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10/02/1982 | CJUE | N°79/81

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 10 février 1982., Margherita Baccini contre Office national de l'emploi (ONEM)., 10/02/1982, 79/81


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 10 FÉVRIER 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

L'affaire Baccini montre que les mesures prévues par l'article 51 du traité de la CEE en faveur de la libre circulation des travailleurs et qui sont aujourd'hui principalement consignées dans le règlement no 1408/71 (version codifiée, JO 1980, C 138, p. 1) instituant une coordination ou un lien entre les régimes nationaux de sécurité sociale n'aboutissent pas to

ujours, dans la pratique nationale, aux résultats souhaités. Par l'application littérale de la légi...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 10 FÉVRIER 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

L'affaire Baccini montre que les mesures prévues par l'article 51 du traité de la CEE en faveur de la libre circulation des travailleurs et qui sont aujourd'hui principalement consignées dans le règlement no 1408/71 (version codifiée, JO 1980, C 138, p. 1) instituant une coordination ou un lien entre les régimes nationaux de sécurité sociale n'aboutissent pas toujours, dans la pratique nationale, aux résultats souhaités. Par l'application littérale de la législation nationale de deux États membres,
applicable en la matière, par le refus de prendre en considération les retards inévitables se produisant du fait des procédures administratives, cela notamment dans le cadre de la coopération au niveau international entre un grand nombre de services administratifs, et par des interprétations du droit communautaire parfaitement compréhensibles en soi, encore qu'elles soient susceptibles d'être attaquées en justice, l'on est parvenu dans la présente affaire à un résultat dont l'agent de la Commission
a dit à juste titre, à l'audience, qu'il faisait songer aux romans de Kafka. Et de fait, en raison de cette combinaison de facteurs, le lien créé entre les régimes de sécurité sociale a eu pour conséquence dans le cas présent que Mme Baccini n'a pas obtenu la garantie de conserver ou même de voir augmenter des prestations nationales, comme l'article 51 vise à le réaliser. Tout au contraire, elle s'est trouvée en fait dans une situation financière nettement plus défavorable que celle qui eût été la
sienne si seul le droit belge avait été appliqué, à l'exclusion donc du droit communautaire. Tel ne saurait avoir été l'objectif visé par le législateur communautaire lorsqu'il a arrêté le règlement no 1408/71, encore qu'une telle constatation ne suffise pas en soi pour en déduire que le problème ainsi posé peut être résolu par votre Cour. Le législateur communautaire, lui non plus, n'a pas vu en temps utile qu'il se pouvait que des difficultés d'ordre pratique surgissent, du genre de celles qui
nous occupent aujourd'hui. De fait, ce n'est que pour l'avenir qu'il a évité désormais, en adoptant le règlement no 2793/81 du 29 septembre 1981 (JO 1981, L 275, p. 1), la répétition de conséquences aussi absurdes des mesures d'exécution de l'article 51 du traité CEE. Le problème qu'il vous est demandé de résoudre aujourd'hui est de savoir si, par l'interprétation du droit communautaire en vigueur jusqu'à la date de mise en application du règlement dernier cité, il est possible de trouver également
pour cette période antérieure une solution satisfaisante aux problèmes qui se sont posés, qui fasse droit aux objectifs non équivoques de l'article 51 du traité de la CEE ou si le droit communautaire, tel qu'il était consigné dans le texte en vigueur à cette époque, fait obstacle à une telle solution. Dans cette dernière hypothèse, la solution devrait être recherchée dans le droit national des États membres intéressés. Bien que vous n'ayez pas compétence pour interpréter le droit interne des États
membres, nous procéderons néanmoins, pour cette raison aussi, mais en premier lieu dans le souci d'une bonne compréhension des problèmes de fait-sousjacents à la présente affaire, à l'examen du droit belge et du droit italien applicables en la matière. Notre analyse de ces législations nationales fera apparaître, d'une part, que le problème qui vous a été déféré, procède aussi, mais non pas exclusivement, du droit belge et du droit italien actuellement en vigueur ainsi que de l'interprétation qui en
est faite par les autorités nationales compétentes. Il en ressortira, d'autre part, qu'une solution du problème soit sur la base du droit belge soit sur la base du droit italien et même, le cas échéant, sans application complémentaire du droit communautaire, ne serait peut-être pas impossible en soi. Néanmoins, même dans ce cas, ce n'est qu'à partir des dispositions du droit communautaire qu'il est possible de découvrir le droit interne sur la base duquel le problème devrait en ce cas être résolu.
De plus, comme les questions qui vous ont été déférées se rapportent exclusivement au droit communautaire, votre Cour ne pourra au demeurant se soustraire à une interprétation plus précise de celui-ci en vue de cas comme celui sur lequel nous sommes amené à nous pencher aujourd'hui. Enfin, l'interprétation du droit communautaire est également souhaitable, parce que l'analyse de l'affaire montre qu'en fin de compte, le problème s'est précisément posé en raison de l'existence de celui-ci.

Il est clairement apparu au cours de la procédure que le cas qui vous a été déféré n'est pas un cas isolé. Les informations qui ont été divulguées à cette occasion montrent que rien qu'en Belgique, quelque quarante affaires similaires attendent la solution du cas Baccini. Qui plus est, la Commission pense que des problèmes analogues se poseront fort probablement à l'avenir dans les relations entre d'autres États membres que ceux dont il s'agit dans la présente affaire. Nous croyons, nous aussi, à
cette possibilité, et cela non pas exclusivement parce que la persistance de la crise économique actuelle pourra aussi inciter d'autres États membres à faire une application restrictive des prestations de chômage lorsque des personnes reçoivent des prestations d'autre nature dans un autre État membre, comme c'est le cas en l'espèce, mais aussi parce que le problème, inhérent au lien institué entre les régimes de sécurité sociale nationaux, de la communication interne entre les autorités chargées de
la mise en œuvre de la réglementation communautaire, communication qui nécessite des délais parfois très longs, peut également se poser dans d'autres secteurs de la sécurité sociale. Aussi n'est-il pas à exclure, selon nous, que la présente affaire doive inciter le législateur communautaire à consacrer, d'une façon générale, plus d'attention aux difficultés qu'entraîne le facteur de temps dans la mise en œuvre de la coordination des régimes de sécurité sociale sur le plan pratique. La présente
affaire constitue un cas nouveau non pas seulement parce qu'elle fait apparaître pour la première fois, à notre connaissance, les conséquences désastreuses que peut avoir éventuellement le facteur de temps sur la réalisation d'une coordination efficace des régimes de sécurité sociale, mais également parce qu'il ne vous á pas encore été donné jusqu'à présent de vous pencher sur le problème du cumul d'allocations de chômage et de prestations d'invalidité.

