 280, p. 30). Toutefois, le recours n'est dirigé en réalité que contre le dernier alinéa de l'article 1er de la décision précitée dans lequel les aides sous forme d'une prise de participation par le gouvernement belge dans l'entreprise concernée sont déclarées incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE ainsi que contre l'article 2 de la décision. Cet article 2 est rédigé de la manière suivante: «Le royaume de Belgique informe la Commission,
dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'il a prises nour éviter que les aides dont il est question à l'article 1er, dernier alinéa, continuent à avoir des conséquences conduisant à une distorsion de concurrence dans l'avenir.» Quant aux autres éléments de la décision, nous les examinerons en même temps que les moyens invoqués à l'appui du recours.

Le problème de l'appréciation des prises de participation par les États au regard de l'article 92 n'a pas encore fait l'objet d'une jurisprudence de la Cour, pour autant que nous ayons pu le vérifier. Toutefois, l'avocat général Sir Gordon Slynn a examiné ce problème de manière détaillée dans ses conclusions du 25 janvier 1984 dans l'affaire 84/82 (République fédérale d'Allemagne/Commission, Recueil 1984, p. 1451).

Ce qui est également remarquable c'est que les commentaires récents sur l'article 92 du traité CEE ne se sont guère intéressés à ce problème cependant très important ( 2 ). Il est vrai que depuis ses considérations générales relativement détaillées sur le problème dans son deuxième rapport annuel sur la politique de concurrence (rapport 1972, p. 129 à 134), la Commission a régulièrement fourni des données au sujet de sa politique en la matière, dans ses rapports annuels sur la politique de
concurrence. A ce sujet, nous renvoyons particulièrement au septième rapport (sur 1977, p. 182 à 184), au huitième rapport (sur 1979, p. 164 à 168) et, en ce qui concerne la présente décision, au douzième rapport (sur 1982, p. 140 et 141). Dans le treizième rapport récemment publié (p. 148 et 149), il est question d'une lettre aux États membres «afin de clarifier le problème et de garantir l'application intégrale des règles applicables aux aides d'État». Il ressort de ces rapports que les aides sous
forme d'une prise de participation, temporaire ou non, dans le capital ont particulièrement été utilisées en Belgique, en France, en Italie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. En outre, certaines lignes de la politique de la Commission peuvent également être dégagées de ces rapports. Il ressort du huitième considérant de la présente décision que les gouvernements de trois États membres soutiennent expressément la politique suivie par la Commission en l'espèce.

1.2. La recevabilité du recours

Bien qu'il soit certain que la requérante est directement et individuellement concernée par la décision, le recours soulève cependant des problèmes de recevabilité. La décision concerne en particulier des aides en faveur d'une entreprise dans le secteur papetier (voir premier et troisième considérants). D'après la requérante, son entreprise est, de ce fait, manifestement visée. Toutefois, les moyens que la requérante fait valoir au fond concernent essentiellement l'apport de capital de la région
wallonne dans trois entreprises dont elle prétend qu'elles sont absolument autonomes et qu'elles ne peuvent en aucune manière être considérées comme des filiales de la requérante. Si cette affirmation devait se révéler exacte, le recours dirigé contre les aides octroyées aux trois entreprises concernées devrait sans aucun doute être déclaré irrecevable. Étant donné que les trois entreprises concernées n'ont pas introduit de recours séparé, mais en leur qualité de parties intervenantes, pouvaient
seulement soutenir les conclusions de la requérante, il est évident que leur intervention ne peut pas, elle non plus, lever cette irrecevabilité éventuelle.

Cette affirmation de la requérante a été en soi battue en brèche de façon pertinente par le juge rapporteur lors de l'audience lorsqu'il a fait confirmer par la requérante qu'en prenant une participation majoritaire dans le capital, la région wallonne non seulement a pris le contrôle des entreprises des parties intervenantes mais également de celle de la requérante elle-même. Par suite de ces prises de participation dans le capital, toutes les entreprises concernées doivent par conséquent être
réputées constituer un seul groupe ou une seule entreprise au sens de la décision. Telle est également l'opinion de la Commission. Dans ces conditions, nous ne voyons pas d'objection majeure à reconnaître à la requérante le droit d'agir pour l'ensemble du groupe. L'argumentation de la requérante elle-même, d'après laquelle elle ne possède aucun pouvoir sur les entreprises des intervenantes, pourrait faire douter de ce point. Toutefois, cette argumentation est infirmée par l'information figurant à la
page 60 des observations de la région wallonne produites par la Commission. On y lit que la requérante déterminera la politique industrielle et commerciale de tout le groupe et qu'elle aura un droit d'intervention dans chacune des filiales. Si nous admettons la recevabilité du recours de la requérante, nous devons alors logiquement rejeter tous les arguments de la requérante qui se basent précisément sur une autonomie complète des autres sièges d'exploitation du groupe. Nous pouvons difficilement
admettre des moyens au fond qui devraient faire conclure à l'irrecevabilité du recours. Nous reviendrons encore sur ce problème lors de l'examen des différents moyens de la requérante et des parties intervenantes.

1.3. Les moyens invoqués

Nous estimons que les sept moyens de la requérante et les sept moyens des intervenantes qui sont en majeure partie, mais pas complètement, identiques peuvent être classés de la manière suivante. Lors de cette classification, nous avons tenté, en ce qui concerne les moyens au fond, de suivre aussi étroitement que possible l'économie de l'article 92 et celle de la décision qui se fonde sur elle.

