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30/05/1984 | CJUE | N°178/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 30 mai 1984., Firma P contre Firma K., 30/05/1984, 178/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. MARCO DARMON,

PRÉSENTÉES LE 30 MAI 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La question préjudicielle dont vous êtes saisis est relative à l'interprétation de l'article 40 (alinéa 2, Ve phrase) de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, ci-après dénommée «la convention».


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. MARCO DARMON,

PRÉSENTÉES LE 30 MAI 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La question préjudicielle dont vous êtes saisis est relative à l'interprétation de l'article 40 (alinéa 2, Ve phrase) de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, ci-après dénommée «la convention».

Rappelons les faits et la procédure.

La société néerlandaise P. obtient le 20 janvier 1982 du tribunal d'arrondissement de Rotterdam un jugement condamnant par défaut l'entreprise K. dont le siège est à Djedda (Arabie Saoudite) à lui verser la somme de 678095 rials ou la contre-valeur de cette somme en dollars, augmentée des intérêts légaux.

Ce jugement est exécutoire par provision sous réserve, en cas de recours, à la charge de la société P., de constituer une caution ou de produire une sûreté suffisante.

En vue de la mise à exécution de cette décision en République fédérale d'Allemagne, où la société K. serait titulaire d'un avoir sur compte bancaire, la société P. requiert du Landgericht de Francfort-sur-le-Main l'apposition de la formule exécutoire sur le jugement néerlandais (articles 31 et 32 de la convention).

Par ordonnance du 10 janvier 1983, le président de la troisième chambre civile de la juridiction allemande, statuant sans que l'entreprise K. ait été appelée à comparaître ( 1 ), refuse l'exécution au motif que les pièces qui sont exigées par l'article 46, alinéa 2, et par l'article 47, alinéa 1, de la convention n'ont pas été produites.

Il s'agit de

«l'original ou une copie certifiée conforme du document établissant que l'acte introductif d'instance a été signifié ou notifié à la partie défaillante» ( 2 )

et de

«tout document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée» ( 3 ).

Ce jugement relève de surcroît que, le président ayant imparti à la société P. un délai pour produire les documents précités ( 4 ), celle-ci n'a versé aux débats que des pièces considérées comme insuffisamment probantes par le juge saisi.

La société P. forme alors un recours, en l'espèce une «Beschwerde», devant l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main, conformément à l'article 40, alinéa 1, de la convention.

Or, l'alinéa 2 de l'article 40 dispose que:

«la partie contre laquelle l'exécution est demandée est appelée à comparaître devant la juridiction saisie du recours ...»

L'Oberlandesgericht vous demande si, «même» dans les circonstances de l'espèce, cette disposition doit recevoir application.

Elle incline à penser que ce n'est pas le cas pour deux ordres de raison qui forment les deux éléments de la question préjudicielle qui vous est posée:

1) La demande d'apposition de la formule exécutoire a été rejetée au seul motif que les documents n'avaient pas été produits en temps utile par la société P.

2) Le système prévu par l'article 40, alinéa 2, est inadapté au cas où l'exécution doit avoir lieu dans un État qui n'est pas celui du domicile de la partie contre laquelle elle est demandée, car, dans une telle hypothèse cette partie peut généralement identifier le bien menacé par l'exécution et, dès lors, en disposer avant toute saisie.

2.  Il convient, tout d'abord, de se prononcer sur la recevabilité de la présente instance.

L'article 20 du protocole sur le statut de la Cour de justice dispose, en effet, que «dans les cas visés à l'article 177 du traité, la décison de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour est ... notifiée par les soins du greffier de la Cour aux parties en cause ...»

En l'espèce, l'entreprise K., défenderesse au principal, n'a pas reçu notification de cette décision. Il a été, en effet, estimé qu'elle ne devait pas être considérée comme «partie en cause» au sens de l'article 20, tant que la juridiction de renvoi l'excluait de la procédure pendante devant elle.

Cette opinion rejoint celle de la Commission. Elle doit être approuvée, car la question qui vous est posée tend à vous demander de dire si la défenderesse au principal doit ou non être appelée à comparaître devant l'Oberlandesgericht, juridiction de renvoi, donc, précisément, à dire si elle est ou non une partie en cause. Une notification de la décision de renvoi à l'entreprise K. aurait dès lors préjugé de votre décision ou, à tout le moins, retiré toute efficacité à celle de
l'Oberlandesgericht.

