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17/09/1981 | CJUE | N°195/80

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 17 septembre 1981., Bernard Michel contre Parlement européen., 17/09/1981, 195/80


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL SIR GORDON SLYNN,

PRÉSENTÉES LE 17 SEPTEMBRE 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le 6 juin 1979, le Parlement européen a publié l'avis concernant le concours général sur titres et épreuves, PE/21/A, en vue de constituer une liste de réserve pour le recrutement d'administrateurs de langue française et de langue néerlandaise dans les grades 7 et 6 de la catégorie A. M. Bernard Michel travaillant alors à la Commission au grade B 3 a posé sa candidature à ce concours. Le jury l'a admis à c

oncourir, mais ses titres n'ayant pas été jugés suffisants il n'a pas été admis à particip...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL SIR GORDON SLYNN,

PRÉSENTÉES LE 17 SEPTEMBRE 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le 6 juin 1979, le Parlement européen a publié l'avis concernant le concours général sur titres et épreuves, PE/21/A, en vue de constituer une liste de réserve pour le recrutement d'administrateurs de langue française et de langue néerlandaise dans les grades 7 et 6 de la catégorie A. M. Bernard Michel travaillant alors à la Commission au grade B 3 a posé sa candidature à ce concours. Le jury l'a admis à concourir, mais ses titres n'ayant pas été jugés suffisants il n'a pas été admis à participer
aux épreuves. Il a formé une réclamation contre son élimination conformément à l'article 90 du statut. Les délais prescrits s'étant écoulés sans qu'il ait obtenu de réponse, il a saisi la Cour d'un recours dirigé contre la décision implicite de rejet de sa réclamation au motif que c'est à tort qu'il avait été écarté des épreuves puisqu'il présentait les titres nécessaires. Il a également demandé une indemnisation. Dans sa réplique et lors de l'audience, il a étendu la portée de ses conclusions, en
demandant l'annulation de l'ensemble du concours.

L'avis de concours prévoyait certaines conditions d'admissibilité. La condition pertinente en l'espèce était un diplôme universitaire dans des domaines spécifiés ou une expérience professionnelle équivalente. M. Michel possédait un tel diplôme. Le second stade de la procédure consistait dans la «sélection sur titres». La notation était faite sur 40 et chaque candidat devait, pour être admis à participer aux épreuves, obtenir une note globale d'au moins 60 % du maximum. Il y était expliqué qu'après
avoir décidé des critères d'appréciation des titres des candidats, le jury de concours examinerait les titres de chaque candidat. Les critères n'étaient pas précisés plus en détail.

Dans sa candidature au concours, M. Michel a déclaré qu'outre son diplôme en sciences commerciales et consulaires il avait obtenu le titre d' «agrégé de l'enseignement secondaire supérieur pour les sciences commerciales». Après ce diplôme, il avait également suivi un cours à l'Institut d'études européennes de l'université libre de Bruxelles entre 1978 et 1979 sans avoir obtenu de diplôme. Son dossier de candidature comportait des précisions sur des travaux dont il était l'auteur et sur ses activités
professionnelles à la fois chez Hoechst-Belgium entre 1969 et 1975 et à la Commission entre 1975 et 1979.

Le nombre total des candidats était de 2140. Il a été réduit à 1740 par élimination de ceux qui ne justifiaient pas des titres requis pour être admis à concourir. Parmi les candidats restants, 1455 ont été écartés des épreuves. M. Michel figurant parmi ces derniers a reçu du président du jury une lettre type datée du 21 février 1980. Il y était dit que ses titres avaient été appréciés sur la base des documents joints à sa candidature conformément au point IV de l'avis de concours; le jury avait tenu
compte de la nature et du niveau de tous les diplômes universitaires obtenus, des expériences de formation postuniversitaire et de l'expérience professionnelle, mais M. Michel n'avait pas obtenu la note minimale requise (24/40), de sorte que le jury avait décidé de ne pas l'admettre à participer aux épreuves. Un post-scriptum indiquait que le jury répondrait à toute demande d'information.

Ayant reçu cette lettre, M. Michel a adressé au président du jury une lettre du 4 mars 1980 demandant quels avaient été les critères adoptés par le jury pour apprécier les titres des candidats et le nombre de points qu'il avait obtenus pour chacun d'eux. N'ayant pas reçu de réponse au début du mois de juin, il a formé contre la décision du jury une réclamation au titre de l'article 90 du statut datée du 2 juin 1980. Quelques jours après il a reçu une réponse du président du jury datée du 9 juin
1980. Cette réponse consistait en une autre lettre type disant qu'il avait été éliminé en raison d'une expérience professionnelle insuffisante. Il y était déclaré qu'aucune autre information ne pouvait être donnée du fait de l'obligation de respecter le secret des délibérations du jury. Il s'avère que la même lettre type a été envoyée à tous les candidats déçus qui avaient demandé un supplément d'information.

