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20/10/1983 | CJUE | N°190/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 20 octobre 1983., Adam P.H. Blomefield contre Commission des Communautés européennes., 20/10/1983, 190/82


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 20 OCTOBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'un recours introduit contre la Commission des Communautés européennes par Adam Blomefield, tendant à l'annulation de décisions concernant son classement dans les échelons.

I — Les faits sont les suivants :

Adam Blomefield a participé avec succès aux épreuves du concours général COM/LA/141 ( 1 ) organisé par la Commission pour la constitution d'une réserve de traducteurs a

djoints (grades LA 8 et LA 7 du cadre linguistique).

L'avis de concours prévoyait que le traitement de...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 20 OCTOBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'un recours introduit contre la Commission des Communautés européennes par Adam Blomefield, tendant à l'annulation de décisions concernant son classement dans les échelons.

I — Les faits sont les suivants :

Adam Blomefield a participé avec succès aux épreuves du concours général COM/LA/141 ( 1 ) organisé par la Commission pour la constitution d'une réserve de traducteurs adjoints (grades LA 8 et LA 7 du cadre linguistique).

L'avis de concours prévoyait que le traitement de base mensuel de début correspondait à un classement au grade LA 8, échelon 1. Toutefois, il était précisé qu'il serait tenu compte de la formation et de l'expérience professionnelle spécifique du candidat pour l'attribution d'échelons supplémentaires. Exceptionnellement, il pourrait être attribué un traitement de base correspondant à un classement en LA 7, échelon 3.

Après avoir été porté sur la liste de réserve, Adam Blomefield a été nommé fonctionnaire stagiaire le 23 août 1977, en qualité de traducteur adjoint, avec effet au 1er août 1977. Il était classé en catégorie LA, grade 7, échelon 1.

Il a ensuite été titularisé le 26 avril 1978 avec effet au 1er mai 1978.

Contrairement à la décision le nommant fonctionnaire stagiaire, cette décision de titularisation ne précisait pas l'échelon dans son grade et ne comportait pas la dénomination de l'emploi qu'il occupait. On peut néanmoins supposer qu'il s'agissait d'un emploi de traducteur adjoint.

A la suite de la modification du statut des fonctionnaires des Communautés européennes opérée par le règlement du Conseil du 2 mai 1978 (n° 912/78) ( 2 ), la carrière de traducteur adjoint ne s'étend plus que sur le grade LA 8, les grades LA 6 et LA 7 couvrant désormais la carrière de traducteur. Les fonctions d'Adam Blomefield sont donc à présent celles de traducteur.

II — Au mois de mars 1981, le directeur général du personnel et de l'administration de la Commission a porté à la connaissance du personnel de cette institution une «décision de la Commission relative aux critères applicables à la nomination en grade et au classement en échelon lors du recrutement».

Nous reviendrons ultérieurement sur la nature juridique de cette mesure puisque sa qualification conditionne la recevabilité du présent recours.

Nous nous bornerons à noter, à ce stade, que cette décision arrêtée le 6 juin 1973, visait à l'origine «à faciliter les choix et décisions multiples à faire dans une période relativement brève» ( 3 ); mais, comme l'explique la Commission en réponse à une question que vous lui avez posée dans l'affaire Michael (n° 343/82), elle «souhaitait s'assurer que ces règles présentaient les caractères de stabilité et de cohérence requis pour garantir aux membres du personnel un traitement uniforme dans le
déroulement de leur carrière».

La version de 1981 de cette décision comporte certaines modifications par rapport au texte de 1973 ( 4 ) pour tenir compte de celles introduites par le règlement n° 912/78.

En même temps que cette décision, la Commission a estimé opportun de publier une annexe résumant la «jurisprudence» du comité de classement institué à l'article 6 de cette décision et indiquant la composition de ce comité.

Un exemplaire de ces différents documents fut expédié par courrier à chaque membre du personnel et, depuis mars 1981, chaque lauréat d'un concours en est destinataire.

