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22/10/1981 | CJUE | N°280/80

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 22 octobre 1981., Anne-Lise Bakke-d'Aloya contre Conseil des Communautés européennes., 22/10/1981, 280/80


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN

PRÉSENTÉES LE22 OCTOBRE 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

Le recours formé par Mme Bakke soulève le problème, assez exceptionnel, des critères que le Conseil peut ou doit appliquer au moment de la décision relative à la promotion d'une dactylographe (carrière C 5 — C 4) de nationalité norvégienne dans la carrière de secrétaire sténodactylographe (carrière C 3 — C 2). Encore que ce cas d'espèce soit relativement exceptionnel

en tant que tel, il apparaîtra cependant qu'il revêt aussi des aspects non dépourvus d'intérêt au regard de...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN

PRÉSENTÉES LE22 OCTOBRE 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

Le recours formé par Mme Bakke soulève le problème, assez exceptionnel, des critères que le Conseil peut ou doit appliquer au moment de la décision relative à la promotion d'une dactylographe (carrière C 5 — C 4) de nationalité norvégienne dans la carrière de secrétaire sténodactylographe (carrière C 3 — C 2). Encore que ce cas d'espèce soit relativement exceptionnel en tant que tel, il apparaîtra cependant qu'il revêt aussi des aspects non dépourvus d'intérêt au regard de la politique de promotion
à suivre dans un certain nombre d'autres cas. Le litige dont il s'agit en l'espèce est plus précisément centré sur la question de savoir dans quelle langue et suivant quels critères de vitesse il convient d'apprécier l'aptitude de la requérante à la sténographie.

2. Faits principaux

Les faits et arguments que les parties ont invoqués au cours de la procédure écrite sont reproduits de manière complète et excellente dans le rapport d'audience. Nous pouvons donc nous y référer pour l'essentiel. Nous estimons néanmoins qu'il et utile de rappeler quelques faits importants, en vue d'une bonne compréhension de notre analyse juridique. En outre, quelques faits ont encore été révélés durant les débats oraux à l'occasion de questions posées par le juge rapporteur et par nous-même, qui
méritent d'être mentionnés.

Mme Bakke a été recrutée en qualité d'agent auxiliaire en 1972, alors que les négociations étaient en cours en vue de l'adhésion entre autres de la Norvège, et affectée à la section norvégienne de la centrale dactylographique du Conseil. Lorsque ce pays décida finalement de ne pas adhérer, elle fut nommée agent temporaire à la section anglaise de la centrale dactylographique. Nommée fonctionnaire stagiaire à partir du 1er août 1973 sur la base d'un concours général organisé en vue du recrutement de
dactylographes de langue anglaise, elle a été titularisée le 1er février 1974. Toutes les nominations furent faites au grade C 4.

Pour que la requérante pût être recrutée en qualité de fonctionnaire, il fallait une dérogation à l'article 28, lettre a), du statut. Cette dérogation lui fut accordée par le Conseil.

L'aptitude à être promue secrétaire sténodactylographe peut, ainsi qu'il ressort de la communication au personnel n° 184/79 du 26 septembre 1979, être démontrée en ce qui concerne la connaissance de la sténographie, par la présentation d'un test de sténographie dans une langue au choix du candidat ou par le présentation d'un diplôme ou certificat. Dans les deux cas, le candidat doit démontrer qu'il peut atteindre une vitesse de 150 syllabes par minute pendant trois minutes. La requérante a présenté
un certificat attestant sa connaissances de la sténographie dans la langue norvégienne. De ce certificat, il ressortait également que l'intéressée était capable de prendre en sténographie un texte dicté en langue anglaise à une vitesse de 60 mots par minute (pendant une durée de six minutes au moins, selon les précisions qui ont été données à l'audience).

