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10/06/1982 | CJUE | N°189/81

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 10 juin 1982., Robert Bosmans contre Commission des Communautés européennes., 10/06/1982, 189/81


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 10 JUIN 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Introduction

1. L'affaire Bosmans, qui est à l'ordre du jour aujourd'hui, donne à la Cour l'occasion de clarifier la situation juridique des nombreux fonctionnaires dont l'emploi ou le grade ( 2 ) est dénommé, sur le tableau des effectifs annexé aux diverses sections du budget en application de l'article 6 du statut, dans des notes en bas de page, «à titre personnel».

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 10 JUIN 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Introduction

1. L'affaire Bosmans, qui est à l'ordre du jour aujourd'hui, donne à la Cour l'occasion de clarifier la situation juridique des nombreux fonctionnaires dont l'emploi ou le grade ( 2 ) est dénommé, sur le tableau des effectifs annexé aux diverses sections du budget en application de l'article 6 du statut, dans des notes en bas de page, «à titre personnel».

D'après le tableau des effectifs qui figure au dossier et qui a été publié au Journal officiel du 31 décembre 1980, le nombre de ces grades à titre personnel s'élevait à l'époque, pour la seule Commission, à 69. A l'exception de la Cour des comptes, les autres institutions semblent toutefois connaître également un certain nombre de pareils grades à titre personnel. Uniquement à la Cour de justice, cette dénomination est suivie quelquefois de la mention: «pour la durée de leurs fonctions». Il
s'agit toujours, dans ces cas, d'emplois permanents au sens de l'article 1 du statut.

Davantage de clarté concernant cette situation juridique est bien sûr dans l'intérêt notamment de tous les intéressés, parmi lesquels figure le requérant dans la présente procédure. Parfois, une clarification est toutefois encore jugée souhaitable pour d'autres motifs, comme le montre l'extrait, joint au dossier, d'un rapport de l'institution qui a précédé l'actuelle Cour des comptes, c'est-à-dire de la Commission de contrôle, relatif aux comptes de l'exercice 1976. A la page 33 de ce rapport, la
Commission de contrôle a déclaré que l'attribution de grades à titre personnel n'est réglée par aucune disposition statutaire et que la signification et la portée exacte de ces autorisations budgétaires mériteraient au moins d'être précisées. A la page 34, la Commission de contrôle a estimé que l'attribution d'un pareil grade à titre personnel aux fonctionnaires qui, en vertu de vos arrêts dans les affaires 20 et 21/63, Maudet/Commission (Recueil 1964, vol. X, p. 231) et 79 et 82/63, Reynier et
Erba/Commission (Recueil 1964, vol. X, p. 54), ont droit à un grade A3, est incompatible avec ces arrêts. Les seuls classements à titre personnel que la Commission de contrôle a alors jugés conformes au droit communautaire étaient ceux qui découlaient du règlement n° 259/68 du Conseil du 29 février 1968 (JO 56 du 4. 3. 1968, p. 1).

2. Eu égard à ces considérations de la Commission de contrôle, il nous paraît souhaitable, dans la perspective du présent litige, de rappeler d'abord brièvement quelles sont les trois catégories principales de grades à titre personnel à la Commission. En premier lieu, il faut citer la catégorie, déjà mentionnée, des fonctionnaires qui, à la suite de vos arrêts précités et en rapport avec l'entrée en vigueur du statut, ont été «promus» au grade A 3. Cette promotion a été attribuée à titre personnel.
Entre autres parce qu'il s'agissait néanmoins, en fait, d'une promotion, il est compréhensible que les intéressés n'aient pas réagi négativement, même si on peut bien sûr se demander, ensemble avec la Commission de contrôle, si cette suite donnée à vos arrêts était bien conforme à ces derniers.

La deuxième catégorie de grades à titre personnel, qui est un peu plus importante, a découlé du règlement n° 259/68 du Conseil, arrêté en rapport avec la fusion des institutions, et elle a impliqué, comme la procédure actuelle l'a de nouveau montré, une rétrogradation fonctionnelle des intéressés, avec maintien de leur grade à titre personnel. Ces fonctionnaires ont donc bien subi un préjudice, notamment pour ce qui est des responsabilités qui leur étaient confiées, lesquelles ne correspondaient
pas à leur grade. Cette dérogation à l'article 7 du statut était toutefois couverte par le règlement en question.