Se fondant sur les dispositions de la «décision» précitée, Adam Blomefield a adressé, le 6 juin 1981, à l'autorité investie du pouvoir de nomination une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut tendant à se voir attribuer l'échelon 3 dans le grade LA 7 à partir de son entrée en fonctions le 1er août 1977.

Le secrétaire du «comité de classement» visé à l'article 6 de la décision répondit au requérant le 9 juillet 1981 pour lui faire connaître qu'après avoir eu un premier échange de vues le 17 juin 1981, le comité statuerait en septembre-octobre 1981 sur l'ensemble des demandes introduites à la suite de la publication de la «décision» et qu'il serait personnellement tenu au courant de l'avis le concernant.

Le 7 janvier 1982, Adam Blomefield introduisit une réclamation au sens de l'article 90 contre le rejet implicite de sa demande du 6 juin 1981 ( 5 ).

Le même jour, le membre de la Commission, responsable des affairés de personnel, lui répondait que, le 11 novembre 1981, le comité avait estimé que le classement en LA 7, échelon 1, qui lui avait été accordé, était conforme aux critères applicables à l'époque de son recrutement et qu'ils avaient d'ailleurs été appliqués de la même façon à d'autres lauréats du même concours. En conséquence, le commissaire faisait siennes les conclusions de l'avis du comité de classement.

Par recours enregistré le 28 juillet 1982, Adam Blomefield conclut

— à l'annulation de la décision qui lui a été notifiée le 7 janvier 1982,

— à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa réclamation,

— à l'annulation de la décision de classement originaire

et vous demande de dire pour droit qu'il devait être classé à l'échelon 3 du grade LA 7 ou, subsidiairement, de condamner la Commission à lui accorder, à partir d'une date à déterminer par votre arrêt, une bonification d'ancienneté de deux échelons.

III — Sans soulever d'exception formelle, la Commission expose que la recevabilité du recours lui apparaît «pour le moins douteuse».

Il convient d'examiner tout d'abord cette question.

On pourrait soutenir que les «directives» ( 6 ) rendues publiques en mars 1981, qui ne visent pas l'article 110 du statut, constituent une mesure de nature purement interne, ne conférant aucun droit dont les agents puissent utilement se prévaloir: en ce cas, elle aurait la même portée que les «critères» dont il était question dans l'affaire Petersen précitée et, dans la ligne de cette jurisprudence, «l'examen de la nature juridique de ces critères, nécessaire pour décider de la recevabilité du
recours, relève également de l'examen du bien-fondé de ce recours ( 7 ).

S'il n'appelait pas nécessairement l'adoption d'une disposition générale d'exécution au sens de l'article 100, l'article 31 du statut n'interdisait cependant pas, en vue d'une application non arbitraire, l'adoption d'une directive interne au sens de votre arrêt Louwage qui précise que, si une directive interne ne saurait être qualifiée de règle de droit à l'observation de laquelle l'administration serait en tout cas tenue, elle énonce toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à
suivre, dont l'administration ne peut s'écarter sans donner les raisons qui l'y ont amenée, sous peine d'enfreindre les principes de l'égalité de traitement ( 8 ).

Il nous paraît que la «décision» de la Commission de 1973 a en tout cas revêtu ce caractère de directive interne à partir du moment où elle a été publiée en 1981 et où, en raison même des modalités de cette publication, elle a perdu le caractère éphémère qu'elle avait peut-être à l'origine.

Cette publication permet aux fonctionnaires de remettre en cause les modalités de classement qu'ils ont «acceptées» lors de leur recrutement. A ce sujet, vous avez jugé qu'en tout état de cause la nomination d'un fonctionnaire ne saurait résulter d'un concours de volontés, mais trouve son origine dans un acte unilatéral de l'autorité investie du pouvoir de nomination ( 9 ).

