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30/05/1984 | CJUE | N°238/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 30 mai 1984., Caisse d'allocations familiales de la région parisienne contre M. et Mme Richard Meade., 30/05/1984, 238/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI,

PRÉSENTÉES LE 30 MAI 1984 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La Cour a été saisie d'une demande d'interprétation de l'article 48 du traité CEE et du règlement n° 1408, du Conseil, du 14 juin 1971, sur les régimes de sécurité sociale applicables aux travailleurs migrants, dans le cadre d'un litige relatif au versement d'allocations familiales en application de la réglementation française. Il convient de préciser immédiatement qu'aux termes des articles

L 511 et L 524 du code français de la sécurité sociale, ces prestations doivent être versées à t...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI,

PRÉSENTÉES LE 30 MAI 1984 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La Cour a été saisie d'une demande d'interprétation de l'article 48 du traité CEE et du règlement n° 1408, du Conseil, du 14 juin 1971, sur les régimes de sécurité sociale applicables aux travailleurs migrants, dans le cadre d'un litige relatif au versement d'allocations familiales en application de la réglementation française. Il convient de préciser immédiatement qu'aux termes des articles L 511 et L 524 du code français de la sécurité sociale, ces prestations doivent être versées à toutes les
personnes résidant en France et ayant à leur charge au moins deux enfants également résidant en France. Les dispositions d'application de ces règles précisent en outre que, sous certaines conditions, un enfant suivant un enseignement à l'étranger peut être réputé résider en France aux fins du versement des allocations familiales.

M. Richard Meade, de nationalité américaine, réside depuis 1973 à Paris, où il exerce la profession de conseiller juridique, avec sa femme et deux enfants, tous trois de nationalité britannique. En 1977 l'aîné des enfants est parti en Grande-Bretagne pour y poursuivre ses études au Radley College d'Abingdon. En 1980, l'organisme compétent (Caisse d'allocations familiales de la région parisienne) a constaté qu'aux termes de la législation française les conditions de paiement des allocations
(résidence de l'enfant en France) n'étaient plus satisfaites et que, par ailleurs, les conditions permettant de réputer que l'enfant résidait en France n'étaient pas réunies; il a donc cessé de verser les allocations familiales et a demandé aux époux Meade le remboursement d'une somme d'environ 6436 FF indûment perçue entre mars 1978 et juin 1980.

N'ayant pas obtenu la restitution de cette somme, la Caisse a cité les époux Meade devant la Commission de première instance du contentieux de la sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole de Paris pour les faire condamner au remboursement des allocations familiales. Les époux Meade ont fait valoir que le refus de procéder au versement de ces allocations dans le cas où un enfant poursuit ses études à l'étranger ou y assure sa formation professionnelle constituait un obstacle à la libre
circulation des personnes et donc une infraction à l'article 48 du traité CEE.

Par décision d'avant-dire droit du 3 juin 1983, la commission saisie a suspendu la procédure et a déféré à la Cour, au titre de l'article 177 du traité CEE, la question préjudicielle suivante: «Dire si la Caisse d'allocations familiales est fondée à demander le remboursement des prestations familiales versées aux parents d'un jeune homme de nationalité britannique, au motif que celui-ci poursuit ses études en Angleterre et suspendre le versement desdites allocations pour le même motif et ce en
application de l'article 48 du traité CEE».

2.  De prime abord, il semble que le juge de renvoi demande à la Cour de vérifier si une décision ponctuelle prise par un organisme public français est compatible avec le droit communautaire. Or, un tel examen ne relève pas de la compétence de la Cour telle qu'elle est définie à l'article 177. La jurisprudence constante de la Cour toutefois est que, compte tenu des éléments fournis par le juge national, la Cour déduit du texte de la question le problème d'interprétation du droit communautaire qui
l'inspire. Dans notre cas, les termes employés et les précisions données par le juge prouvent qu'en réalité il souhaite savoir jusqu'où s'étend le domaine d'application personnelle et matérielle des règles de droit originaires relatives à la libre circulation des travailleurs (articles 48 et suivants du traité CEE) et du règlement sur la sécurité sociale des travailleurs migrants.