Dans le paragraphe 2, de nos conclusions, nous traiterons des trois premiers moyens (de forme) de la requérante et des deux premiers moyens développés par les parties intervenantes et qui recouvrent les précédents. Ces moyens, qui font valoir une double violation de l'article 93, paragraphe 2, ainsi qu'une violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, concernent tous la forme.

Dans le paragraphe 3, nous examinerons les trois premiers considérants de la décision, qui sont des considérants de fait, et les arguments y relatifs de la requérante et des intervenantes (notamment le septième moyen des intervenantes qui ne figure pas séparément dans le rapport d'audience).

Dans le paragraphe 4, nous examinerons les moyens qui font valoir le défaut de motifs eu égard aux différents critères d'applicabilité de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE: dans le point 4.1, nous examinerons la notion d'aides (à laquelle se rapportent particulièrement le sixième moyen de la requérante et les quatrième et cinquième moyens des intervenantes) et, dans le point 4.2, nous examinerons le critère de l'influence défavorable _ des aides sur le commerce entre les Etats membres
(cinquième moyen de la requérante).

Dans le paragraphe 5, nous traiterons des moyens principaux de la présente affaire, dans lequel un défaut de motifs est reproché à la Commission au sujet de la manière d'appliquer l'article 92, paragraphe 3 c) (quatrième et septième moyens de la requérante et troisième et sixième moyens des intervenantes).

Dans le paragraphe 6, nous formulerons enfin nos conclusions définitives.

1.4. Comparaison avec les pièces du dossier

Il est possible de comparer la restructuration que nous avons appliquée à la présentation des moyens à l'ordre différent suivi par la requérante et les intervenantes dans la présentation de leurs moyens, en se référant au rapport d'audience dans lequel l'ordre primitif a été maintenu. Le rôle de garantie de procédure qu'ont le rapport d'audience et la partie en fait d'un arrêt qui lui correspond traditionnellement revêt évidemment une importance particulière, dans la mesure où les moyens de recours
allégués sont traités dans un autre ordre ou à l'aide d'une formulation résumée, dans des conclusions ou dans un arrêt. Lors de l'audience, les moyens allégués ont été examinés dans un ordre encore une fois différent, ce qui confirme la nécessité d'une restructuration systématique.

2. Les trois moyens de forme

2.1. Le premier moyen

Dans son premier moyen, soutenu par les parties intervenantes, la requérante fait grief à la Commission d'avoir violé la forme substantielle prévue à l'article 93, paragraphe 2, en ce que la Commission ne l'a pas nommément mise en demeure de présenter ses observations avant de prendre la décision attaquée. Ce moyen devra être rejeté. Conformément à la pratique constante qu'elle applique depuis de nombreuses années, dans la présente affaire également, la Commission a permis aux intéressés visés à
l'article 93, paragraphe 2 (à l'exception des Etats membres), sans exception, de présenter leurs observations, par une communication publiée au Journal officiel (JO 1981, C 61, p. 3). Ce ne sont pas exclusivement les bénéficiaires des aides concernées qui font partie de ces intéressés, mais en font partie, de la même façon, les entreprises éventuellement lésées dans leurs possibilités de concurrence, les acheteurs, les fournisseurs, les travailleurs et les organisations professionnelles. Pour la
Commission, il n'est pratiquement pas possible, et, d'ailleurs, le texte de l'article 93, paragraphe 2, ne l'exige pas non plus, de mettre individuellement tous ces intéressés potentiels en mesure de présenter leurs observations. De plus, un traitement préférentiel des entreprises bénéficiaires de l'aide concernée, pour autant qu'elles soient connues de la Commission, serait contraire au principe de l'égalité de traitement de tous les intéressés. Par conséquent, c'est à bon droit que la Commission
observe dans son mémoire en défense que pour les motifs précités, seule une communication publiée au Journal officiel offre une garantie de procédure satisfaisante à tous les intéressés. Seuls les États membres ont coutume d'être individuellement mis en demeure de présenter leurs observations, et cela, à l'évidence, également eu égard à l'examen en commun des régimes d'aides existants prescrit par l'article 93, paragraphe 1.

2.2. Le deuxième moyen

Dans son deuxième moyen, soutenu par les intervenantes, la requérante fait ensuite grief à la Commission d'avoir violé la même disposition ainsi que le principe général d'une bonne administration en ce que la communication précitée aurait déjà constaté l'infraction qu'elle allègue. La Commission aurait certainement agi de manière plus correcte si elle s'était limitée ici — conformément à ce que prévoit l'article 93, paragraphe 3, deuxième phrase — à exprimer son point de vue, à savoir qu'il
s'agissait d'aides incompatibles avec le marché commun. Il ressort néanmoins clairement du texte de la communication et en particulier de la référence expresse qui y est faite à l'article 93, paragraphe 2, première phrase, qu'il ne s'agit ici en fait que d'un point de vue provisoire, préalable non seulement à la décision, mais aussi à l'examen, effectué en commun avec les États membres, tel qu'il est visé au premier paragraphe de cet article. De plus, les termes clairs dans lesquels est formulé ce
point de vue provisoire et les motifs succincts qui en sont donnés paraissent augmenter plutôt que diminuer la possibilité pour l'entreprise bénéficiaire de contester cette opinion. Enfin, il y a lieu de ne pas perdre de vue que, dans le même alinéa, la communication constate ensuite — ce qui n'est pas contesté — que le projet d'aides concerné n'a pas été notifié dans les délais. Sur la base de la jurisprudence de la Cour (affaires 120 à 122/73 et 141/73, Lorenz et autres, Recueil 1973, p. 1471), sa
réalisation constituait en tout cas pour ce motif une infraction au droit communautaire. En traitant néanmoins les aides notifiées en dehors des délais comme des aides, la Commission a certainement créé des possibilités d'attaquer sa condamnation de ces aides, alors qu'elle n'y était aucunement obligée. Nous pensons dès lors que le deuxième moyen de la requérante, malgré l'erreur formelle dont nous avons admis l'existence dans la communication, devra être rejeté, lui aussi.