Une des principales questions qui se posent dans la présente procédure est celle de savoir si la connaissance prouvée de la sténographie dans la langue norvégienne suffit ou non pour remplir les conditions de promotion en matière de connaissance de la sténographie. Il convient toutefois de rechercher préalablement si le Conseil peut poser, au niveau de la connaissance de la sténographie, des conditions qui ne souffrent aucune exception. Et avant d'approfondir cette question ainsi que d'autres
questions pertinentes en l'espèce, nous indiquerons encore quelques précisions qui ont été fournies sur les faits pendant les débats oraux.

Pour commencer, il apparaît que des divergences de vue subsistent sur le point de savoir si le certificat norvégien se trouvait ou non dans le dossier de l'intéressée au cours des sessions de 1978 et 1979 du comité consultatif de promotion. En second lieu, le Conseil a contesté dans la duplique, mais principalement aussi pendant les débats oraux, que la requérante avait prouvé par le certificat qu'elle remplissait, en langue anglaise, les conditions de vitesse (en sténographie) au niveau d'une
deuxième langue. Pour cela, il faudrait la prise de 66 mots par minute pendant au moins trois minutes. La vitesse de 60 mots par minute qui pourrait être tenue pendant plus de six minutes, ainsi qu'il apparaît du certificat norvégien, ne serait donc pas suffisante pour répondre aux normes fixées pour une deuxième langue.

Nous considérons cependant que trois autres précisions qui nous ont été fournies au cours des débats oraux au sujet de la pratique suivie au secrétariat du Conseil sont plus importantes pour apprécier le présent litige.

En premier lieu, les parties sont constantes sur le fait que ce n'est qu'exceptionnellement que des candidats ayant une langue maternelle autre que l'anglais participent à un concours général organisé pour des dactylographes de cette langue. Le début de la carrière de la requérante constituait donc sous cet angle une exception au modèle général adopté pour le recrutement. Ce début de carrière constituait la confirmation de sa connaissance approfondie d'une des langues des Communautés au moment de
son recrutement, allant de pair avec une connaissance suffisante d'une deuxième langue communautaire, ce qui a du reste été reconnu, ainsi qu'il ressort du dossier. Cette constatation est importante dans la perspective de la disposition de l'article 28, f), du statut.

En second lieu, il a également été admis par le Conseil au cours des débats oraux qu'une partie considérable du travail de sténographie est accomplie dans une langue autre que la langue maternelle et, notamment, que les langues française et anglaise prédominent dans les directions générales pour ce travail. Cette constatation est importante si on la considère en combinaison avec la vitesse moins grande qui est exigée dans la communication n° 114/79 du 29 mai 1979 pour une langue autre que la langue
maternelle.

En troisième lieu, les deux parties au litige ont confirmé que les fonctionnaires qui effectuent habituellement des travaux de sténographie dans les langues française ou anglaise sont néanmoins appréciés d'une façon générale, aux fins de la promotion, sur labase de la vitesse d'exécution de ce travail dans leur langue maternelle.

Nous reviendrons encore (en tant que de besoin) dans notre analyse du fond de l'affaire sur d'autres faits pouvant revêtir de l'importance pour votre appréciation.

3. Le fondement de la requête

Après que le nom de la requérante n'eut pas été inscrit sur la liste des promouvables par le comité consultatif de promotion, celle-ci a adressé une demande de révision à l'autorité investie du pouvoir de nomination par une note du 15 février 1980. Le Conseil ayant répondu par la négative à cette note, laquelle avait été considérée par lui comme une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut, la requérante introduisit, le 29 mai 1980, une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe
2, du statut, laquelle fut enregistrée le 12 juin 1980. Aucune réponse n'a été donnée à cette réclamation. Le recours du 30 décembre 1980, formé ensuite par la requérante auprès de la Cour, doit être jugé recevable sur la base des articles 90 et 91 du statut. Le Conseil ne conteste d'ailleurs pas cette recevabilité.