Notons, pour en terminer sur ce point, que cette dernière juridiction statue sur la «Beschwerde» formée par l'entreprise P. contre l'ordonnance de rejet rendue par le Landgericht le 10 janvier 1983. L'Oberlandesgericht statue donc en appel et vous saisit en conséquence en application des articles 2, paragraphe 2 (et non 3), et 3, paragraphe 2, du protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation de la convention par la Cour de justice.

3.  Revenons à la question posée par l'Oberlandesgericht. Il vous est demandé de dire si, compte tenu de certaines circonstances, la règle posée à l'article 40 (alinéa 2, 1re phrase) de la convention peut souffrir une exception.

A cet égard, le texte de l'article 40 ne laisse place à aucune restriction. Il dispose que, si la requête en exequatur est rejetée, le requérant peut former un recours, précisant, ainsi que nous l'avons rappelé, que

«la partie contre laquelle l'exécution est demandée est appelée à comparaître devant la juridiction saisie du recours».

Voici pour la lettre. Elle reflète, au demeurant, fidèlement l'esprit de la convention, si l'on se réfère au rapport justificatif de M. Jenard, lequel, soumis en son temps aux gouvernements en même temps que le projet de convention, en constitue le commentaire autorisé ( 5 )

M. Jenard décrit tout d'abord les grandes lignes de la procédure d'exequatur ( 6 ). La requête, accompagnée des documents requis, est adressée à la juridiction compétente qui

«statue à bref délai sans pouvoir convoquer la partie adverse. Toute possibilité de procédure contradictoire est évitée à ce stade».

La décision rendue par cette juridiction est susceptible d'un recours qui est

— soit une opposition formée par la partie contre laquelle l'exécution a été accordée ( 7 )

— soit un appel interjeté par le requérant dont la requête en exécution a été rejetée ( 8 ).

L'opposition comme l'appel sont portés devant la juridiction compétente selon la procédure contradictoire ( 9 ). La décision rendue sur ce recours ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation et, en République fédérale d'Allemagne, d'une «Rechtsbeschwerde» ( 10 ).

On peut donc dire, schématiquement, que la procédure d'exequatur est

— unilatérale en première instance;

— contradictoire en cas de recours formé contre la décision rendue en première instance.

Commentant les articles 34, 37, 40 et 41 de la convention, M. Jenard justifie le système choisi qui lui paraît concilier

l'effet de surprise qui doit s'attacher à la procédure d'exequatur;

le respect des droits de la défense.

Et si, en première instance,

«la convention ne reconnaît pas au juge saisi la faculté de provoquer, même dans des cas exceptionnels, des explications du défendeur» ( 11 ),

lorsque la requête a été rejetée, la procédure en appel devient contradictoire tant «pour eviter la multiplicité des voies de recours» ( 12 ).

que

pour sauvegarder les droits de la défense» ( 12 ).

L'esprit rejoint donc la lettre, ce qui ne saurait surprendre, car le principe du contradictoire est une règle fondamentale du procès civil, l'interprétation restrictive devant être réservée non pas à l'application de ce principe, mais aux exceptions qui lui sont expressément apportées.

4.  Rejoignant donc le point de vue exprimé tant par la Commission que par le gouvernement allemand, nous vous invitons à répondre ainsi qu'il suit à la question posée par l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main:

La juridiction saisie d'un recours formé au titre de l'article 40 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 doit, par application des dispositions de l'alinéa 2, lre phrase) de cet article, appeler à comparaître devant elle la partie contre laquelle l'exécution est demandée, même lorsque la demande d'apposition de la formule exécutoire a été rejetée pour la seule raison que les documents n'ont pas été produits en temps utile et que ladite apposition est demandée pour un État qui n'est
pas l'État de séjour de la partie contre laquelle l'exécution est demandée.

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( 1 ) Anicie 34 de la convention.

( 2 ) Article 46, alinéa 2, de la convention.

( 3 ) Article 47, alinéa 1, de la convention.

( 4 ) Article 48 de la convention.

( 5 ) JO C 59 du 5. 3. 1979.

( 6 ) JO précité, p. 48.

( 7 ) Article 36, alinéa 1.

( 8 ) Article 40, alinéa 1.

( 9 ) Articles 37, alinéa 1, et 40, alinéa 2.

( 10 ) Article 37, alinéa 2, et article 41.

( 11 ) Commentaire de l'article 34, JO précité, p. 50.

( 12 ) Commentaire de l'article 40, JO précité, p. 53.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 178/83
Date de la décision : 30/05/1984
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Frankfurt am Main - Allemagne.

Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Apposition de la formule exécutoire.

Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Exécution

Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968


Parties
Demandeurs : Firma P
Défendeurs : Firma K.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Bahlmann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:204

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