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07/10/1982 | CJUE | N°292

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 7 octobre 1982., Société Jean Lion et Cie, Société Loiret & Haentjens SA et autres contre Fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre (FIRS)., 07/10/1982, 292


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 7 OCTOBRE 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

Par les présentes affaires jointes, la Cour est confrontée de nouveau avec l'existence juridique complexe de la politique agrimonétaire des institutions communautaires. Le flux de règles juridiques, qui a, à juste titre, conduit les demanderesses dans les présentes affaires à parler de «labyrinthe» au cours de la procédure orale, nous oblige à rappeler tout d'a

bord la réglementation en la matière.

2. Le régime des montants compensatoires monétaires et les ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 7 OCTOBRE 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

Par les présentes affaires jointes, la Cour est confrontée de nouveau avec l'existence juridique complexe de la politique agrimonétaire des institutions communautaires. Le flux de règles juridiques, qui a, à juste titre, conduit les demanderesses dans les présentes affaires à parler de «labyrinthe» au cours de la procédure orale, nous oblige à rappeler tout d'abord la réglementation en la matière.

2. Le régime des montants compensatoires monétaires et les taux de change représentatifs

Le présent litige trouve sa source historique le 4 juin 1973, date à laquelle est entré en vigueur le troisième règlement modificatif du Conseil no 1112/73 du 30 avril 1973 (JO 1973, L 114, p. 4) portant modification du règlement no 974/71 du Conseil du 12 mai 1971 (JO 1971, L 106, p. 1) relatif à certaines mesures de politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l'élargissement temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains États membres. Cette
modification du règlement de base, au sujet duquel nous constatons à regret qu'il n'a pas été publié de texte codifié de cette réglementation douze fois modifiée jusqu'ici, a été rendue nécessaire par le fait qu'au cours de la première moitié de 1973, tous les États membres ont laissé flotter leur monnaie vis-à-vis du dollar. L'abandon du lien avec le dollar a eu pour effet que le rapport entre les monnaies des États membres et l'unité de compte (UC) utilisée à l'époque dans la politique agricole
commune est devenu en fait totalement autonome. Depuis cette déconnexion, les montants compensatoires monétaires ne se justifient plus par la divergence entre la parité réelle des monnaies et leur parité officielle déclarée au Fonds monétaire international et ultérieurement leur taux pivot vis-à-vis du dollar (dans le cadre de l'accord Smithsonian), sur la base desquels s'effectuait la conversion des unités de compte en monnaie nationale. En effet, l'abandon du lien avec le dollar a également
supprimé en fait la justification du recours aux anciens taux fondés sur le lien dollar-or. L'accent a ainsi été mis davantage sur le fait que, pour un certain nombre de raisons, les États membres ne souhaitaient pas ajuster les taux représentatifs dans le secteur agricole en fonction des rapports effectifs entre les monnaies. Après la disparition des dernières séquelles du lien avec le dollar et, partant, de l'ancien système de Bretton-Woods des taux de change stables, les taux de change
représentatifs ou taux de change verts ont évolué de manière tout à fait autonome. On en trouve une illustration dans les marathons annuels du Conseil siégeant en matière de prix agricoles. Les taux représentatifs se sont transformés en instruments de politique économique conjoncturelle et en instruments de la politique agricole commune. C'est ce qui ressort en particulier de l'existence de taux par secteur. A cet égard, il y a lieu de renvoyer surtout au règlement du Conseil no 878/77 du 26 avril
1977 (JO 1977, L 106, p. 27). Partant, il est justifié de qualifier les rapports des taux de change dans le secteur agricole communautaire de système de taux de change multiples. Le recours à des taux de change représentatifs spécifiques différenciés par secteur, par période, et par type de transaction constitue le contexte de la question préjudicielle qui a été déférée à la Cour.

3. Les conséquences d'une modification des taux de change représentatifs

Si, comme tel est le cas dans la politique agricole commune, les droits et obligations des particuliers vis-à-vis des autorités chargées de l'exécution sont basés sur des unités de compte ou sur des prix déterminés par référence aux unités de compte, la modification du taux de conversion de l'unité de compte en monnaie nationale soulève des problèmes en matière de sécurité juridique. Déjà sous l'empire du régime des taux de change fixes, le règlement du Conseil no 1134/68 du 31 juillet 1968 (JO
1968, L 188, p. 1) prévoyait à cet égard une possibilité d'ajustement des droits et obligations existants. L'article 4 de ce règlement prévoit un ajustement automatique, et l'article 6 détermine le moment à prendre en compte. Ce dernier article est libellé comme suit:

«Pour l'application du présent règlement, est considérée comme moment de réalisation de l'opération, la date à laquelle intervient le fait générateur de la créance relative au montant afférent à cette opération, tel que ce fait générateur est défini par la réglementation communautaire ou, à défaut et en attendant, par la réglementation de l'État membre concerné.»

Cette réglementation permet donc de déterminer le fait générateur à retenir en vue de la conversion.