La nature et la portée du problème d'interprétation qui se pose ici sont formulées en termes généraux dans deux questions que la cour du travail de Mons vous a posées à titre préjudiciel. Ces questions sont libellées comme suit:

«1. L'article 51 du traité de Rome et les règlements européens nos 1408/71 et 574/72 doivent-ils être interprétés de telle sorte qu'est conforme aux finalités du traité l'interdiction pour le travailleur migrant de cumuler une allocation de chômage dans un État membre de la Communauté, — dans lequel il remplit les conditions de la législation de cet État quant à l'état d'incapacité dénié par les autorités de cet État —, avec une pension d'invalidité proratisée (législation type B) à charge d'un
autre Etat due à raison d'une incapacité de travail reconnue par les autorités de cet État, alors que les deux prestations de sécurité sociale ne couvrent pas le même dommage, que le montant de la prestation d'invalidité est très inférieur à l'allocation de chômage et que les deux autorités médicales des institutions compétentes ont adopté des attitudes divergentes quant à l'état d'incapacité dans le chef de l'intéressé?

2. Lorsqu'un travailleur bénéficie d'une indemnité d'incapacité de travail en vertu d'une législation d'un premier État membre (législation type A) et de prestations d'invalidité (législation type B) à charge d'une institution d'un second État membre, par l'effet des règlements communautaires européens, et qu'ensuite ce travailleur n'est plus reconnu inapte au travail par l'autorité compétente du premier État, n'émarge plus à la législation d'assurance invalidité de l'institution compétente de cet
État mais s'inscrit à l'assurance chômage de l'institution compétente de ce même dernier État, — mais qu'en revanche il bénéficie toujours de la prestation de pension d'invalidité du second État —, l'autorité compétente de cet État n'ayant pas modifié son attitude —, l'institution compétente de ce premier État est-elle fondée, sur base des finalités de l'article 51 du traité, à soulever l'incompatibilité de deux prestations de nature différente (allocations de chômage et prestations de pension
d'invalidité) et à se prévaloir de règles anti-cumul nationales pour réduire à néant les prestations de chômage? En cas de réponse affirmative, cette situation ne serait-elle pas elle-même le résultat du bénéfice de la prestation d'invalidité en vertu du règlement no 1408/71 en sorte que ce règlement n'aurait pas l'effet protecteur précisé par l'article 51 du traité et serait contraire aux objectifs du traité?»

Encore qu'elles aient trait à divers aspects du droit communautaire, ces deux questions reviennent à demander si une disposition anti-cumul nationale est également compatible avec l'article 51 du traité CEE et les règlements nos 1408/71 et 574/72 (JO 1972, L 74, p. 1), lorsque les deux prestations dont il s'agit sont de nature entièrement différente, l'une étant basée exclusivement sur le droit national du premier État membre, tandis que l'autre pouvait seulement être fondée sur le droit national de
l'autre État membre sur la base du droit communautaire, avec cette conséquence que le travailleur percevrait une prestation d'un montant inférieur à celle qui lui serait versée s'il avait travaillé exclusivement dans le premier État membre.

Bien que d'autres dispositions de droit communautaire aient aussi longuement été évoquées dans le cadre de la procédure, il vous est donc essentiellement demandé une interprétation de l'article 12 du règlement no 1408/71. Il s'agit ici particulièrement de l'interprétation du deuxième paragraphe de cet article qui vise le cumul de prestations de nature différente, ce dont il s'agit en l'espèce. Outre cette disposition, l'on a notamment aussi fait intervenir dans cette procédure l'article 40 du même
règlement ainsi que les articles 36, 41 et 44 du règlement no 574/72, en raison du lien de causalité existant entre l'application de ces dispositions en l'espèce et l'origine du litige. Enfin, vous êtes invités à interpréter l'article 51 proprement dit du traité de la CEE dont l'objectif pourrait avoir un rôle à jouer dans le cadre de l'interprétation de ses dispositions d'exécution.

Ainsi que nous l'avons relevé précédemment, le problème de l'espèce remonte cependant aussi à la situation de fait créée par le lien institué entre les régimes nationaux applicables en la matière et par la teneur des législations nationales concernées. Aussi, afin de situer l'affaire dans sa perspective exacte, donnerons-nous tout d'abord un aperçu des principaux faits administratifs qui intéressent l'espèce et de leur incidence sur l'origine du problème dont il s'agit. Ensuite, nous approfondirons
les dispositions principales du droit interne belge et du droit national italien qui ont joué un rôle en l'espèce. Ce n'est que sur la toile de fond de ces faits administratifs et juridiques que nous approfondirons ensuite, dans la partie terminale de notre analyse, les questions de droit communautaire qui vous ont été déférées.

2. Les principaux faits administratifs Mme Baccini, de nationalité italienne, a travaillé successivement en Italie et en Belgique; son activité professionnelle s'est exercée dans ce dernier pays depuis 1962. Le 5 juillet 1973, elle y a obtenu le bénéfice d'une indemnité d'invalidité. Plus tard, elle a été reconnue de nouveau apte au travail dans ce pays. Le versement des prestations d'invalidité de droit belge a été interrompu et remplacé, en raison du chômage de l'intéressée, par des allocations de
chômage. La prestation «proratisée», allouée également en Italie en vertu du règlement no 1408/71, a continué d'être versée entre-temps en vertu de la législation italienne, d'une part, et grâce au jeu du facteur «d'atermoiement», d'autre part. Tout cela a abouti, sur la base des dispositions anticumul belges, au retrait des allocations de chômage perçues en Belgique, lesquelles étaient nettement supérieures à la prestation italienne, et, dans la mesure où ces allocations avaient déjà été versées, à
la répétition des sommes déjà versées à ce titre.

