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09/11/1983 | CJUE | N°325/82

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'Avocat général Rozes présentées le 9 novembre 1983., Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH et Rewe-Markt Herbert Kureit contre Hauptzollämter Flensburg, Itzehoe et Lübeck-West., 09/11/1983, 325/82


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS

PRÉSENTÉES LE 9 NOVEMBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans une affaire Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH, Höhndorf, et Rewe-Markt Herbert Kureit, Niendorf, contre Hauptzollämter Flensburg, Itzehoe et Lübeck-West, trois questions préjudicielles vous sont posées par le Finanzgericht de Hambourg sur l'interprétation des textes relatifs aux facilités qu'ils prévoient en matière de droits de douane et de taxes perçues sur des marchandises contenues dans les bagages personnels

des voyageurs ( 1 ) (affaire 278/82).

Par ailleurs, la Commission des Communautés ...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS

PRÉSENTÉES LE 9 NOVEMBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans une affaire Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH, Höhndorf, et Rewe-Markt Herbert Kureit, Niendorf, contre Hauptzollämter Flensburg, Itzehoe et Lübeck-West, trois questions préjudicielles vous sont posées par le Finanzgericht de Hambourg sur l'interprétation des textes relatifs aux facilités qu'ils prévoient en matière de droits de douane et de taxes perçues sur des marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs ( 1 ) (affaire 278/82).

Par ailleurs, la Commission des Communautés européennes a introduit un recours contre la République fédérale d'Allemagne en manquement aux règles fiscales relatives aux franchises dans le trafic de voyageurs (affaire 325/82).

Pour tenir compte des liens très étroits existant dans les faits à la base de ces deux affaires et bien qu'elles tendent à des fins différentes, nous nous permettrons de présenter en même temps nos conclusions.

Les faits sont en effet très voisins de ceux que vous avez eu à apprécier dans l'affaire dite «des croisières de beurre» ayant donné lieu à votre arrêt du 7 juillet 1981 (Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH et Rewe-Markt Steffen contre Hauptzollamt Kiel) ( 2 ).

Ils sont d'ailleurs décrits dans le rapport d'audience acquis aux débats, ce qui nous permet de les rappeler très brièvement.

En l'espèce, un litige au principal porté devant la juridiction nationale oppose le même négociant en gros (Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH) ainsi que sa succursale de Niendorf (port de la baie de Lübeck) aux bureaux des douanes de Flensburg, Itzehoe et Lübeck; il vous conduira à préciser le régime des franchises tant douanières que fiscales applicable aux marchandises (produits agricoles transformés ou non, parfums, café, thé, tabacs, allumettes, vins, bières, alcools) contenues dans les bagages
personnels des voyageurs et acquises «hors taxes» par eux sur les ferries faisant la navette soit entre un État tiers et un État membre (trafic international), soit entre deux États membres (trafic intracommunautaire), soit enfin sur des bateaux qui relient un port d'un État membre au port d'un autre État membre, dans lequel les voyageurs font escale sans y acquitter aucune taxe avant de retourner par voie terrestre (autocar) dans l'État membre d'où ils avaient appareillé en premier.

Malgré votre arrêt précité, la situation reste encore incertaine. D'une part, en effet, par ordonnance du 16 juin 1982, le Bundesfinanzhof n'a pas tenu compte de la rectification que vous aviez apportée le 15 juillet 1981 au point 37 des motifs et au point 5 du dispositif de votre arrêt du 7 juillet précédent ( 3 ). D'autre part, la République fédérale d'Allemagne continue d'accorder des franchises fiscales aux voyageurs qui, à l'occasion de croisières en mer du Nord ainsi qu'en mer Baltique,
importent à travers la frontière douanière maritime allemande des marchandises achetées hors taxes. Cette situation a amené la Commission à vous saisir du recours en manquement no 325/82 que nous examinerons en deuxième partie.

Première partie

Nous allons étudier les questions posées en distinguant, d'une part, les trois modes de transport empruntés par les voyageurs et, d'autre part, dans la mesure utile, les franchises douanières (impositions à l'importation pour les produits agricoles transformés ou non) et les franchises fiscales (taxes sur le chiffre d'affaires et accises).