M. Michel ne s'en est pas contenté, et la présente procédure a commencé le 6 octobre 1980.

Le Parlement soulève une exception préliminaire en ce sens que le recours ne serait pas recevable au motif que M. Michel a présenté sa réclamation au titre de l'article 90 plus de trois mois après la date de la notification de la décision qui lui fait grief. Il est précisé que la date du 21 février est tamponnée sur cette dernière qui doit avoir été postée ce jour — là car le Parlement a pour pratique d'apposer sur chaque lettre la date du jour où elle est postée. En conséquence, elle serait arrivée
le 25 février, à supposer que la poste ait fonctionné normalement. En ce cas, il nous faudrait des éléments prouvant plus clairement que cette lettre a été postée le 21 février, ne serait-ce que parce que la deuxième lettre du 9 juin a été reçue dans une enveloppe sur laquelle figurait la date du 6 juin, apposée apparemment par la poste.

M. Michel déclare qu'il a reçu la lettre du 21 février le 3 mars. La Cour a entendu un certain nombre d'arguments sur le point de savoir pourquoi il n'y a pas lieu de présumer que cette lettre a mis tant de temps à arriver d'une part et comment elle a pu s'égarer d'autre part. Nous n'avons rien vu qui puisse faire peser un doute sur l'affirmation de M. Michel selon laquelle il a reçu la notification le 3 mars et nous sommes enclin à prendre cette date comme point de départ du délai de trois mois.
Dès lors qu'une institution veut établir la date à laquelle un délai restrictif a commencé à courir, elle doit à notre avis produire une meilleure preuve du jour d'expédition, par exemple en recommandant la lettre.

L'exception ne disparaît pas pour autant. La réclamation n'a pas été reçue avant le 4 juin — en dehors du délai de trois mois commençant le 3 mars. L'avocat de M. Michel affirme d'abord qu'elle a été postée le 2 juin et que cela est suffisant. A notre avis cela ne suffit pas. La réclamation doit être «introduite» dans un délai de trois mois. Elle n'est pas introduite lorsqu'elle est postée mais lorsqu'elle arrive à destination.

Il a ensuite été argué que M. Michel peut se prévaloir de l'article 80 du règlement de procédure de la Cour qui prévoit que, si les délais de procédure prévus par le traité, les statuts de la Cour et le règlement de procédure prennent fin un dimanche ou un jour férié, l'expiration en est reportée à la fin du jour ouvrable suivant. Cette disposition n'est à notre avis d'aucun secours pour M. Michel, d'abord parce que l'article 80 ne s'applique pas au statut et ensuite parce que le jour où le délai a
expiré, le 3 juin, n'était ni un dimanche ni un jour férié légal. L'article 81 du règlement de procédure de la Cour n'est pas pertinent parce qu'il ne s'applique pas, selon nous, aux délais prévus à l'article 90 du statut.

En conséquence, il nous semble que l'affirmation du Parlement selon laquelle le recours est irrecevable est admissible et bien fondée.

Si nous étions arrivés à la conclusion contraire, nous aurions accueilli un certain nombre des moyens invoqués par M. Michel tout en en rejetant d'autres.

Nous aurions rejeté son affirmation selon laqelle tout le concours devait être annulé au motif que l'avis de concours parlait de pourvoir des postes vacants et d'établir une liste de réserve alors qu'en réalité, il s'agissait uniquement de créer une liste de réserve. Bien que l'avis ne soit pas entièrement clair, il semble que l'objectif essentiel était de créer une liste de réserve, comme cela ressort de l'introduction. En toute hypothèse, ce grief et d'autres dirigés contre le concours dans son
ensemble ont été introduits à un stade trop avancé de la procédure dans le cas d'espèce.

Nous n'accueillerions pas non plus l'argument selon lequel le jury de concours, en tenant compte de l'expérience aussi bien que d'un diplôme a commis une erreur dans son appréciation des titres. Cet argument se fonde en substance sur la section de l'avis de concours qui concerne l'admission à concourir. Il ressort clairement de cette section que le critère d'admission est un diplôme ou (dans le texte français «éventuellement» l'expérience professionnelle. Il est clair qu'à ce stade l'expérience peut
être invoquée à défaut d'obtention du diplôme requis. M. Michel a été admis à concourir sur la base de son diplôme et il n'a pas eu besoin de se prévaloir de son expérience. La seconde phase consiste dans l'appréciation des titres. Le jury doit établir les critères à cet effet. Bien qu'il eût été bien préférable, à notre avis, que la partie III de l'avis ait précisé que les titres comprendraient les travaux postuniversitaires et l'expérience pratique, on ne peut pas dire, selon nous, que le jury a
commis une erreur de droit en tenant compte de ces éléments lors de l'appréciation des titres des candidats, étant donné surtout le grand nombre de' candidats admissibles à concourir.

Nous rejetterions également les arguments présentés en ce sens que l'identité des auteurs de la sélection préliminaire n'a pas été révélée et que cela a pu entacher le résultat d'un vice. Nous ne pensons pas non plus qu'il faille faire droit dans cette affaire à la demande de comparaison avec les documents d'un autre candidat plus heureux. Il peut exister des cas où un exemple évident de discrimination justifierait un tel procédé. Il n'y a rien de tel ici.

