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08/10/1981 | CJUE | N°212

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 8 octobre 1981., Amministrazione delle finanze dello Stato contre Srl Meridionale Industria Salumi et autres ; Ditta Italo Orlandi & Figlio et Ditta Vincenzo Divella contre Amministrazione delle finanze dello Stato., 08/10/1981, 212


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 8 OCTOBRE 1981

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I —

Par vos arrêts rendus dans l'affaire Frecassetti/Amministrazione delle finanze dello Stato (15 juin 1976, Recueil p. 983) et dans les affaires jointes Amministrazione delle finanze/Salumi, Vassanelli et Ultrocchi (27 mars 1980, Recueil p. 1238), vous avez dit pour droit que les prélèvements à l'importation des produits agricoles doivent être calculés sur la base du taux applicable au jour où la déclarati

on d'importation de la marchandise est acceptée par la douane.

Dans les présentes affaire...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 8 OCTOBRE 1981

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I —

Par vos arrêts rendus dans l'affaire Frecassetti/Amministrazione delle finanze dello Stato (15 juin 1976, Recueil p. 983) et dans les affaires jointes Amministrazione delle finanze/Salumi, Vassanelli et Ultrocchi (27 mars 1980, Recueil p. 1238), vous avez dit pour droit que les prélèvements à l'importation des produits agricoles doivent être calculés sur la base du taux applicable au jour où la déclaration d'importation de la marchandise est acceptée par la douane.

Dans les présentes affaires, la Cour de cassation vous demande à titre préjudiciel si le recouvrement a posteriori qu'imposent en principe ces arrêts doit tenir compte de l'entrée en vigueur, le 1er juillet 1980, du règlement du Conseil no 1697/79.

Les faits sont les suivants :

Le 11 septembre 1976, le Journal officiel des Communautés européennes a publié le dispositif de votre arrêt Frecassetti. Le 22 septembre 1978, l'État italien a pris un décret prescrivant l'application du taux de prélèvement en vigueur au jour de l'acceptation de la déclaration d'importation. Or, l'administration italienne des finances, qui avait perçu ces prélèvements sur la base d'un taux différent, plus favorable à l'importateur, avait déjà émis des avis de redressement enjoignant de payer des
montants supplémentaires au titre de prélèvements sur des importations de produits agricoles (céréales et viandes) en provenance de pays tiers, remontant, dans certains cas, à 1966. Ces avis étaient destinés aux trois défendeurs au principal dans les affaires jointes Amministrazione delle finanze/Salumi, Vassanelli et Ultrocchi, ainsi qu'à deux autres firmes — Orlandi et Divella — requérantes au principal dans deux des présentes affaires (nos 215 et 217/80).

Dans le cadre des litiges opposant les firmes Orlandi et Divella à l'administration italienne (qui avait eu gain de cause en appel) et dans les litiges qui continuent d'opposer, après votre arrêt du 27 mars 1980, cette administration aux trois sociétés Salumi, Vassanelli et Ultrocchi (auxquelles les juridictions d'appel avaient donné raison), la Cour de cassation italienne vous demande à présent, par cinq ordonnances toutes datées du 2 juillet 1980, si le recouvrement a posteriori qu'imposent en
principe vos arrêts Frecassetti et Salumi doit tenir compte de l'entrée en vigueur, le 1er juillet 1980, du règlement du Conseil no 1697/79, soit postérieurement à votre arrêt et la veille du jour auquel elle a décidé de vous interroger à nouveau.

Il s'agit donc essentiellement du problème de l'incidence de la combinaison de l'effet dans le temps d'un arrêt préjudiciel de la Cour et d'un règlement du Conseil sur la situation sous-jacente à celle qui a donné lieu à votre arrêt du 27 mars 1980.

Dans votre arrêt du 27 mars 1980 (Recueil p. 1263, attendu no 18), vous avez déclaré qu'en l'absence de réglementation communautaire spécifique, il fallait, dans l'ordre interne de chaque État membre, appliquer à la perception et à la récupération a posteriori des prélèvements agricoles les modalités et conditions applicables aux taxes nationales du même type, de façon que les premiers soient perçus aussi efficacement que les secondes.