Ce fait générateur peut par exemple se situer le jour de l'importation ou de l'exportation, le jour où ont lieu les formalités douanières, etc. La détermination de ce fait générateur est d'une importance capitale eu égard d'une part aux rapports juridiques, fixés pour une période déterminée, avec les autorités agricoles, par exemple en cas de fixation à l'avance des restitutions à l'exportation et des montants compensatoires monétaires et eu égard d'autre part à des ajustements fréquents des taux de
conversion. Le régime général du règlement no 1134/68 a, par le règlement du Conseil no 878/77 du 26 avril 1977 déjà mentionné (JO 1977, L 106, p. 27), été déclaré applicable également au système des taux représentatifs dans le secteur agricole. L'article 4 de ce règlement, tel que modifié par le règlement no 976/78 du Conseil (JO 1978, L 125, p. 32), déclare au premier paragraphe que le règlement no 1134/68 mentionné ci-dessus s'applique et détaille ces règles d'ajustement dans les deux paragraphes
suivants:

«2. Toutefois, l'article 4, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CEE) no 1134/68 ne s'applique que si l'application des nouveaux taux représentatifs conduit pour l'intéressé à un désavantage.

Il peut être décidé, avant la date d'application du nouveau taux, que ce désavantage soit compensé par une mesure appropriée. Dans ce cas, l'annulation de la fixation à l'avance et du certificat ou titre l'attestant ne peut être effectuée.

3. Il peut être décidé, selon la procédure prévue à l'article 5, de déroger aux dispositions visées au paragraphe 1.»

Sur la base du troisième paragraphe, la Commission a arrêté le règlement no 3016/78 du 20 décembre 1978 (JO 1978, L 359, p. 11). En cas de modification du taux de change, cette réglementation a apporté aux règles générales d'ajustement du règlement no 1134/68 un certain nombre d'exceptions pour le secteur du sucre et de l'isoglucose. Les considérants pertinents de ce règlement no 3016/78 sont libellés comme suit:

«Considérant que le règlement (CEE) no 878/77 prévoit à l'article 4, paragraphe 1, que, en ce qui concerne les incidences sur les droits et obligations existant au moment de la modification d'un taux représentatif, les dispositions du règlement (CEE) no 1134/68 du Conseil, du 30 juillet 1968, fixant les règles d'application du règlement (CEE) no 653/68 relatif aux conditions de modification de la valeur de l'unité de compte utilisée pour la politique agricole commune, prévues pour la modification du
rapport entre la parité de la monnaie d'un État membre et la valeur de l'unité de compte, sont applicables.

Considérant que, selon l'article 4, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1134/68, les sommes y indiquées sont payées en utilisant le taux de conversion qui était en vigueur au moment de la réalisation de l'opération ou d'une partie de l'opération; que selon l'article 6 du règlement précité, est considérée comme moment de réalisation de l'opération la date à laquelle intervient le fait générateur de la créance relative au montant afférent à cette opération, tel que ce fait générateur est défini par la
réglementation communautaire, ou, à défaut et en attendant, par la réglementation de l'État membre concerné; que toutefois, aux termes de l'article 4, paragraphe 3, du règlement (CEE) no 878/77, il peut être dérogé aux dispositions précitées;

Considérant que, aux fins d'une bonne gestion du marché du sucre et de l'isoglucose, il convient de préciser, pour chaque sorte d'opération dans ces secteurs, la manière de déterminer le taux de change applicable; que, dans certains cas, il convient de déroger à la règle prévue à l'article 6 du règlement (CEE)no 1134/68.»

Ces dérogations sont décrites de manière plus détaillée dans une annexe de ce règlement. Le point X de celle-ci est libellé comme suit:

Tout prélèvement à l'importation et à l'exportation ainsi que toute restitution à l'exportation prévus en vertu du règlement (CEE) no 3330/74:

a) avec fixation à l'avance des montants compensatoires monétaires,

taux représentatif applicable le jour visé à l'article 6 du règlement (CEE) no 243/78, modifié par le règlement (CEE) no 1544/78,

b) sans fixation à l'avance des montants compensatoires monétaires,

taux représentatif applicable le jour de l'accomplissement des formalités douanières d'exportation ou le jour utilisé par l'organisme compétent pour la détermination du taux du prélèvement à l'importation.

Ce règlement vise donc à établir une réglementation propre du fait générateur. Ainsi que la Commission l'a déclaré au cours de la procédure orale, le secteur du sucre est, jusqu'à présent, le seul secteur ayant sa réglementation propre du fait générateur.

4. La réglementation de la fixation à l'avance des restitutions et des montants compensatoires monétaires

La réglementation de la fixation à l'avance des restitutions à l'exportation du sucre se fonde sur l'article 12, paragraphe 1, alinéa 2, du règlement de base no 3330/74 du Conseil du 19 décembre 1974 (JO 1974, L 359, p. 1) portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre.

D'après cette disposition, la fixation à l'avance est portée sur le certificat d'exportation. Les règles générales relatives à l'octroi de restitutions à l'exportation dans ce secteur figurent dans le règlement du Conseil no 766/68 du 18 juin 1968 (JO 1968, L 143, p. 16). D'après l'article 4 de ce règlement, ces restitutions peuvent être fixées par voie d'adjudication. Dans la pratique, c'est la méthode la plus répandue de fixation des restitutions dans ce secteur. Si, au cours de la période de
fixation à l'avance, les prix subissent une modification, l'article 12 prévoit un ajustement des montants ainsi fixés. Dans la version du règlement modificatif no 1048/71 du Conseil du 25 mai 1971QO 1971, L 114, p. 10) cet article 12 est libellé comme suit:

«Si, au cours de la période comprise entre:

— le jour du dépôt de la demande de certificat d'exportation assortie d'une demande de préfixation de la restitution

ou

— le jour de l'expiration du délai pour la présentation des offres, lorsqu'il s'agit d'une restitution fixée par voie d'adjudication,

— et le jour de l'exportation, intervient une modification des prix du sucre ou de la mélasse fixés en vertu du règlement no 1009/67/CEE, il peut être prévu un ajustement du montant de la restitution.»