4. Objet, résumé et liens existant entre les moyens invoqués

Le recours a pour objet:

a) la mise à néant de la note du Conseil du 27 mars 1980, portant rejet de la demande de la requérante du 15 février 1980 ainsi que de la décision implicite de rejet par le Conseil de sa réclamation du 29 mars 1980;

b) la condamnation du Conseil à rouvrir les procédures de promotion de 1978 ou, à tout le moins, de 1979 vers le grade C 3 en ce qui concerne la requérante;

c) la condamnation du Conseil aux frais de l'instance.

Pour un aperçu complet des trois moyens invoqués par la requérante, nous renvoyons de nouveau à l'excellent rapport d'audience. Pour une bonne compréhension de la suite de notre analyse, nous estimons qu'un bref résumé des moyens suffira ici aussi. Le fondement général du recours est vu dans la violation du statut des fonctionnaires, en particulier des articles 5, paragraphe 3, et 45, paragraphe 1, dans l'excès de pouvoir et dans la violation des principes généraux du droit indiqués dans la requête.
Les moyens invoqués sont les suivants.

La requérante conteste par son premier moyen a) que le Conseil ne devrait pas tenir compte de sa connaissance de la sténographie dans la langue norvégienne et b) qu'il l'apprécie suivant la connaissance de sa seconde langue, l'anglais, et cela selon les normes posées pour la première langue (langue maternelle). En fait, ce premier moyen se décompose donc en deux branches que nous avons indiquées par a) et b).

Le deuxième moyen, invoqué à titre subsidiaire, constitue en fait un développement de la branche a) du premier moyen. La requérante conteste par ce deuxième moyen que le Conseil devrait ne pas tenir compte de la connaissance de la sténographie dans la langue maternelle, lorsque cette langue maternelle n'est pas une langue officielle ou une langue de travail des institutions communautaires. Ce deuxième moyen peut le plus opportunément être examiné en liaison directe avec la branche a) du premier
moyen.

Le troisième moyen, pris plus subsidiairement, conteste la circonstance que le Conseil n'apprécie pas la connaissance de la sténographie de la requérante dans la langue anglaise suivant les normes posées pour une deuxième langue, mais qu'il l'évalue suivant celles posées pour la première langue (langue maternelle). En fait, ce moyen constitue donc un développement de la branche b) du premier moyen. Il peut dès lors opportunément être examiné en liaison avec celle-ci.

Pour plus de clarté, nous ajouterons encore à ce résumé des moyens que dans le résumé du premier et du troisième moyen, nous avons ajouté entre parenthèses «ou langue maternelle» après les mots «première langue». Cette assimilation répond tout d'abord à la finalité desdits moyens. D'autre part, elle est manifestement opérée aussi dans la communication au personnel n° 114/79 du Conseil du 29 mai 1979.

5. Discussion juridique des moyens invoqués

Dans notre analyse au fond, nous nous arrêterons tout d'abord brièvement, par souci de logique, à un élément de l'argumentation de la requérante se rapportant au deuxième moyen. La requérante doute qu'il soit admissible que le Conseil pose des conditions en ce qui concerne la connaissance de la sténographie pour la promotion aux fonctions de secrétaire sténodactylographe. En pratique, le travail de sténographie serait négligeable dans les sections danoise et néerlandaise. Dans les sections allemande
et italienne aussi, ce travail ne revêtirait qu'une importance relative. En ce qui concerne cette question préalable, nous ne voudrions pas — du moins dans la présente procédure — contester la compétence du Conseil pour exiger la connaissance de la sténographie aux fins de la promotion aux fonctions de secrétaire sténodactylographe, sur la base de considérations empruntées à l'intérêt du service. Point n'est nécessaire que nous recherchions ici si cette condition — au regard du principe de
proportionnalité, par exemple — est également raisonnable comme «conditio sine qua non» de la promotion dans les cas où il est établi que la fonction en cause n'implique jamais de travaux de sténographie. Il n'est pas contesté en effet que tel n'est pas le cas en l'espèce. De fait, il est établi qu'il est effectivement demandé à la requérante d'effectuer aussi des travaux de sténographie dans les langues anglaise et française à côté de ses activités de secrétaire, de nature différente et dont on
peut présumer qu'elles sont plus importantes.