La troisième, et la catégorie la plus importante de fonctionnaires revêtus d'un grade à titre personnel, est née, d'après ce qui nous a été dit au cours de la présente procédure, en rapport avec le premier élargissement des Communautés. Le requérant dans cette affaire fait partie de cette catégorie. Les réponses données à des questions que vous avez posées à l'audience dans cette procédure ne permettent pas de conclure à l'application de critères clairs lors de la mutation de certains
fonctionnaires, dans ce contexte, vers un emploi auquel a été rattaché seulement, dans le tableau visé à l'article 6 du statut, un grade à titre personnel, d'un niveau qui restait d'ailleurs le même. Dans la présente procédure, il n'a du reste pas été contesté que l'emploi, qui a été attribué à l'intéressé à l'époque, correspondait, comme le précédent, à son grade A 3. Le requérant ne le conteste pas davantage en ce qui concerne le nouvel emploi de conseiller auquel il a été affecté, par voie de
mutation, en 1980.

Lorsqu'on compare ces trois catégories entre elles, il apparaît que les fonctionnaires de la première progressaient en fait du point de vue financier. Ceux de la deuxième catégorie n'ont pas régressé sur le plan financier, mais bien du point de vue du niveau de responsabilité de la fonction exercée, mais en raison du règlement précité, ils n'ont pas pu s'en plaindre. Les fonctionnaires de la troisième catégorie, qui est celle à laquelle appartient M. Bosmans, ont été mutés en application de
l'article 7 du statut, c'est-à-dire avec maintien du grade et affectation à un emploi correspondant à celui-ci, mais sur le tableau visé à l'article 6 du statut, ce grade a été dénommé, comme ceux des deux autres catégories, «à titre personnel». Le titre personnel s'avère donc concerner des catégories fort différentes de fonctionnaires, dont les intérêts sont affectés d'une manière très divergente par l'attribution de ce titre. Pour être complet, nous signalerons encore que d'après votre arrêt
dans l'affaire Loebisch (affaire 14/79, Recueil 1979, p. 3692), il existe encore une quatrième catégorie, dont l'importance est probablement moindre. II s'agissait cette fois d'une «promotion discrétionnaire [d'un fonctionnaire] due à ses mérites personnels et probablement à la circonstance qu'il était en fin de carrière». La fonction de l'intéressé restait dans ce cas une fonction correspondant au grade A3. Cette situation nous semble être la seule dans laquelle il soit possible de parler
correctement, à tous égards, d'un titre personnel.

3. Avant d'examiner l'espèce actuelle, quelques remarques générales nous semblent encore s'imposer en rapport avec la terminologie en cause. Du point de vue du statut, les notions importantes sont notamment celles d'«emploi (permanent)» et de «grade». La notion de «grade à titre personnel» ou une notion comparable est utilisée entre autres, comme nous l'avons déjà dit, dans l'annexe au budget visée à l'article 6 du statut, mais pas dans le statut lui-même. La notion qui est utilisée dans cette
annexe au budget joue un rôle central dans la présente procédure.

La question se pose toutefois de savoir si, dans le statut, ne joue pas un rôle une différence éventuelle entre une notion «budgétaire» et une notion «fonctionnelle» de l'«emploi» (auxquelles correspondraient alors une notion budgétaire et une notion fonctionnelle du «grade»). D'après Euler (Europäisches Beamtenstatut, Kölner Schriften zum Europarecht, partie 4 A), le terme «emploi» utilisé dans le statut n'a effectivement pas toujours la même signification. Parfois, notamment aux articles 1 et
6, ainsi que, implicitement, à l'article 4, le terme aurait clairement une signification budgétaire. En ce qui concerne l'article 1, Euler trouve entre autres un appui à sa thèse dans votre arrêt dans l'affaire 18/63 (Schmitz, Recueil 1964, p. 163), où la Cour a jugé «que cette notion (d'emploi permanent) n'englobe que les emplois expressément prévus comme ‘permanents’, ou dénommés de manière semblable, dans le budget de la Communauté». Cette décision a encore été confirmée récemment aux attendus
9 et 10 de votre arrêt Fournier du 19 novembre 1981 (affaire 106/80, non encore publiée), qui renvoie à votre arrêt dans l'affaire Deshormes du 1er février 1979 (affaire 17/78, Recueil 1979, p. 189). Le plus récent de ces arrêts souligne d'une manière non équivoque la différence qui existe entre la notion budgétaire et la notion fonctionnelle, en faisant remarquer qu'un agent temporaire au sens fonctionnel peut parfaitement occuper un emploi permanent au sens budgétaire. Simultanément, l'arrêt
souligne qu'à l'article 6 du statut également, le terme «emploi» a une signification purement budgétaire.

