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19/06/1984 | CJUE | N°218/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 19 juin 1984., Société à responsabilité limitée "Les Rapides Savoyards" et autres contre Directeur général des douanes et droits indirects., 19/06/1984, 218/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN,

PRÉSENTÉES LE 19 JUIN 1984 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Un litige est né entre les autorités douanières françaises, d'une part, et un grossiste, Diffusion Marketing International («DMI») et son agent en douane «Les Rapides Savoyards» («RS») (dont le gérant est M. Dejussel), d'autre part, à propos du montant des droits de douane payables sur trois types de stylos à bille importés de Suisse en France au mois de juin 1977. Ces trois colis, comprenant 13170

stylos, ont été choisis à titre d'exemples types parmi des lots bien plus importants, ce qui port...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN,

PRÉSENTÉES LE 19 JUIN 1984 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Un litige est né entre les autorités douanières françaises, d'une part, et un grossiste, Diffusion Marketing International («DMI») et son agent en douane «Les Rapides Savoyards» («RS») (dont le gérant est M. Dejussel), d'autre part, à propos du montant des droits de douane payables sur trois types de stylos à bille importés de Suisse en France au mois de juin 1977. Ces trois colis, comprenant 13170 stylos, ont été choisis à titre d'exemples types parmi des lots bien plus importants, ce qui porte
finalement l'enjeu à une somme considérable.

Ces stylos sont composés d'un certain nombre de pièces. La cartouche d'encre a été fabriquée aux États-Unis, importée en France, où des droits ont été acquittés, et envoyée en Suisse où suivant des accords passés en ce sens, on procède à son habillage extérieur. Le capuchon, et le cas échéant, l'agrafe et l'embout en matière plastique ont été fabriqués aux États-Unis et importés en Suisse. Il semble que le corps des stylos ait été fabriqué en Suisse. Les stylos n'étaient pas seulement montés en
Suisse mais les pièces métalliques de la plupart d'entre eux, assurément les plus chers, y étaient chromées. DMI faisait fabriquer ses stylos en Suisse plutôt qu'en France en partie parce que le coût de fabrication était moins élevé en Suisse et en partie pour pouvoir ensuite les vendre sous une marque appartenant à un fabricant suisse.

Les stylos en question ont été importés sous couvert d'un certificat de circulation («EUR 1») en vue de les faire bénéficier d'un tarif préférentiel comme étant d'origine suisse conformément à un accord passé en 1972 entre la Comunauté et la Suisse (JO L 300 du 31 décembre 1972, p. 189). Le taux préférentiel du droit de douane applicable aux marchandises considérées comme étant originaires de Suisse s'élevait à 2,6 % de leur valeur en douane; en dehors de ce cas, le taux applicable était de 13 %.

Cet accord qui prévoit à échéance du 1er juillet 1977 la suppression progressive des droits de douane sur les importations entre la Communauté et la Suisse s'applique, entre autres, aux «produits originaires de la Communauté et de la Suisse» relevant des chapitres 25 à 99 de la Nomenclature de Bruxelles, sous réserve de dispositions contraires expresses. Les stylos en question relèvent de la position 98.03. En application de l'article 11 de cet accord, les règles d'origine figurent au protocole n° 3
qui lui est annexé. Aux termes de l'article premier, paragraphe 2 de ce protocole, sont considérés comme produits originaires de Suisse

«a) les produits entièrement obtenus en Suisse,

b) les produits obtenus en Suisse et dans la fabrication desquels sont entrés des produits autres que ceux visés sous a), à condition que lesdits produits aient fait l'objet d'ouvraisons ou transformations suffisantes au sens de l'article 5. Cette condition n'est toutefois pas exigée en ce qui concerne les produits originaires, au sens du présent protocole, de la Communauté».

En vertu de l'article 5 dudit protocole, «les ouvraisons ou transformations suffisantes» à cette fin incluent «les ouvraisons ou transformations énumérées dans la liste B» annexée au protocole. Cette liste a été amendée conformément à l'article 28 du protocole n° 3 par décision 10/74, datée du 31 octobre 1974 (JO L 352/7 du 28.12.1974), du comité mixte institué en application de l'article 29 de l'accord précité. Cet amendement prévoit que l'incorporation de produits, parties et pièces détachées non
originaires dans les produits de la position 98.03 «n'a pas pour effet de faire perdre le caractère de produits originaires auxdits produits à condition que la valeur de ces produits, parties et pièces n'excède pas 5 % de la valeur du produit fini».