Pour le reste, nous aimerions examiner, en les combinant, les trois moyens invoqués par l'appelante. Son deuxième moyen constitue en effet, ainsi que nous l'avons déjà relevé, un développement de la première branche du premier moyen, et le troisième moyen forme un développement de la deuxième branche du même premier moyen. Ainsi qu'il a été dit, la requérante conteste en premier lieu l'idée que le Conseil ne devrait pas tenir compte de sa connaissance de la langue norvégienne. Subsidiairement, elle
conteste, dans ce contexte, le fait que le Conseil ne devrait pas tenir compte de la connaissance de la sténographie dans la langue maternelle, lorsque cette langue n'est pas une langue officielle ou une langue de travail des institutions communautaires. Dans son troisième moyen, présenté à titre subsidiaire par rapport aux deux premiers moyens, la requérante conteste le fait que le Conseil devrait, dans son cas, apprécier sa connaissance de la sténographie dans la langue anglaise suivant les normes
posées pour une première langue, et non pas suivant les normes posées pour une deuxième langue. Encore que ce moyen coïncide en fait avec la deuxième branche du premier moyen (indiquée sous b) dans notre résumé), nous examinerons seulement cet élément ensemble avec le troisième moyen.

Avant de procéder à l'examen des trois moyens invoqués, nous aimerions relever, à titre préalable, que l'appréciation du principe d'égalité des conditions de promotion pour l'ensemble du personnel appartenant à la même catégorie ou cadre, d'une part, et celle des intérêts du service, de l'autre, soulèvent des difficultés particulières dans un cas comme celui de l'espèce. La question se pose notamment ici de savoir qui doit être comparé à qui ou quelles qualités doivent être comparées à quelles
qualités pour que les conditions de promotion puissent être identiques. La notion d'«intérêt du service» devra évidemment être interprétée ici à la lumière de l'article 45 du statut, disposition visant spécifiquement les promotions.

L'importance fondamentale du principe d'égalité pour le déroulement de la carrière des fonctionnaires a été relevée par la Cour entre autres dans les arrêts 15/63, 97/63, 55-76/71, 86, 87 et 95/71. Ainsi a-telle déjà déclaré dans l'affaire 97/63 que l'institution intéressée, «pour étendu que soit son pouvoir d'appréciation, doit procéder, conformément à l'article 45, paragraphe 1, alinéa 1, du statut, à l'examen comparatif des mérites de chaque candidat sur une base egalitaire et au vu de sources
d'information et de renseignement comparables». Il se déduit des attendus suivants de cet arrêt que l'administration doit fonder en particulier son appréciation sur «les dossiers personnels des candidats, dans lesquels doivent figurer notamment les avis des supérieurs hiérarchiques». Cette dernière exigence revêt également une importance particulière dans la présente affaire. En effet, l'avis des supérieurs hiérarchiques de l'intéressée est extrêmement positif, ainsi qu'il ressort du dossier,
précisément aussi pour ce qui est de ses travaux de sténographie dans les langues anglaise et française.

L'objection la plus importante soulevée par le Conseil contre la possibilité de tenir compte des connaissances de sténographie de la requérante dans la langue norvégienne est de nature purement formelle. De l'avis du Conseil, un tel critère d'appréciation serait contraire à l'article 28 du statut, lequel limite au recrutement la possibilité de déroger à la condition d'appartenance à un des États membres. En revanche, aucune dérogation ne pourrait être consentie à la condition, visée à l'article 28
f), selon laquelle l'intéressée doit justifier posséder une connaissance approfondie d'une des langues des Communautés et une connaissance satisfaisante d'une autre langue des Communautés.