En revanche, à l'article 5 du statut, le même terme a clairement, d'après Euler, une signification fonctionnelle, qui éclaire les tâches, les obligations et les attributions des fonctionnaires (op. cit. p. 61). La même signification fonctionnelle devra être attribuée, à notre avis, au terme «emploi» figurant à l'article 7 du statut, qui joue un rôle essentiel dans la procédure actuelle, à côté des articles 1 et 5 et de l'annexe I A.

En ce qui concerne la relation entre la notion budgétaire et la notion fonctionnelle d'«emploi» (et les notions budgétaire et fonctionnelle correspondantes de «grade»), il y a lieu d'observer d'abord que la notion budgétaire trouve également, comme dit, son fondement dans le statut, d'après l'interprétation de votre Cour. La différence signalée ne peut donc pas être assimilée à une différence entre une notion budgétaire et une notion statutaire d'«emploi». Ensuite, on peut se demander alors, à
l'instar de la Commission de contrôle, si la notion de «grade à titre personnel», qui est utilisée dans les «tableaux des effectifs» annexés aux budgets en application de l'article 6 du statut, est bien conforme à ce dernier. Le requérant dans la présente procédure est d'avis que ce n'est pas le cas, et la Commission de contrôle aussi semble au moins en avoir douté fortement dans son rapport relatif aux comptes de l'exercice 1976.

En deuxième lieu, il faut toutefois remarquer, en ce qui concerne ladite différence, que la notion budgétaire et la notion fonctionnelle d'«emploi» (et les notions correspondantes de «grade») ne sont nullement utilisées, dans le statut, d'une manière tout à fait indépendante l'une de l'autre, comme la Commission l'a suggéré en cours d'instance. La disponibilité d'un poste budgétaire correspondant est en effet la condition pour pouvoir occuper un emploi au sens fonctionnel (voir Euler, op. cit. p.
63). Cette constatation nous semble également être importante pour l'appréciation du litige actuel. Notamment dans l'hypothèse où un emploi qui, du point de vue budgétaire, est seulement pourvu, dans le cadre de l'article 6 du statut, d'un grade à titre personnel, pourrait être considéré comme classé à un grade inférieur au niveau auquel il doit être situé du point de vue fonctionnel, conformément à l'article 5 du statut, se pose la question de savoir si cette pratique est bien conforme au
statut ( 3 ). C'est seulement dans les cas découlant du règlement n° 259/68 du Conseil que la conformité de la pratique budgétaire au droit communautaire ne semble pas pouvoir être mise en doute. Pour la troisième catégorie de grades à titre personnel, c'est-à-dire celle qui est en cause ici, un grade A 3 à titre personnel au sens budgétaire devra correspondre en tout cas (même si cette terminologie est acceptable dans le contexte budgétaire) à un emploi correspondant à un grade A 3 au sens
fonctionnel.

4. La suite de notre exposé s'articulera comme suit. Au paragraphe suivant, nous résumerons brièvement les faits importants du litige, l'objet du recours et les moyens invoqués. Pour un résumé plus détaillé, nous renvoyons comme d'habitude au rapport d'audience.

Dans le troisième paragraphe de nos conclusions, nous expliquerons pourquoi les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la Commission doivent être rejetées, à notre avis, mais pour quel autre motif la Cour devrait néanmoins, toujours selon nous, déclarer d'office le recours irrecevable.

Dans le quatrième paragraphe, nous nous prononcerons brièvement, pour autant que nécessaire, au fond, pour le cas où votre Cour jugerait le recours recevable.

Dans le cinquième paragraphe, enfin, nous ferons encore quelques observations finales et nous formulerons notre conclusion. Également dans la suite de notre exposé, nous tenterons, pour les motifs que nous avons indiqués au début, de clarifier la position juridique des fonctionnaires concernés, pour autant que cela a de l'importance pour l'appréciation du présent litige.