Pour se faire une idée du jeu combiné des réglementations belges et italiennes en la matière et des atermoiements qui se produisent dans ce cadre, facteurs qui sont tout deux intervenus dans la genèse du problème qui vous est soumis aujourd'hui, un aperçu plus détaillé des faits est cependant hautement instructif.

Phase 1

Le 5 juillet 1973, Mme Baccini obtient une indemnité d'invalidité de droit belge.

Ce n'est que le 6 septembre 1974, donc quatorze mois plus tard, que l'institution compétente belge, l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (l'INAMI) en informe l'institution compétente italienne (l'INPS) en application du règlement no 574/72. Plus de trois années après, le 13 septembre 1977, l'INPS fait savoir à Mme Baccini qu'il lui était alloué également une pension d'invalidité italienne «proratisée» à partir du 1er août 1974. Cette dernière prestation était basée également sur les
dispositions de droit communautaire applicables en matière de combinaison des régimes nationaux de sécurité sociale. La réaction tardive de l'institution italienne compétente était également la conséquence des précisions que l'INPS avait demandées à l'institution belge le 5 juin 1976. L'application concrète de cette combinaison des deux régimes de sécurité sociale a donc nécessité plus de quatre ans avant que l'allocation italienne fût reconnue. Comme nous l'avons relevé précédemment, l'écoulement
d'un laps de temps aussi long avant que ne joue le processus de combinaison des régimes nationaux aura, dans un cas comme celui-ci, non seulement dépouillé le droit communautaire dans une large mesure de son intérêt pratique aux yeux des intéressés, mais en outre, l'effet rétroactif de la décision portant octroi de la prestation ne saura guère faire pièce dans la plupart des cas à cette conclusion inquiétante, si tant est qu'il puisse encore avoir un tel résultat.

Phase 2

Du 28 avril 1975 au 4 juin 1975, Mme Baccini est reconnue en Belgique apte à reprendre le travail, ce qui entraîne dans ce pays la conversion des prestations d'invalidité en allocations de chômage, aussi longtemps que l'intéressée reste sans emploi. Cette phase est sans intérêt dans la présente affaire, pour autant qu'il résulte du dossier.

Phases 3 et 4

Le 5 juin 1975, Mme Baccini est de nouveau reconnue atteinte d'incapacité de travail en Belgique. Elle perçoit de ce fait une indemnité d'invalidité dans ce pays jusqu'au 1er septembre 1977, date à laquelle elle est, cette fois encore, reconnue apte à travailler. L'indemnité d'invalidité est, une fois de plus, convertie en allocations de chômage. Pour autant qu'il puisse se déduire du dossier, l'institution italienne, l'INPS, a seulement été informée le 23 juin 1977, soit plus de deux ans plus tard,
par l'institution belge de la déclaration d'incapacité de travail du 5 juin 1975 et le 17 octobre 1977 ou le 17 octobre 1978 (les deux dates sont citées dans le dossier) du fait que l'intéressée avait été reconnue apte à reprendre le travail.

Le consulat italien en Belgique, compétent en la matière, avait informé de toute manière l'INPS de cette dernière circonstance, le 28 avril 1978, à la demande de l'intéressée, en invitant cette dernière à le tenir informé de l'incidence de cette situation sur la prestation italienne.

Phase 5

Le 8 décembre 1978, les autorités belges décident, en vertu de leurs dispositions anti-cumul, et manifestement sans attendre la réaction des autorités italiennes aux communications qui avaient été faites à ces dernières, de ne plus verser d'allocations de chômage à Mme Baccini et de réclamer à celle-ci le remboursement des prestations déjà versées.

Phase 6

Pour tenter de limiter, du moins dans le temps, les conséquences catastrophiques du jeu combiné, sur le plan pratique, du droit communautaire et du droit national, Mme Baccini invite l'INPS (Italie), le 11 décembre 1978, à mettre fin au versement des prestations de droit italien. Si l'on considère les choses a posteriori, il eût peut-être été préférable qu'elle demandât le retrait des prestations italiennes avec effet rétroactif au 1er septembre 1977, et cela en se déclarant disposée à rembourser
les prestations dont elle avait eu le bénéfice pendant cette période. On ne saurait toutefois lui reprocher réellement de ne pas avoir agi de la sorte. Comme la suite de notre exposé le montrera encore, l'octroi et le retrait de prestations en Italie, dans un cas comme celui de l'espèce, doivent se faire d'office et aucune intervention quelconque des intéressés n'est requise à cet effet. Le 22 mai 1980, l'INPS informe Mme Baccini qu'elle a mis fin au versement des prestations à partir du 1er février
1980. Le 18 septembre 1981, le Conseil arrête le règlement no 2793/81 portant modification du règlement no 1408/71, mettant entre autres un terme à la constatation de concordance des conditions en matière d'invalidité pour la Belgique et l'Italie. Le problème de fait qui se posait pour Mme Baccini restait donc sans solution pour la période du 1er septembre 1977 au 1er février 1980. Durant cette période, elle a perçu, certes, une modeste prestation italienne, mais elle devait, pour cette même
période, rembourser les allocations de chômage de droit belge, d'un montant plusieurs fois supérieur. La combinaison des régimes nationaux de sécurité sociale a donc abouti en définitive dans son cas à une demande de remboursement de la part de l'institution belge compétente à laquelle elle était pécuniairement dans l'incapacité de faire face.

Pour bien faire comprendre l'incidence qu'ont eue les législations nationales belge et italienne sur ce résultat que la Commission a qualifié d'absurde, nous donnerons maintenant tout d'abord un aperçu des dispositions nationales les plus importantes, applicables en la matière. Nous assortirons cet aperçu de quelques considérations sur les possibilités éventuelles de résoudre les problèmes de Mme Baccini et les problèmes analogues qui se posent à d'autres travailleurs italiens en Belgique, sur la
base du droit national de ce dernier pays ou de l'Italie.