Nous estimons que ce raisonnement qui est donc emprunté presqu'à la lettre à la plaidoirie de l'agent du Conseil est pertinent en soi. En revanche, nous aimerions dire clairement que nous ne le jugeons pas pertinent pour la solution du litige qui nous occupe ici. L'article 28 se rapporte en effet exclusivement, ainsi qu'il ressort en toute clarté de son libellé, à des conditions qui doivent être remplies pour que le recrutement soit possible. Il n'est pas contesté en l'espèce que la requérante
remplissait toutes ces conditions au moment de son recrutement en faisant la preuve de la connaissance approfondie de la langue anglaise et d'une connaissance satisfaisante de la langue française. En ce qui concerne les conditions auxquelles peut être subordonnée la promotion, la disposition déterminante est celle de l'article 45 du statut et non pas celle de l'article 28.

Nous en revenons ainsi à la question générale de l'appréciation de l'intérêt du service, d'une part, et de la nécessité de conditions de déroulement de carrière identiques pour des fonctionnaires comparables sous ce rapport, d'autre part.

En ce qui concerne l'intérêt du service, une concrétisation pour les cas du genre de celui de l'espèce a eu lieu sous la forme de la communication au personnel n° 184/79 F du 26 septembre 1979. La version française de cette communication est jointe à ia requête en annexe 9. En ce qui concerne cette communication, nous aimerions observer pour commencer que son texte n'exclut nullement que la vitesse de prise en sténo qui y est exigée soit prouvée au niveau de la langue norvégienne. Ainsi qu'il a déjà
été observé, la communication antérieure du Conseil, n° 114/79, parle même explicitement, sous ce rapport, de la connaissance de la sténographie dans la langue maternelle. En outre, nous avons déjà observé que l'exclusion de la connaissance de la sténographie dans la langue norvégienne, en tant que critère pertinent pour la promotion, ne saurait non plus se déduire implicitement de l'article 28 du statut. Nous ajouterons maintenant que rien dans la disposition de l'article 46 du statut ne permet
d'affiner la condition relative à la connaissance de la sténographie en exigeant que la preuve de celle-ci ait été faite au niveau d'une langue communautaire.

Pour l'appréciation du litige, il faut donc examiner en particulier si, peut-être, d'autres considérations empruntées à l'intérêt du service peuvent exclure la preuve de la connaissance de la sténographie dans la langue norvégienne, sans qu'il soit ainsi porté préjudice au principe d'égalité des conditions de promotion de tous les fonctionnaires comparables dans un cas concret qui ont, dans leur grade, l'ancienneté de service minimum exigée.

L'article 45 édicté qu'à cet effet, les mérites des fonctionnaires susceptibles d'être promus ainsi que les rapports de notation de ceux-ci doivent faire l'objet d'un examen comparatif. Il est incontesté que les rapports de notation de Mme Bakke ne sont pas un obstacle sous cet angle. Cette dernière est manifestement une très bonne secrétaire («une secrétaire particulièrement douée dont les connaissances et les aptitudes sont remarquables»). Sa connaissance approfondie de la langue anglaise et de la
langue française y compris son aptitude à effectuer également des travaux de sténographie et d'autres travaux écrits dans ces langues sont également confirmées par le rapport de notation figurant au dossier de l'affaire. Même si l'article 28, lettre f), était également applicable à la promotion, il ne serait donc pas nécessaire d'accorder une dérogation à cette condition. Qui plus est, il apparaît que la requérante peut encore travailler aussi dans les langues danoise, allemande et italienne. Elle
paraît donc, en tant que secrétaire sténodactylographe, disposer, selon le rapport de notation déposé, de très bonnes qualités et même, en ce qui concerne ses capacités d'expression orale et écrite, de qualités exceptionnelles («outstanding»). Cette appréciation positive n'est d'ailleurs pas contestée par le Conseil.