2.3. Le troisième moyen

Dans son troisième moyen, soutenu par les intervenantes, la requérante fait grief à la Commission d'avoir violé l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ( 3 ) du fait de l'obligation contenue à l'article 2 de la décision contestée de prendre des mesures «pour éviter que les aides dont il est question à l'article 1er, dernier alinéa, ne continuent à avoir des conséquences conduisant à une distorsion de concurrence dans l'avenir». Les aides concernées consistent dans la prise de
participation de l'État belge dans l'entreprise en question. Tout d'abord, ce moyen n'est pas fondé en fait. L'affirmation de la requérante d'après laquelle l'article 2 de la décision signifierait qu'elle — la requérante — devrait restituer la prise de participation de l'État belge d'un montant de 1,500 milliard de BFR ne trouve manifestement pas de fondement dans les dispositions citées. Pour commencer, l'article précité impose une obligation non pas à la requérante mais exclusivement au
gouvernement belge; ensuite il est laissé à l'appréciation du gouvernement belge de déterminer comment il convient de mettre fin aux conséquences, conduisant à une distorsion de concurrence, des aides concernées. Ainsi que la Commission l'a observé, on pourrait en l'occurrence songer entre autres à une transformation de la prise de participation de l'État en un prêt à intérêt. Le moyen n'est pas davantage fondé en droit. A supposer que la Communauté doive également être réputée liée par l'article
précité de la convention, l'opinion de la requérante repose manifestement sur la double supposition que des actes de droit administratif intervenant dans le cadre des rapports de caractère contractuel ou qui relèvent du régime des biens doivent toujours être appréciés au regard de l'article 6 de la convention précitée et qu'une juridiction administrative qui ne permet qu'un contrôle de la légalité de tels actes — qui ont lieu dans tous les États membres — serait contraire à l'article 6 précité.
Toutefois, nous n'avons pu trouver de fondement à cette double supposition ni dans les dispositions de l'article précité, ni dans la jurisprudence invoquée par la requérante à l'appui de son argument ( 4 ). Par conséquent, ce moyen devra être rejeté, lui aussi.

3. Les faits et les moyens y relatifs

Il ressort des trois premiers considérants de la décision que la Commission part de l'idée selon laquelle les aides concernées se composent des éléments suivants:

a) «Un prêt bonifié de 1,076 milliard de BFR destiné à financer un programme d'investissement de 1,314 milliard de BFR et de deux avances récupérables pour un total de 510 millions de BFR.» D'après le deuxième considérant, ces aides étaient «plus particulièrement liées à la réalisation des opérations de restructuration comportant la fermeture de deux sièges d'exploitation sur un total de cinq et l'arrêt de la production de papier de masse au profit d'un renforcement de la production de papiers
spéciaux».

b) «Une prise de participation de l'exécutif de la région wallonne de 2,35 milliards de BFR qui a principalement pour effet de sauver l'entreprise d'une situation financière très difficile» (troisième considérant).

Dans le septième moyen soulevé par les intervenantes, le point b) de cet exposé des faits est contesté. La prise de participation dans l'entreprise de la requérante ne présenterait que 1,5 milliard de BFR du montant précité. Les 850 millions de BFR qui restent représenteraient en réalité une prise de participation de la région wallonne dans la constitution du capital des intervenantes. D'après les explications qu'elles ont fournies, les intervenantes auraient donc en fait été créées par la région
wallonne. La même idée est manifestement à la base des troisième et quatrième moyens de la requérante sans que celle-ci en ait cependant fait un moyen séparé ( 5 ). Dans nos observations liminaires, nous avons déjà souligné que ce moyen (y compris tous les arguments que la requérante et les intervenantes fondent sur celui-ci) devrait être déclaré irrecevable si sa teneur était exacte. Cependant, nous avons soutenu en même temps que, lorsqu'elle parle d'une entreprise, la décision ne vise
manifestement pas l'entreprise de la requérante mais l'ensemble du groupe des entreprises contrôlées par la région wallonne du fait de sa prise de participation dans le capital. Le moyen doit par conséquent être rejeté.

Notamment lors de l'audience, la requérante et les trois intervenantes qui la soutiennent ont également contesté sur d'autres points les trois considérants de fait précités de la décision.

Dans la mesure où cette contestation brode sur le malentendu que nous venons de mentionner, d'après lequel, par les termes «une entreprise», la décision viserait uniquement l'entreprise de la requérante et non pas celles de l'ensemble du groupe, il n'est pas nécessaire que nous nous y attardions davantage après les observations qui viennent d'être faites. Toutefois, lors de l'audience, la constatation contenue dans le troisième considérant, à savoir que la prise de participation de la région
wallonne pour un montant de 2,35 milliards de BFR «a principalement pour effet de sauver l'entreprise d'une situation financière très difficile» a été contestée, elle aussi.