1. Trafic international par navette maritime (État tiers — État membre)

Qu'il s'agisse de marchandises, de produits agricoles ou de produits résultant de leur transformation, la solution doit être identique. En effet, l'article 1 du règlement du Conseil du 10 juillet 1975 (no 1818/75) a étendu l'application du règlement du 23 juillet 1969 (no 1544/69) aux prélèvements agricoles et autres impositions à l'importation prévues dans le cadre de la politique agricole commune.

Cette solution découle clairement, pour les franchises douanières, du point 1 et, pour les franchises fiscales, du point 4 du dispositif de votre arrêt du 7 juillet 1981 : les franchises tant douanières que fiscales s'appliquent aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance de pays tiers, quelles que soient l'origine et la provenance de ces marchandises.

2. Trafic par navette maritime entre un État membre et un autre Etat membre (trafic intracommunautaire)

Dans ce cas, il convient de distinguer le traitement tarifaire du traitement fiscal à l'importation des marchandises acquises hors taxes par les voyageurs à bord de ces navires transbordeurs (ferries).

2.1. Le traitement tarifaire réservé à ces marchandises se déduit également de votre arrêt. Les franchises douanières ne s'appliquent qu'aux marchandises «contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance des pays tiers» et la réglementation communautaire (règlements no 1544/69 et no 1818/75) est «exhaustive» (point 2 du dispositif).

Il en résulte que, dans le cadre de ce trafic, les États membres ne sont plus habilités à accorder des facilités douanières lorsque les marchandises ne se trouvaient pas en libre pratique à bord de ces navires, au sens de l'article 10, paragraphe 1, du traité.

Sur ce point d'ailleurs, la réglementation allemande a été mise en conformité avec le droit communautaire depuis le 1er janvier 1983 par un règlement du 28 septembre 1982.

2.2. Par contre, le traitement fiscal des marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs et acquises par ceux-ci dans le cadre de ce trafic donne lieu à des thèses divergentes, les unes tendant au refus d'octroi des franchises fiscales et les autres tendant à l'accorder.

2.2.a) Pour justifier le refus d'octroi des franchises fiscales, plusieurs arguments sont invoqués.

— La directive 69/169 vise à éviter une double imposition à l'importation, sans pour autant aboutir à une absence d'imposition. Donc, accorder une détaxation à l'importation de marchandises acquises hors taxes à bord reviendrait à créer des «paradis fiscaux».

— La deuxième directive (72/230) ( 4 ) introduit à son article 2 une différence entre les limites quantitatives des franchises accordées en trafic international et en trafic intracommunautaire. Elle a en outre ajouté à l'article 6 de la version originaire de la directive 69/169 ( 5 ) le paragraphe 2 suivant:

«Sans préjudice du régime applicable aux ventes effectuées dans les comptoirs de vente sous douane des aéroports et aux ventes à bord des avions, les États membres ont la faculté, en ce qui concerne les ventes au stade du commerce de détail, d'autoriser, dans les cas et aux conditions précisés dans les paragraphes 3 et 4, la détaxation des taxes sur le chiffre d'affaires pour les marchandises à emporter dans les bagages personnels des voyageurs qui sortent d'un État membre. Aucune
détaxation ne peut être accordée en ce qui concerne les accises.»

Cette réserve formelle en faveur du trafic aérien, reprise — pour l'essentiel — dans la troisième directive du 19 décembre 1978 (78/1032) ( 6 ), ne pourrait être étendue par analogie aux marchandises acquises dans le trafic maritime entre États membres.

— Enfin, il est soutenu que, conformément au point 6 du dispositif de votre arrêt du 7 juillet 1981, «en adoptant la directive 69/169 et les deuxième et troisième directives du 12 juin 1972 et du 19 décembre 1978 la complétant, le Conseil a entendu instaurer progressivement un système complet de franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises pour les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs; il ne reste par conséquent aux États membres, dans ce domaine,
que la compétence limitée qui leur est reconnue par les directives pour accorder des franchises différentes de celles précisées dans les directives».

