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24/11/1983 | CJUE | N°301/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 24 novembre 1983., SA Clin-Midy et autres contre État belge., 24/11/1983, 301/82


CONCLUSIONS DE L'AOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI,

PRÉSENTÉES LE 24 NOVEMBRE 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Cette affaire préjudicielle a pour objet l'interprétation de la directive du Conseil 65 du 26 janvier 1965 (JO no 22 du 9. 2. 1965, p. 369) concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques. Il s'agit essentiellement d'établir si les dispositions qui réglementent les prix des produits pharmaceutiques entrent

de quelque manière dans le champ d'application de cette source. ...

CONCLUSIONS DE L'AOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI,

PRÉSENTÉES LE 24 NOVEMBRE 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Cette affaire préjudicielle a pour objet l'interprétation de la directive du Conseil 65 du 26 janvier 1965 (JO no 22 du 9. 2. 1965, p. 369) concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques. Il s'agit essentiellement d'établir si les dispositions qui réglementent les prix des produits pharmaceutiques entrent de quelque manière dans le champ d'application de cette source.

Résumons les faits. En 1976, un groupe de quatorze sociétés pharmaceutiques, parmi lesquelles la société Clin-Midy, ont introduit un recours devant le Conseil d'État belge en demandant l'annulation du décret du 10 février 1976 adopté par le ministre des affaires économiques de ce pays et concernant les prix des spécialités pharmaceutiques et d'autres médicaments. A l'appui de leur demande, les requérantes ont allégué, notamment, que les règles attaquées sont contraires au droit communautaire et,
en particulier, à la directive citée 65/65. Au cours de la procédure, la juridiction saisie s'est adressée à notre Cour pour lui poser, en application de l'article 177 du traité CEE, les questions préjudicielles suivantes:

a) La directive du Conseil 65/65 du 26 janvier 1965 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques, produit-elle des effets directs entre les États membres et leurs justiciables et ceux-ci peuvent-ils en invoquer la violation devant une juridiction nationale?

b) La directive indiquée sous a) concerne-t-elle uniquement le rapprochement des dispositions ayant comme objectif la sauvegarde de la santé publique ou concerne-t-elle également le rapprochement d'autres dispositions relatives aux spécialités pharmaceutiques et notamment celles qui sont édictées en vue du contrôle des prix?

c) L'article 21 dé la directive précitée doit-il être interprété en ce sens que l'autorisation de mise sur le marché d'une spécialité pharmaceutique pourrait être refusée, suspendue ou retirée pour le motif que la réglementation relative aux prix ne serait pas respectée?

2.  Quelques mots sur les dispositions litigieuses. Comme on le lit dans sa rubrique, le décret ministériel du 10 février 1976 entend réglementer les prix des spécialités pharmaceutiques et d'autres médicaments. Il prévoit que les spécialités et certains autres médicaments peuvent être vendus aux grossistes, aux pharmaciens, aux hôpitaux ou au public à des prix plus élevés que ceux pratiqués le 11 août 1975 (article 1); il fixe les marges maximales de bénéfice que les grossistes et les pharmaciens
peuvent réaliser en vendant les spécialités (article 2); il établit que, avant de mettre dans le circuit économique les produits nouveaux (c'est-à-dire non encore dans le commerce le 11. 8. 1975), les fabricants et les importateurs doivent obtenir l'approbation de l'autorité compétente (le ministre des affaires économiques) quant aux prix qu'ils entendent pratiquer (article 3). Il s'agit donc d'une réglementation qui a pour objet direct et exclusif le régime des prix des produits pharmaceutiques
et qui, par conséquent, entre dans les mesures étatiques de politique économique au sens large du terme.

3.  Examinons les trois questions sur lesquelles vous êtres appelés à vous prononcer. La deuxième qui concerne le champ d'application de la directive 65/65 est au centre de l'affaire: le juge a quo veut savoir si cette directive englobe non seulement les règles qui visent à sauvegarder la santé ou également celles qui se rapportent aux prix. Logiquement, la solution de ce problème est préliminaire tant à la question sous c), qui a pour objet l'interprétation d'une disposition particulière de la
directive, qu'à la question a) qui tend à établir quel est l'effet de ses différentes prescriptions. En effet, en supposant que l'on réponde négativement à la question sous b), une réponse analogue devra être donnée à la question sous c), tandis que la question sous a) sera dépassée et privée d'intérêt.