La préfixation des montants compensatoires monétaires est régie par le règlement no 243/78 de la Commission du 1er février 1978 (JO 1978, L 37, p. 5). L'article 6 de ce règlement indique quel montant compensatoire monétaire est applicable, en cas de préfixation:

«1. Le montant compensatoire monétaire valable le jour du dépôt de la demande de fixation à l'avance du montant compensatoire monétaire est applicable aux opérations réalisées pendant la durée de validité du certificat.

2. Toutefois, dans le cas où le prélèvement ou la restitution sont fixés à l'avance dans le cadre d'une adjudication, le montant compensatoire monétaire applicable est celui valable le dernier jour du délai de présentation des offres.

Les dispositions du paragraphe 1 restent cependant applicables lorsque le demandeur d'un certificat comportant un prélèvement ou une restitution fixés à l'avance dans le cadre d'une adjudication se place dans la situation visée à l'article 4, paragraphe 6.»

Ce règlement prévoit également un ajustement des montants compensatoires ainsi fixés lorsque le taux représentatif subit une modification. L'article 7 est libellé comme suit:

«1. Les montants compensatoires monétaires fixés à l'avance sont ajustés dans le cas où, au cours de la durée de validité du certificat, un nouveau taux représentatif, qui a été décidé avant que la demande de fixation à l'avance ne soit déposée, prend effet.

2. Il peut être décidé que les montants compensatoires monétaires fixés à l'avance sont ajustés

— lorsque, au cours de la durée de validité du certificat, le prélèvement ou la restitution est ajusté à la suite d'une modification des prix,

ou

— lorsque un nouveau taux représentatif prend effet.»

L'ajustement automatique prévu au premier paragraphe est précisé dans le règlement no 1516/68 de la Commission du 30 juin 1968 (JO 1968, L 178, p. 63) dont l'article premier est libellé comme suit:

«1. Les ajustements visés à l'article 7, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 243/78 sont effectués en fonction dotaux représentatif

— applicable au moment de l'accomplissement des formalités douanières d'importation ou d'exportation

et

— décidé avant le dépôt de la demande de la fixation à l'avance du montant compensatoire monétaire.»

Il faut encore ajouter à cela que la préfixation de montants compensatoires monétaires est seulement possible en cas de préfixation de restitutions (article 2 du règlement no 243/78).

5. La signification du règlement no3016/78

Il ressort de l'aperçu donné ci-dessus qu'en vertu de la réglementation générale de la préfixation de restitutions (article 12 du règlement no 766/68, tel que modifié par le règlement no 1048/71; article 14 du règlement no 766/68) et de la préfixation de montants compensatoires monétaires (aniele 7 du règlement no 243/78 en combinaison avec l'article premier du règlement no 1516/68), c'est le jour de l'accomplissement des formalités douanières qu'intervient le fait générateur. Toutefois, le
règlement no 3016/78 déroge à cette règle en disposant, au point X, lettre a), de son annexe, que, en cas de fixation de montants compensatoires, ce qui suppose, ainsi que nous l'avons dit, que les restitutions à l'exportation soient également fixées, le fait générateur intervient un autre jour, et plus précisément, en cas d'adjudication, il intervient le dernier jour du délai pour la présentation des offres (article 6, paragraphe 2, du règlement no 2243/78). Le fait d'avancer le fait générateur
dans le temps a donc pour conséquence que les modifications ultérieures du prix d'intervention, des restitutions et du taux représentatif ne jouent plus aucun rôle dans le paiement ou la perception des montants ainsi fixés.

Les considérants du règlement no 3016/78 lui-même ne permettent pas d'emblée de savoir clairement pourquoi cette dérogation a été retenue. Nous reviendrons ultérieurement sur ce problème des motifs.

Toutefois, au cours de la procédure orale, l'expert de la Commission chargé de la question s'est efforcé de donner des éclaircissements dans le cadre d'un exposé fouillé et savant. On peut inférer de cet exposé que la fixation des restitutions à l'exportation d'une part et celle des restitutions à l'exportation et des montants compensatoires d'autre pan sont basées sur des philosophies différentes que l'on pourrait résumer comme suit.