L'octroi de franchises aux marchandises acquises dans ces conditions serait sans rapport avec l'objectif poursuivi, tendant à faire prendre plus fortement conscience à la population des États membres de la réalisation du marché commun, à simplifier les déclarations à fournir par les voyageurs franchissant les frontières communautaires et à éviter une double imposition.

2.2.b) D'autres arguments sont invoqués pour justifier l'octroi de franchises fiscales.

Il est soutenu que, si des franchises peuvent être autorisées pour le trafic aérien, rien ne s'oppose à ce que le trafic par voie maritime puisse en bénéficier. Il ressort des observations des États membres, qu'elles émanent des États originaires de la Communauté ou de ceux y ayant adhéré à partir du 1er janvier 1973, qu'au moment de l'adoption de la deuxième directive en 1972 le problème des franchises en trafic maritime ne se posait pas entre les États membres «continentaux» et qu'il n'a
pris toute son acuité qu'après l'adhésion des trois nouveaux États dont deux sont insulaires.

Pour apprécier la portée de la réserve de l'article 6, paragraphe 2, il convient de la replacer dans son contexte propre et dans le contexte plus général de l'harmonisation des dispositions nationales relatives au régime fiscal applicable dans le trafic international et intracommunautaires des voyageurs.

Comme le fait observer la Commission, le système de la directive 69/169 est fondamentalement différent de celui du régime commun de taxe sur la valeur ajoutée. Alors que l'harmonisation réalisée jusqu'à présent en matière de TVA est fondée sur le maintien des frontières fiscales, c'est-à-dire sur le principe de la taxation à l'importation dans le pays de destination (avec détaxation à l'exportation du pays de provenance) ( 7 ), l'harmonisation des franchises fiscales à l'importation accordées
aux particuliers est basée sur le principe de la taxation dans le pays d'origine (avec détaxation dans le pays de destination).

Le paragraphe 1 de l'article 6 oblige les États membres à prendre les mesures appropriées pour éviter que des détaxations ne soient accordées à l'achat de marchandises par des voyageurs résidant dans la Communauté et bénéficiant par ailleurs du régime commun des franchises prévu par la directive.

Après la réserve liminaire concernant le trafic aérien, le paragraphe 2 oblige les États membres à prendre les mesures nécessaires pour permettre, dans les cas et les conditions précisés aux paragraphes 3 et 4, la détaxation au stade du commerce de détail des taxes sur le chiffre d'affaires pour les ventes de marchandises à emporter dans les bagages personnels des voyageurs quittant leur territoire, mais en excluant la détaxation des accises.

Ces cas visent tant les non-résidents que les résidents sortant d'un État membre; pour ces derniers, la détaxation n'est admise que pour les objets dont la valeur unitaire, taxes comprises, est supérieure au montant fixé à l'article 2, paragraphe 1.

Il est possible de renoncer à taxer les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs dans l'État de destination parce que, «en règle générale», la taxation a été opérée dans l'État de provenance et qu'il est présumé qu'elles n'y ont pas été détaxées. Mais cette renonciation n'exclut pas la possibilité d'accorder, dans certaines hypothèses, une détaxation à l'arrivée, même en cas de détaxation au départ. On tolère donc l'anomalie d'une absence totale d'imposition à
concurrence des limites — inférieures — accordées aux voyageurs en provenance de pays tiers.

Avec l'avocat général Capotorti ( 8 ), nous pensons que la réserve figurant au paragraphe 2 de l'article 6 a une large portée et qu'elle ne préjuge pas du régime fiscal applicable aux ventes hors taxes dans le trafic maritime intracommunautaire.

Certes, les États candidats à l'adhésion avaient été consultés avant la modification introduite à l'article 6. Mais la circonstance que ces États n'aient pas fait valoir à l'époque d'objections contre une interprétation possible de cette modification au détriment des ventes à bord des ferries ne saurait valoir acquiescement tacite d'une interprétation sur laquelle leur attention n'avait pas été spécialement attirée.