Disons tout de suite que, à notre avis, la directive de qua se réfère uniquement au rapprochement des règles en matière de produits pharmaceutiques qui visent à protéger la santé des personnes; en revanche, celles qui se rapportent au régime des prix n'en font pas partie. De nombreuses remarques nous conduisent à cette conclusion.

En premier lieu, le but de la directive, tel qu'il est indiqué dans le préambule. Le premier considérant énonce le critère de fond dont doit s'inspirer toute réglementation relative à la production et à la distribution des spécialités pharmaceutiques: «avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique». Ce principe est ensuite développé. En particulier, la directive affirme: a) que cet objectif doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de
l'industrie pharmaceutique et les échanges de produits pharmaceutiques au sein de la Communauté (2e considérant); b) que «les disparités de certaines dispositions nationales... relatives aux médicaments ... ont pour effet d'entraver les échanges» (3e considérant) et que, en conséquence, il importe «d'éliminer ces entraves» (4e considérant); c) qu'un rapprochement des dispositions nationales est nécessaire à cette fin (encore 4e considérant) et doit être réalisé «progressivement»; d) qu'il
importe en premier lieu d'«éliminer les disparités qui peuvent le plus affecter le fonctionnement du marché commun» (5e et dernier considérant).

L'optique dans laquelle le législateur communautaire entend rapprocher les réglementations internes est donc, par sa déclaration même, la protection de la santé. Mais l'élément encore plus important est que les règles qu'il a posées sont explicitement aménagées dans la même perspective: celles qui concernent l'autorisation de la mise sur le marché (chapitre II) ainsi que celles qui se rapportent au retrait de cette autorisation (chapitre III) et celles qui régissent l'étiquetage (chapitre IV).
Qu'il nous suffise de citer en entier les articles 4 et 5. Le premier définit la procédure visant à obtenir l'autorisation, en imposant aux intéressés de fournir aux organes étatiques compétents des informations sur la composition du produit, son mode de préparation, ses qualités thérapeutiques, les contre-indications, la posologie, les méthodes de contrôle employées par le fabricant et les résultats de différents essais (physico-chimiques, biologiques, pharmacologiques, toxicologiques,
cliniques) auxquels les médicaments doivent être soumis. Le second prescrit que l'autorisation doit être refusée lorsque la vérification de ces données fait apparaître «que la spécialité est nocive ... ou que l'effet thérapeutique ... fait défaut ou est insuffisamment justifié ... ou que la spécialité n'a pas la composition ... déclarée».

Item, le retrait de l'autorisation: les cas dans lesquels il est prévu peuvent tous se ramener à la nocivité ou au caractère dangereux du produit. De même, les dispositions relatives à l'étiquetage sont orientées vers la protection du consommateur, tant il est vrai que des informations telles que «le mode d'administration», la «date de péremption», les «précautions particulières de conservation», etc., doivent figurer sur les emballages. Toutefois, les règles relatives à l'étiquetage méritent
d'être rappelées également pour un autre argument — a contrario, dirons-nous — qu'elles apportent à notre thèse. En effet, l'article 19 établit qu'elles «ne font pas obstacle à la mention sur les emballages ... d'autres indications exigées par des réglementations ne faisant pas l'objet de la présente directive». On en déduit, nous semble-t-il, que le champ d'application de cette dernière ne couvre pas intégralement la réglementation des spécialités pharmaceutiques. Certains aspects en sont
exclus; et nous ne croyons pas être loin de la vérité en affirmant que leurs prix figurent au nombre de ceux-ci.

