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06/05/1982 | CJUE | N°222/81

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 6 mai 1982., BAZ Bausystem AG contre Finanzamt München für Körperschaften., 06/05/1982, 222/81


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 6 MAI 1982

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une demande de décision préjudicielle du Finanzgericht de Munich concernant l'interprétation de la notion de «contre-valeur» figurant à l'article 8 du premier alinéa, a), de la deuxième directive du Conseil du 11 avril 1967.

I —

Les faits sont les suivants :

La société Bausystem AG de Zurich a été chargée au mois de juin 1971 par un groupement constitué par quatre en

treprises allemandes de construire un parking à Berlin-Ouest. N'ayant pas d'établissement en république fédérale...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 6 MAI 1982

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une demande de décision préjudicielle du Finanzgericht de Munich concernant l'interprétation de la notion de «contre-valeur» figurant à l'article 8 du premier alinéa, a), de la deuxième directive du Conseil du 11 avril 1967.

I —

Les faits sont les suivants :

La société Bausystem AG de Zurich a été chargée au mois de juin 1971 par un groupement constitué par quatre entreprises allemandes de construire un parking à Berlin-Ouest. N'ayant pas d'établissement en république fédérale d'Allemagne, la société Bausystem a eu recours à un sous-entrepreneur pour exécuter ce travail.

Des vices graves de construction étant apparus, le groupement a retiré à la société Bausystem, le 2 juillet 1973, l'exécution du projet. Après avoir obtenu un premier remboursement des frais qu'elle avait exposés, la société fit valoir, le 11 janvier 1974, un reliquat de créance à l'égard du groupement. Celui-ci ayant refusé de s'exécuter, elle saisit le Landgericht de Munich qui, le 24 février 1977, arrêta à 665586 DM, majorés des intérêts à 5 % à compter du 15 janvier 1974, son reliquat de créance
à l'égard du groupement. En appel, après avoir déduit les économies réalisées par la société ainsi que les acomptes qui lui avaient été versés par le groupement et après avoir procédé à diverses compensations, î'Oberlandesgericht de Munich ramena, le 24 novembre 1978, à 584249,63 DM, majorés des intérêts à 5 % à compter du 15 janvier 1974, la somme due à la société Bausystem.

L'administration allemande des impôts a considéré qu'à la suite de la résiliation du contrat par le groupement, la prestation de services avait été exécutée et que le chiffre d'affaires ainsi réalisé par la société Bausystem était imposable pour l'année 1973.

A la suite de plusieurs contrôles, cette administration a fixé à 191050,85 DM le montant de la taxe sur la valeur ajoutée pour 1973, après réintégration d'un montant de 143628 DM dans l'assiette imposable, montant représentant les intérêts versés en vertu de l'arrêt de la cour d'appel.

La société Bausystem, redevable, s'oppose au paiement d'une somme de 15799 DM qui lui réclamée par le fisc. Cette somme, ramenée en cours d'instance à 14233,40 DM, représente le montant de la TVA sur la rétribution brute que constituent les intérêts payés par le groupement en vertu de l'arrêt de la cour d'appel (11/111 de 143628 DM).

Le Finanzgericht de Munich, devant lequel la société Bausystem a porté sa réclamation, vous demande si la «contre-valeur», qui constitue la base d'imposition de la taxe sur la valeur ajoutée au sens de l'article 8, alinéa 1, a), de la deuxième directive du Conseil du 11 avril 1967 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, comprend ce que l'entrepreneur perçoit en sus de la rémunération convenue en échange de la prestation de
services, mais non acquittée à l'échéance, lorsque le montant de cette majoration équivaut aux intérêts de la créance impayée, intérêts destinés à dédommager le créancier du préjudice que lui a occasionné le retard de débiteur à s'acquitter.

Avant d'examiner plus avant cette question, nous observerons que le tribunal admet que les 584249,63 DM à concurrence desquels a été évalué le reliquat de prix correspondant à la prestation de services entrent dans la notion de «contre-valeur». Il n'a de doutes que sur le caractère «complémentaire» du versement des intérêts.

Le texte à propos duquel votre interprétation est sollicitée a été modifié par la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977. Il faudra donc examiner si cette modification a une incidence sur l'interprétation qu'il convient de donner à la disposition correspondante de la deuxième directive. Tel ne nous paraît pas être le cas: la disposition désormais en vigueur confirme plutôt l'interprétation que nous vous proposerons.

II —

Le texte de l'article 8, alinéa 1, était ainsi rédigé:

«La base d'imposition est constituée:

a) pour les livraisons et prestations de services, par tout ce qui constitue la contre-valeur de la livraison du bien ou de la prestation de services, tous frais et taxes compris, à l'exception de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même;

...»

L'annexe A, qui fait partie intégrante de la directive (article 20), précisait au point 13:

«par le mot ‘contre-valeur’, il faut entendre tout ce qui est reçu en contrepartie de la livraison du bien ou de la prestation de services, y compris les frais accessoires (emballages, transports, assurances, etc.), c'est-à-dire non seulement le montant des sommes perçues, mais aussi, par exemple, la valeur des biens reçus en échange ou, dans le cas de réquisition par l'autorité publique ou en son nom, le montant de l'indemnité perçue ...

Cependant, les frais payés au nom et pour le compte du client et qui sont portés dans la comptabilité du fournisseur dans des comptes de passage ne constituent pas un élément de la base d'imposition ...»