A l'encontre de l'argument tiré du caractère «complet» du système de franchises fiscales instauré par les directives dans le trafic intracommunautaire de voyageurs, il faut observer que vous avez pris soin, au point 6 du dispositif de votre arrêt, d'assortir le verbe «instaurer» de l'adverbe «progressivement»; cette formulation contraste nettement avec le caractère «exhaustif» ( 9 ) de la réglementation concernant les franchises douanières. Le caractère progressif de l'harmonisation dans ce
secteur est souligné par le fait que les directives adoptées en ce domaine portent une numérotation croissante.

Il est vrai que les législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires font à présent l'objet d'un «système commun» de taxe sur la valeur ajoutée; mais, en réalité, le système n'est qu'en partie «commun» ( 10 ).

La sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 ( 11 ) a déterminé d'une manière uniforme l'assiette à laquelle est appliquée la TVA. Son article 2 prévoit que les importations de biens sont soumises à cette taxe.

Son article 14 fixe de manière limitative les exonérations d'importations: aucune n'a trait aux franchises de TVA à l'importation de marchandises acquises en trafic intracommunautaire, que ce soit par voie aérienne ou par voie maritime. Mais, comme le relève le gouvernement britannique, ces exonérations sont prévues sans préjudice des autres dispositions fiscales communautaires ( 12 )

Quant aux droits d'accises, ils n'ont pas encore connu un début d'harmonisation, à l'exception des dispositions relatives aux éléments composant la taxe sur le tabac.

Dans ce contexte, la référence à la convention de New-York de 1954, à laquelle tous les États membres sont parties contractantes, ne nous paraît pas totalement hors de propos.

L'article 13 de cette convention énonce que

«aucune disposition de la présente convention n'exclut le droit pour les États contractants qui forment une union douanière ou économique de prévoir des règles particulières applicables aux personnes qui résident dans les pays faisant partie de cette union».

Par ailleurs, l'article 234 du traité dispose que

«les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du présent traité, entre un ou plusieurs États membres, d'une part, et un ou plusieurs États tiers, d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité».

Les États membres ne sauraient donc se prévaloir de la convention de 1954 pour s'opposer à l'application, dans leurs relations mutuelles, d'un régime ne réglant pas la situation de la même façon que cette convention. Mais, en l'absence d'un régime commun exhaustif en matière de franchises fiscales à l'importation accordées aux particuliers, il est possible d'interpréter les dispositions communautaires existantes dans un sens compatible avec la convention de New-York.

Le régime des «boutiques franches» en trafic maritime ou aérien communautaire demeure encore de la compétence des États membres et c'est l'interprétation proposée par la firme Rewe qui serait incompatible avec cette convention.

Enfin, l'évolution des travaux législatifs postérieurs à l'adoption de la directive de 1972 fournit des arguments de poids.

Après l'introduction de cette réserve, la Commission a proposé ( 13 ) au Conseil, le 22 septembre 1972, d'adopter une troisième directive en vue notamment d'harmoniser le régime de détaxation des comptoirs de ventes sous douane des aéroports et des ventes à bord des avions, des navires et des aéroglisseurs effectuant des transports payants de passagers, en en exceptant toutefois le régime fiscal des consommations à bord. Devant la résistance des États membres, elle a dû retirer sa
proposition. Mais il est intéressant de relever qu'elle constatait elle-même dans cette proposition qu'il n'existait pas encore de régime communautaire pour les ventes sous douane non seulement dans les aéroports et à bord des avions, mais également à bord des navires et que le même régime devrait être applicable dans les deux cas.

Enfin, au cours de la présente procédure, la Commission a proposé au Conseil, le 11 avril 1983 ( 14 ), d'adopter une septième directive modifiant la directive 69/169, supprimant purement et simplement le membre de phrase «sans préjudice de ...», en la motivant par les considérations suivantes :

«Les États membres doivent pouvoir maintenir les dispositions qu'ils appliquent actuellement pour les ventes effectuées dans les comptoirs de vente sous douane des aéroports et dans les ports ou à bord des moyens de transports aérien ou maritime à l'égard des voyageurs à destination des pays tiers»,

avec la précision suivante:

«il paraît opportun de limiter, pour les voyageurs effectuant des déplacements entre États membres (à bord des aéronefs, des navires ou des aéroglisseurs affectés à la navigation maritime), la valeur et les quantités de marchandises susceptibles de leur être livrées hors taxes et d'accorder le bénéfice des franchises à l'importation, dans les limites correspondant aux franchises accordées aux voyageurs en provenance des pays tiers.»