II — Faits, objet et moyens du recours

Le requérant est entré au service de la Commission le 1er septembre 1958, au grade A 5. Après diverses promotions, il a été nommé, le 1er octobre 1963, chef de la division «Relations avec les Communautés et organismes européens» de la direction générale I «Relations extérieures». Plus tard, il a été chargé successivement de diriger différentes autres divisions au sein des directions générales I et IX de la Commission.

Par décision de la Commission du 25 mai 1973, le requérant a été nommé chef de la division «Traitements, pensions, missions et indemnités diverses» de la direction générale citée en dernier lieu. Après qu'il eut déduit d'un tableau des effectifs au sens de l'article 6 du statut, publié au Journal officiel le 29 novembre 1973, ainsi que d'un organigramme daté du 30 octobre 1973, que son ancien emploi A 3 était remplacé par un emploi A 5/A 4 occupé par un fonctionnaire de grade A 3 à titre personnel,
il a introduit une demande dans laquelle il a demandé à l'autorité investie du pouvoir de nomination de remplacer de nouveau cette dénomination par celle du grade qu'il avait eu sans interruption depuis le 1er octobre 1963. Après un entretien avec son directeur général, au cours duquel il a obtenu, d'après ses dires, des assurances suffisamment rassurantes à cet égard, il a retiré sa demande le 8 février 1974. Nous noterons à ce sujet que le dossier de la procédure n'a pas permis d'obtenir une
clarté totale sur le contenu de cet entretien. Lors de l'appréciation de l'importance éventuelle du retrait de cette demande, il faudra tenir compte entre autres, selon nous, du fait qu'il n'existait encore absolument aucun antécédent, à l'époque, permettant d'augurer l'influence éventuelle de l'occupation d'un tel poste avec un grade à titre personnel sur les chances de promotion ou de mutation vers un poste A 3 «régulier».

Quoi qu'il en soit, notamment en raison de ses expériences personnelles à l'occasion de demandes en vue d'obtenir des fonctions classées plus haut ou normalement, après la première décision suivante de la Commission, du 25 juin 1980, le mutant vers un autre emploi, le requérant a introduit de nouveau auprès de l'autorité investie du pouvoir de nomination, le 25 juillet 1980, une demande invitant celle-ci à lui confirmer qu'après sa mutation, il occupait au tableau des effectifs (au sens de l'article
6 du statut) un emploi A 3 autre qu'un emploi A 3 à titre personnel. Environ un mois plus tard, c'est-à-dire seulement le 4 septembre 1980, il a reçu du directeur général du personnel et de l'administration la communication officielle de sa mutation vers un poste de conseiller à la direction du personnel.

Cette communication a manifestement été envoyée avant que le directeur général n'ait pris connaissance de sa demande du 25 juillet. Le 13 octobre 1980, le directeur général lui a en tout cas envoyé une nouvelle lettre qui, d'après ce que la Commission nous a déclaré en cours d'instance, était bien censée constituer une réponse à la demande, bien que cela n'apparaisse pas de la lettre elle-même. Le texte de cette deuxième lettre est le suivant:

«Dans le cadre des mesures de réorganisation de la direction générale IX ‘Personnel et administration’, la Commission, au cours de sa 565e réunion, le 25 juin 1980, a décidé de vous affecter en tant que conseiller à la direction IX-A ‘Personnel’ avec effet à la date du 1er août 1980 sans modifier l'emploi que vous occupez.

Il en résulte que vous continuez à occuper un emploi A 3 à titre personnel du tableau des effectifs.»

Le 2 décembre 1980, c'est-à-dire dans le délai fixé à l'article 90, paragraphe 2, du statut, le requérant a alors saisi l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation dirigée contre cette décision de rejet de sa demande.

En l'absence d'une réponse de la Commission à cette réclamation dans un délai de quatre mois, le requérant a formé, en application de l'article 91 du statut et dans le délai de trois mois fixé dans cette disposition, un recours devant la Cour.

L'objet de ce recours est le suivant, pour ce qui a de l'importance ici: «annuler la décision de la demanderesse du 25 juin 1980 dans la mesure où l'affectation du requérant en tant que conseiller à la direction IX-A ‘Personnel’, avec effet au 1er août 1980, l'est sur un emploi A3 à titre personnel; dire pour droit que l'emploi occupé par le requérant est et doit être un emploi A 3 permanent repris au tableau des effectifs de la défenderesse; et annuler le rejet de la demande du 25 juillet 1980 et
de la réclamation du 2 décembre 1980».