Dans l'affaire Williams ( 10 ), vous avez qualifié de «décision générale» la mesure qui a été arrêtée par la Cour des comptes en février 1981 et qui est tout à fait comparable à la «décision» de la Commission dans la présente affaire.

Enfin, la circonstance que le comité de classement ait «statué» sur la demande du requérant constitue un fait nouveau. L'«avis» de ce comité — qui n'a pas été porté à sa connaissance — est visé dans la lettre du 7 janvier 1982 qui fait l'objet du premier chef des conclusions en annulation. Cette lettre n'a pas un caractère purement confirmatif puisqu'elle se fonde essentiellement sur l'avis de ce comité.

En conséquence, le recours nous paraît recevable.

IV — Au fond, il convient d'examiner d'abord si Adam Blomefield satisfait aux conditions d'expérience professionnelle requises par la décision du 6 juin 1973.

1. Les dispositions de celle-ci, qui permettent de déroger au principe général du classement au grade de base dans la carrière de base, trouvent leur fondement non pas dans l'article 32 du statut, mais dans son article 31..

Il apparaît que, conformément à cet article, la Commission a fixé des critères précis, qui ont d'ailleurs été exactement appliqués quant à la «nomination en grade» du requérant.

Ce dernier fonde sa demande de «classement en échelon» essentiellement sur l'article 5, paragraphe 1, de cette décision aux termes de laquelle,

«pour tenir compte de l'expérience professionnelle du candidat dépassant celle prise en considération aux fins de la détermination du grade de nomination, l'autorité investie du pouvoir de nomination accorde une bonification d'ancienneté d'échelon selon le tableau figurant en annexe».

Ce présent de l'indicatif «accorde» ne signifie pas que la Commission ne pouvait ou ne pourrait s'écarter, pour des motifs légitimes, de l'application de cette règle; mais il serait contraire à une bonne administration que la Commission ne respecte pas — sauf exception justifiée — la «doctrine» qu'elle s'est fixée à elle-même et qu'elle a jugé bon de faire connaître à ses agents.

Il lui est loisible de s'en écarter pour des motifs légitimes, mais — en l'absence de tels motifs — elle est tenue de s'y conformer en vertu même du principe d'égalité de traitement ( 11 ), principe que l'établissement et la publication de ces critères visaient précisément à garantir.

2. Voyons à présent si ce principe ou d'autres motifs légitimes autorisaient la Commission à s'écarter de l'application de cette règle dans le cas du requérant.

Celui-ci prétend qu'il peut justifier d'une expérience professionnelle de près de sept années avant son entrée en fonctions, ainsi qu'il ressortirait de son acte de candidature.

Or, d'après le tableau figurant en annexe à la décision de 1973, il suffirait d'une expérience de cinq années pour prétendre à une bonification d'ancienneté d'échelon de 48 mois (deux ans).

Sans contester directement sa durée, la Commission prétend que cette expérience est étrangère aux fonctions correspondant à l'emploi pour lequel Adam Blomefield a été recruté.

Elle se base à cet effet sur le paragraphe 3, c), des applications pratiques illustrant la «jurisprudence» du comité de classement, qui énonce que, pour la carrière LA 7/LA 6,«est valorisée à 100 % l'expérience pertinente à la fonction pour autant qu'elle soit de niveau A».

L'exégèse que la Commission donne de ce texte nous paraît erronée.

L'expérience visée par cette disposition doit certes être de niveau post-universitaire, mais elle ne doit pas se réduire aux tâches spécifiques confiées à l'agent après son recrutement: il suffit qu'elle soit de niveau A. Autrement dit, un traducteur qui, après des études universitaires, aurait acquis une expérience professionnelle en tant qu'économiste ou juriste, par exemple, pourrait parfaitement en faire état pour obtenir le bénéfice de l'application de l'article 5, éclairé par la
«jurisprudence» du comité de classement. Il n'est pas nécessaire que cette expérience soit strictement confinée à la traduction«pour autant qu'elle soit de niveau A» (le texte ne porte pas de «niveau ZA»).