3. Trafic intracommunautaire combinant navire et autocar

Rappelons que l'hypothèse visée par la juridiction nationale concerne les navires reliant un port d'un État membre (République fédérale d'Allemagne) au port d'un autre État membre (Danemark) étant entendu que les voyageurs ont acheté hors droits de douane et hors taxes à bord de ces navires des marchandises ne se trouvant pas en libre pratique et n'ayant été grevées d'aucune taxe sur le chiffre d'affaires ni d'aucune accise; après avoir fait escale dans le port du second État membre (Danemark), ils
retournent par voie terrestre (autocar) dans l'Etat membre de départ (RFA).

3.1. Toutes les observations présentées sur ce point concordent pour admettre que, comme dans le cas du trafic intracommunautaire par navette maritime, les facilités douanières ne sont pas applicables à ces marchandises.

3.2. En ce qui concerne les facilités fiscales, le fait d'admettre que ces franchises soient applicables en trafic intracommunautaire par navette maritime n'entraîne pas nécessairement que le même traitement doive être accordé au trafic combinant navire et autocar, contrairement à ce que soutiennent le gouvernement allemand et l'armateur de Flensburg, dont l'intervention a été admise par la juridiction nationale.

Pour qu'il en soit ainsi, ces «voyages» ne devraient pas avoir pour but essentiel de permettre d'acheter des marchandises en franchise de taxes et de les importer dans l'État de départ sans avoir non plus à acquitter de taxes. Le critère pourrait, par exemple, consister à savoir si la détaxation compense, pour les voyageurs, le coût du voyage ou si, même sans le compenser entièrement, elle reste suffisamment attrayante. On pourrait également subordonner l'octroi de ces franchises à la condition
que les voyageurs aient effectivement la possibilité, d'après les indications figurant sur le titre de transport, de descendre du bateau pour quitter l'enceinte sous douane du port et d'effectuer des achats non détaxés avant de prendre l'autocar. En somme, il faudrait avoir recours à la notion de «voyageurs de bonne foi», selon l'expression du gouvernement irlandais, ou de «voyage économiquement justifié», selon l'expression du gouvernement français.

En réponse aux questions posées par le Finanzgericht de Hamburg, nous concluons en résumé à ce que vous disiez pour droit que:

1. les facilités tant douanières que fiscales prévues à l'importation s'appliquent aux marchandises qui, même si elles n'étaient pas en libre pratique dans les États membres ou si elles n'avaient pas été assujetties aux taxes sur le chiffre d'affaires ni aux accises dans les États membres ou dans les États tiers, se trouvent dans les bagages personnels des voyageurs et qui ont été achetées par eux à bord d'un navire transbordeur régulièrement affecté au trafic international (État tiers — État
membre);

2. a) les facilités douanières à l'importation ne s'appliquent pas aux marchandises qui ne se trouvent pas en libre pratique dans les Etats membres et qui ont été achetées par des voyageurs à bord d'un navire transbordeur régulièrement affecté au trafic intracommunautaire (État membre-État membre);

b) en l'état actuel du droit communautaire, les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs qui les ont achetées à bord d'un navire transbordeur régulièrement affecté au trafic intracommunautaire bénéficient des franchises fiscales octroyées à l'importation des pays tiers, sans qu'il y ait lieu de rechercher si lesdites marchandises ont été acquises aux conditions générales d'imposition du marché intérieur d'un État membre;

3. les facilités fiscales prévues à l'importation des pays tiers s'appliquent également aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs qui, avant de retourner par voie terrestre dans l'État membre dont ils proviennent, les ont achetées à bord d'un navire reliant un port de l'État membre de départ au port d'un autre État membre, à condition que les voyageurs aient réellement pu procéder à l'escale dans ce dernier État à l'achat de marchandises aux conditions générales
déposition du marché intérieur dudit État.