Le régime de fixation est fondé essentiellement sur l'idée qu'au moment de la fixation, le demandeur a connaissance des facteurs susceptibles d'influer sur sa position individuelle et, pour autant que ces facteurs susceptibles d'être fixés peuvent subir des modifications, il souhaite déterminer ceux-ci. En partant de l'hypothèse que les prix d'achat et de vente du sucre sont déterminés ou fixés contractuellement par le demandeur, la restitution à l'exportation, le taux représentatif et le
coefficient monétaire — ces deux derniers facteurs combinés déterminant le montant compensatoire monétaire — sont des facteurs incertains. Or, si l'opérateur économique fait porter la fixation uniquement sur la restitution, c'est seulement sa position exprimée en unités de compte qui est alors certaine, et non pas sa position exprimée en monnaie nationale. Cette dernière est en effet déterminée également par le montant compensatoire monétaire. Dans le cas où la restitution est fixée, il n'y a pas
lieu, de l'avis de la Commission, de fixer sa position en monnaie nationale. Dans ce cas, le fait générateur intervient donc le jour de l'accomplissement des formalités douanières, de sorte que les modifications intervenant jusqu'à cette date puissent être répercutées dans le taux représentatif. Si la fixation porte tant sur la restitution que sur le montant compensatoire monétaire, la position du demandeur exprimée en monnaie nationale est alors, elle aussi, fixée expressément, le jour de la
fixation, de sorte que le demandeur exclut délibérément l'influence des modifications du taux représentatif sur le montant compensatoire à recevoir ou à payer par lui. En règle générale, il en résultera un avantage pour lui, ce qui en effet constitue l'idée sousjacente à la fixation, mais, dans certaines circonstances, il peut également en résulter un désavantage pour lui. On s'explique alors pourquoi, dans le dernier cas, la date du fait générateur est avancée. Cette argumentation n'est toutefois
pas encore complète, étant donné que dans le cas où la restitution et le montant compensatoire monétaire sont fixés, le règlement no 3016/78 exclut également la répercussion des modifications dans le prix d'intervention, en fixant, comme il le fait, le fait générateur. D'après l'argumentation de la Commission, cette exclusion est basée sur une double hypothèse. En premier lieu, le prix d'intervention ne correspond pas nécessairement au prix d'achat, celui-ci étant déterminé par des négociations
entre fournisseur et client. Nous reviendrons encore sur le bien-fondé de ce raisonnement. En deuxième lieu, une augmentation du prix d'intervention n'entraîne pas nécessairement une brusque augmentation du prix du marché, mais aurait pour conséquence une évolution graduelle, antérieurement et postérieurement à la date de modification, de l'ancien niveau vers le nouveau.

6. Les faits et les questions posées

Les faits dans l'affaire 292/81 sont les suivants. Au cours de la période du 2 mars au 13 juin 1979, l'entreprise française Lion a obtenu du Fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre (FIRS) des certificats d'exportation par voie d'adjudication, avec fixation simultanée de restitutions et de montants compensatoires monétaires. Avant ladite période, le règlement no 976/78 du Conseil du 12 mai 1978 (JO 1978, L 125, p. 2), a procédé à une dévaluation de 3,6 % du taux représentatif du
franc français et a été suivi, le 25 mars 1979, du règlement no 643/79 (JO 1979, L 83, p. 1) qui a procédé à une dévaluation de 5,12 %. Les deux dévaluations devaient entrer en vigueur le 1er juillet 1979. Le 25 juin 1979, donc après l'expiration de ladite période, le Conseil a arrêté le règlement no 1266/79 (JO 1979, L 161, p. 4) dans lequel le franc a été dévalué de 6,9 % au 1er juillet 1979; partant, les deux premières dévaluations ne sont jamais entrées en vigueur. Le 5 juin 1979 également, avec
effet au 1er juillet, le règlement no 1288/79 (JO 1979, L 162, p. 1) a porté le prix d'intervention du sucre de 40,09 Écus à 40,49 Écus. La société Lion a demandé au FIRS que les montants compensatoires fixés soient ajustés sur la base des règlements nos 1134/68 et 243/78. Cette demande est restée sans suite.

Dans l'affaire 293/81, le litige porte sur les certificats d'exportation, comportant également fixation de restitutions et de montants compensatoires monétaires, obtenus par les entreprises Loiret et autres avant le 28 septembre 1979. Le 28 septembre, le règlement no 2139/79 (JO L 246, p. 76), a de nouveau procédé à une dévaluation du taux représentatif du franc français, cette fois-ci de 1,046%, avec effet au 1er octobre 1979. Une demande adressée au FIRS en vue de la révision des restitutions
fixées est également restée sans suite. Dans les deux cas, le FIRS a invoqué l'annexe déjà examinée du règlement no 3016/78, point X, en vertu de laquelle c'était le dernier jour du délai de présentation des offres qui était déterminant, ce qui, en l'espèce, excluait donc la prise en compte de la dévaluation de 6,9 % et de la majoration du prix d'intervention (affaire 292/81) et de la dévaluation de 1,049% (affaire 293/81). Dans les deux cas, ce refus a donné lieu à un recours devant le tribunal
administratif de Paris. Dans leur dernier mémoire, les entreprises ont soutenu que le FIRS avait appliqué des règlements communautaires illégaux, ce qui a amené ledit tribunal à soumettre à la Cour de justice la question suivante:

«Le règlement CEE no 3016/78 du 20 décembre 1978, est-il valide au regard des dispositions de l'article 190 du traité CEE?

Introduit-il, dans la réglementation communautaire, des mesures discriminatoires qui en entacheraient la validité?

Viole-t-il les dispositions du règlement no 243/78, du 1er février 1978, instaurant la fixation à l'avance des montants compensatoires monétaires, dont il est une mesure d'adaptation?»

Les actions des demanderesses trouvent leur origine dans les contrats conclus par elle pour l'achat de sucre. A la demande de la Cour, les demanderesses ont fourni des explications détaillées à ce sujet. Il en ressort que les opérateurs communautaires dans le secteur du sucre travaillent sur la base de contrats types établis par l'Association des organisations professionnelles du commerce des sucres pour les pays de la Communauté économique européenne (ASSUC). L'article 22 de ces contrats types, qui
sont utilisés tant pour les opérations domestiques que pour les opérations à l'exportation, dispose ce qui suit:

«Sauf spécification contraire, le ou les prix du contrat devront être ajustés de façon à refléter tout changement du prix d'intervention communautaire pour la qualité définie à l'article 5 survenant antérieurement à la livraison du sucre, exprimé dans la devise du contrat, converti au taux représentatif pour cette devise, et tout changement sera pour le compte de l'acheteur.»