Du reste, les conditions d'admission au concours auquel a participé le requérant n'exigeaient pas que les candidats justifient avoir accompli des études universitaires de linguistique, ni qu'ils aient une expérience «pertinente», mais simplement une certaine expérience «appropriée» à la fonction.

Une preuve supplémentaire de cette lecture du texte est que la durée légale du service militaire est prise en compte, tout comme l'expérience professionnelle «pertinente», aux fins de bonification éventuelle d'échelon ( 12 ).

Si l'intéressé avait été lauréat d'un concours A 7/A 6, un diplôme de Bachelor of Arts et une expérience professionnelle de trois ans l'auraient qualifié pour un classement au grade A 7, échelon 2. Or, il ressort du dossier qu'il a obtenu le titre de Master of Arts (law) de Trinity, Oxford, en 1968 et qu'il justifie d'une expérience de près de sept ans, qui peut être qualifiée de juriste d'entreprise. Notons d'ailleurs que, depuis 1980, le requérant travaille en liaison avec la direction générale
de l'agriculture, plus particulièrement avec les «comités de gestion».

3. Enfin, Adam Blomefield ajoute que d'autres lauréats du concours auquel il a participé ont obtenu une ancienneté d'échelon de 48 mois.

Dans sa réponse du 7 janvier 1982, la Commission assure au contraire que son classement correspond à celui qui a été accordé à d'autres lauréats. Le dossier ne contient aucune précision à ce sujet, mais il n'est pas nécessaire d'examiner ce point si, comme nous le pensons, le requérant peut prétendre à l'ancienneté qu'il réclame sur la base de ses propres mérites.

Quant à la date de prise d'effet de ce reclassement, Adam Blomefield estime qu'elle devrait retroagir à la date de sa nomination; subsidiairement, il vous demande de condamner la Commission à lui accorder, à partir d'une date à déterminer par l'arrêt à intervenir, une bonification d'ancienneté de deux échelons.

Nous pensons que cette date devrait être fixée au jour du dépôt de sa demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut, ainsi que vous l'avez jugé dans l'affaire Williams ( 13 ).

Nous concluons:

— à l'annulation de la décision de la Commission du 7 janvier 1982,

— pour autant que de besoin, à l'annulation de la décision implicite de rejet de la réclamation du requérant,

— à ce qu'une bonification d'ancienneté de deux échelons lui soit reconnue à compter du 11 juin 1981, date d'enregistrement de sa demande

— et à ce que la Commission des Communautés européennes supporte les dépens.

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( 1 ) Journal officiel des Communautés européennes C 127, du 10. 6. 1976, p. 6.

( 2 ) JOCE L 119 du 3. 5. 1978, p. 1.

( 3 ) Arrêt du 2. 12. 1976, Petersen, affaire 102/75, Recueil p. 1792, attendu 23.

( 4 ) Articles 2, 3.

( 5 ) Réclamation enregistrée le 8. 1. 1982.

( 6 ) Terme employé dans ia communication au personnel de mars 1981.

( 7 ) Attendu 12, Recueil 1976, p. 1790.

( 8 ) Arrêt du 30. 1. 1974, affaire 148/73, Recueil p. 89, attendu 12.

( 9 ) Affaire Petersen précitée, Recueil 1976, p. 1791, attendu 16,

( 10 ) Affaire 9/81, arrêt du 6. 10. 1982, Recueil 1982, p. 3301.

( 11 ) Arrêt Louwage précité, Recueil 1974, p. 89, attendu 13.

( 12 ) Voir annexe II de la décision, aplications pratiques et observations d'ensemble, 1. Remarques générales, b) prise en compte de la durée du service militaire légale.

( 13 ) Arrêt du 6. 10. 1982, affaire 9/81, point 28 des motifs et dispositif.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 190/82
Date de la décision : 20/10/1983
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Classement d'échelon au recrutement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Adam P.H. Blomefield
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:287

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