Suivant l'article 6 de ce protocole, les valeurs à prendre en considération aux fins de déterminer si la valeur des produits ouvrés ou transformés n'excède pas un pourcentage déterminé de la valeur des marchandises obtenues sont a) en ce qui concerne les produits dont il est justifié qu'ils ont été importés, leur valeur en douane au moment de l'importation et b) le prix départ usine des marchandises obtenues, déduction faite des taxes intérieures restituées ou à restituer en cas d'exportation. Les
notes explicatives, intégrées au protocole n° 3 par l'article 20, précisent que dans l'article 6 on entend par «prix départ usine» le prix payé au fabricant dans l'entreprise duquel s'est effectuée la dernière ouvraison ou transformation, y compris la valeur de tous les produits mis en œuvre et par «valeur en douane» celle définie par la Convention sur la valeur en douane des marchandises signée à Bruxelles le 15 décembre 1950.

Aux termes de l'article 1 de l'annexe 1 à cette Convention, ladite valeur est «le prix réputé pouvoir être fait (pour ces marchandises) au moment où les droits de douane deviennent exigibles, lors d'une vente effectuée dans des conditions de pleine concurrence» entre un acheteur et un vendeur indépendant l'un de l'autre. D'après la note 4 relative à l'article premier, lorsque «les éléments retenus pour la détermination de la valeur ou du prix payé sont exprimés dans une monnaie autre que celle du
pays d'importation, le taux de change à retenir pour la conversion est le taux de change officiel en vigueur dans ce pays».

Conformément à l'article 8 du protocole, les produits originaires sont admis à l'importation dans la Communauté du bénéfice des dispositions de l'accord sur présentation d'un certificat de circulation (à l'origine A. CH 1 et par la suite EUR 1) (décision 10/73 du comité mixte, JO L 365 du 31. 12. 1973, p. 136). Ce certificat de circulation, délivré par les autorités douanières de l'État d'exportation doit être présenté aux autorités douanières de l'État d'importation.

L'article 19 de la décision 3/73 du comité mixte permet aux États membres d'importation qui ont des doutes fondés en ce qui concerne l'authenticité du document et l'exactitude des renseignements relatifs à l'origine réelle de la marchandise en cause de procéder au contrôle du certificat de circulation et en cas de désaccord entre les autorités douanières de l'État d'importation et de l'État d'exportation, cet article prévoit de soumettre l'affaire au comité douanier du comité mixte.

Les autorités françaises n'ont pas admis que ces stylos étaient des produits originaires de Suisse. Elles ont appliqué l'article 35-8 du Code des douanes français aux termes duquel lorsque les valeurs utilisées pour déterminer les prix normaux sont exprimées dans une monnaie étrangère, elles doivent être converties selon le taux de change officiel en vigueur à la date d'enregistrement de la déclaration. Après conversion en francs français de la valeur en dollars et en francs suisses des parties
composantes des stylos qui n'étaient pas originaires de Suisse sur la base du taux de change en vigueur à la date de l'importation en France (mais déduction faite des droits payés sur les cartouches lors de leur importation de France en Suisse), elles ont établi que le pourcentage des éléments non originaires compris dans le produit fini variait entre 6,04 % et 23,68 % de la valeur des différents produits finis.

Elles ont donc taxé ces marchandises au taux plein.

RS a porté l'affaire devant la Commission de conciliation et d'expertise douanière qui a confirmé la décision des autorités douanières. Aux fins de lui voir déclarer RS responsable du paiement de ces droits, les autorités françaises ont saisi le tribunal d'instance de Saint-Julien-en-Genevois, lequel a, par jugement du 19 juin 1979, confirmé la décision rendue. En appel, la cour d'appel de Chambéry a, le 11 mai 1981, statué dans le même sens.

Saisie de l'affaire, la Cour de cassation française a, par arrêt du 29 juin 1983, demandé à la Cour de se prononcer sur le point de savoir:

«1) Si l'accord entre la Communauté économique européenne et la Confédération helvétique, en date du 22 juillet 1972, le protocole n° 3 et les règlements communautaires doivent être interprétés en ce sens que, lorsque des éléments retenus pour déterminer la valeur en douane d'un produit sont exprimés dans une monnaie autre que celle de l'État membre où s'effectue l'évaluation, la conversion doit être opérée sur la base du taux de change officiel en vigueur à la date d'enregistrement de la
déclaration?