Tout le problème se ramène donc à l'interprétation de la notion de «mérites» visés à l'article 45. Une étude exhaustive de la jurisprudence relative à cette notion ne nous a pas permis de découvrir d'arrêts de la Cour pertinents sur cette notion. Il peut déjà se déduire des observations que nous venons de faire que nous ne voulons pas contester la compétence du Conseil pour concrétiser davantage cette notion dans l'intérêt du service de cette institution. L'exercice de cette compétence devra
toutefois, selon nous, satisfaire à la condition que le Conseil, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, que nous admettons, pouvait raisonnablement parvenir en la matière à la conclusion que les critères à appliquer pour comparer les mérites s'inspirent de l'intérêt du service. Il devra en ce cas exister plus précisément une relation fonctionnelle entre les conditions posées et les activités à accomplir.

Comme nous n'avons pas besoin de cette question pour notre propre argumentation, nous mentionnons seulement pour mémoire la question, qui n'a pas été expressément examinée dans la procédure, de savoir si l'article 45 permet effectivement d'accorder une portée pleinement décisive, comme le Conseil l'a fait ici, à d'autres intérêts du service que les qualités mentionnées dans les rapports de notation et qui, en l'espèce, ont fait l'objet d'une appréciation positive. C'est précisément dans le cadre
d'une telle question que le principe de proportionnalité mentionné par la requérante pourrait revêtir de l'importance.

Ainsi qu'il a été relevé précédemment, le Conseil a concédé lui-même à l'audience que les travaux de sténographie se font en général pour une part importante, et même à titre principal en dehors de la centrale dactylographique, dans les langues française et anglaise. Pour apprécier l'intérêt du service et le principe d'égalité des conditions d'avancement, il faudra donc aussi tenir compte de la circonstance que ce travail de sténographie dans les langues française et anglaise est fréquemment
effectué par des sténodactylographes dont la langue maternelle n'est ni le français, ni l'anglais. On peut ici songer à des sténodactylographes danoises, allemandes, italiennes, néerlandaises et, désormais aussi, grecques.

Partant du principe que les conditions posées doivent présenter un lien fonctionnel raisonnable avec les travaux à effectuer, il nous semble maintenant que le Conseil ne peut raisonnablement ajouter aux conditions de vitesse pour la langue maternelle, mentionnées dans la communication 114/79, la condition que cette langue maternelle doit être une langue communautaire. En effet, ce n'est pas seulement pour la requérante, mais aussi pour d'autres fonctionnaires dont la langue maternelle est une langue
autre que l'anglais ou le français, que la langue maternelle ne présente pas de lien fonctionnel direct avec les travaux à effectuer dans la plupart des cas. Il s'agit donc d'une sorte de critère académique dont il n'est qu'indirectement possible de déduire la probabilité d'une vitesse satisfaisante dans une deuxième langue qui est effectivement fonctionnelle. Si la vitesse, prouvée, de prise en sténographie revêt un tel caractère académique, nous ne voyons pas de raison acceptable de ne pas prendre
en considération la vitesse prouvée de prise en sténographie dans la langue norvégienne. C'est précisément parce qu'une telle condition revêt un caractère académique ou théorique et que, dans la plupart des cas, elle n'est pas directement d'importance pour le travail que le principe d'égalité des conditions impose que les ressortissants de pays tiers qui ont passé le seuil du recrutement soient traités sur un pied d'égalité avec les ressortissants d'États membres dont la langue maternelle n'est ni
le français ni l'anglais. Tel est certainement le cas dans une espèce comme celle dont il s'agit ici, où l'intéressée est affectée non à la centrale dactylographique, mais à une des directions générales. Ainsi qu'il a été relevé précédemment, le français et l'anglais y jouent également un rôle prédominant, suivant les dires du Conseil lui-même.

