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24/06/1981 | CJUE | N°137/80

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 24 juin 1981., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 24/06/1981, 137/80


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 24 JUIN 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  En application de l'article 169 du traité CEE, la Commission a saisi la Cour d'un recours dirigé contre le royaume de Belgique, en vue de faire constater qu'il a violé les obligations qui lui incombent aux termes de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII au statut des fonctionnaires des Communautés européennes (établi par le règlement du Conseil n° 259/68 du 29 février 1968). Cette dispos

ition permet aux fonctionnaires communautaires ayant exercé des fonctions dans un État membre...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 24 JUIN 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  En application de l'article 169 du traité CEE, la Commission a saisi la Cour d'un recours dirigé contre le royaume de Belgique, en vue de faire constater qu'il a violé les obligations qui lui incombent aux termes de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII au statut des fonctionnaires des Communautés européennes (établi par le règlement du Conseil n° 259/68 du 29 février 1968). Cette disposition permet aux fonctionnaires communautaires ayant exercé des fonctions dans un État membre ou auprès
d'une organisation internationale avant d'entrer au service des Communautés, de faire transférer, par un versement aux Communautés, soit l'équivalent actuariel des droits à pension d'ancienneté acquis dans l'administration, l'organisation nationale ou internationale ou l'entreprise où ils ont travaillé, soit le forfait de rachat qui leur est dû par la caisse de pension de cette administration, organisation ou entreprise au moment de leur départ. Or, tous les États membres, à l'exception de la
Belgique et des Pays-Bas, ont adopté (ou sont sur le point de le faire, comme la Grèce) les dispositions internes nécessaires au fonctionnement du mécanisme de transfert prévu. Au contraire, la Belgique a opposé un refus sans équivoque; c'est ce refus qui est à l'origine de la présente affaire.

2.  La position du gouvernement belge se fonde essentiellement sur la thèse selon laquelle l'article 11, paragraphe 2, cité n'impose aucune obligation aux États membres. Dans sa démonstration, le défendeur ne se limite pas à faire valoir une interprétation de ladite règle différente de celle que la Commission adopte, mais il invoque trois arguments préliminaires selon lesquels:

a) le pouvoir qui appartient au Conseil d'établir le statut des fonctionnaires n'aurait pas pu être exercé de manière à imposer aux États membres des obligations en matière de transfert des droits à pension;

b) le statut des fonctionnaires, bien qu'étant formellement un règlement, n'aurait pas d'autre but que de réglementer les rapports des Communautés avec leur personnel;

c) il ne serait de toute façon pas permis d'imposer des obligations aux États membres de manière indirecte et implicite.

Il nous semble justifié de discuter de ces arguments en premier lieu.

La disposition qui a conféré au Conseil la compétence de définir le statut de tous les fonctionnaires communautaires est l'article 24 du traité de fusion des exécutifs, qui dispose: «Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, arrête, sur proposition de la Commission et après consultation des autres institutions intéressées, le statut des fonctionnaires des Communautés européennes et le régime applicable aux autres agents de ces Communautés».

Il ne fait aucun doute que cet article attribue au Conseil un pouvoir largement discrétionnaire pour fixer le contenu des rapports entre les fonctionnaires et les institutions communautaires dont ils dépendent. Bien entendu, un tel pouvoir doit être exercé dans l'intérêt communautaire et dans les limites de l'objectif poursuivi par ledit article 24; mais c'est certainement ce qui s'est produit lorsque le Conseil a jugé opportun de prévoir au profit des fonctionnaires la possibilité d'utiliser,
dans le cadre communautaire, les droits à pension qu'ils ont acquis du fait d'un emploi antérieur dans un État membre.

En effet, la création d'une telle faculté vise à faciliter le passage des emplois nationaux, publics ou privés, à l'administration communautaire, et à garantir ainsi aux Communautés de bonnes possibilités de choix d'un personnel qualifié, déjà doté d'une expérience professionnelle appropriée. Il s'agit donc d'une réglementation qui, outre qu'elle produit des effets favorables sur les particuliers, sert en premier lieu à satisfaire un intérêt propre des Communautés, en favorisant une meilleure
organisation et un fonctionnement plus efficace de leurs services. Compte tenu de cet élément, il était à notre avis tout à fait admissible que le Conseil impose aux États membres l'obligation d'adopter les mesures nécessaires pour permettre au système en question de fonctionner. Et il n'est pas possible de confondre de telles mesures avec celles relatives à l'harmonisation des régimes nationaux de sécurité sociale — domaine certainement différent et qui répond à des objectifs différents —: le
but poursuivi ici consiste à établir une certaine continuité dans le domaine des pensions entre les emplois nationaux et les emplois communautaires, sans préjudice des différences existant entre les régimes de sécurité sociale des États membres.