D'après la requérante et les parties intervenantes, il n'est pas possible ni d'un point de vue juridique ni d'un point de vue comptable d'établir une telle distinction entre la prise de participation visée dans le troisième considérant et les prêts visés dans le premier considérant. Les prêts et la prise de participation dans le capital seraient tous deux entrés dans le patrimoine des entreprises de la requérante et des intervenantes. Tous deux auraient été destinés sans distinction à la totalité
des opérations de restructuration, donc aux investissements, à la fermeture de deux sièges d'exploitation sur un total de cinq, à l'arrêt de la production de papier de masse au profit d'un renforcement de la production de papiers spéciaux et à la couverture des dettes et des pertes. Cependant, le fondement de fait qui est ainsi présenté séparément à l'appui des quatrième, cinquième, sixième et septième moyens de la requérante, qui nous restent à examiner, est incompatible avec la manière dont les
faits ont été exposés pendant la procédure dans les observations de la région wallonne. Il ressort indubitablement de ce document détaillé (p. 62) que les prêts octroyés peuvent uniquement être considérés comme des crédits d'investissement et que les avances octroyées servent exclusivement à faire face aux conséquences sociales des opérations de restructuration. Il est donc évident que les dettes et les pertes du groupe ne pouvaient être financées que par la prise de participation dans le capital.
Après déduction des frais d'investissement (400 millions de BFR) et des frais de licenciement (510 millions de BFR) dont la requérante a elle-même fait état lors de l'audience, ces dettes et pertes absorbent la plus grande part de la participation de l'Etat. Il convient d'ajouter que la requérante et l'intervenante ont reconnu lors de l'audience que les deux sièges d'exploitation encore en activité continuent de subir des pertes. Ces pertes, qui se produisent toujours depuis que les aides ont été
accordées, bien qu'elles soient en diminution au dire de la requérante ne peuvent être financées que grâce à la prise de participation dans le capital. Par conséquent, c'est à bon droit que dans le troisième considérant de sa décision, la Commission a prétendu que cette prise de participation dans le capital «a principalement pour effet de sauver l'entreprise d'une situation financière très difficile». Cela vaut en particulier pour la prise de participation dans le capital de l'entreprise de la
requérante; toutefois, même d'après les chiffres produits par la requérante au cours de l'audience, cela vaut également pour plus de la moitié du montant de la prise de participation dans le capital des entreprises des intervenantes.

Nous allons maintenant examiner séparément les aspects juridiques des autres moyens soulevés par la requérante.

4. L'applicabilité de l'article 92, paragraphe 1

4.1. La notion d'aides

Pour l'applicabilité de l'article 92, il doit tout d'abord s'agir d'«aides accordées par les États au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions». Le sixième moyen de la requérante et les quatrième et cinquième moyens des intervenantes se rattachent à ce critère de base de l'article 92, paragraphe 1.

A cet égard, les vingt-six et vingt-septième considérants de la décision sont particulièrement contestés dans le sixième moyen de la requérante et dans le quatrième moyen des intervenantes, dans la mesure où ces considérants constatent à propos de la participation «qu'il s'agit d'une aide de sauvetage destinée à permettre à l'entreprise de faire face à ses engagements financiers» et que cette aide «destinée à permettre le maintien en activité des capacités de production est de nature à porter une
atteinte particulièrement grave aux conditions de concurrence car le libre jeu des forces du marché exigerait normalement la fermeture de l'entreprise, ce qui permettrait aux concurrents plus compétitifs de se développer». Les parties intervenantes contestent ces affirmations, en particulier en ce qui concerne la prise de participation dans leurs entreprises Toutefois, nous avons déjà constaté précédemment que cette division faite parmi les constatations de la Commission doit être considérée comme
inexacte et pour quelle raison, et nous avons constaté que, si les intervenantes devaient être considérées comme des entreprises autonomes (quod non), elles n'ont pas introduit un recours distinct mais se sont limitées à intervenir à l'appui des conclusions de la requérante. Elles ne peuvent donc pas non plus être déclarées recevables en des prétentions distinctes concernant la décision. Par conséquent, leur quatrième moyen ne pourra être examiné que dans la mesure où il tend au soutien des
conclusions de la requérante et, en tant que tel, il ne contient pas d'éléments nouveaux.

Le cinquième moyen soulevé par les intervenantes a un caractère plus fondamental que le sixième moyen soulevé par la requérante. Il fait valoir la violation de l'article 222 du traité CEE dans la mesure où la décision reviendrait à dénier à un État ou à un de ses organes le droit de créer de nouvelles entreprises, alors que l'article 222 du traité CEE précise: «Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres.» Bien que la formulation de ce moyen centre de
nouveau, de manière inadmissible, la question du caractère licite de la prise de participation de la région wallonne sur la participation dans les entreprises des intervenantes, la Cour est ainsi expressément invitée pour la première fois à se prononcer sur l'applicabilité de l'article 92 en matière de prises de participation par les États.