Les moyens invoqués à l'appui du recours sont, en résumé, violation et/ou méconnaissance:

a) du statut, notamment de ses articles 1, 5 et 7, paragraphe 1, et de son annexe I, rubrique A;

b) de la décision de la Commission ayant arrêté, en application de l'article 5, paragraphe 4, du statut, la description des fonctions et des attributions que comporte chaque emploi type;

c) de la décision de la Commission du 2 décembre 1963 nommant le requérant, avec effet au 1er octobre 1963, au grade A 3;

d) de divers principes de droit, notamment des principes d'égalité, de bonne administration et de justice distributive.

III — Recevabilité du recours

La Commission soulève deux exceptions d'irrecevabilité. En premier lieu, elle allègue que le recours est dirigé en réalité contre une situation juridique de l'intéressé qui existe déjà depuis au moins le 1er août 1973, de sorte qu'il a été introduit tardivement. A notre avis, cette exception devra être rejetée, car le recours est dirigé clairement contre la décision de la Commission du 25 juin 1980 et contre le rejet de la réclamation de l'intéressé du 2 décembre 1980. Seul un examen au fond pourra
faire apparaître si, en vertu du statut ou en vertu d'autres prescriptions ou principes généraux du droit, la Commission aurait dû décider la mutation, dans sa décision du 25 juin 1980, en attribuant à l'emploi un grade A 3 régulier au sens budgétaire. Les circonstances qui peuvent expliquer en tout cas pourquoi le requérant n'a pas formé un recours dès 1973 ou 1974, nous les avons déjà exposées tout à l'heure, mais cet historique ne nous semble pas être important pour le recours qui a été introduit
maintenant.

En se fondant sur vos arrêts dans les affaires 177/73 et 5/74, Reinarz/Commission (Recueil 1974, p. 819 et suiv.) et 35/72, Kley/Commission (Recueil 1973, p. 679 et suiv.), la Commission estime en outre que le recours est irrecevable parce que la décision contestée ne cause pas à l'intéressé un préjudice au sens défini dans votre jurisprudence. D'après celle-ci, seuls pourraient être considérés comme faisant grief «les actes susceptibles d'affecter directement une situation juridique déterminée ou
de porter atteinte aux intérêts moraux et aux perspectives d'avenir de l'agent intéressé». Selon nous, cette deuxième exception d'irrecevabilité doit être rejetée également. Le requérant affirme en effet justement que les deux conditions, que la Commission déduit de votre jurisprudence, sont remplies dans son cas. Entre autres, il prétend avoir constaté lui-même à diverses reprises que les chances d'être promu au grade immédiatement supérieur, ou même les chances d'être affecté à un emploi auquel
est attribué un grade A 3 normal, sont moindres pour les fonctionnaires A 3 à titre personnel que pour les fonctionnaires A 3 réguliers. Les statistiques que la Commission a produites devant la Cour montrent que cette affirmation n'est pas contredite immédiatement par ces statistiques. De même, l'assertion du requérant selon laquelle l'intérêt du service de la Commission s'oppose à ce que celle-ci se prive, par suite d'une promotion ou d'une mutation, d'un poste à responsabilité couvert par un grade
A 3 à titre personnel, ne peut pas non plus être rejetée sans examen au fond. Enfin, le requérant invoque un intérêt moral à une qualification correcte de sa situation juridique. La question de savoir si les arguments qu'il a avancés à l'appui de son intérêt doivent être rejetés ne peut donc être résolue que par un examen au fond.