2) Dans la négative, comment, selon le droit communautaire, ce taux de change doit-il être calculé?»

Il ressort de l'arrêt rendu par la cour d'appel que les autorités douanières françaises ont pris en considération la valeur des cartouches lors de leur importation temporaire de France en Suisse. Elles se sont basées sur la valeur des embouts et des agrafes admise lors de leur importation en Suisse. Elles ont également tenu compte du prix départ usine pour le produit fini. Jusque là, il nous paraît clair qu'elles ont observé les dispositions de l'accord entre la Suisse et la Communauté. La question
essentielle, qui nous semble nettement rentrer dans le cadre des deux questions posées par la Cour de cassation, est donc de déterminer si c'est à bon droit qu'elles ont ensuite converti ces valeurs en francs français à la date de l'importation du produit fini en France et sur la base du taux de change en vigueur à cette époque, aux fins d'établir si les pièces en question représentaient plus de 5 % de la valeur des produits finis.

Les autorités françaises font valoir que les dispositions visées du Code français des douanes les autorisaient à procéder de la sorte. Bien plus, selon elles, les mesures prises ne sont compatibles avec le droit international, en particulier avec la Convention de Vienne sur l'interprétation des traités et avec les dispositions du droit communautaire relatives à la valeur des marchandises en douane, en particulier l'article 12 du règlement du Conseil n° 803/68 du 27 juin 1968 (JO L 148, p. 6), que si
l'on permet aux autorités douanières de l'État d'importation du produit final d'opérer selon ces principes. Toute autre conclusion autorisant un fabricant suisse à acheter les pièces lorsque le taux de change par rapport au dollar est favorable et à les réintégrer dans le produit final lorsque le taux de change varie est source de spéculation. La valeur des éléments doit, affirme-t-on, être prise en considération à la date de l'importation du produit final au taux en vigueur pour la monnaie de
l'État d'importation.

Il importe de garder à l'esprit que la question essentielle qui est soulevée porte sur l'origine des marchandises et non simplement sur leur évaluation en douane. La réponse à cette question se trouve en l'espèce dans le protocole annexé à l'accord avec la Suisse et non dans les règlements communautaires relatifs à la valeur douanière tel que le règlement n° 803/68.

A notre avis, les arguments avancés par les autorités françaises sont contraires à l'objectif clair et aux effets des dispositions combinées de l'article 6 du protocole et de la liste B relative aux règles d'origine. Pour établir si les produits importés en Suisse excèdent 5 % du prix départ usine des marchandises obtenues en Suisse, il est nécessaire de prendre d'abord en considération la valeur en douane des produits importés au moment de leur importation. Aux termes de la note 4 relative à
l'article premier de l'annexe 1 à la Convention, lorsque les produits importés sont vendus ou estimés dans une monnaie autre que des francs suisses, il est nécessaire pour déterminer cette valeur de convertir le prix ou la valeur en francs suisses suivant son taux à cette date. En conséquence, si la valeur ou le prix des agrafes et des embouts est exprimé en dollar, il doit être converti en francs suisses à la date de l'importation à partir des États-Unis: celui des cartouches doit être converti en
francs suisses à la date de l'importation de France en Suisse, dans les deux cas sur la base du taux de change en vigueur à ces dates.

Le prix départ usine doit également être exprimé en francs suisses. Le calcul visant à déterminer si la valeur de ces éléments excède 5 % de la valeur du produit fini (c'est-à-dire le prix départ usine déduction faite des taxes restituées ou à restituer) doit par conséquent être effectué en francs suisses. On tranchera par ce biais la réponse à la question de savoir si le droit applicable était 2,6 % (ramené à 0 depuis) ou 13 %.

Lors de l'importation de stylos en France, les autorités douanières françaises appliquent ces taux. Si la valeur en douane de ces stylos est exprimée en francs français, il n'y a aucun problème. Si le prix ou la valeur est exprimé en francs suisses, il appartient aux autorités françaises de les convertir en francs français au taux en vigueur à la date de l'importation des stylos. Néanmoins, le but de cette opération est de calculer le montant des droits et non de déterminer le taux de ces droits.