Deuxième partie

A la suite de votre arrêt du 7 juillet 1981, la Commission a invité par lettre du 2 février 1982 tous les États membres à conformer leur pratique à cet arrêt pour le 31 mars 1982 au plus tard.

Le gouvernement allemand a répondu par un télex du 31 mars 1982 dans lequel il estimait que la Commission n'avait pas elle-même tiré les conséquences de votre arrêt; il laissait entendre qu'il ne se conformerait à l'interprétation qu'en donnait la Commission qu'après l'adoption de dispositions communautaires réglant de façon uniforme la question des facilités douanières et fiscales accordées aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs dans toutes les formes de trafic
intracommunautaire.

Les gouvernements des autres États membres ont apparemment réagi dans le même sens que le gouvernement allemand.

Le 7 avril 1982, la Commission a rappelé à l'ensemble des États membres les termes de sa lettre du 2 février 1982. A l'adresse du gouvernement allemand, elle exposait ( 15 ) en particulier que la réponse contenue dans le télex du 31 mars 1982 n'était pas satisfaisante et elle lui donnait un délai de trois semaines pour présenter ses observations.

Les États membres n'ayant pas donné suite à cette lettre, la Commission a adressé le 11 juin 1982:

— d'une part, aux États membres autres que la République fédérale d'Allemagne, un avis motivé ( 16 ) leur enjoignant de faire cesser, dans un délai d'un mois, la vente aux voyageurs intracommunautaires de produits originaires des pays tiers en franchise de droits de douane;

— d'autre part, à la République federale d'Allemagne, un avis motivé ( 17 ) lui enjoignant de faire cesser, dans un délai d'un mois, l'octroi de franchises tant douanières que fiscales à l'importation de marchandises par les voyageurs franchissant les frontières maritimes sans qu'ils aient fait escale auparavant dans un pays tiers, «après que la Cour de justice a déclaré invalide le règlement no 3023/77 du Conseil»

Le 30 août 1982, le gouvernement fédéral a avisé la Commission qu'il avait décidé — comme les autres États membres — de supprimer à compter du 1er janvier 1983 l'octroi des franchises douanières aux marchandises acquises en franchise dans le trafic intracommunautaire aérien et maritime ainsi qu'à l'occasion des «mini-croisières» en mer. Mais il n'était pas disposé à supprimer les franchises fiscales octroyées aux marchandises acquises au cours de ces «mini-croisières» tant que cette suppression
n'aurait pas été étendue aux «boutiques franches» des aéroports ainsi qu'aux ventes à bord des aéronefs, des aéroglisseurs et des navires de ligne.

C'est dans ces conditions que la Commission vous a saisis le 20 décembre 1982 pour vous demander de constater qu'en accordant — contrairement aux dispositions de la direcitve 69/169 — des franchises fiscales (taxes sur le chiffre d'affaires et accises) aux voyageurs qui, à l'occasion de «croisières» ou d' «excursions» (Kurz- und Stichfahrten) en mer du Nord ainsi qu'en mer Baltique, importent à travers la frontière douanière maritime des marchandises qui n'ont pas été taxées, la République fédérale
d'Allemagne manque aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.

Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à ce qu'il soit sursis à statuer jusqu'à votre prononcé sur l'affaire 278/82 et, plus subsidiairement encore, au rejet au fond.

1. En réalité, les arguments que le gouvernement allemand développe à l'appui de l'irrecevabilité qu'il allègue concernent le contenu de l'avis motivé (no C 82/768) qui lui a été adressé et le bien-fondé du recours.

La réglementation allemande distingue entre la franchise pour le «grand transit» lorsque le navire vient de la haute mer, a appareillé en dernier lieu d'un port étranger ou a séjourné au moins buit heures en dehors du territoire douanier et la franchises pour le «petit transit» lorsqu'il y a importation par la frontière douanière après une croisière de moins de huit heures ( 18 ).