Pour tous les fonctionnaires travaillant en pratique dans une autre langue que leur langue maternelle, il peut d'ailleurs être fonctionnel d'apprécier leur travail, à tout le moins à titre subsidiaire, sur la base de cette langue différente de leur langue maternelle. Pour autant que nous sachions, telle est d'ailleurs la pratique normale dans le cadre de la politique de promotion des fonctionnaires des catégories A et B. Dans ces cas, il n'est pas attribué une importance déterminante à une
connaissance aussi parfaite de cette deuxième langue que celle que possèdent les fonctionnaires dont cette deuxième langue est la langue maternelle. Nous ne voyons pas pourquoi cette politique ne pourrait pas non plus être appliquée, pour des raisons empruntées à l'intérêt du service, en vue de la promotion dans la carrière de sténodactylographe.

Nous aimerions encore aller plus loin et dire formellement que le Conseil ne peut pas refuser logiquement de baser à titre subsidiaire son jugement sur la connaissance de la sténographie en tant que secrétaire sténodactylographe sur l'aptitude à exercer cette activité dans la langue de travail effective, si celle-ci est une autre langue que la langue maternelle de l'intéressée.

Une connaissance satisfaisante de cette deuxième langue peut évidemment être exigée en ce cas. La communication 114/79 du Conseil contient des critères à cet effet que la requérante invoque d'ailleurs à titre subsidiaire dans la seconde branche de son deuxième moyen ainsi que, plus explicitement, dans son troisième moyen.

C'est en effet un fait d'expérience que la connaissance de la sténographie qui n'est pas entretenue par la pratique régresse. Dans certaines circonstances, des sténographes danoises, allemandes, grecques, italiennes et néerlandaises pourront dès lors tirer également grand profit d'un tel critère d'appréciation subsidiaire de la connaissance de la sténographie, tel qu'il est prévu per la communication 114/79 et n'a pas été contredit par le Conseil au cours de la procédure. Il semble en ce cas qu'il
soit contraire au principe d'égalité de refuser l'application de ce critère subsidiaire prévu par la communication 114/79 en faveur d'un fonctionnaire ayant une langue maternelle autre qu'une langue communautaire. Aussi bien le texte de la communication 114/79 que des considérations de caractère général liées aux finalités des articles 5 et 45 du statut impliquent en effet que, pour l'application de ce principe d'égalité de traitement, tous les cas doivent être appréciés de manière identique pour
lesquels l'appréciation a lieu dans une langue autre que la langue maternelle.

Après ces considérations de caractère plus général, revenons-en au cas d'espèce.

Il peut se déduire de ce qui a été souligné précédemment que nous estimons fondés tant le premier moyen de la requérante que son deuxième moyen, invoqué à titre subsidiaire. Le refus du Conseil de tenir compte d'un certificat relatif à la connaissance de la sténographie dans la langue norvégienne ne trouve en effet aucun appui dans l'article 28 du statut, sur lequel le Conseil s'est fondé à titre principal. En raison déjà du poids que ce dernier attribue manifestement à cet argument, la demande de
la requérante mériterait d'être accueillie. Le refus de tenir compte de la connaissance de la sténographie dans la langue norvégienne ne saurait non plus se fonder sur aucune autre disposition du statut ni sur la jurisprudence de la Cour. Ce refus est, en outre, en contradiction avec le fait que le Conseil tient effectivement compte de la connaissance de la sténographie dans des langues communautaires qui ne sont pas davantage utilisées dans la pratique journalière. Cette différence de traitement,
fondée sur des considérations empruntées à la nationalité, nous paraît en contradiction avec le principe d'égalité des conditions de promotion, après que la requérante a obtenu une dérogation à la condition posée à l'article 28 a) relativement à la nationalité d'un des États membres aux fins de sa titularisation, et cela depuis de nombreuses années déjà, alors qu'il a été jugé à l'époque qu'elle remplissait les conditions prévues à l'article 28 f). Il n'a été fait état d'aucun motif convaincant
emprunté à l'intérêt du service ou fondé sur des principes généraux du droit pouvant justifier, dans le cas d'espèce, une telle infraction aux principes de l'égalité des conditions de promotion.