S'agissant d'intérêts moratoires conventionnels pour délai de paiement, sur lesquels les parties se seraient préalablement mises d'accord, on pourrait se demander s'ils ne constituent pas une prestation complémentaire s'ajoutant à la prestation principale. Il faudrait encore savoir si le versement d'intérêts en pareille hypothèse ne peut s'analyser en l'octroi d'un crédit, que les États membres étaient autorisés à exonérer conformément à l'article 10-3° de la deuxième directive et qui est à présent
exonéré en vertu de l'article 13, B, d), Io, de la sixième directive.

Mais, en l'espèce, l'entrepreneur a en quelque sorte été contraint d'accorder un moratoire au bénéficiaire de sa prestation de services. Les intérêts qui constituent la contrepartie de ce moratoire ont été fixés par une juridiction faisant application des dispositions tant du code civil que du code de commerce: on peut dire que l'arrêt de la cour d'appel de Munich tient lieu de facture.

L'octroi d'un crédit dans ces conditions n'a qu'un rapport lointain et pour ainsi dire forcé avec la prestation principale; les intérêts dont ce crédit est assorti ne constituent qu'une indemnisation exclusive de tout profit et ne sauraient être qualifiés de prestation «complémentaire».

D'un autre côté, les intérêts que le groupement a été condamné à verser ne peuvent normalement pas être assimilés à des frais financiers susceptibles d'être déduits de la base d'imposition au titre de la taxe ayant grevé le stade antérieur: si ces intérêts venaient à être taxés pour la société Bausystem, sans possibilité de déduction pour le groupement, il en résulterait une situation contraire au système de déduction taxe pour taxe.

Par conséquent, les intérêts accordés par jugement constituent un simple remboursement de frais, exclusif de toute possibilité de perte ou de gain, et non une affaire imposable. Ils ne constituent pas la rétribution («Entgelt») d'une opération commerciale.

III —

Les modifications apportées par la sixième directive n'infirment pas cette façon de voir.

La base d'imposition à l'intérieur du pays est à présent définie à l'article 11, A, de ce texte comme suit:

«1) La base d'imposition est constituée:

a) pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous b), c) et d), par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations;

...»

Cette rédaction nouvelle s'explique par les modifications apportées en matière de fait générateur et d'exigibilité de la taxe. En vertu de la sixième directive, les États membres ont la faculté de prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d'assujettis au plus tard soit lors de la délivrance de la facture ou du document en tenant lieu, soit lors de l'encaissement du prix, soit même, en cas de non-délivrance ou de délivrance tardive de la facture ou du
document en tenant lieu, dans un délai déterminé à compter de la date du fait générateur (article 10, 2°, alinéa 3).

Dans la mesure où un État membre recourt à cette faculté, la taxe peut ne devenir exigible qu'après la réalisation du fait générateur; même en ce cas, la base d'imposition est déterminée à la date de ce fait.

La proposition de sixième directive présentée par la Commission au Conseil le 29 juin 1973 et modifiée le 12 août 1974 comportait, en ce qui concerne la base d'imposition (article 12, A, 3°, c), le texte suivant:

«Ne sont pas à comprendre dans la base d'imposition:

...

c) les intérêts dus en raison d'un paiement à crédit ou d'un paiement tardif.

...»

Sur ce point, la proposition de la Commission n'a pas été retenue par le Conseil, mais la motivation qu'en donnait la Commission reste en tout cas valable pour les intérêts fixés par jugement: leur exclusion est justifiée par leur caractère de pénalité n'ayant aucun rapport avec une opération commerciale normale.

D'un autre côté, l'article 11 nouveau contient une disposition qui pourrait viser une situation de la nature de celle qui nous est soumise. L'alinéa 3 de cet article exclut de la base d'imposition:

«c) les montants reçus par un assujetti de la part de son acheteur ou de son preneur, en remboursement des frais exposés au nom et pour le compte de ces derniers et qui sont portés dans sa comptabilité dans des comptes de passage. Cet assujetti doit justifier le montant effectif de ces dépenses et ne peut pas procéder à la déduction de la taxe qui les a éventuellement grevées».

On pourrait ainsi soutenir que la cour d'appel a fixé en quelque sorte des intérêts en compte courant, conformément aux dispositions du code de commerce. Or, les intérêts qui s'ajoutent au solde débiteur d'un compte courant sont détachables de la créance correspondant à la livraison ou la prestation de services; ils ne font pas partie de la «contre-valeur» de la créance.

Mais le texte même de l'article 8, alinéa 1, a), de la deuxième directive permet à lui seul de parvenir à ce résultat et nous concluons à ce que vous disiez pour droit:

La base d'imposition visée à l'article 8, alinéa 1, a), de la deuxième directive du Conseil du 11 avril 1967 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ne comprend pas les intérêts reconnus à l'entrepreneur par une décision de justice, lorsque ces intérêts lui ont été alloués en raison de ce que le solde de la contre-valeur de la prestation de services n'a pas été réglé à l'échéance.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 222/81
Date de la décision : 06/05/1982
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne.

Taxe sur la valeur ajoutée - Intérêts de retard.

Fiscalité

Rapprochement des législations

Taxe sur la valeur ajoutée


Parties
Demandeurs : BAZ Bausystem AG
Défendeurs : Finanzamt München für Körperschaften.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:147

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