3. Les principales dispositions de droit national applicables en la matière

3.1. La législation belge

Les indemnités belges d'incapacité de travail primaire et d'invalidité sont basées sur la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité. Cette loi est une législation de type A, comme le juge «a quo» l'indique avec raison dans sa deuxième question. La répartition de la législation en matière d'invalidité en législation de type A et législation de type B remonte, on le sait, au règlement no 3/58, mais cette distinction continue d'être
usitée depuis lors dans ce domaine par les professionnels.

Dans une législation de type A, les prestations sont fixées à un montant déterminé, lequel est indépendant de la durée des périodes d'assurance des intéressés. D'autre part, il se déduit des articles 46 et 50 de la législation belge qu'aussi bien l'indemnité d'incapacité primaire, dont la durée maximum est fixée à un an, que l'indemnité d'invalidité consécutive à la première ne sont versées qu'aussi longtemps que dure l'incapacité de travail. Aux termes de l'article 51 de la loi, le conseil médical
de l'invalidité constate l'état d'invalidité sur la base d'un rapport établi par le médecin conseil de l'organisme assureur et en fixe la durée. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 51, le médecin conseil ou le médecin inspecteur, à la demande du premier, peuvent constater la fin de l'état d'invalidité. Les difficultés de Mme Baccini remontent notamment au fait que la déclaration d'incapacité de travail belge, du 1er septembre 1977, n'a entraîné le retrait de la pension d'invalidité italienne
qu'en 1980, entre autres par le jeu du facteur de temps.

Outre la legislation en matière de maladie et d'invalidité, l'arrêté royal belge du 20 décembre 1963 relatif à l'emploi et au chômage a joué un rôle considérable dans la présente procédure. Aux termes de l'article 141, troisième alinéa, de l'arrêté royal, «n'a pas droit aux allocations de chômage pour cause d'inaptitude au travail, le travailleur qui bénéficie d'allocations en vertu d'un régime d'assurance maladie-invalidité étranger, en raison d'une incapacité de travail ne résultant pas d'un
accident de travail ou d'une maladie professionnelle lorsque le taux de cette incapacité atteint ou est supérieur à 50 %».

Au cours des procédures écrite et orale, un intéressant débat s'est engagé sur le point de savoir si cet article a été effectivement appliqué avec raison en l'espèce, étant donné que la condition ou la présomption d'incapacité de travail y figurant était inexistante en l'espèce ainsi qu'il ressort de la déclaration d'aptitude au travail de l'autorité compétente belge. Selon la Commission (qui a invoqué à cet égard le manuel belge faisant autorité de P. Denis et P. Gosseries, «Droit de la sécurité
sociale», Bruxelles 1973, p. 370), le droit aux allocations de chômage est subordonné en Belgique à trois conditions: tout d'abord, l'intéressé doit être chômeur; en second lieu, il doit être chômeur involontaire et, en troisième lieu, il doit être disponible sur le marché de l'emploi, c'est-à-dire apte au travail. Inversement, l'inaptitude au travail exclut le droit aux allocations de chômage. L'article 141, premier alinéa, de l'arrêté royal n'ajoute pas, dans le cas d'une indemnité d'invalidité de
droit belge, la présomption d'incapacité de travail comme élément indépendant, si bien que le seul fait de percevoir une indemnité d'invalidité belge rend caduc le droit aux allocations de chômage. En revanche, le troisième alinéa de l'article 141 déjà cité est autrement libellé sur ce point essentiel. A l'estime de la Commission, le texte de l'article 141, troisième alinéa, de l'arrêt royal belge en question permet dès lors aussi effectivement une interprétation, si tant est qu'il ne l'impose pas,
excluant l'application de cette disposition lorsque la capacité de travail de l'intéressé est établie. Encore que la Cour ne puisse se prononcer sur cette question d'interprétation du droit national et qu'une telle question ne soit dès lors pas posée, à juste titre, à la Cour, il peut se déduire de cette discussion que la solution du problème posé sur la base du droit belge n'est pas à exclure a priori.

Outre l'article 141 de l'arrêté royal déjà cité, l'article 146 de la même norme présente lui aussi un certain intérêt dans le cadre de l'aperçu des dispositions nationales qui ont contribué à la genèse du problème de Mme Baccini. Dans la mesure où ces dispositions intéressent la présente affaire, le premier et le deuxième paragraphe de l'article dernier cité prévoient ce qui suit:

«Article 146 — paragraphe 1er

Lorsque les travailleurs visés à l'article 145 bénéficient effectivement d'une pension dont le montant quotidien est inférieur au taux quotidien de l'allocation de chômage prévue pour la catégorie du demandeur,..., ils ont droit à une allocation de chômage, dont le montant est égal à la différence entre le taux précité et le montant quotidien de la pension, sans dépasser le taux de l'allocation de chômage.

...

paragraphe 2...

sans préjudice des dispositions de l'article 142, le paragraphe 1er s'applique aussi au chômeur qui peut prétendre à:

1. une pension d'invalidité d'ouvrier mineur;

2. une allocation au profit des handicapés;

3. une allocation, accordée en vertu d'un régime d'assurance maladie-invalidité étranger à raison d'une incapacité de travail ne résultant pas d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle et d'un taux inférieur à 50 %.»

Cette disposition n'a pas été appliquée en l'espèce- par les autorités belges, parce que — contrairement aux faits constatés par ces mêmes autorités pour la période considérée — elles ont supposé que l'indemnité italienne se rapportait à une incapacité de travail d'un taux supérieur à 50 %. Dans ses observations écrites, la Commission relève avec raison cette contradiction interne caractérisant la conception des autorités belges. L'intéressée est déclarée, d'une part, apte à travailler par
l'institution belge compétente et, d'autre part, elle est jugée inapte au travail sur la base des prestations d'invalidité courant encore en Italie. Avec les mêmes réserves, à savoir que votre Cour n'est pas appelée à interpréter le droit belge, il peut également être conclu en ce qui concerne l'article 146 de l'arrêté royal belge qu'il ne semble pas exclu a priori de donner une solution satisfaisante au problème qui se pose en interprétant autrement la législation belge.