Il en résulte que, à l'occasion de croisières en mer sur un navire n'ayant touché aucun port étranger, les voyageurs bénéficient des franchises fiscales «pays tiers», pourvu que le navire ait séjourné au moins huit heures en dehors du territoire douanier.

C'est bien ce point qui fait l'objet du recours en manquement.

2. Le problème des franchises fiscales accordées aux voyageurs achetant des marchandises au cours de croisières dans lesquelles le navire séjourne au moins huit heures en dehors du territoire douanier est distinct du problème des franchises fiscales (ou éventuellement douanières) accordées aux voyageurs empruntant des navettes maritimes desservant régulièrement deux États membres ou un État tiers et un État membre.

L'hypothèse visée par le recours en manquement est en revanche fort proche de celle des «croisières du beurre» qui faisait l'objet de votre arrêt du 7 juillet 1981, sinon de celle des voyages combinés navire-autocar dont il a été question plus haut.

S'il demeure possible, dans l'état actuel du droit communautaire, d'octroyer des franchises fiscales aux marchandises acquises hors taxes sur des navettes maritimes reliant deux États membres, l'octroi de ces franchises aux marchandises acquises à l'occasion de voyages combinant le bateau et l'autocar n'est licite qu'aux conditions que nous avons exposées; mais les dispositions communautaires s'opposent en tout cas à l'octroi de cette franchise aux marchandises acquises à l'occasion de croisières
au cours desquelles le navire ne touche aucun autre port que son port d'attache, même s'il s'est trouvé au moins huit heures en dehors du territoire douanier national.

En dernière analyse, le gouvernement allemand se retranche derrière un document du Conseil ( 19 ). Selon lui, il aurait été précisé au sein du Coreper, le 31 mars 1982, que le sort des «mini-croisières» dépendait du sort des «boutiques franches» en général.

En réalité, le document qui a été produit constitue une déclaration de la délégation allemande. Or, comme le faisait observer le premier avocat général Sir Gordon Slynn ( 20 ) :

«le point de savoir si une disposition particulière d'une directive peut être invoquée doit être résolu par référence aux termes de la directive elle-même et non pas sur la base d'une déclaration non publiée, faite par un représentant d'une des institutions impliquées dans le processus législatif et dans laquelle il expose son interprétation de cette institution».

Suivant l'interprétation que nous vous avons proposée, le texte de la directive 69/169 est rédigé de telle manière qu'il implique inévitablement qu'il n'est pas licite qu'à l'occasion de telles croisières dans la mer du Nord et la mer Baltique, les marchandises vendues en détaxe à des voyageurs soient importées en franchise en République fédérale d'Allemagne.

Nous concluons à ce qu'il soit fait droit au recours de la Commission et à ce que les dépens soient mis à la charge de la République fédérale d'Allemagne.

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( 1 ) Les textes régissant les franchises douanières (droits de douane et impositions a l'importation des produits agricoles) sont les suivants règlement no 1544/69 du Conseil du 23 juillet 1969 (JO L 191 de 1969, p. 1), modifie par le reglement no 3313/81 du 17 novembre 1981 (JO L 334 de 1981, p 1); reglement no 1818/75 du Conseil du 10 juillet 1975 (JO L. 185 de 1975, p 3), modifie par le reglement n' 2780/78 du 27 novembre 1978 (JO L 333 de 1975, p 7).

Les textes régissant les franchises fiscales (taxes sur le chiffre d'affaires et accises) sont les suivants, directive 69/169 CEE du Conseil du 28 mai 1969 (JO L 133 de 1969, p 6), modifiée en dernier lieu par la directive 82/443 CEE du 29 juin 1982 (JO L 206 de 1982 p. 35).

( 2 ) Affaire 158/80, Recueil 1981, p. 1807 et suiv.

( 3 ) Cette rectification a pour objet de restreindre l'obligation de rapporter la preuve que les marchandises transportées ont été acquises aux conditions générales d'imposition du marché intérieur d'un des États membres et ne bénéficient d'aucun remboursement de taxes sur le chiffre d'affaires ou d'accises au seul cas du transit sans escale par le territoire d'un État tiers ou du départ d'une partie du territoire d'un État membre dans laquelle les taxes ne sont pas d'application aux marchandises
qui y sont consommées (article 2, paragraphe 4, et article 4, paragraphe 4, de la directive 69/169/CEE).