Il existe cependant, comme nous l'avons déjà dit, un autre motif pour lequel le présent recours doit d'office, à notre avis, être déclaré irrecevable. A cet égard, il nous faut remarquer d'abord que le recours part à tort de la prémisse que la décision incriminée a affecté le requérant à un emploi A3 à titre personnel. Par la décision contestée du 25 juin 1980, il a été affecté au contraire, par voie de mutation, d'une manière tout à fait conforme aux articles 5 et 7 du statut, à un emploi de sa
catégorie ou de son cadre correspondant à un grade A 3, en l'occurrence à un emploi de conseiller. Cela résulte notamment de la communication du 4 septembre 1980 qui lui a été adressée et qui* figure au dossier. C'est seulement dans la réponse à sa demande du 25 juillet, tendant à faire préciser sa situation juridique de fonctionnaire occupant un emploi A 3 qui n'est pas un emploi à titre personnel, qu'on a ajouté, le 13 octobre, que l'affectation avait été opérée sans modification de son emploi, de
sorte qu'il continuait à occuper un emploi A 3 à titre personnel du tableau des effectifs. C'est à cette précision de sa situation juridique, rédigée d'une manière imparfaite à notre avis, que la requête se rapporte en substance.

La précision est imparfaite parce que l'emploi de l'intéressé, au sens fonctionnel, a effectivement été modifié, d'un emploi de chef de division en un emploi de conseiller. Elle est encore imparfaite parce que ce n'est pas l'emploi de l'intéressé (lequel fait partie des emplois permanents) qui est à titre personnel, mais bien le grade correspondant à l'emploi au sens budgétaire.

Cette précision de ce que la Commission doit avoir voulu dire dans sa lettre rédigée de manière imparfaite est importante pour la question de recevabilité qui nous occupe maintenant, étant entendu que par cette lettre, la Commission elle-même a contribué à créer de la confusion au sujet des responsabilités et des diverses significations du terme «emploi» (et de la notion correspondante de «grade» utilisé dans le statut). Comme nous l'avons remarqué dans nos observations introductives, la Commission
est uniquement tenue, lorsqu'elle applique l'article 7, d'affecter un fonctionnaire à un emploi de sa catégorie ou de son cadre,, correspondant à son grade, au sens fonctionnel. Ainsi que nous l'avons signalé également dans nos observations introductives, cette notion d'«emploi» au sens fonctionnel doit être bien distinguée de la notion d'«emploi» au sens budgétaire, telle que celle-ci est utilisée entre autres à l'article 6 du statut. La première dépend certes de la seconde en ce sens qu'en vertu
dudit article 6, l'autorité budgétaire doit établir, pour chaque carrière, une liste des emplois et grades qui limite la marge de manoeuvre de l'autorité investie du pouvoir de nomination lors de l'application de l'article 7. La responsabilité pour le nombre des emplois, indiqués sur cette liste, qui peuvent seulement être occupés avec un grade à titre personnel n'incombe toutefois pas à la Commission, mais à l'autorité budgétaire, c'est-à-dire actuellement au Conseil et au Parlement. Nous ne devons
pas examiner ici si un recours contre cette autorité budgétaire serait recevable en l'espèce. Ce qui est certain, à notre avis, c'est que le recours introduit par l'intéressé contre la Commission n'est en tout cas pas recevable. Nous déduisons aussi cette conclusion de l'ordonnance de votre Cour (première chambre) dans l'affaire Ooms/Commission, du 4 octobre 1979 (Recueil 1979, p. 3121), dont nous citerons le passage suivant: «Le recours est manifestement irrecevable. Selon l'article 91, paragraphe
2, du statut des fonctionnaires, les recours des fonctionnaires, introduits dans le cadre de l'article 179 du traité CEE, doivent être dirigés contre l'autorité investie du pouvoir de nomination et viser des actes ou omissions qui émanent de cette autorité et font grief au requérant. Le recours ne satisfait pas à cette condition puisqu'il vise à l'annulation d'un règlement du Conseil». Également le recours actuel est dirigé en substance, à notre avis, non pas contre un acte de l'autorité investie du
pouvoir de nomination, mais contre un acte de l'autorité budgétaire.