Du point de vue du droit communautaire, il importe encore de considérer que la Commission qualifie l'article 146 de l'arrêté royal belge, dont il s'agit en l'espèce, de disposition typiquement anticumul, tandis que ce qui est prévu à l'article 141 de l'arrêté royal constituerait plutôt une condition relative aux allocations de chômage. Il semble toutefois que ce que vous avez énoncé au quatrième attendu de votre arrêt dans l'affaire Kaufmann (affaire 184/73, Recueil 1974, p. 524) prive cette
distinction de tout intérêt du point de vue du droit communautaire. Ce qui est cependant important sous cet angle, c'est le fait de savoir si la reconnaissance d'une incapacité de travail d'un taux supérieur à 50 % est conforme dans le cas d'espèce à l'article 40, paragraphe 4, du règlement no 1408/71. Bien que le juge «a quo» n'ait pas posé de questions sur ce point nous ferons néanmoins quelques observations à ce sujet dans la partie finale de notre exposé. L'interprétation que les autorités
belges donnent de cette disposition a en effet déterminé elle aussi de manière constante le déroulement, défavorable à Mme Baccini, de la procédure administrative nationale. Aussi la disposition du règlement que nous venons de citer a-t-elle joué également un rôle dans les observations écrites et orales présentées à votre Cour durant la procédure.

3.2. La législation italienne

A la différence de la législation belge, la législation italienne en matière de prestations d'invalidité appartient aux législations dites de type B, ce qui signifie que les prestations sont ici effectivement fonction de la durée des périodes d'assurance. Ce n'est qu'en additionnant les périodes d'assurance belge et italienne conformément au droit communautaire applicable en la matière que Mme Baccini pouvait avoir droit à une — modeste — prestation italienne «proratisée». Conformément au droit
communautaire cette prestation italienne a été déduite du montant — supérieur — de l'indemnité d'invalidité belge.

Les dispositions italiennes applicables en la matière sont contenues dans l'arrêté-loi, ayant caractère législatif, du 14 avril 1939, no 636, inséré ultérieurement, en tant que cela intéresse la présente affaire, dans la loi no 1272 du 6 juillet 1939, telle que celle-ci est libellée actuellement après avoir été modifiée à diverses reprises. Les prestations italiennes ont, ainsi qu'il ressort de l'article 10 de l'arrêté-loi précité, le caractère d'une pension d'invalidité permanente en principe. Ce
caractère procède donc de la supposition que l'invalidité, une fois constatée, revêt un caractère permanent. Tant Mme Baccini que la Commission en ont déduit dans leurs observations écrites, qu'une fois accordées, les prestations d'invalidité italiennes ne peuvent plus être retirées en principe. Durant les débats oraux, l'agent du gouvernement italien a certes confirmé cette interprétation en réponse à une question qui lui avait été posée par le juge rapporteur, mais il n'a pas exclu néanmoins le
retrait de cette pension sur la base de faits nouveaux. Et de fait, l'article 10 de l'arrêté loi italien est libellé comme suit:

«Est réputé invalide l'assuré dont la capacité de gain dans un emploi correspondant à ses aptitudes se trouve réduite de façon permanente à moins d'un tiers en raison d'une infirmité ou d'un défaut physique ou mental. La pension d'invalidite est supprimée lorsque la capacité de gain du pensionné cesse d'être inférieure au taux indiqué au 1er alinéa ci-dessus. La disposition du 3e alinéa de l'article 61 du décret-loi royal du 4 octobre 1935, no 1827, reste applicable» ( 2 ).

Il se déduit clairement, selon nous, du deuxième alinéa de cette disposition qu'il doit également être mis fin d'office au versement des prestations d'invalidité italiennes lorsque l'incapacité de travail, au sens décrit au premier alinéa, a pris fin. Après les péripéties qu'a connues la législation italienne et qui sont décrites dans l'annexe aux observations écrites de la Commission, le taux d'invalidité de plus des 2/3, prévu par le texte original de ce premier alinéa, a été remis en vigueur. Il
semble, ensuite, qu'il faille déduire du deuxième alinéa du texte précité que le problème qui nous occupe puisse également être résolu par application de la législation italienne. Cette solution est toutefois aussi fonction en ce cas du caractère contraignant ou non pour les autorités italiennes de la déclaration d'aptitude au travail des autorités belges du 1er septembre 1977, ce qui est un problème de droit communautaire. Cela souligne également l'intérêt de l'interprétation de l'article 40,
paragraphe 4, du règlement no 1408/71.

3.3. Observations finales

L'analyse du droit belge et du droit italien applicables en la matière montre qu'il ne paraît pas exclu en soi que le problème posé puisse être résolu soit sur la base du droit belge soit sur la base du droit italien. Cela suppose toutefois dans les deux cas une interprétation de l'article 40, paragraphe 4, du règlement no 1408/71, interprétation non demandée par le juge «a quo». De plus, la détermination du droit national à partir duquel la solution devrait être recherchée est un problème de
coordination des législations nationales applicables. Cette question ne peut, de même, recevoir une réponse que sur la base du droit communautaire, mais à ce sujet le juge a quo n'a pas non plus posé de question. Enfin, relevons que le problème ne se serait jamais posé si le droit communautaire, en l'espèce l'article 40 du règlement no 1408/71, n'avait fait obligation aux autorités italiennes de verser à l'intéressée une prestation «proratisée». Aussi est-ce à juste titre que la Commission souligne,
aux pages 20 et 24 de ses observations écrites, que le droit communautaire devra lui aussi donner une solution à ce problème, puisqu'il se trouve en effet à son origine. Le législateur y a entre-temps pourvu pour l'avenir, ainsi que nous l'avons dit plus tôt.

Voyons maintenant si vous pouvez donner une solution au problème sur la base du droit communautaire applicable à l'époque, pour la période au cours de laquelle celui-ci s'est posé.

