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26/01/1984 | CJUE | N°93/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 26 janvier 1984., Zentralgenossenschaft des Fleischergewerbes eG (Zentrag) contre Hauptzollamt Bochum., 26/01/1984, 93/83


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 26 JANVIER 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une demande de décision à titre préjudiciel émanant du Finanzgericht de Düsseldorf sur la validité de l'article 1 du règlement no 964/71 et sur la notion d'origine de viande bovine au sens de l'article 5 du règlement no 802/68.

Les faits sont les suivants :

I —

Au cours du premier semestre de l'année 1982, la société coopérative Zentrag de Francfort a importé d'A

utriche plusieurs lots de «viandes de l'espèce bovine fraîches, morceaux désossés» relevant de la position tari...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 26 JANVIER 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une demande de décision à titre préjudiciel émanant du Finanzgericht de Düsseldorf sur la validité de l'article 1 du règlement no 964/71 et sur la notion d'origine de viande bovine au sens de l'article 5 du règlement no 802/68.

Les faits sont les suivants :

I —

Au cours du premier semestre de l'année 1982, la société coopérative Zentrag de Francfort a importé d'Autriche plusieurs lots de «viandes de l'espèce bovine fraîches, morceaux désossés» relevant de la position tarifaire 02.01 A II a 4 bb.

La viande provenait d'animaux engraissés et abattus en Hongrie où étaient également effectuées les opérations connexes à l'abattage (evisceration, dépouillement, découpe en quartiers).

Elle avait été ensuite importée en exemption de droit de douane en Autriche, où elle avait été désossée, dénervée, dégraissée, découpée et enfin emballée sous vide.

A l'importation en République fédérale d'Allemagne, la marchandise a d'abord été dédouanée en appliquant le taux du prélèvement spécifique pour l'Autriche, pays tiers réputé posséder une structure commerciale et un système de production du bétail comparables à ceux existant dans la Communauté ( 1 ).

Par la suite, le bureau de douane de Bochum a adressé à la société Zentrag un avis rectificatif d'imposition en prenant pour base de calcul le taux de prélèvement normal «pays tiers» — beaucoup plus élevé — en considérant que la marchandise était en réalité originaire de Hongrie.

La société Zentrag a porté l'affaire devant le Finanzgericht de Düsseldorf. Elle fait valoir deux arguments :

1. La dernière transformation subie par la viande lui conférerait une origine autrichienne au sens de l'article 5 du règlement du Conseil du 27 juin 1968 (no 802/68), relatif à la définition commune de la notion d'origine des marchandises ( 2 );

2. L'article 1 du règlement de la Commission du 10 mai 1971 (no 964/71), relatif à la détermination de l'origine des viandes et abats frais, réfrigérés ou congelés, de certains animaux des espèces domestiques ( 3 ), ne lui est pas applicable, car cette disposition ne serait pas conforme à l'article 5 du règlement du Conseil précité, non plus qu'à l'article 110 du traité qui tend à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux.

La société et, à sa suite, le Finanzgericht inclinent à penser que la localisation des opérations consistant à désosser, dénerver, dégraisser, découper et emballer la viande sous vide détermine son origine géographique. A ce stade, la viande originaire aurait subi une transformation substantielle et un pourcentage important aurait été ajouté à la valeur du produit.

C'est dans ces conditions que la juridiction nationale vous a posé par ordonnance du 20 avril 1983 les deux questions suivantes:

«1. L'article 1 du règlement no 964/71 de la Commission du 10 mai 1971 est-il dépourvu de validité pour violation des dispositions du règlement no 802/68 du Conseil du 27 juin 1968?

2. Le fait de désosser, dénerver, dégraisser et découper de la viande en morceaux constitue-t-il un mode d'ouvraison déterminant l'origine au sens de l'article 5 du règlement no802/68?»

II —

Nous ferons tout d'abord observer que la solution du litige au principal ne nous parait pas dépendre de l'appréciation, dans l'absolu, de la validité du règlement no 964/71 de la Commission, mais uniquement de l'interprétation du règlement du Conseil no 802/68. Seule la réunion des conditions posées par ce dernier règlement est susceptible de conférer son origine à la marchandise.

Il est vrai que le règlement de la Commission précise les notions abstraites contenues dans le règlement du Conseil, mais il ne traite que des conditions requises antérieurement à l'abattage pour que celui-ci confère aux viandes et abats qui en sont issus l'origine du pays où il a eu lieu: il ne concerne donc pas les opérations de transformation postérieures à l'abattage.

1. En l'espèce, non seulement les animaux en question n'ont pas été engraissés en Autriche, mais ils n'y ont pas été abattus; de plus, la découpe en quartiers ( 4 ), qui fait suite à l'éviscération et au dépouillement, a eu lieu en Hongrie. En Autriche, il a été procédé à une «découpe de la viande en morceaux» avant son emballage sous vide.