Il sera notamment question d'«aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions», lorsque les aides diminuent artificiellement soit les frais d'investissement, soit les coûts de production, soit les frais d'écoulement des entreprises concernées ou lorsque l'État, sous quelque forme que ce soit, prend à sa charge les pertes de ces entreprises.
Il ressort déjà de notre analyse des faits et des arguments y relatifs de la requérante, au paragraphe 3 des présentes conclusions, que la prise de participation de la région wallonne tend essentiellement en l'espèce à couvrir les pertes du groupe Intermills. L'argumentation de la requérante, selon laquelle tel ne serait pas le cas, est partiellement fondée sur son affirmation que nous avons déjà trouvée insoutenable (au paragraphe 3), d'après laquelle les prêts, avances et prise de participation
constitueraient un tout qui serait destiné dans sa totalité à une seule opération de restructuration indivisible. D'autre part, elle est fondée sur une affirmation que nous avons également déjà trouvée insoutenable (paragraphe 1, point 2) et qui est susceptible de compromettre la recevabilité du recours, d'après laquelle il faudrait en réalité non pas parler d'aides à une entreprise mais d'aides à plusieurs entreprises autonomes (celle de la requérante et celles des trois intervenantes). Du reste,
nous avons également déjà constaté que la participation dans les entreprises des intervenantes servait également en grande partie à couvrir des pertes. Par conséquent, le sixième moyen doit être rejeté.

Il reste alors à examiner l'important cinquième moyen invoqué par les intervenantes qui soulève le problème du rapport entre l'article 92 et l'article 222 du traité. Le fait qu'en 1963, la Commission, dans sa réponse à une question parlementaire citée par la requérante, n'ait pas encore expressément inclus les prises de participation dans le capital dans sa liste d'exemples de formes possibles d'aides, ne peut évidemment pas exclure que sur la base d'expériences ultérieures, elle soit amenée à
conclure que, dans certaines circonstances, des prises de participation par l'État dans une entreprise peuvent également constituer des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1. Dans ses conclusions déjà citées du 25 janvier 1984 dans l'affaire 84/82 (République fédérale d'Allemagne/Commission), l'avocat général Sir Gordon Slynn conclut que même une prise de participation en principe temporaire dans des entreprises viables avec une possibilité de distribution de dividendes constitue une aide
lorsqu'elle intervient à une échelle qui n'est normalement pas réalisable sur le marché des capitaux. En l'espèce, toutefois, il ne s'agit pas d'un tel cas limite.

Dans la présente affaire, il est clairement question d'une prise de participation dans le capital d'une entreprise en difficulté qui, également en rapport avec l'affaire 84/82, a déjà été considérée par la Commission comme une aide au sens de l'article 92. Ainsi que nous l'avons démontré précédemment, la présente prise de participation dans le capital des entreprises du groupe Intermills est en outre essentiellement destinée à couvrir des pertes. Il ne semble faire aucun doute qu'une telle forme de
couverture très importante des pertes qui maintient artificiellement une entreprise en vie doit être qualifiée, elle aussi, d'aide au sens de l'article 92. Cela vaut d'autant plus que le caractère non temporaire de cette prise de participation dans le capital ainsi que le fait que, quatre ans après l'octroi des aides, la rentabilité des sièges d'exploitation toujours en activité n'a même pas encore été rétablie obligent à en déduire que ce capital n'aurait pas pu être obtenu sur le marché privé des
capitaux. C'est ce qui ressort également du plan de sauvetage produit par la région wallonne. Il est évident que cela aurait encore moins pu être possible en ce qui concerne la prise de participation de 1,5 milliard de BFR au profit de la requérante elle-même, la requérante ayant affirmé avec force lors de l'audience que son entreprise n'exerce plus aucune activité industrielle. Une telle manière de couvrir les pertes, grâce à laquelle un groupe d'entreprises (mutuellement liées ainsi que nous
l'avons déjà observé) est artificiellement maintenu en vie, fausse certainement également la concurrence vis-à-vis d'autres entreprises de ce secteur. D'après le neuvième considérant de la décision, deux organisations professionnelles et une entreprise concurrente ont estimé que cela était particulièrement le cas, étant donné qu'une surcapacité de production régnait dans le secteur concerné.

L'article 222 ne peut modifier en rien ces conclusions. Dans sa jurisprudence relative aux droits de propriété industrielle et commerciale dans le cadre de l'article 36 du traité, la Cour a déjà déclaré à plusieurs reprises que le respect de l'existence de ces droits de propriété ne suffit pas à entraîner l'obligation d'admettre n'importe quel usage de ces droits. Une conception différente relative à l'article 222 devrait aboutir à la conclusion absurde qu'aucune convention ou qu'aucun acte
juridique relatif au transfert ou à l'usage de la propriété de biens mobiliers ou immobiliers, corporels ou incorporels (en l'espèce, la souscription de parts sociales) ne peut être affecté par le droit communautaire primaire ou secondaire. Il ressort déjà clairement de l'article 85 du traité qu'une telle conception est indéfendable. En ce qui concerne le cas concret, il nous semble évident que l'article 222 ne s'oppose pas à ce que de nouvelles parts sociales ne puissent servir à couvrir
d'importantes dettes et pertes d'exploitation. Par conséquent, le cinquième moyen soulevé par les intervenantes, dans la mesure où il serait en soi recevable, devra être rejeté, lui aussi.

4.2. Le critère de l'influence défavorable sur les échanges commerciaux

Le cinquième moyen de la requérante fait valoir le défaut de motifs et une appréciation inexacte des faits par la Commission, en ce sens que l'aide en cause serait de nature à affecter les échanges entre les États membres. Se référant à l'arrêt de la Cour dans l'affaire Philip Morris (affaire 730/79, Recueil 1980, p. 2689), la requérante estime dans sa requête qu'il ne peut être question d'une telle influence défavorable que «lorsqu'une aide financière accordée par l'État renforce la position d'une
entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires» (point 11 des motifs, première phrase), c'est-à-dire [doit] «contribuer à l'augmentation de sa capacité de production et, en conséquence, à l'accroissement de sa capacité d'alimenter les courants d'échanges y compris ceux existant entre États membres» (point 11 des motifs, troisième phrase). A propos de cette argumentation, il convient de souligner qu'elle suggère à tort que la troisième phrase du point
des motifs concernés contient une restriction eu égard à la première phrase formulée en termes plus larges. Or, en fait, il s'agissait seulement dans cette troisième phrase d'apprécier le cas concret Philip Morris au regard de la première phrase en question.