4. L'interprétation des dispositions du droit communautaire applicables en la matière

4.1. L'article 40 et le chapitre 6 du règlement no 1408/71

Bien que les questions posées par le juge «a quo» ne visent pas cette disposition, ou, du moins, qu'elles ne s'y rapportent pas de manière explicite, il nous paraît logique de nous arrêter tout d'abord un bref instant à l'article 40 du règlement no 1408/71. Comme nous l'avons relevé, l'application donnée en l'espèce à cet article est, en effet, la cause directe des problèmes dont vous a saisi le juge a quo.

C'est l'application de l'article 40, paragraphe 1, du règlement qui a donné naissance au droit de Mme Baccini à une prestation italienne.

Parmi les dispositions auxquelles renvoie ce paragraphe, nous retiendrons notamment l'article 46, paragraphe 1, deuxième alinéa, parce qu'il revêt quelque intérêt aux fins de l'espèce. Cet alinéa prévoit que l'institution compétente de chacun des États membres «procède aussi au calcul du montant de prestations qui serait obtenues par application des règles prévues au paragraphe 2, alinéas a) et b). Le montant le plus élevé est seul retenu». Votre Cour a déduit de cette disposition un principe
limitatif pour les conséquences de la jurisprudence en matière d'application sur le plan national de dispositions anti-cumul de droit interne. Nous renvoyons notamment à ce sujet à vos arrêts dans les affaires Mura (affaire 22/77, Recueil 1977, p. 1699) et Brouwer/Kaune (affaire 180/78, Recueil 1979, p. 2118). Le raisonnement suivi par votre Cour à ce sujet intéresse également «mutatis mutandis» la présente affaire.

Les problèmes d'interprétation soulevés dans la présente affaire se sont toutefois posés notamment à propos du quatrième paragraphe de l'article 40. Cette disposition est libellée comme suit:

«La décision prise par l'institution d'un État membre au sujet de l'état d'invalidité du requérant s'impose à l'institution de tout autre État membre concerné, à condition que la concordance des conditions relatives à l'état d'invalidité entre les législations de ces États soit reconnue à l'annexe IV».

L'annexe IV prévoyait en effet la concordance des conditions relatives à l'état d'invalidité entre les législations de l'Italie et de la Belgique jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement no 2793/81 du 18 septembre 1981 portant modification du règlement no 1408/71.

Le problème d'interprétation qui se pose pour la période antérieure au 18 septembre 1981, pertinente en l'espèce, soulève la question de savoir si l'article 40, paragraphe 4, vise exclusivement les décisions relatives à l'état d'invalidité ou s'il a également trait aux décisions concernant l'état contraire ou l'apitude au travail. Une interprétation très littérale de cette disposition pourrait le cas échéant appeler une réponse négative à cette dernière question. Mais la réponse peut également être
affirmative si l'on procède sur la base de la logique du texte, considéré isolément. Une décision au sujet de l'état d'invalidité pourrait en ce cas comporter des conclusions tant positives que négatives au sujet de celui-ci. En ce cas, la question reste toutefois aussi ouverte de savoir si les décisions ultérieures, invalidant la décision reconnaissant une invalidité constatée antérieurement par le moyen d'une déclaration d'aptitude au travail, lient les institutions d'autres États membres. Avec la
Commission, nous estimons qu'il est seulement possible en tout cas de répondre à cette dernière question dans le contexte plus large de l'ensemble du système du règlement. Tant l'article 40 que tout le chapitre 2 du règlement, lequel regarde l'invalidité, visent à la détermination des prestations lorsque se produit l'état d'invalidité. On ne saurait non plus déduire d'autre objectif de l'article 51 du traité CEE, auquel le règlement donne exécution, que celui de garantir l'obtention ou le maintien
du droit des travailleurs migrants à des prestations par le cumul des périodes pertinentes et la détermination des États membres tenus au paiement de prestations. Ni l'article 51 ni le chapitre en question du règlement ne prévoient quoi que ce soit au sujet des droits ou obligations des États membres au niveau du retrait de droits acquis. Le chapitre 3 du règlement no 574/72 traite lui aussi exclusivement, ainsi qu'il ressort déjà de son intitulé, de l'introduction et de l'examen des demandes de
prestations et non pas également de la cessation de celles-ci. Enfin, le cas d'espèce illustre de manière frappante le fait que les retards se produisant inévitablement dans l'échange d'informations entre les institutions compétentes de deux ou de plusieurs États membres doivent aboutir, précisément dans l'hypothèse d'une interprétation extensive de l'article 40, paragraphe 4, telle qu'elle est préconisée par l'institution compétente belge, à des résultats qui, loin de servir les intérêts des
travailleurs migrants, leur portent seulement préjudice. Cela serait contraire, à toute interprétation raisonnable de l'article 51 et des dispositions prises en exécution de celui-ci.

Du reste, même une interprétation de l'article 40, paragraphe 4, aux termes de laquelle les autorités italiennes seraient également liées par une déclaration d'aptitude au travail des autorités belges, ne devrait pas nécessairement avoir pour autant pour conséquence qu'il doit également être mis fin au versement de la prestation italienne. Cette déclaration regarde en effet tout au plus la constatation (de la non-persistance) de l'état d'invalidité. La poursuite de l'état d'invalidité n'est
toutefois qu'une des conditions du maintien du versement des prestations d'invalidité nationales. Le droit communautaire ne restreint pas la faculté pour le législateur national de conférer à des prestations d'invalidité le caractère d'une pension permanente et dont le bénfice ne saurait, en principe, être retiré une fois que ces prestations ont été reconnues. Comme nous l'avons dit, il a été soutenu de plusieurs côtés dans la présente procédure que les prestations italiennes possèdent en principe
un tel caractère de permanence.

Ainsi que nous l'avons relevé plus tôt, le règlement no 1408/71 ne vise pas à réaliser une harmonisation des régimes nationaux de sécurité sociale; il tend exclusivement, en tant que cela concerne la présente affaire, à opérer une coordination entre ces régimes, laquelle est nécessaire à la réalisation des objectifs des article 48 à 51 inclus, du traité CEE, en vue de garantir les travailleurs migrants contre les pertes de périodes d'assurance.