( 4 ) Adoptee par le Conseil le 12 juin 1972.

( 5 ) Cette modification avait été proposée par la Commission au Conseil le 30 juillet 1971 (JO C 106 de 1971 p. 19).

( 6 ) JO L 336 de 1978, p. 28: «Sans prejudice du régime applicable aux ventes effectuees dans les comptoirs de vente sous douane des aéroports cl aux ventes a bord des avions, les Etats membres prennent les mesures nécessaires en ce qui concerne les ventes au stade du commerce de détail pour permettre, dans les cas et les conditions précisés aux paragraphes 3 et 4, la détaxation des taxes sur le chiffre d'affaires pour les livraisons de marchandises à emporter dans les bagages personnels des
voyageurs qui sortent d'un Etat membre. Aucune detaxation ne peut ètre accordée en ce qui concerne les accises». Le projet de troisième directive presente par la Commission au Conseil le 31 décembre 1976 (JO C 31 de 1977, p. 5) ne reprenait pai cene réserve.

( 7 ) Voir arrêt du 9 octobre 1980 dans l'affaire 823/79, Cardati, point 10, Recueil p. 2780: «En ce qui concerne l'interdiction imposée par un État membre aux personnes qui résident sur son territoire d'utiliser des véhicules importés temporairement en franchise, elle constitue un moyen efficace pour prévenir les fraudes fiscales et assurer que les taxes sont payées dans le pays de destination des biens».

( 8 ) Conclusions sous l'affaire 158/80, Rcwc, Recueil 1981 p 1848.

( 9 ) Point 2 du dispositif

( 10 ) Arret du 5 mai 1982 dans l'affaire 15/81, Schul, point 13, Recueil p. 1427: Il convient de souligner que lesdites directives n'effectuent qu'une harmonisation partielle du système de la taxe sur la valeur aioutec.

( 11 ) Directive 77/388/CEE, jO L. 145 de 1977, p 1.

( 12 ) Article 16 de la directive 77/388/CEE

( 13 ) JO C 113 de 1972, p. 15.

( 14 ) JOC 114 de 1983, p. 7.

( 15 ) Lettre SG(82) D/5388.

( 16 ) No C (82) 545.

( 17 ) No C (82) 768

( 18 ) Article 3, paragraphe 5, du reglement du 3 decembre 1974, relatif aux franchises à l'importation pour les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs (Einreise — Freimengen — Verordnung, BGBl. 1974, I, p. 3377), dans la version du 3e reglement du 28 septembre 1982 (BGBl. 1982, I p 1378 et 1379)

«En cas d'entree sur le territoire douanier par bateau la franchise prevue pour les produits de tabac, dans la mesure où les quantites importees sont superieures aux quantités indiquees au paragraphe 4, premiere phrase (il s'agit de la franchise pour le «petit transit» au profit des frontaliers) et pour les boissons alcooliques, le cafe et le the, n'est accordee que si le bateau vient de la haute mer ou a appareille en dernier lieu d'un port etranger ou s'est trouve au moins huit heures en dehors du
territoire douanier».

( 19 ) Document 6041/82 FISC 16.

( 20 ) Conclusions sous l'affaire 8/81, Becker, Recueil 1982, p. 80.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 325/82
Date de la décision : 09/11/1983
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé, Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Hamburg - Allemagne.

Franchises applicables aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs - Marchandises achetées sur des navires transbordeurs.

Affaire 278/82.

Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne.

Manquement - Franchises en matière de taxes sur le chiffre d'affaires et de droits d'accise applicables aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs - "Croisières du beurre".

Agriculture et Pêche

Fiscalité

Union douanière

Libre circulation des marchandises

Tarif douanier commun


Parties
Demandeurs : Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH et Rewe-Markt Herbert Kureit
Défendeurs : Hauptzollämter Flensburg, Itzehoe et Lübeck-West.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:319

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