La question de savoir si la Cour a en effet eu l'intention de donner dans la première phrase du point des motifs cité une définition exhaustive du critère d'application en question de l'article 92, paragraphe 1, peut ne pas être examinée ici. Une appréciation des aides en cause au regard de cette première phrase fait notamment apparaître clairement que ces aides relèvent également de cette définition. En permettant le remboursement des dettes et la couverture des pertes courantes par une prise de
participation dans le capital, il est évident que la région wallonne a renforcé la position du groupe Intermills — désigné à bon droit dans la décision comme une seule entreprise, ainsi que nous l'avons déjà fait observer — dans les courants d'échanges intracommunautaires.

Dans son mémoire en défense, la Commission a elle-même affirmé à bon droit que sans ces aides (parmi lesquelles il y a encore lieu de compter les aides massives à l'investissement octroyées sous forme de prêts à bon marché), l'entreprise en question aurait assurément dû arrêter ses activités. En outre, la prise de participation dans le capital a permis à certaines parties de l'entreprise (les sièges d'exploitation des intervenantes) de produire à des prix non rentables.

A la lumière de l'arrêt de la Cour dans l'affaire Philip Morris et après avoir opéré une comparaison avec la décision dans cette dernière affaire, compte tenu également de la position du groupe dans les échanges commerciaux internationaux, laquelle était évidemment connue des destinataires de la décision et de la requérante, les considérants 8 à 10 peuvent être considérés comme des motifs suffisants pour démontrer que le critère exigé, à savoir une influence défavorable sur les échanges commerciaux
entre les États membres, est rempli. Il est vrai que la valeur d'exemple que revêt la décision pour des entreprises d'autres secteurs et la possibilité que cette même décision soit appréciée par d'autres personnes intéressées mais étrangères à l'affaire auraient de toute évidence été plus grandes si la décision avait aussi expressément mentionné les faits connus des personnes directement intéressées.

5. L'application de l'article 92, paragraphe 3 c)

Les considérants 14 à 29 de la décision sont consacrés à estimer que les possibilités contenues dans l'article 92, paragraphe 3, de considérer des aides tombant dans le champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, comme compatibles avec le marché commun sont inapplicables. A cet égard, l'article 92, paragraphe 3 c), est particulièrement important. Cette disposition permet de considérer comme compatibles avec le marché commun «les aides destinées à faciliter le développement de certaines
activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun».

Les quatrième et septième moyens de la requérante et les troisième et sixième moyens correspondants des intervenantes font valoir la contradiction et, partant, le défaut de motifs, respectivement la violation de la disposition citée en ce qui concerne le refus d'appliquer cette possibilité. La contradiction dans les motifs consisterait en ce que la décision constate d'une part que «les aides octroyées sous forme de crédits bonifiés et avances remboursables sont liées» à la restructuration et «ne
sont pas susceptibles d'altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun» (à ce sujet nous observons que ces citations constituent des extraits des considérants 22 à 24 de la décision et qu'ils doivent être appréciés à la lumière de l'ensemble des considérants). D'autre part, l'aide octroyée sous forme d'une prise de participation dans le capital de l'entreprise bénéficiaire ne serait pas directement liée à la restructuration de l'entreprise (nous renvoyons à ce
propos aux considérants 26 et 27 de la décision, dans lesquels la Commission affirme, afin de préciser cette constatation, «qu'il s'agit d'une aide de sauvetage destinée à permettre à l'entreprise de faire face à ses engagements financiers» et qu'une «telle aide destinée à permettre le maintien en activité de capacités de production est de nature à porter une atteinte particulièrement grave aux conditions de concurrence car le libre jeu des forces du marché exigerait normalement la fermeture de
l'entreprise ce qui permettrait aux concurrents plus compétitifs de se développer»).

Les requérantes et les parties intervenantes estiment que le but et l'effet de l'aide sous forme d'un crédit bonifié et d'avances remboursables, déclarées à juste titre licites par la Commission, seraient exactement les mêmes que le but et l'effet de l'aide qu'elle a condamnée. Il s'agirait d'une seule opération complexe et indivisible, consistant dans la fermeture d'unités de production non rentables, la création de trois nouveaux sièges d'exploitation reprenant les unités de production rentables
de la requérante, la transformation de l'entreprise de la requérante en une «société immobilière» et le paiement par la requérante des pertes résultant du mauvais rendement de l'unité de production de Saint-Servais et des frais résultant de la fermeture de cette usine d'une part au moyen des avances remboursables, d'autre part par la prise de participation dans le capital de la requérante.

Le septième moyen de la requérante fait valoir une violation de l'article 92, paragraphe 3 c), en ce sens que la Commission rejette l'application de cette disposition au motif que l'intérêt de la Communauté exige la réduction de la production des papiers de masse et une orientation vers la production de papiers spéciaux. Cela serait incompatible, d'une part, avec le fait que la disposition violée autorise les «aides destinées à faciliter le développement de certaines activités quand elles n'altèrent
pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun» et, d'autre part, avec le fait que l'aide critiquée a précisément pour objet de réduire la production des papiers de masse et de faciliter le développement de la production de papiers spéciaux.