L'article 40, paragraphe 4, du règlement no 1408/71 devra, sur la base des considérations qui précèdent, être interprété selon nous en ce sens qu'il ne vise pas également les décisions concernant le recouvrement de l'aptitude au travail d'un ayant-droit à des prestations d'invalidité. Cette interprétation ainsi que l'incidence limitée qu'une autre interprétation de ladite disposition pourrait même avoir sur l'application du droit italien, signifie que le système du règlement no 1408/71 n'exclut pas
qu'une cessation des prestations d'invalidité belges et leur transformation en allocations de chômage aille de pair avec la poursuite du versement des prestations d'invalidité italiennes, laquelle est permise sous l'angle du droit communautaire.

Les dispositions du chapitre 6 du règlement no 1408/71 en matière de chômage ne prévoient rien au sujet du cumul de prestations d'invalidité et de l'allocation de chômage.

4.2. L'article 12 du règlement no 1408/71

Si l'on admet l'interprétation de l'article 40, paragraphe 4, que nous préconisons et du fait aussi que même dans l'hypothèse d'une interprétation différente, rien ne s'oppose à la poursuite du versement des prestations italiennes, la question qui revêt en définitive une importance déterminante est celle du caractère permissible ou non de dispositions nationales anticumul qui feraient également obstacle au cumul de prestations de chômage dans l'État membre A et de prestations d'invalidité dans
l'État membre B au versement desquelles rien ne s'oppose en soi.

La disposition de droit communautaire pertinente en la matière figure à l'article 12 du règlement no 1408/71, lequel a trait au non-cumul de prestations. Comme il ne s'agit pas en l'espèce de prestations de même nature, seul le paragraphe 2 de cette disposition nous intéresse ici. Cette disposition est libellée comme suit:

«Les clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation d'un État membre en cas de cumul d'une prestation avec d'autres prestations de sécurité sociale ou avec d'autres revenus sont opposables aux bénéficiaires, même s'il s'agit de prestations acquises au titre de la législation d'un autre État membre ou de revenus obtenus sur le territoire d'un autre État membre. Toutefois, il n'est pas fait application de cette règle lorsque l'intéressé bénéficie de prestations de
même nature d'invalidité, de vieillesse, de décès (pensions) ou de maladie professionnelle qui sont liquidées par les institutions de deux ou plusieurs États membres, conformément aux dispositions des articles 46, 50 et 51 ou de l'article 60, paragraphe 1, alinéa b)».

Votre Cour s'est déjà prononcée sur la portée de cette disposition dans un grand nombre de cas. Nous songeons notamment ici aux affaires suivantes:

1) l'affaire Duffy (affaire 34/69, Recueil 1969, p. 597). Dans cette affaire il s'agissait d'un cumul d'une pension de vieillesse et d'une pension de veuve;

2) l'affaire Kaufmann (affaire 184/73, Recueil 1974, p. 517). En ce cas il y avait cumul de prestations d'invalidité et de prestations de maladie;

3) l'affaire Mura (affaire 22/77, Recueil 1977, p. 1699), qui avait trait au cumul de pensions d'invalidité de mineurs de fond italiens en Belgique et en Italie. On se reportera toutefois aussi avec intérêt aux affaires 112/76, 32/77 et 37/77 auxquelles se rapportaient également les conclusions de l'avocat général M. Warner dans l'affaire Mura (Recueil 1977, p. 1658);

4) l'affaire Brouwer/Kaune (affaire 180/78, Recueil 1979, p. 2118). Dans cette affaire il s'agissait du cumul de pensions d'invalidité converties en pensions de vieillesse dans un État membre et d'une pension d'invalidité versée dans un autre État membre;

5) l'affaire d'Amico (affaire 4/80, Recueil 1980, p. 2960). Ici il s'agissait du cumul d'une pension d'invalidité convertie en pension de vieillesse et d'une pension d'invalidité non encore convertie de la sorte.

La Commission mentionne encore dans son mémoire d'autres arrêts antérieurs de votre Cour, pertinents dans la présente affaire. Cette jurisprudence ne modifierait toutefois pas substantiellement les conclusions auxquelles nous parviendrons.

Pour une analyse de votre jurisprudence antérieure sur l'article 12, référence peut être faite aux pages 15 et 16 du mémoire de la Commission ainsi qu'aux pages 171-187 de l'ouvrage de Philippa Watson«Social Security Law of the European Communities», Londres 1980.

Ce sont principalment les arrets dans les affaires Mura et Brouwer/Kaune ainsi que les conclusions des avocats généraux MM. Warner et Capotorti qui présentent de l'intérêt en l'espèce, encore qu'il puisse se déduire des brèves indications que nous avons faites au sujet de l'objet de vos arrêts précités que les problèmes de cumul de prestations de chômage et de prestations d'invalidité qui se posent en l'espèce n'ont pas été déférés auparavant à la Cour.

A la différenece de ce que soutient la Commission à la page 18 de ses observations, nous sommes d'avis que l'article 12, paragraphe 2, est ici applicable en principe et que, partant, la jurisprudence citée plus tôt est en principe pertinente en la matière pour répondre aux questions qui vous sont posées. L'article 12 figure sous le titre I, «Dispositions générales» du règlement. En outre, le deuxième paragraphe de cette disposition traite sans aucune restriction du cumul d'une prestation et d'autres
prestations de sécurité sociale. Il faut donc entendre par là en principe toutes sortes de prestations mentionnées à l'article 4 du règlement, dont les allocations de chômage et les indemnités d'invalidité.

Compte tenu de l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 et de votre jurisprudence antérieure en la matière, laquelle est également valable en l'espèce, il faudra donc partir de l'idée qu'aussi longtemps qu'un travailleur perçoit exclusivement des prestations (en l'espèce des allocations de chômage) sur la base de dispositions législatives nationales, les dispositions du règlement no 1408/81 ne feront pas obstacle à l'application pleine et entière de ces mêmes dispositions législatives
nationales, y compris les dispositions anti-cumul. Nous renvoyons à cet égard, entre autres, au sixième attendu de votre arrêt dans l'affaire 180/78 (Brouwer/Kaune), cité plus tôt.