Le Conseil n'avait cependant pas attendu la date de son prononcé pour s'engager dans la voie que vous avez tracée dans l'attendu no 15 de votre arrêt. Il avait arrêté, le 2 juillet 1979, le règlement no 1430/79 relatif au remboursement ou à la remise des droits à l'importation et, le 24 juillet 1979, le règlement no 1697/79 concernant le recouvrement a posteriori des droits à l'importation ou des droits à l'exportation qui n'ont pas été exigés du redevable pour des marchandises déclarées pour un
régime douanier comportant l'obligation de payer de tels droits.

Il nous paraît incontestable que, au sens de l'attendu no 18 de votre arrêt du 27 mars 1980, le règlement no 1697/79 détermine les modalités et conditions de perception, en particulier des prélèvements agricoles. Selon votre attendu no 16, «cette réglementation ne résout toutefois que pour partie les problèmes relatifs à l'égalité des justiciables dans ce domaine, et le caractère nécessairement technique et détaillé de ce type de règlement ne permet de remédier que partiellement à son absence par
voie d'interprétation jurisprudentielle».

Quoique «d'une précision relativement suffisante», l'article 5, paragraphe 2, de ce règlement laisse par ailleurs à un règlement d'exécution le soin de déterminer les cas dans lesquels l'autorité douanière a la faculté de ne pas procéder au recouvrement a posteriori du montant des droits. De telles dispositions d'application ont été arrêtées par le règlement no 1573/80 de la Commission du 20 juin 1980, qui n'est entré en vigueur que le 1er juillet 1980.

Il n'est donc pas tout à fait exact d'affirmer, comme le fait la Commission, que, sous réserve des actes passibles de poursuites judiciaires répressives (article 3), il s'agit d'un «règlement d'harmonisation totale qui règle l'ensemble de la matière».

II —

Bien que le Conseil n'ait pas présenté d'observations dans le cadre de la présente procédure, nous partageons l'avis de la Commission pour penser que ce règlement ne saurait viser les actions en recouvrement engagées avant son entrée en vigueur et sur lesquelles il n'avait pas encore été statué à cette date.

Vous aviez vous-mêmes pris soin de souligner, dans votre arrêt du 27 mars 1980, que cette réglementation n'était pas encore entrée en vigueur à la date de son prononcé et que, si elle réglait — partiellement — les problèmes relatifs à l'égalité des justiciables dans un certain domaine, elle laissait encore place à l'interprétation jurisprudentielle.

Selon un principe généralement admis dans le droit des États membres, sans être pour autant rétroactives, les lois de procédure s'appliquent immédiatement à tous les litiges pendants au moment de leur entrée en vigueur.

Mais le règlement no 1697/79 a un caractère «constitutif»; il ne modifie ni ne précise aucun texte antérieur; il vient au contraire combler une lacune du droit en uniformisant, au plan communautaire, les conditions tant de délai (article 2, paragraphe 1), de procédure (article 2, paragraphe 2; aniele 4) que de fond (article 5) régissant l'exercice de l'action en recouvrement du moins-perçu. Ce n'est donc pas un texte de pure procédure.

On ne saurait par ailleurs affirmer qu'il ait pour seul objet de conférer des garanties supplémentaires aux redevables. Certes, on ne peut manquer de relever le caractère plutôt indicatif d'expressions telles que: «aucune action en recouvrement ne peut être engagée» (article 5, paragraphe 1); «les autorités nationales peuvent ne pas procéder au recouvrement a posteriori» (article 5, paragraphe 2, premier alinéa); «les cas dans lesquels il peut être fait application du premier alinéa» (article 5,
paragraphe 2, deuxième alinéa). Mais, d'un autre côté, l'article 2, paragraphe 1, établit le principe que le recouvrement est de droit tant qu'il n'y a pas prescription (article 2, paragraphe 1).

Malgré ce caractère ambigu, les auteurs du règlement auraient pu prévoir expressément que, dès son entrée en vigueur, il serait applicable aux actions en recouvrement engagées sur la base du droit interne et encore pendantes.

Mais, ni dans sa lettre, ni dans les travaux préparatoires, ni dans son économie générale, nous ne trouvons d'indication permettant de penser que, ne fût-ce qu'implicitement, le règlement aurait cette portée.

Ceci résulte d'abord clairement du texte même des dispositions du règlement: «les autorités compétentes... engagent» (article 2, paragraphe 1); «aucune action en recouvrement ne peut être engagée...» (article 5, paragraphe 1).