Il vaut mieux examiner ensemble les moyens précités. Étant donné que la conception exposée dans le septième moyen selon laquelle l'article 92, paragraphe 3 c), contient une autorisation légale de certaines aides est manifestement incompatible avec la disposition liminaire de l'article 92, paragraphe 3, ce moyen n'a de sens que si on l'envisage comme un complément au quatrième moyen de la requérante. Dans son mémoire en réplique, la requérante a encore observé, en vue de clarifier ce moyen, que,
contrairement à l'opinion de la Commission, la prise de participation dans le capital ne concernerait pas une entreprise mais différentes entreprises, c'est-à-dire celle de la requérante et celles des intervenantes. Toutefois, la seule question qui, au dire de la requérante, devrait étre tranchée par la Cour serait celle de savoir si la prise de participation dans le capital de la requérante est liée aux opérations de restructuration de la même façon que les autres aides. D'une part, la création des
entreprises des intervenantes serait une des pièces maîtresses du plan de restructuration et le financement de cette création en ferait dès lors lui aussi partie. D'autre part, il ne serait pas possible de distinguer l'utilisation de la participation dans le capital de la requérante et l'utilisation des prêts qui lui ont été accordés pour couvrir les pertes. Sans cette prise en charge des pertes, le plan de restructuration aurait été gravement compromis.

Ainsi que la Commission l'a observé à bon droit à un autre égard, en particulier à propos du cinquième moyen soulevé par les intervenantes (voir le rapport d'audience), l'argumentation de la requérante contient également une contradiction interne en ce qu'elle parle, d'une part, de création d'entreprises nouvelles et indépendantes avec prise de participation de la région wallonne et, d'autre part, d'une seule opération de restructuration qui serait financée par toutes les aides dont il est question
en l'espèce. Nous avons déjà traité dans le paragraphe 1 de nos conclusions les questions soulevées par cette contradiction interne en ce qui concerne la recevabilité des requêtes. Comme nous l'avons dit à ce moment-là, cette recevabilité ne peut être admise que si les arguments fondés sur l'autonomie de la requérante, d'une part, et celle des intervenantes, d'autre part, sont éliminés des moyens. Ainsi que nous l'avons en outre montré dans le troisième paragraphe de nos conclusions, le fait de
considérer que l'ensemble des prêts, avances et prises de participation dans le capital constituent une seule aide indivisible est contraire aux faits manifestes qui ressortent du dossier. Les prises de participation, tant celles qui ont été opérées dans le capital de la requérante que celles qui ont été opérées dans le capital des intervenantes, étaient clairement destinées pour la majeure partie à couvrir les pertes et ont d'ailleurs manifestement été utilisées à cette fin. Par conséquent, il y a
également lieu de rejeter la partie importante de l'argumentation qui est liée à celle qui est ainsi apparue insoutenable et qui disparait avec elle, à savoir qu'il ne serait pas possible d'établir une distinction entre les prêts, les avances et les prises de participation et que tous auraient une même destination.

Ce qui reste alors à examiner est la question de savoir si la couverture des pertes du fait de la prise de participation importante précédemment décrite doit néanmoins être considérée comme une condition indispensable à la restructuration de l'entreprise dans son ensemble. Après l'élimination des arguments que la requérante a avancés aux fins d'une réponse affirmative à cette question et qui sont apparus insoutenables, il ne reste pratiquement plus rien des arguments de la requérante en faveur d'une
telle réponse affirmative. Aussi pensons-nous que la réponse doit être négative. Ce qui importe ici au demeurant, ainsi qu'il ressort également de l'article 2 de la décision et des explications fournies à ce sujet par la Commission, c'est la. forme de cette aide destinée à couvrir les pertes, que nous avons soulignée. Si la couverture des pertes avait par exemple eu lieu au moyen de prêts aux conditions normales du marché ou si la distribution de dividendes avait été prévue après une période de
transition déterminée ou si les prises de participation dans le capital avaient eu un caractère temporaire (voir également à ce sujet la page 132 du deuxième rapport sur la concurrence), la Commission aurait apprécié différemment ces prises de participation, comme il résulte de l'article précité de la décision et des explications données à ce sujet. En adaptant les prises de participation dans un des sens indiqués, il sera encore possible de mettre fin à l'incompatibilité constatée avec le marché
commun. A cet égard, nous pensons enfin que le fait que l'Etat belge lui-même, en tant que destinataire de la décision, n'ait pas introduit un recours contre la décision et ne soit pas davantage intervenu pour soutenir la requérante, ne nous semble pas être tout à fait sans signification. Par conséquent, nous estimons que le quatrième moyen de la requérante, soutenu par les parties intervenantes, doit être rejeté, lui aussi.

Le septième moyen de la requérante devra être rejeté parce que, dans le cadre du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 92, paragraphe 3, la Commission était en droit de penser, et elle a d'ailleurs motivé cette opinion dans les considérants 26, 27, 28 et 29 de sa décision, que cette forme d'aide, également en raison de l'absence d'une contrepartie sur le plan communautaire ( 6 ), a modifié les conditions des échanges commerciaux d'une manière telle que l'intérêt comunautaire en a été
affecté. Dans sa duplique, la Commission exige à bon droit à cet égard un rapport direct entre le niveau et l'intensité des aides et la contrepartie précitée. Il est frappant que le septième moyen ne tente pas de démontrer que ces critères négatifs de l'application de l'article 92, paragraphe 3 c), sont également remplis et que la Commission ne pouvait raisonnablement pas penser qu'il n'était pas satisfait à cette condition d'application.