Les demanderesses ont en outre soutenu que l'octroi de cette garantie est nécessaire pour assurer un approvisionnement constant pour leurs opérations à l'exportation. Les raffineries sont à leur tour tenues, conformément aux usages en vigueur, de faire profiter les producteurs de betteraves des modifications des prix d'intervention.

7. Observations générales sur la question posée

A la suite également des observations présentées par les parties au cours de la procédure orale, il nous semble utile de faire quelques remarques générales sur le contexte du règlement no 3016/78 litigieux.

La Commission a soutenu que le règlement no 3016/78 n'avait pas à tenir compte des modifications du niveau de prix en monnaie nationale intervenues à la suite de modifications du taux représentatif et de majorations du prix d'intervention. Eu égard à ce dernier élément, elle estime que le prix d'intervention n'implique aucune obligation pour les particuliers de se servir de ce prix dans leurs relations contractuelles. Elle a étayé son allégation en soulignant que l'ajustement des prix contractuels
par rapport à un prix d'intervention modifié s'effectue en général non pas par à-coups mais graduellement, surtout lorsque la modification du prix d'intervention est relativement minime, comme en l'espèce. Cette dernière allégation n'a pas été réfutée par la demanderesse sur le fond.

On peut néanmoins se demander si le point de vue de la Commission n'est pas en contradiction avec la réalité économique. En effet, il est connu que la fixation de prix d'intervention sur un marché d'excédents, comme en l'espèce le marché du sucre, exerce une certaine force magnétique, de sorte que les prix de marché s'orientent effectivement vers ce niveau de prix. En effet, lorsque le produit ne peut pas être vendu à un prix adéquat (en l'espèce sucre A et B) il peut toujours être proposé à
l'organisme d'intervention. Cela ne revient d'ailleurs pas à dire que, déjà pour cette raison, la Commission a outrepassé les limites de ses compétences en adoptant le règlement no 3016/78. En effet, la Cour estime que dans les questions agrimonétaires, lorsqu'il s'agit d'apprécier des situations économiques compliquées, le contrôle de la légalité des actes par le juge doit se limiter à la question de savoir si ces actes ne sont pas entachés d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou bien
si l'autorité concernée n'a pas manifestement outrepassé les limites de son pouvoir d'appréciation.

Or, les demanderesses font en fait grief à la Commission de n'avoir pas tenu compte de l'impasse contractuelle dans laquelle elles se trouvaient en raison de la clause «ASSUC» examinée ci-dessus, en adoptant, par le biais du règlement no 3016/78, le point de vue précité. Pour ce qui est de cette affirmation, il faut, en premier lieu, faire observer qu'en recourant à la préfixation, les demanderesses ont délibérément assumé le risque de se trouver dans cette impasse. En effet, dès le 22 décembre
1978, le règlement no 3016/78 a été publié au Journal officiel (JO 1978, L 359, p. 11). A cet égard, il y a lieu cependant de faire une deuxième remarque. L'allégation des demanderesses selon laquelle le règlement no 3016/78 ne tenait pas compte de la situation de déséquilibre résultant de ladite clause, fait naître quelques doutes concernant les rapports de concurrence sur le marché en cause. Si cette allégation devait s'avérer juste et si les demanderesses n'étaient pas en mesure d'éviter cette
situation, la question se pose alors de savoir pourquoi ni les demanderesses ni la Commission n'ont fait valoir que la clause «ASSUC» était peut-être contraire aux dispositions communautaires en matière de concurrence.

L'argumentation développée en la matière donne en effet l'impression que cette clause vise et a pour effet, entre autres, l'élimination de l'influence normale des forces du marché sur la formation des prix, même en ce qui concerne le sucre C (pour lequel il n'existe pas de prix d'intervention). En d'autres mots, la clause «ASSUC» semble en fait étendre la garantie de prix assurée au niveau du prix d'intervention au sucre produit en dépassement du contingent auquel s'appliquent les prix
d'intervention. Aussi, en rapport également avec les autres conséquences de la clause mentionnées par les demanderesses, la question se pose de savoir si, lors de la détermination de sa politique, la Commission peut effectivement, comme elle l'a fait d'après l'argumentation développée par son agent à l'audience, faire sans plus abstraction de ces agissements privés qui minent les prémisses de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre en général, et du règlement no 3016/78 en
particulier. Toutefois, étant donné que le juge de renvoi n'a pas posé de question en la matière et que, comme nous l'avons déjà dit, les demanderesses au principal ont délibérément assumé les risques inhérents à la clause «ASSUC», nous ne développerons pas ce point.

8. L'ordre dans lequel les questions seront examinées

D'après le mémoire des demanderesses au principal, la première branche de la question préjudicielle en cause porte sur le point de savoir s'il est porté atteinte à l'article 190 du traité CEE du fait que le règlement no 3016/78 n'est pas ou n'est pas suffisamment motivé eu égard à ses conséquences sur le système de préfixation du règlement no 243/78. En liaison avec la troisième branche de la question, c'est donc l'intégralité des rapports entre les deux règlements qui est soumise au jugement de la
Cour. Aussi, nous examinerons tout d'abord les rapports entre le règlement no 243/78 et le règlement no 3016/78 et nous examinerons ensuite la deuxième branche de la question, qui porte sur le point de savoir si le règlement no 3016/78 viole l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE.