Le troisième moyen invoqué subsidiairement par la requérante parait également fondé, et cela sur la base de l'analyse qui précède. Le refus du Conseil d'apprécier subsidiairement la requérante sur la base des normes appliquées pour une deuxième langue paraît également contraire aux principes d'égalité des conditions. Certainement, lorsque cette deuxième langue est une langue usuelle, le principe d'égalité exige qu'en cas d'application de cette norme subsidiaire, tous les fonctionnaires qui n'ont pas
cette langue de travail comme langue maternelle soient appréciés suivant les normes de cette deuxième langue. Il paraît en outre contraire au libellé de la communication 114/79 de mettre la requérante sur le même pied que les fonctionnaires qui ont l'anglais comme langue maternelle aux fins de l'application du principe d'égalité dans le cadre de ce critère subsidiaire. Il est ajouté en effet en ce cas pour l'intéressée une condition supplémentaire à cette communication, qui est incompatible avec le
principe d'égalité.

On ne saurait évidemment déduire de ce que nous avons dit jusqu'à présent que la Cour devrait ou pourrait seulement imposer au Conseil une solution déterminée pour des problèmes du genre de celui de l'espèce. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose le Conseil pour définir sa politique du personnel doit également être respecté sous ce rapport.

Nous rappellerons à cet égard une remarque de même nature figurant dans les conclusions de l'avocat général M. Mayras dans l'affaire 24/79 (Oberthur, Recueil 1980, p. 1761). Ce qui importe, c'est bien plutôt que les arguments invoqués par le Conseil pour sa défense se révèlent insoutenables si on les analyse attentivement, alors que les principaux arguments de la requérante apparaissent pertinents.

La question de savoir si le certificat norvégien se trouvait ou non dans les dossiers nous paraît être en définitive d'une importance très secondaire aux fins de votre décision. Pour la session de 1978, elle me paraît sans intérêt, parce que le critère en question, relatif aux titres, n'a été introduit qu'en 1979. Pour la session de 1979, elle me paraît d'intérêt secondaire, parce que les conclusions de la requérante doivent déjà être accueillies en ce cas sur la base d'autres motifs. D'un intérêt
tout aussi secondaire nous paraît être la question de la vitesse de frappe dans la langue anglaise dont la requérante a en définitive donné la preuve. Vous n'êtes pas invités à vous prononcer sur ce point litigieux qui est une question de fait, et il peut être supposé que le Conseil, après annulation de ses décisions antérieures, trouvera une solution raisonnable à ce problème de fait, étant entendu que si des doutes subsistaient, l'appréciation favorable sur les connaissances linguistiques figurant
dans le rapport de notation pourrait également intervenir.

6. Conclusion

Nous conclurons dès lors comme suit:

1. Le recours est recevable et bien fondé.

2. La note du Conseil du 27 mars 1980, portant rejet de la demande de la requérante du 15 février 1980, et la décision implicite de rejet par le Conseil de la réclamation de la requérante, du 29 mai 1980, enregistrée le 12 juin 1980 à l'administration du secrétariat général du Conseil doivent dès lors être déclarés nuls.

3. Le Conseil doit être condamné à rouvrir la procédure de promotion vers le grade C 3 — fonctions de secrétaire sténodactylographe — pour la session de 1979.

4. Le Conseil doit être condamné aux frais de la procédure, y compris ceux engagés par la requérante dans le cadre du présent recours.

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( 1 ) Traduit du néerlandais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 280/80
Date de la décision : 22/10/1981
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaire - Sténographie en langue norvégienne.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Anne-Lise Bakke-d'Aloya
Défendeurs : Conseil des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1981:241

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