6. Conclusions

En résumé, nous concluons au rejet de tous les moyens de la requérante et au rejet des moyens des intervenantes à l'appui des conclusions de la requérante et, par conséquent, nous concluons également au rejet du recours de la requérante lui-même et à la condamnation de la requérante aux dépens, conformément au règlement de procédure. Dans nos conclusions, nous avons également répondu à la conclusion complémentaire de la requérante formulée dans sa réplique, visant à ce qu'en tout état de cause, il
soit donné acte à la requérante du fait que la Commission ne demandera ni à la requérante ni aux parties intervenantes la restitution des aides octroyées sous forme d'une prise de participation dans le capital. A notre avis, ce n'est que dans les motifs que l'arrêt pourrait tenir compte de cette conclusion complémentaire.

En guise d'épilogue, nous ajouterons encore aux présentes conclusions les brèves observations qui suivent au sujet de la place de la décision attaquée dans la politique de la Commission en matière d'octroi d'aides en général. En comparaison avec la politique d'aides en période de crise que la Commission a introduite pour la première fois en 1973, après l'éclatement de la première crise pétrolière, ainsi qu'il ressort de ses rapports sur la politique de concurrence, la présente décision constitue
peut-être une ligne relativement dure ( 7 ).

Actuellement, la Commission accepte moins facilement que dans les années 1975 à 1978 les «opérations de sauvetage» comme celles dont il s'agit en l'espèce. En ce qui concerne l'opération de sauvetage dans la présente affaire, cette tendance plus dure — expressément soutenue par trois États membres, d'après le huitième considérant — est expliquée dans le dix-huitième considérant. Il ressort tant de ce dernier que des considérants 19 et 20 qui suivent que la Commission considère que la crise dans le
secteur papetier est actuellement plus une crise structurelle que conjoncturelle. Pour des motifs de politique structurelle comparables, la Commission suit actuellement, comme nous le savons, une politique relativement dure notamment à l'égard des aides dans le secteur de la sidérurgie. D'une façon plus générale, le durcissement de la politique de la Commission à l'égard des aides est illustré d'une façon pertinente par le tableau figurant à la page 157 du treizième rapport sur la politique de
concurrence. Il en ressort que le nombre de procédures introduites depuis 1978 a fortement augmenté et a atteint un point culminant en 1982 avec 129 procédures introduites. Il ressort enfin des paragraphes 222 à 227 du même rapport que la Commission considère la présente affaire et l'affaire 318/82 (Leeuwarder Papierfabriek) en particulier comme des «test-cases» en ce qui concerne l'application de sa politique en matière de participations des Etats dans le capital des entreprises, considérées comme
une forme d'aide qui a fortement augmenté au cours des dernières années.

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( 1 ) Traduit du néerlandais.

( 2 ) La quatrième édition du «Droit commercial européen» par Goldman et Lyon-Caen (Paris 1983, p. 1057 et 1058) et les commentaires volumineux de Smit et Herzog sur le traité CEE (tome 3, p. 392) et de Groeben-Boeckh-Thiesing-Ehlermann (troisième édition, p. 1590) n'examinent que très brièvement cette question. La troisième édition récente de Frignani-Waelbroeck, «Disciplina della Concorrenza nella CEE», ne traite pas du tout de cette question. J. A. Winter, «Nationale steunmaatregelen en het
gemeenschapsrecht», est le seul auteur qui (dans les paragraphes 76, 77, 89, 181 et suiv., 208, 397, 413 et 485 de son important ouvrage) s'étend plus longuement sur ce sujet, mais cela notamment en liaison avec l'article 90 du traité, qui n'est pas en cause ici.

( 3 ) Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, telle qu'elle a été modifiée conformément aux troisième et cinquième protocoles, lesquels sont entrés en vigueur respectivement le 21 septembre 1970 et le 20 décembre 1971.

( 4 ) Nous renvoyons également à ce sujet au rapport détaillé rédigé par P. Van Dijk en 1983 pour l'association des juristes néerlandais, en particulier aux pages 71 à 80, avec des références à d'autres articles de doctrine et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. D'après ses analyses, la Cour de Strasbourg considère d'une part décisif le fait qu'une procédure amène à «constater l'existence d'un droit civil ou d'une obligation civile des deux ou de l'une des parties». D'autre part, pour juger
des actes de l'administration en la matière, une compétence marginale d'appréciation (contrôle de la légalité) d'un juge administratif est réputée suffisante pour satisfaire aux conditions de l'article 6 (ouvrage cité, p. 79 et 80).

( 5 ) Dans le troisième moyen, il est expressément fait etat de la restitution par la requérante de la prise de participation de la région wallonne dans son capital pour un montant de 1,5 milliard de BFR. Dans le quatrième moyen, la contestation des faits allégues est rattachée au reste de l'argumentation.

( 6 ) Voir pour cette notion, outre les mémoires de la Commission et le résumé qui en est donné dans le rapport d'audience, également les considérants 14 à 16 de la décision elle-même et le dixième rapport sur la politique de concurrence, paragraphe 213 (p. 261).

( 7 ) Pour un bon risume dc la «politique d'aides en periode de crise» de la Commission pendant ces années, nous renvoyons à J. A. Winter, «Nationale steunmaatregelen en het gemeenschapsrecht», p. 372 a 378.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 323/82
Date de la décision : 11/07/1984
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Aide à la reconversion d'une entreprise de papeterie.

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : SA Intermills
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:260

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