Autrement, il est évident qu'un exportateur ne pourrait jamais savoir quel taux lui serait applicable avant d'avoir effectivement exporté les marchandises. Le taux serait soumis aux fluctuations des taux de change entre les monnaies du pays de provenance des pièces détachées et le pays d'exportation, d'une part, et la monnaie de l'État d'importation, d'autre part, jusqu'à la date de l'importation. Déterminer des prix fermes serait difficile à moins de fixer des marges de nature à retirer toute
compétitivité au produit. Se baser sur un droit nul ou égal à 2 % pour s'apercevoir ensuite qu'à cause des variations du taux de change, un taux de 13 % s'applique (peut-être même à cause d'une modification d'un ou deux points du pourcentage des pièces par rapport à l'ensemble) pourrait absorber toute la marge bénéficiaire, ce qui, a-t-on affirmé, serait le cas en l'espèce. Cela signifierait également, comme le soutient le gouvernement italien, que le taux applicable pour les mêmes produits pourrait
varier entre les différents États membres et la Suisse suivant les taux de change applicables dans les différents États membres. Cela nous paraît contraire à l'objectif général de l'accord avec la Suisse et à la notion de Communauté conçue autant que possible comme un seul vaste marché.

Bien entendu, la réciproque serait également vraie. Il appartient à un État membre appliquant les règles précitées, de convertir la valeur du prix des parties importées de l'extérieur dans sa monnaie à la date de l'importation et de calculer le pourcentage en conséquence. Les autorités douanières suisses auraient alors à calculer en francs suisses le droit sur l'importation du produit final, en faisant application du taux déterminé auparavant dans la monnaie de l'État membre de fabrication.

Nous considérons que dans ses effets cette méthode est compatible avec la finalité du certificat de circulation EUR 1. En l'espèce, les autorités suisses l'ont rempli après avoir effectué le calcul nécessaire en francs suisses. Le détenteur du certificat était en droit de bénéficier du régime préférentiel sous réserve d'une vérification requise par l'État d'importation en application de l'article 19 de la décision 3/73 du comité mixte (remplacé maintenant par l'article 17 de la décision 1/77) et
dans cette hypothèse, en cas de désaccord, il y aurait lieu de soumettre le litige au comité douanier du comité mixte pour avis, lequel est toujours susceptible de recours.

Les autorités douanières françaises soutiennent que cette méthode revient à empiéter de manière inacceptable ou illégale sur leur souveraineté. Nous pensons qu'il n'en est rien. La Communauté a accepté ces règles réciproques de commerce entre les États membres et la Suisse et elles doivent être appliquées par les États membres. Il appartient aux autorités douanières françaises de calculer le droit, mais non le taux, sur la base du taux de change en vigueur lors de l'importation en France du produit
fini.

En conséquence, il convient à notre avis de répondre aux questions posées en ce sens que:

Aux fins de déterminer si des marchandises relevant de la position 98.03 du tarif douanier commun doivent être considérées, lors de leur importation de Suisse dans un État membre, comme étant originaires de Suisse, il y a lieu de calculer la valeur de tous les produits ou pièces détachées non originaires de Suisse à la date de leur importation en Suisse et lorsque le prix ou la valeur de ces produits, parties ou pièces est exprimé dans une monnaie autre que le franc suisse, cette monnaie doit être
convertie en francs suisses sur la base du taux de change applicable à la date de l'importation en Suisse. La valeur de ces produits ou pièces exprimée en francs suisses doit ensuite être évaluée en pourcentage du prix départ usine du produit fini (déduction faite des taxes restituées ou à restituer) exprimée en francs suisses. Ce pourcentage détermine si le produit fini doit être considéré comme originaire de Suisse, sans considération de la parité entre la monnaie de l'État d'origine de ces
produits et pièces ou de la Suisse, d'une part, et la monnaie de l'État membre d'importation du produit fini à la date de l'importation dans cet État membre, d'autre part.

Il incombe à la juridiction saisie du litige au principal de statuer sur les dépens des parties au principal. La Commission et le gouvernement italien, qui sont intervenus, supporteront leurs propres dépens.

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( *1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 218/83
Date de la décision : 19/06/1984
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.

Accord de libre-échange CEE-Suisse - Notion de produits originaires.

Relations extérieures


Parties
Demandeurs : Société à responsabilité limitée "Les Rapides Savoyards" et autres
Défendeurs : Directeur général des douanes et droits indirects.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:218

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