4.  Examinons maintenant la question relative à l'article 21 de la directive 65/65 selon lequel «l'autorisation de mise sur le marché ne peut être refusée, suspendue ou retirée que pour les raisons énumérées dans la présente directive». Le Conseil d'État belge vous demande si cette règle doit être interprétée en ce sens que l'on peut procéder également au refus, à la suspension ou au retrait pour inobservation des règles nationales relatives aux prix. La réponse que nous avons donnée à la première
question renferme les éléments nécessaires pour faire la lumière sur ce second point. En effet, si l'on estime que le régime des prix est étranger à la sphère de la directive, on doit également reconnaître que l'inobservation des mesures qui s'y rapportent n'habilite pas les organes compétents à refuser, suspendre ou retirer l'autorisation.

Toutefois, une précision est nécessaire. Le fait que la directive ne s'applique pas aux prix implique que les pays membres conservent le pouvoir de les réglementer: donc également celui de faire dépendre l'autorisation de mettre les médicaments sur le marché du respect de certaines règles en matière de prix et, en conséquence, d'ordonner sa suspension ou son retrait lorsque lesdites règles sont violées.

Mais, faut-il ajouter, une autorisation soumise à l'observation des règles sur les prix est bien différente de celle que prévoit la directive: différente tant formellement, parce que son régime juridique est d'origine étatique tandis que celui de l'autre provient d'une source communautaire, que — et cela est encore plus important — matériellement. En effet, les deux autorisations ont des finalités qui ne pourraient pas être plus éloignées: l'une, de politique économique, l'autre, de protection
de la santé. Naturellement, en cette matière, la liberté des États n'est pas illimitée: le système des articles 30 et suivants du traité constitue la barrière qu'ils ne peuvent dépasser en aucun cas.

5.  Enfin, par la troisième question, le juge de renvoi vous demande si la directive 65/65 a des effets directs dans les États membres et si, par conséquent, les particuliers peuvent invoquer ses règles devant les juridictions nationales. La réponse que nous avons donnée aux questions précédentes rend superflu de se prononcer sur cette demande beaucoup trop générique (la directive — nous le rappelons — se compose de 25 articles). Une fois accueillie l'idée que les mesures nationales sur les prix
sont étrangères à notre source, il est sans intérêt d'établir si les dispositions de cette dernière ont ou non des effets directs. Cependant, pour être complets, nous observerons que, parmi ces dispositions, beaucoup sont détaillées et précises au point d'inciter ictu oculi à les considérer comme directement applicables. Qu'il nous suffise de mentionner l'article 5 sur le refus de l'autorisation, l'article 7 relatif à la durée de la procédure de son octroi, l'article 10 qui réglemente son
renouvellement et les articles 11 et 12 qui régissent sa suspension et son retrait.

6.  Pour toutes les considérations développées jusqu'ici, nous vous suggérons de répondre de la manière suivante aux questions 2 et 3 posées par le Conseil d'État belge par arrêt du 22 octobre 1982 dans l'affaire entre la société Clin-Midy et treize autres entreprises du secteur pharmaceutique, d'une part, et le royaume de Belgique, d'autre part:

1. Sur la question sous b) :

La directive du Conseil 65/65 du 26 janvier 1965 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques, doit être interprétée en ce sens qu'elle concerne uniquement les dispositions nationales ayant pour objet la protection de la santé publique.

2. Sur la question sous c):

L'article 21 de la directive indiquée au point a) doit être interprété en ce sens que l'autorisation spécifique de mise sur le marché d'une spécialité pharmaceutique, réglementée sous tous ses aspects dans ladite directive, ne peut pas être refusée, suspendue ou retirée pour inobservation de dispositions internes éventuelles sur les prix. Cela n'exclut pas que les Etats puissent introduire dans leurs ordres juridiques respectifs, à côté de l'autorisation prévue dans la directive et destinée à
garantir uniquement la protection de la santé publique, d'autres formes de contrôle préventif liées à la protection d'intérêts divers. Toutefois, en y procédant, ils sont tenus d'observer les obligations découlant du traité et, en particulier, des articles 30 et suivants.

Enfin, nous estimons que la Cour ne doit pas se prononcer sur la question sous a), étant donné les réponses que nous lui suggérons de donner aux deux autres questions.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 301/82
Date de la décision : 24/11/1983
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Belgique.

Réglementation des prix - Spécialités pharmaceutiques.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : SA Clin-Midy et autres
Défendeurs : État belge.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mancini
Rapporteur ?: Mackenzie Stuart

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:345

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