Le requérant a objecté à cela, durant la procédure orale, que l'autorité budgétaire avait pris une décision dans cette affaire sur proposition de la Commission. Un pareil argument a toutefois déjà été rejeté expressément par votre Cour dans l'ordonnance précitée. En outre, le requérant a prétendu, au cours de la procédure orale, que la Commission était au moins responsable de l'application de l'acte en question de l'autorité budgétaire à son cas. A cet argument, il faut répondre en premier lieu
qu'au cours de la procédure, une réponse à une question de la Cour a établi qu'il s'agissait en l'occurrence d'un nouveau poste et que, pour celui-ci, seuls des emplois avec un grade A 3 à titre personnel (budgétairement parlant) étaient disponibles. Rien ne permet donc de parler d'une quelconque responsabilité propre de la Commission pour la décision concrète d'application en rapport avec le grade budgétaire de l'emploi du requérant. En deuxième lieu, d'après l'analyse que nous avons faite
précédemment, la Commission ne peut absolument pas prendre de décisions, dans le cadre de l'application de l'article 7 du statut, sur des emplois ou grades budgétaires, mais seulement sur l'affectation à un emploi au sens fonctionnel, qui correspond au grade fonctionnel de l'intéressé, quelle que soit la décision prise par l'autorité budgétaire en ce qui concerne la qualification budgétaire de ce grade.

En revanche, nous pensons qu'il faut reprocher à la Commission d'avoir donné à l'intéressé une réponse imparfaite sur sa situation juridique. Nous sommes d'avis que dans le cadre de l'article 7 du statut, l'intéressé doit être considéré sans plus par la Commission comme un fonctionnaire qui est affecté, conformément à son grade A3, à un emploi de conseiller. Sous cet angle, l'organigramme qu'elle a publié en décembre 1981 est effectivement correct, tout comme était également tout à fait correcte sur
ce plan sa communication initiale à l'intéressé du 4 septembre 1980. Comme, par sa réponse du 13 octobre 1980, la Commission a donc accru l'ambiguïté de la situation juridique de l'intéressé, plutôt que de la diminuer, il y a lieu de la condamner à nos yeux, en application de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, aux dépens.

IV — Sur le fond

Comme les considérations qui précèdent le montrent sans doute, nous sommes d'avis que le but qu'il faut chercher à atteindre en l'occurrence, à savoir une plus grande clarté sur la situation juridique du requérant, peut être réalisé le mieux en déclarant le recours irrecevable pour les motifs que nous avons indiqués. Nous ne pensons pas, en effet, qu'il soit dans l'intérêt d'une plus grande clarté de la situation juridique de l'intéressé que la Commission soit déclarée responsable des aspects de sa
gestion du personnel qui sont réglés par des dispositions du statut pour l'application desquelles c'est l'autorité budgétaire qui est clairement responsable du point de vue formel et de leur contenu. Nous avons cependant entendu, à l'audience, que l'agent de la Commission hésitait sur ce point. Il ne semblait pas vouloir exclure tout simplement la responsabilité de la Commission pour l'application concrète du tableau des effectifs établi par l'autorité budgétaire en application de l'article 6 du
statut. Dans l'hypothèse où vous déclareriez finalement le recours recevable, il devra, selon nous, être rejeté. Pour commencer, la décision contestée est basée clairement, comme nous l'avons déjà dit, sur l'article 7 du statut, et elle donne à ce dernier une application correcte.

Dans le cas où, sur la base de la précision donnée dans la lettre du 13 octobre 1980, la décision devrait également être considérée comme donnant exécution au tableau des effectifs établi en vertu de l'article 6 du statut, elle doit, malgré la formulation moins correcte de cette précision, être considérée comme donnant à ce tableau la signification qui lui revient d'après notre analyse de l'article 6. Ce n'est pas alors l'emploi de l'intéressé, mais exclusivement le grade attaché à cet emploi qui
s'avère présenter un caractère personnel et, pour autant que la disponibilité d'un emploi en dépend, il s'agit, sur ce tableau, d'un emploi au sens budgétaire, défini précédemment, et non pas d'un emploi au sens fonctionnel. La technique budgétaire en cause ne nous paraît certainement pas élégante, si ce que la Commission de contrôle a déclaré dans son rapport déjà cité est vrai, à savoir que le départ des fonctionnaires concernés ne fait pas diminuer le nombre des emplois en question. Peut-être
s'impose-t-il alors davantage de régulariser ces emplois. Néanmoins, la technique budgétaire en cause ne nous semble pas pour autant être contraire aux articles du statut cités par le requérant, dès lors qu'elle ne porte atteinte ni au caractère permanent de l'emploi des intéressés, ni à leur droit d'être affectés à un emploi correspondant à leur grade. Au surplus, cette technique budgétaire semble donner à la Commission, d'après les faits de la présente affaire, une certaine marge de manoeuvre à
l'occasion de la création de nouveaux emplois à part entière, au sens fonctionnel.