D'un autre côté, cette affaire comporte des éléments qui nous semblent insatisfaisants.

Il est clair que c'est d'abord le jury de concours qui est chargé d'apprécier les candidau. La Cour ne veut pas substituer son point de vue à celui du jury uniquement parce qu'elle n'est pas d'accord. Pourtant la Cour peut annuler une décision ou accorder une indemnisation si les conditions du concours n'ont pas été respectées ou si la conclusion tirée des éléments disponibles est tout à fait déraisonnable. De même, si les motifs présentés sont insuffisants ou inacceptables, la Cour peut intervenir
soit en annulant la décision soit en demandant des motifs plus complets en vue de se convaincre qu'il n'y a pas eu de vice de forme.

La Cour a jugé en plusieurs occasions que, dans le cas où les candidats concernés étaient très nombreux, un jury de concours pouvait indiquer sommairement les motifs d'exclusion d'un candidat (voir par exemple les affaires 4, 19 et 28/78, Salerno/Commission, Recueil 1978, p. 2403 et notamment p. 2416, attendu 29, et affaire 89/79, Bonu/Conseil, Recueil 1980, p. 553 et notamment p. 563, attendu 6). Cependant, «le simple renvoi à la condition non remplie ne saurait, toutefois, satisfaire à l'exigence
de motivation, étant donné, notamment, qu'un tel renvoi n'est pas de nature à fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si le refus est bien fondé ou, par contre, s'il est entaché d'un vice qui permettrait de contester sa légalité» (affaire Salerno, ibid.). Un jury de concours ne peut invoquer le secret de ses délibérations pour justifier le refus de motiver sa décision (affaire Bonu, attendu 5). Sur cette base aucune des lettres envoyées par le président du jury ne peut être
considérée comme ayant satisfait à l'obligation de motiver. La première énumérait les facteurs pris en compte par le jury mais omettait de préciser sous quels aspects M. Michel avait été jugé insatisfaisant. La deuxième précisait que le titre manquant était une expérience professionnelle suffisante mais ne donnait aucune indication sur le fondement de cette appréciation.

Qui plus est, la deuxième lettre ne traite absolument pas de deux des autres critères requis.

Au cours de la procédure le Parlement a communiqué des extraits des rapports établis par le jury de concours. Il en ressort que le jury a adopté quatre critères pour évaluer les titres des candidats et qu'il leur a attribué des notes: (i) un diplôme universitaire de base qui recevait entre 19 et 22 points, (ii) diplômes universitaires supplémentaires (entre 1 et 3 points), (iii) formation postuniversitaire (entre 1 et 3 points) (iv) expérience professionnelle (entre 1 et 12 points). Il s'avère que
M. Michel a obtenu le maximum de 22 points au titre de la première rubrique et rien au titre des autres. Il n'est donc pas exact de dire dans la lettre du 9 juin, comme cela y apparaît, que M. Michel a été éliminé uniquement parce qu'il n'avait pas une expérience professionnelle suffisante. C'est également le fait qu'on ne lui a accordé aucun point pour un titre universitaire supplémentaire ou pour une formation postuniversitaire qui l'a privé des deux points qui lui étaient nécessaires pour
atteindre la note 24, le minimum requis pour pouvoir participer aux épreuves.

Il peut y avoir eu des motifs d'accorder une valeur nulle au cours postuniversitaire qu'il a suivi et à son second diplôme. M. Michel et la Cour sont toutefois laissés dans le doute sur le point de savoir si ces éléments ont été pris en considération ou, dans ce cas, pourquoi ils ont été totalement rejetés. Qui plus est, aucune raison n'est donnée pour expliquer pourquoi sa longue expérience professionnelle n'a obtenu aucun point. Il peut y avoir une explication. Il semble très étonnant en l'état
actuel de l'affaire qu'il n'ait pas obtenu un seul des 12 points disponibles pour ce critère.

Tout en appréciant à sa juste valeur la tâche énorme imposée au jury de ce concours, on ne peut ignorer que M. Michel n'avait besoin que de deux points sur les 18 disponibles pour lui permettre de participer aux épreuves. La fait de ne pas traiter de son cours postuniversitaire et de son second diplôme et de ne pas expliquer pourquoi son expérience pratique n'a pas été prise en compte semble constituer de la part du jury des fautes qui, si le recours était recevable, auraient justifié une
intervention de la Cour — sous la forme d'une annulation de la décision le concernant et/ou de l'octroi d'une indemnité, bien qu'en aucune manière il n'eut été nécessaire de lui accorder l'indemnisation qu'il demande.

En l'espèce toutefois, cette affaire doit à notre avis être rejetée comme irrecevable.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 195/80
Date de la décision : 17/09/1981
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé, Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Fonctionnaire - Non-admission aux épreuves d'un concours.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Bernard Michel
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1981:210

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