Nous débuterons par l'article 48. La liberté de circulation garantie par cet article est reconnue exclusivement aux «travailleurs des États membres». On sait ce que recouvre cette formule. Le fait que les articles 48 à 51 contiennent de nombreuses références à l'emploi de ceux qui en bénéficient et que le traité contienne d'autres règles indépendantes concernant la circulation des personnes exerçant des activités non salariées démontre avec toute la clarté voulue que les personnes concernées par
l'article 48 sont uniquement les prestataires d'un travail salarié. Il est bien évident que les étudiants n'exerçant aucune activité professionnelle n'appartiennent pas à cette catégorie (voir l'arrêt du 1. 12. 1977 dans l'affaire 66/77, Kuyken, Recueil 1977, p. 2311). Tout au plus, les étudiants pourraient-ils bénéficier du droit de circulation en tant que destinataires d'un service.

Nous ajoutons que les prestataires visés à l'article 48 doivent être des nationaux des États membres. C'est ce que la disposition elle-même affirme. En toute hypothèse, il est indubitable que les auteurs des traités de Paris et de Rome ont entendu réserver la liberté de circulation aux citoyens des États membres: voir les articles 69 CECA et 96 Euratom qui sont explicites en ce sens.

3.  Il résulte de tout cela que l'article 48 ne peut être appliqué ni à un citoyen d'un pays tiers ni à un étudiant. Cependant, le litige en instance devant de juge de renvoi porte sur des prestations sociales. L'examen de la Cour doit donc s'étendre au règlement n° 1408/71 qui régit le système de sécurité sociale des travailleurs migrants.

Adopté pour mettre en œuvre l'article 51 du traité CEE, ce texte utilise une notion d'ayant-droit aux bénéfices communautaires plus large que celle retenue pour la libre circulation des travailleurs. En effet, elle s'applique à tous ceux qui sont couverts par une assurance d'un État membre (obligatoire, facultative ou volontaire), pourvu qu'on puisse la rattacher à un régime de sécurité sociale organisé au bénéfice des travailleurs salariés ou indépendants (article 1). Il doit quand même s'agir
de nationaux des États membres (auxquels sont assimilés les réfugiés et les apatrides résidant dans un État membre), de leur famille et de leurs survivants (article 2). Là encore, donc, les citoyens des pays tiers et les étudiants en tant que tels sont exclus du champ d'application de la réglementation communautaire, à moins que, naturellement, les réglementations nationales assimilent l'étudiant à un travailleur pour l'attribution de prestations figurant parmi celles prévues au règlement n°
1408/71.

4.  Au cours de la procédure orale, M. Richard Meade a fourni personnellement quelques éclaircissements sur la situation professionnelle de sa femme. Cette dernière aurait prêté son concours en tant que secrétaire au cabinet juridique Meade, sans toutefois recevoir de rétribution, de 1974 à 1977; depuis cette date elle exercerait des fonctions de gérance rétribuées pour différentes sociétés. D'après M. Meade, l'organisme de sécurité sociale français aurait donc dû verser les allocations familiales à
son épouse au titre de la réglementation communautaire.

On le sait, la Cour n'a toutefois pas le pouvoir de se prononcer sur le fond de l'affaire dans le cadre des procédures au titre de l'article 177. Le contrôle de l'exactitude des faits est donc soustrait à sa compétence et incombe au juge national. Il appartiendra à ce dernier d'établir si, au moment des faits, la notion de travailleur salarié aux termes de l'article premier du règlement n° 1408/71 pouvait s'appliquer à Mme Meade et si cette dernière avait donc le droit de percevoir les
allocations familiales pour un enfant résidant dans un autre État membre, en application des dispositions prévues à l'article 73, paragraphe 2, de ce même règlement.

5.  Sur la base de ces remarques simples et non controversées, nous suggérons que la Cour réponde de la manière suivante à la décision préjudicielle formée, par décision d'avant-dire droit du 3 juin 1983 de la Commission de première instance du contentieux de la sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole de Paris, dans la procédure au principal entamée contre les époux Meade par la Caisse d'allocations familiales de la région parisienne:

Les articles 48 et suivants du traité CEE doivent être interprétés en ce sens que le droit de libre circulation est réservé aux travailleurs salariés qui sont nationaux des États membres. Ce n'est qu'aux fins des prestations de sécurité sociale que l'article 2 du règlement n° 1408/71 s'applique également aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 238/83
Date de la décision : 30/05/1984
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Commission de première instance du contentieux de la sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole de Paris - France.

Libre circulation des personnes - Allocations familiales.

Libre circulation des travailleurs

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Caisse d'allocations familiales de la région parisienne
Défendeurs : M. et Mme Richard Meade.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mancini
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:209

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