En admettant même que la transformation à laquelle la marchandise a été soumise en Autriche ait été «effectuée dans une entreprise équipée à cet effet» et que l'opération de désossage ait pu affecter la présentation du produit en vue de son utilisation, il importe de déterminer si ces transformations peuvent être qualifiées de «substantielles» et si elles ont «abouti à la fabrication d'un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important» au sens de l'article 5 du règlement no
802/68.

Or, les opérations subies par la marchandise en Autriche constituent — à l'exception de l'emballage sous vide — des manipulations classiques, couramment pratiquées par les bouchers au détail et même dans le rayon boucherie de certains supermarchés.

Ce sont des opérations qui influent sur la présentation du produit à la vente au détail, mais qui, même si elles s'accompagnent parfois de la perception d'une marge bénéficiaire considérable, n'entraînent pas une modification importante des «qualités matérielles spécifiques du produit» au sens de votre arrêt du 26 janvier 1977, Gesellschaft für Überseehandel, où vous avez précisé que

«des opérations affectant la présentation du produit aux fins de son utilisation, mais n'entraînant pas une modification qualitative importante de ses propriétés, ne sont pas susceptibles de déterminer l'origine dudit produit» ( 5 ).

Quant à l'emballage sous vide, la juridiction nationale ne lui attribue pas un caractère substantiel; en effet, cette opération répond seulement aux exigences de la commercialisation du produit et n'affecte pas ses propriétés substantielles ( 6 ).

2. Dans l'hypothèse contraire, il importerait de vérifier si ces opérations sont «économiquement justifiées» et si elles n'ont pas précisément été localisées en Autriche pour conférer à la marchandise une origine lui permettant de bénéficier d'un régime économique de faveur, au sens de l'article 6 du règlement no 802/68 ( 7 ).

Une indication en ce sens pourrait être fournie par la différence considérable entre le prélèvement normal 668 DM par 100 kg et le prélèvement spécifique 25,37 DM par 100 kg. Dès lors, il appartiendrait au juge national, le cas échéant, de vérifier si cette présomption est justifiée.

Toutefois, nous ne pensons pas que cette recherche soit nécessaire si, en réponse aux questions posées, vous dites pour droit que

— le fait de désosser, dénerver, dégraisser, découper de la viande bovine en morceaux et de l'emballer sous vide en Autriche, alors que les animaux dont elle provient ont été abattus, éviscérés, dépouillés et découpés en quartiers en Hongrie, ne confère pas à cette viande, à l'importation en République fédérale d'Allemagne, une origine autrichienne.

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( 1 ) Article 10, paragraphe 3, du règlement no 805/68 du Conseil du 27 juin 1968 (JO 148 du 28. 6. 1968, p. 24) portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine, modifié par le règlement no 425/77 du 14 février 1977 (JO L 61 du 5. 3. 1977). Ce taux est fixé conformément au règlement no 611/77 de la Commission du 18 mars 1977, relatif à la détermination du prélèvement spécifique pour les bovins vivants et les viandes bovines autres que les viandes congelées (JO L 77 du
25. 3. 1977, p. 14), modifié par le règlement no 925/77 du 29 avril 1977 (JO L 109 du 30. 4. 1977, p. 1).

( 2 ) JO 148 du 28 juin 1968, p. 1 : «Une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important».

( 3 ) JO L 104 du 11. 5. 1971, p. 12: «L'abattage des animaux ou des espèces domestiques repris aux numéros 01.01. à 01.04 du tarif douanier commun ne confère aux viandes et abats comestibles, frais, réfrigérés ou congelés qui en sont issus, l'origine du pays ou de la communauté où il a eu lieu que s'il fait suite à l'engraissement des animaux considérés dans ce pays ou dans la Communauté pendant une période au moins égale à trois mois pour les animaux des espèces chevaline, asine, mulassière et
bovine et à deux mois pour les animaux des espèces porcine, caprine et ovine».

( 4 ) Viste au deuxième consideram du reglement no 964/71

( 5 ) Affaire 49/76, attendu 6, Recueil 1977, p. 53.

( 6 ) Affaire précitée, attendu 7.

( 7 ) «La transformation ou ouvraison pour laquelle il a été établi ou pour laquelle les faits constatés justifient la présomption qu'elle a eu pour seul objet de tourner les dispositions applicables, dans la Communauté ou les États membres, aux marchandises de pays déterminés ne peut en aucun cas être considérée comme conférant, au titre de l'article 5, aux marchandises ainsi obtenues l'origine du pays où elle est effectuée».


Synthèse
Numéro d'arrêt : 93/83
Date de la décision : 26/01/1984
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Düsseldorf - Allemagne.

Origine des marchandises - Transformation de viandes.

Union douanière

Libre circulation des marchandises

Agriculture et Pêche

Viande bovine


Parties
Demandeurs : Zentralgenossenschaft des Fleischergewerbes eG (Zentrag)
Défendeurs : Hauptzollamt Bochum.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:32

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