En raison de l'interprétation incorrecte que la Commission a donnée de sa décision en cause par la suite, nous estimons toutefois que, même en cas de rejet du recours, il existe des motifs particuliers au sens de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, de la condamner aux dépens.

V — Observations finales et conclusion

Tout notre exposé aura certainement montré que la présente procédure porte surtout sur des questions de terminologie, c'est-à-dire sur des qualifications plus précises de certaines notions utilisées dans le statut. Ces questions ne sont toutefois pas sans importance pour la présentation de la situation juridique des nombreuses personnes que le problème concerne à l'intérieur et à l'extérieur des institutions où elles travaillent. Pour les membres du personnel qui appartiennent à la même catégorie de
fonctionnaires ayant un grade à titre personnel que le requérant, un des aspects non satisfaisants est notamment le fait que cette présentation — entre autres sur les organigrammes établis annuellement et apparemment diffusés au moins à l'intérieur des services de la Commission — les met sur le même pied que les fonctionnaires qui, par suite du règlement n° 259/68 du Conseil, occupent un emploi qui correspond à un grade inférieur à celui qu'ils ont à titre personnel, et cela, de plus, avec une
terminologie qui s'écarte de celle qui est utilisée dans les tableaux visés à l'article 6 du statut. Davantage de clarté en ce qui concerne la situation juridique des intéressés nous semble toutefois s'imposer aussi d'urgence pour les autres motifs que nous avons signalés. Une de ces raisons est, comme nous l'avons dit, le fait qu'il ne peut pas être exclu totalement, à notre avis, que la persistance de l'absence de clarté actuelle quant à leur situation juridique pourrait non seulement nuire à leur
droit moral à une qualification correcte, mais aussi créer de la confusion ou des doutes lors de l'appréciation de leurs demandes en vue d'occuper un emploi qui n'est pas qualifié ainsi. S'il devait apparaître à cette occasion — comme aussi dans le contexte de réglementations relatives à des départs volontaires, comme celles qui ont déjà été appliquées à diverses reprises dans le passé pour des motifs différents — que leur position est effectivement moins favorable, il se poserait effectivement une
question de légalité, qui devrait alors être examinée le cas échéant par cette Cour.

Nous pensons qu'une clarté la plus grande possible en la matière peut être obtenue le mieux, comme dit, en déclarant le recours irrecevable et en condamnant la Commission aux dépens, en raison de la formulation défectueuse qui doit lui être reprochée.

C'est pourquoi nous concluons à ce que:

1) le recours soit déclaré irrecevable, dès lors qu'il est dirigé en réalité contre l'autorité budgétaire et non pas contre l'autorité investie du pouvoir de nomination qui, dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées à l'article 7 du statut, a pris une décision entièrement conforme à cette disposition ainsi qu'aux articles 1 et 5 du statut. Il découle implicitement de notre exposé qu'en agissant ainsi, la Commission n'a pas non plus enfreint un quelconque principe général de droit comme
ceux qui ont été invoqués par le requérant, si bien que ce moyen doit également être jugé irrecevable. La question de savoir si l'autorité budgétaire a enfreint, quant à elle, une quelconque disposition statutaire (notamment l'article 6 du statut) ou un principe général de droit, ne peut pas être examinée dans cette procédure;

2) la Commission soit condamnée aux dépens sur la base de motifs particuliers au sens de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, parce qu'elle a donné inutilement de la décision en cause une interprétation qui ne permet pas de déterminer exactement la situation juridique de l'intéressé.

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( 1 ) Traduit du néerlandais.

( 2 ) Au Parlemeni et à la Commission, c'est l'emploi qui est dénommé ainsi, tandis qu'au Conseil et à la Cour, c'est le grade, ce qui, pour les raisons que nous indiquerons tout à l'heure, nous semble plus juste. C'est pourquoi nous utiliserons dans la suite la terminologie du Conseil et de la Cour.

( 3 ) Telle est l'interprétation que la Commission donne, à la dénomination utilisée dans le tableau annexé au budget, dans les organigrammes qu'elle a produits au cours de la procédure orale et dans lesquels le poste du requérant est classé budgétairement comme un poste A 5/A 4.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 189/81
Date de la décision : 10/06/1982
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaire - Emploi à titre personnel.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Robert Bosmans
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Chloros

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:220

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