9. Les rapports entre les règlement nos 243 et 3016/78

Comme nous l'avons dit, le premier problème soulevé dans les présentes affaires concerne la légalité du règlement no 3016/78 à la lumière du règlement no 243/78. Avant d'examiner cette question, il y a lieu de faire deux observations préalables. En premier lieu, il ressort du libellé de la troisième branche de la question posée par la juridiction de renvoi que celle-ci pan manifestement de l'idée qu'il existe un rapport hiérarchique entre ces deux règlements. Ce malentendu s'est confirmé du côté des
demanderesses, à la suite d'une question posée par le jugerapporteur en la matière. Or, il s'agit en l'espèce de deux règlements de la Commission. En deuxième lieu, il faut noter que le règlement no 243/78 se fonde sur le règlement de base no 974/71 du Conseil qui a trait au régime des montants compensatoires monétaires. Le règlement no 3016/78 a été arrêté à un moment où, en vertu de l'article 4, paragraphe 3, du règlement du Conseil no 878/77 relatif au régime des taux représentatifs dans le
secteur agricole, la Commission était habilitée à arrêter des dispositions dérogatoires concernant la réglementation applicable à ces taux représentatifs et aux conséquences inévitables en découlant au niveau de l'ajustement des montants fixés. ïl est donc constant que l'action du règlement no 243/78 était susceptible et pouvait légitimement être influencée par les règlements arrêtés ultérieurement par la Commission en matière de taux représentatifs.

Ces deux observations montrent que la troisième branche de la présente question préjudicielle porte sur le point de savoir si, en arrêtant les deux règlements, la Commission a mené une politique cohérente. Dans l'intérêt de la sécurité juridique des particuliers, l'exigence selon laquelle il doit exister une certaine cohérence entre des règles juridiques distinctes constitue en effet une exigence minimale à laquelle on peut légitimement soumettre l'activité législative des institutions
communautaires. Il ressort de l'argumentation développée sous la lettre D de leur mémoire en défense que les demanderesses au principal interprètent elles aussi la question en ce sens. Elles soutiennent en effet que le règlement no 3016/78 porte atteinte à l'esprit, aux objectifs et à l'effet utile du système de préfixation des montants compensatoires monétaires institué par le règlement no 243/78, du fait qu'il exclut l'ajustement, aux conditions mentionnées dans le règlement no 3016/78, des
montants fixés dans le passé. Toutefois, avant d'examiner plus concrètement ce point de vue, nous estimons nécessaire de présenter un certain nombre d'observations concernant le système des montants compensatoires monétaires en général, et le règlement no 243/78 en particulier.

D'après une jurisprudence constante, l'objectif initial du régime des montants compensatoires monétaires est de mettre la politique agricole commune à l'abri des remous monétaires ou, en d'autres termes, d'éviter que ne soit mis en péril le bon fonctionnement des organisations de marchés. A cet égard, nous renvoyons en particulier aux arrêts rendus par la Cour dans les affaires 74/74 (Recueil 1976, p. 797), 67-85/75 (Recueil 1976, p. 395), 96/77 (Recueil 1978, p. 383) et 84/78 (Recueil 1979, p.
1801). Selon cette même jurisprudence, cet objectif n'implique pas toutefois que l'opérateur isolé bénéficie d'une garantie contre les risques de change. Tel peut et tel sera souvent l'effet pratique du système des montants compensatoires monétaires, mais les opérateurs ne sauraient faire valoir aucun droit en la matière, ainsi que la Cour l'a explicitement affirmé dans l'arrêt qu'elle a rendu dans les affaires 95 à 98/74 (Recueil 1975, p. 1615). Le système des montants compensatoires protège donc
l'opérateur individuel non pas directement, mais seulement indirectement du fait que le bon fonctionnement de l'organisation des marchés est sauvegardé. En général, l'opérateur tirera avantage du système, mais celui-ci ne lui garantit pas les conditions les plus favorables pour le déroulement de ses opérations et peut même, dans certaines circonstances, lui porter préjudice.

Cette philosophie générale est également à l'origine du règlement no 243/78. Il ressort tant du contexte dans lequel cette réglementation a été adoptée — en particulier les vicissitudes du franc français en 1976 — que du premier considérant, que le système de préfixation des montants compensatoires monétaires a vu le jour en raison des conséquences de l'instabilité des montants compensatoires sur les échanges avec les pays tiers. Ainsi qu'il ressort du deuxième considérant de ce règlement, il s'agit
de donner à l'opérateur économique une sécurité concernant les conditions économiques dans lesquelles il effectue ses opérations, ce qui, dans le cas des montants compensatoires monétaires, signifie donc une certaine sécurité concernant le taux représentatif, le taux réel et le coefficient monétaire. La sécurité que le règlement no 243/78 entend assurer a trait seulement aux facteurs monétaires et non pas aux autres facteurs qui déterminent la position individuelle de l'opérateur économique, tels
que prix d'achat et prix de vente. Ainsi que la Commission l'a déclaré, il va de soi que le recours à la préfixation n'a de sens et n'est judicieux que si l'on est effectivement sûr de ces autres facteurs; mais si les parties agissent autrement et, partant, assument délibérément des risques, on ne peut s'attendre à ce que, dans cette situation, le système de préfixation leur fournisse nécessairement une solution. Le règlement no 3016/78 ne porte pas atteinte à la sécurité assurée par le système de
préfixation du règlement no 243/78, étant donné que les montants fixés restent fixés. Dans le cas des demanderesses, l'insécurité ne résulte pas de l'absence d'ajustement des montants fixés, mais de leur situation contractuelle dont les objectifs et les systèmes de montants compensatoires monétaires ainsi que les règlements nos 243/78 et 3016/78 ne tiennent pas compte et n'ont pas à tenir compte. Nous en arrivons donc à la conclusion que l'adaptation du système de préfixation des montants
compensatoires monétaires institué par le règlement no 243/78, au moyen d'une réglementation du fait générateur propre au secteur du sucre et de l'isoglucose, ne porte pas atteinte aux objectifs ni à l'esprit de ce système de préfixation et, par conséquent, que la Commission ne saurait se voir reprocher aucune incohérence, eu égard à la politique qu'elle mène en la matière.