Un autre indice de l'absence d'«effet immédiat» du règlement est constitué par le long laps de temps qui s'est écoulé avant son entrée en vigueur: adopté le 24 juillet 1979, il a été publié le 3 août 1979 et son entrée en vigueur n'est intervenue que le 1er juillet 1980 (en même temps que celle du règlement no 1430/79) et son application pleine et entière peut encore être infléchie par l'intervention du comité des franchises douanières (article 10). Cet étalement dans le temps a du reste permis de
faire l'économie de dispositions transitoires.

Enfin, s'il était reconnu applicable aux situations particulières dont la Cour de cassation italienne a encore à connaître, le fait que le règlement no 1697/79 puisse avoir des effets «in mitius» sur des «rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation», mais «non encore définis suivant le droit interne», ne saurait influencer le sens de la réponse à donner à la première question qui vous est soumise. Si les tempéraments apportés par l'article 5 au
principe de l'engagement de l'action en recouvrement (article 2, paragraphe 1, premier alinéa) étaient applicables aux procédures encore pendantes le 1er juillet 1980, l'exonération de redevables se trouvant dans les mêmes conditions pourrait dépendre du zèle plus ou moins grand avec lequel les autorités compétentes auraient engagé l'action en recouvrement ou de la durée plus ou moins longue des procédures judiciaires, ce qui aboutirait à traiter différemment, à l'intérieur d'un même État membre,
des dettes de même nature, nées au même moment.

Le renvoi au droit national, qui découle de l'interprétation que nous vous proposons, risque d'entraîner une disparité de traitement des redevables selon la sévérité plus ou moins grande des législations ou réglementations nationales en matière de recouvrement du moins-perçu. Mais cette disparité a été explicitement admise par le législateur communautaire qui autorise les États membres à ne pas procéder à la constatation des ressources propres correspondant aux droits à l'importation ou à
l'exportatio'n dont le recouvrement a posteriori n'aurait pas été mené à bonne fin en application des dispositions du règlement no 1697/79 (article 9).

Vous avez vous-mêmes jugé (arrêt du 10 juillet 1980, Ariete, Recueil p. 2556, attendu no 16) que «pareilles différences, surtout lorsqu'il s'agit des règles relatives à la contestation d'impositions nationales, ne sauraient être considérées comme discriminatoires, ni, a fortiori, comme étant de nature à fausser la concurrence...».

II est par ailleurs indifférent que les redevables n'aient pas été ou ne soient plus en mesure de répercuter la charge additionnelle résultant d'un éventuel recouvrement a posteriori.

III —

Dans ces conditions, nous estimons que les autres questions posées par la juridiction nationale n'appellent pas de réponse.

Toutefois, même pour les litiges concernant les charges financières que les administrations des États membres sont chargées de percevoir pour le compte des Communautés, rien n'empêche les juridictions nationales de s'inspirer des principes qui sont à la base du règlement no 1697/79 (notamment de son article 5), dans la mesure où leur application aux procédures dont elles sont saisies ne rendrait pas le recouvrement a posteriori des prélèvements communautaires pratiquement impossible ou moins
efficace que la perception des taxes et redevances nationales du même type.

Il va sans dire en outre (question 4) que les sommes recouvrées a posteriori ne peuvent être exemptées d'intérêts moratoires si la perception de ces intérêts est prévue par la législation ou la réglementation nationale applicable en matière de perception des taxes et redevances nationales.

Dans ses observations, la Commission vous propose de répondre que le règlement no 1697/79 non seulement ne s'applique qu'aux actions en recouvrement engagées après le 1er juillet 1980, mais encore qu'il ne s'applique qu'aux opérations d'importation ou d'exportation pour lesquelles l'acte administratif fixant le montant des droits auxquels elles donnent lieu a été établi après le 1er juillet 1980 ou pour lesquelles l'obligation de l'opérateur de payer le montant des droits applicables est née après
cette date.

Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire d'aller aussi loin dans le cadre des présentes affaires. Toutefois, nous nous en remettons sur ce point à votre sagesse et nous concluons à ce que vous disiez pour droit que seuls constituent des «recouvrements a posteriori» au sens du règlement no 1697/79 les recouvrements auxquels il est procédé à la suite d'actions engagées après le 1er juillet 1980.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 212
Date de la décision : 08/10/1981
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Corte suprema di Cassazione - Italie.

Recouvrement a posteriori des droits à l'importation ou à l'exportation.

Union douanière

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Amministrazione delle finanze dello Stato
Défendeurs : Srl Meridionale Industria Salumi et autres ; Ditta Italo Orlandi & Figlio et Ditta Vincenzo Divella

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1981:222

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