Nous estimons cependant que cette hypothèse de départ doit être complétée et mitigée de considérations du genre de celles qu'a développées la Commission aux pages 21 à 25 de ses observations. Ces considérations ont trait en premier lieu au préambule du règlement no 1408/71 (voir le texte original au JO 1971, L 149) ainsi qu'au libellé de l'article 51 et au but de cette disposition. Nous nous rallions aux considérations développées par la Commission sur ce point aux pages 22 et 23 de son mémoire.
Avec la Commission, nous déduisons en effet de votre jurisprudence sur cet aspect de la question, comme premier principe fondamental, que le but de l'article 51 et des règlements d'application fondés sur cette disposition est d'éviter que le travailleur migrant, du fait de sa migration d'un État membre dans un autre État membre, perde l'avantage des périodes d'assurance qu'il a accumulées dans les divers États membres dans lesquels il a été employé et ne soit ainsi défavorisé par rapport à la
situation qui eût été la sienne s'il avait accompli toute sa carrière dans un seul État membre. Ajoutons simplement aux autres considérations que la Commission consacre à cet aspect de la question que la remarque faite par l'avocat général M. Warner dans ses conclusions dans les affaires 112/76, 22/77 et 32/77, citée par la Commission et que nous jugeons nous aussi pertinente, lorsqu'elle est appliquée par analogie au cas de l'espèce, peut être paraphrasée et développée comme suit:«Il serait
nettement incompatible avec le traité CEE et notamment avec les articles 7 et 48, paragraphe 2, de ce même traité, qu'un État membre applique une disposition législative nationale de manière à créer une situation telle que celui qui a travaillé tant dans cet État que dans un autre, reçoive en fait, après application des dispositions anti-cumul nationales, moins que ce qu'il recevrait s'il n'avait jamais travaillé ailleurs que dans cet État. Cela entraînerait en effet une discrimination au détriment
du travailleur migrant qui est interdite par les articles 7 et 48, paragraphe 2, du traité CEE, dispositions qui sont directement applicables.» Le travailleur migrant est en effet moins bien traité en ce cas que le ressortissant national qui a travaillé exclusivement dans son propre pays, et cela en raison de circonstances directement liées à sa nationalité. Nous croyons que la mise en pratique de cette considération suffirait déjà à elle seule à donner une solution convaincante et définitive aux
problèmes posés en l'espèce.

Nous souscrivons toutefois aussi au deuxième principe fondamental que la Commission déduit de votre jurisprudence aux pages 23 à 25 de son mémoire. Ce deuxième principe fondamental veut que les dispositions d'exécution de l'article 51 ne peuvent pas priver un travailleur migrant d'un droit qu'il eût acquis par simple application d'une législation nationale — en l'espèce donc sans qu'il ait perçu une indemnité d'une autre nature d'un autre État membre par application du règlement no 1408/71. Outre la
jurisprudence invoquée par la Commission, soit le sixième attendu de votre arrêt dans l'affaire Gravina (affaire 807/79, Recueil 1980, p. 2218), nous ferons encore référence ici à la troisième phrase du huitième attendu de votre arrêt dans l'affaire Brouwer/Kaune, où vous attribuez explicitement au besoin de protection des droits que l'intéressé puise dans la seule législation nationale une importance aussi grande que celle qui revient au maintien des avantages découlant le cas échéant du droit
communautaire.

Enfin, nous souscrivons également au troisième principe que la Commission formule à la page 25 de son mémoire, à savoir que les imperfections inhérentes à un régime de coordination de législations non harmonisées ne peuvent pas jouer au détriment des travailleurs migrants. Les deux premiers principes d'interprétation que la Commission a déduits du traité et de votre jurisprudence antérieure ainsi que l'interdiction de discrimination figurant aux article 7 et 48, paragraphe 2, du traité de la CEE et
que nous avons développée, constituent toutefois à notre estime des bases plus solides pour formuler une réponse aux questions posées.

4.3 Réponses aux questions posées

Sur la base des considérations qui précèdent, nous vous proposerons en définitive de répondre comme suit aux questions qui vous ont été posées:

1. Les règlements nos 1408/71 et 574/72 doivent être interprétés en ce sens qu'aussi longtemps qu'un travailleur perçoit des prestations (en l'espèce des allocations de chômage) sur la seule base d'un régime légal national, les dispositions du règlement no 1408/71, considérées isolément, ne font pas obstacle à l'application pleine et entière de la réglementation légale nationale, y compris les dispositions anti-cumul contenues dans cette réglementation.

2. Il est toutefois contraire aux objectifs de l'article 51 et aux article 7 et 48, paragraphe 2, du traité de la CEE, lesquels sont directement applicables et auxquels l'article 51 fait implicitement référence, dispositions dont il importe notamment de tenir compte dans l'application du règlement no 1408/71, qu'une règle anti-cumul nationale, tolérée en principe par l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, soit appliquée par l'État membre en cause de manière telle qu'un travailleur
migrant soit placé dans une situation moins favorable que celle qui serait la sienne s'il avait travaillé exclusivement dans cet État membre.

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( 1 ) Traduit du néerlandais.

( 2 ) «Si considera invalido l'assicuralo la cui capacità di guadagno, in occupazioni confacenti alle sue attitudini, sia ridotta in modo permanente, a causa di infermità o difetto fisico o mentale, a meno di un terzo. La pensione di invalidità ė soppressa quando la capacità di guadagno del pensionato cessi di essere inferiore ai limiti indicati al 1o comma. Resta ferma la disposizione del terzo comma dell'art. 61 del R.D.L. 4 ottobre 1935, n. 1827.»


Synthèse
Numéro d'arrêt : 79/81
Date de la décision : 10/02/1982
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Mons - Belgique.

Demande de décision préjudicielle - Cumul d'une allocation de chômage avec une pension d'invalidité.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Margherita Baccini
Défendeurs : Office national de l'emploi (ONEM).

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Grévisse

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:50

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