10. Le prétendu défaut de motifs du règlement no 3016/78

Avant d'examiner la question concernant la violation de l'article 190 du traité CEE, il y a lieu de souligner à cet égard que, pour ce qui est du règlement no 3016/78, il faut distinguer la légalité formelle de la légalité de fond examinée ci-dessus, pour autant que ce dernier point concerne le règlement no 243/78. Dès l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire 8/65 (Recueil 1966, p. 10), la Cour a mis en évidence les limites du moyen tiré d'un défaut de motivation. En l'espèce, il s'agit de savoir si
lesdites dispositions et conséquences du règlement no 3016/78 trouvent appui dans les considérants de celui-ci, en d'autres mots, s'il y a, ou non, cohérence entre ces deux éléments. Cette portée de l'obligation de motivation signifie que les arguments avancés par les demanderesses surtout au cours de la procédure orale, relativement au caractère arbitraire de ce règlement et à la différence par rapport au règlement no 797/80 arrêté au cours de la campagne sucrière suivante, ne doivent pas, en tant
que points de fond matériel, être pris en considération dans le cadre de l'examen du prétendu défaut de motivation. Nous développerons ces points dans la partie suivante de nos conclusions.

Comme nous l'avons déjà indiqué précédemment, le règlement no 3016/78 contient une réglementation du fait générateur qui est propre au secteur en cause et qui, en principe, produit ses effets pour toutes ís questions agrimonetaires dans ce secteur. On peut alors constater qu'en premier lieu, la base juridique du règlement no 3016/78, à savoir l'article 4, paragraphe 3, du règlement no 878/77, est clairement mentionnée. En deuxième lieu, il est dit qu'en vertu de ce règlement, il peut être dérogé et
il est dérogé (deuxième considérant) au régime général du règlement no 1134/68, sur lequel se base aussi le règlement no 243/78. En troisième lieu, la raison d'être de ces dérogations est brièvement indiquée: «une bonne gestion du marché du sucre et de l'isoglucose». Ces éléments permettent de conclure qu'il est satisfait à l'obligation selon laquelle il doit y avoir cohérence entre les considérants et les mesures adoptées. De manière plus générale, les objectifs poursuivis à travers l'obligation de
motivation énoncée par l'article 190, tels que la Cour les a formulés dans l'affaire 24/62 (Recueil vol. IX, p. 149), à savoir «donner aux parties la possibilité de défendre leurs droits, à la Cour d'exercer son contrôle et aux États membres, comme à tout ressortissant intéressé, de connaître les conditions dans lesquelles la Commission a fait application du traité», sont également respectés.

En revanche, les demanderesses sont effectivement fondées à soutenir que la motivation du règlement no 3016/78 est sommaire et ce, en premier lieu, parce que la réglementation contenue au point X, lettre a), de son annexe n'est pas spécifiquement mentionnée ni motivée dans les considérants et, en deuxième lieu, parce que l'effet de ladite réglementation sur le régime général de préfixation des montants compensatoires monétaires n'est pas non plus spécifiquement mentionné.

Eu égard au premier point, nous renvoyons à la jusrisprudence constante en matière de motivation des règlements. D'après les arrêts rendus entre autres dans les affaires 5/67 (Recueil vol. XIV, p. 315) et 87/78 (Recueil 1978, p. 2457), cette motivation peut s'exprimer en termes généraux et, en outre, on ne saurait exiger qu'elle spécifie les différents faits parfois très nombreux et complexes, ni qu'elle fournisse une appréciation complète de ceux-ci. Pour ce qui est du deuxième point, il y a lieu
de souligner que la Cour accepte également que des règlements soient motivés dans le cadre d'un système, en particulier dans le domaine agrimonétaire. Selon ce point de vue, adopté entre autres dans les arrêts rendus dans les affaires 92/77 (Recueil 1978, p. 497) et 35/81 (Recueil 1981, p. 45), la motivation peut ressortir non seulement du libellé de l'acte, mais aussi de l'ensemble de règles juridiques formé par plusieurs règlements régissant la matière concernée. Il en résulte qu'il n'est pas
nécessaire que chaque disposition particulière trouve clairement appui dans la motivation de ce même règlement, dès lors que son fondement peut être trouvé dans le système auquel il se rapporte, lequel peut reposer sur plusieurs règlements. Nous avons déjà expliqué dans le cadre de l'examen des rapports entre les règlements nos 3016/78 et 243/78 que tel est le cas en l'espèce. A la lumière de la jurisprudence antérieure de la Cour, nous estimons donc devoir conclure que le règlement no 3016/78 est
conforme à l'article 190 du traité CEE, même s'il eût été souhaitable que la dérogation qu'il institue par rapport au système normal fût motivée plus en détail. Si la jurisprudence consunte de la Cour n'avait pas estimé qu'une motivation sommaire, comme en l'espèce, est suffisante, il eût peut-être été possible de faire valoir une obligation de motiver en vertu de laquelle les dérogations au système normal doivent être motivées au fond et en vertu de laquelle cette motivation doit également pouvoir
justifier les mesures dérogatoires adoptées. Même si une telle obligation de motiver était reconnue, la Commission conserverait une marge de manœuvre suffisante. On peut en effet se demander s'il est satisfaisant que, sur le fond, la motivation complexe d'une réglementation dérogatoire n'apparaisse, comme en l'espèce, qu'au dernier stade de la procédure orale et qu'en fait, elle ne puisse plus alors être attaquée par l'autre panie au principal.

11. Violation de l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE

Le juge de renvoi a également demandé à la Cour si le règlement no 3016/78 est compatible avec l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE. Dans leurs mémoires, les demanderesses soutiennent que ledit règlement viole le principe de non-discrimination de deux manières.

La première partie de cette argumentation consiste à dire, sans donner aucune précision du moins dans les mémoires, que seul le secteur du sucre et de l'isoglucose connaît une réglementation aussi spécifique que celle du règlement no 3016/78. La Commission reconnaît l'exactitude de cette affirmation, en faisant remarquer à cet égard qu'elle a également l'intention d'arrêter une telle réglementation spécifique pour le secteur des céréales. Toutefois, cette allégation des parties ne signifie rien par
elle-même, étant donné qu'il n'est pas établi que, en raison de l'existence de cette réglementation, les opérateurs économiques dans le secteur en question font l'objet d'une discrimination par rapport aux opérateurs des autres secteurs. Les demanderesses auraient, pour le moins, dû montrer que, par rapport aux opérateurs d'autres secteurs, cette réglementation les place objectivement dans une situation différente qui n'est pas justifiée par des circonstances objectivement différentes. L'invocation
à cet égard par les demanderesses de l'arrêt rendu par la Cour dans les affaires jointes 117/76 et 16/77 (Recueil 1977, p. 1753) ne saurait être retenue. En effet, aux septième et huitième attendus de cet arrêt, la Cour déclare expressément, dans le cadre de la disposition invoquée, qu'on ne saurait comparer sans plus entre eux des secteurs ou des produits différents. Dans ladite affaire, il s'agissait en outre de deux produits (amidon et quellmehl) fabriqués à partir d'un même produit de base
(maïs), qui, du point de vue des restitutions à l'exportation, ont initialement été traités de la même manière, mais ne l'ont plus été par la suite.

Dans la deuxième partie de leur argumentation, les demanderesses invoquent une discrimination entre les opérateurs économiques qui ont recouru à une préfixation des montants compensatoires monétaires et ceux qui ne l'ont pas fait, Toutefois, il n'est pas nécessaire, selon nous, de démontrer que ces situations ne sont pas comparables, étant donné qu'en cas de préfixation des montants compensatoires monétaires, les rapports juridiques avec les autorités concernées sont tout à fait différents de ce
qu'ils sont en l'absence de préfixation. Les demanderesses n'ont d'ailleurs pas développé cet argument, au cours de la procédure orale.

En revanche, au cours de la procédure orale, l'allégation relative à une violation de l'article 40, paragraphe 3, a été précisée en ce sens qu'il est surtout fait grief à la Commission de mener une politique changeante et arbitraire, compte tenu du règlement no 797/80 de la Commission du 31 mars 1980 (JO L 87, p. 39). Ce règlement, qui exclut d'ailleurs expressément de son champ d'application les montants compensatoires monétaires, permettait effectivement un ajustement des restitutions fixées, à
l'avance, mais en raison de la majoration du prix d'intervention du sucre intervenue au 1er juillet 1980, et non pas à l'occasion de modifications du taux représentatif d'une monnaie déterminée. Toutefois, les demanderesses n'ont pas établi que ce dernier règlement a pour effet de rendre le premier règlement no 3016/78 arbitraire. La Commission a défendu cette mesure ultérieure en soutenant, entre autres, que la majoration du prix d'intervention au 1er juillet 1980 était prévisible à ce moment-là,
ce qui n'était manifestement pas le cas pour la campagne précédente. Les demanderesses n'ont pas réfuté cette argumentation. Il faut effectivement reconnaître que, vue à travers les années, la politique menée a été changeante, mais les demanderesses n'ont pas non plus établi que cette instabilité ne pouvait s'expliquer ni par les circonstances agrimonétaires ni par la politique menée par le Conseil. D'après l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire 88/78 (Recueil 1978, p. 2477), le système
agrimonétaire se caractérise précisément par son instabilité.

Compte tenu des observations précédentes, nous estimons donc que le règlement no 3016/78 ne viole pas l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE.

12. Conclusions

Nous concluons donc comme suit:

— L'examen des questions posées n'a pas montré que sur les points qui y sont mentionnés la validité du règlement no 3016/78 de la Commission puisse être contestée. Le règlement no 3016/78 de la Commission ne viole pas l'article 190 du traité CEE. Il n'introduit dans la politique agricole commune aucune discrimination qui en affecterait la validité. Enfin, ce règlement n'est pas incompatible avec les dispositions du règlement no 243/78 de la Commission du 1er février 1978, puisque le règlement du
Conseil no 878/77, sur lequel le règlement mentionné en dernier est basé, permet expressément à la Commission d'adopter des réglementations dérogatoires.

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( 1 ) Traduit du néerlandais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 292
Date de la décision : 07/10/1982
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Paris - France.

Exportation de sucre - Ajustement des restitutions en cas de changement des taux représentatifs monétaires.

Sucre

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Société Jean Lion et Cie, Société Loiret & Haentjens SA et autres
Défendeurs : Fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre (FIRS).

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:346

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