En ce qui concerne la question des destinataires du statut du personnel, il nous semble tout à fait impossible d'exclure que ce dernier confère des droits ou impose des obligations à des sujets autres que les Communautés et les fonctionnaires. Même s'il est vrai que les règles du statut sont pour la plupart uniquement destinées à réglementer la position des agents vis-à-vis des institutions communautaires, rien n'empêche que des règles déterminées comportent des obligations à la charge des États
membres également. Sur le plan formel, il suffirait de considérer que le règlement fixant le statut des fonctionnaires est un acte doté d'effet général au sens de l'article 189 du traité CEE; et, même si l'adoption du statut est spécifiquement prévue à l'article 24 du traité de fusion des exécutifs cité, il n'y a aucune raison de penser que cet élément implique une dérogation aux principes de l'article 189. Au contraire, on peut faire valoir que, justement dans la mesure où le pouvoir prévu à
l'article 24 du traité de fusion a été mis en œuvre par l'adoption d'un règlement, l'effet général du statut ne peut pas être contesté. C'est donc en fonction de sa structure que chaque règle réglemente uniquement les rapports entre les Communautés et les fonctionnaires ou également éventuellement les rapports entre les États membres et les Communautés. En réalité d'ailleurs, l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII n'est pas la seule règle du statut dont la mise en oeuvre demande le
concours des États membres: on peut citer également, à titre d'exemple, l'article 11 qui fait obligation au fonctionnaire de ne pas solliciter ni accepter d'instructions d'aucun gouvernement, et qui impose implicitement de la sorte aux gouvernements des États membres de ne pas adresser d'instructions à un fonctionnaire des Communautés, ou l'article 83, paragraphe 1, selon lequel les États membres garantissent collectivement le paiement des prestations relatives au régime des pensions.

En toute hypothèse, la réalisation des objectifs inscrits au statut des fonctionnaires relève elle aussi de l'obligation générale imposée aux États membres à l'article 5 du traité CEE, en vertu duquel les États sont tenus de prendre «toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté», ainsi qu'à faciliter à cette dernière l'accomplissement de sa mission. Si on considère en
particulier tout ce que recouvre la formule «obligations résultant des actes des institutions» et le devoir de faciliter à la Communauté l'accomplissement de sa mission, à notre avis, la deuxième objection selon laquelle il ne serait pas permis d'imposer aux États membres des obligations de manière implicite ou indirecte ne résiste pas elle non plus. En présence d'une règle du statut qui oblige certainement la Communauté (en l'espèce qui l'oblige à permettre l'exercice de la faculté de choix
reconnue aux fonctionnaires à l'article 11, paragraphe 2, annexe VIII) et qui ne peut être mise en oeuvre sans la coopération des États membres, ceux-ci sont tenus de prendre les mesures nécessaires: c'est le résultat auquel conduit la référence à l'article 5 du traité CEE cité.

3.  Les exceptions préliminaires soulevées par le gouvernement belge ne nous semblent donc pas de nature à résister à un examen critique. Nous pouvons par conséquent passer aux problèmes que soulève le texte de la règle contestée, en particulier pour vérifier si elle se prête à l'interprétation que veut lui donner le défenseur du gouvernement belge selon lequel la mise en œuvre du mécanisme de transfert des droits à la pension d'ancienneté dépend d'accords préalables que chaque État membre serait
libre de conclure ou non avec les Communautés.

Le défendeur fonde cette interprétation sur un prétendu parallélisme entre le premier et le deuxième paragraphe dudit article 11. En effet, en ce qui concerne le cas du fonctionnaire qui cesse de servir les Communautés pour entrer en fonctions auprès d'une administration ou d'une organisation nationale ou internationale, l'article 11, paragraphe 1, prévoit qu'il a le droit de faire transférer à la caisse de pension de cette administration ou de cette organisation l'équivalent actuariel de ses
droits à pension d'ancienneté acquis au service des Communautés, à condition que l'administration ou l'organisation en question ait conclu un accord avec les Communautés. La disposition du paragraphe 2 qui réglemente le phénomène inverse ne fait aucune allusion à la nécessité d'un accord de ce genre, mais le défendeur estime qu'une telle exigence serait implicite, étant donné le parallélisme des deux situations.

A vrai dire, l'argument résultant d'une interprétation littérale de l'article 11 nous semble plus susceptible d'emporter la conviction: si cet article mentionne un accord dans son premier paragraphe et non dans le deuxième, cela signifie que l'accord constitue une condition uniquement à l'égard du transfert prévu au premier paragraphe. Considérons pourtant la thèse du parallélisme entre les situations envisagées dans les deux paragraphes de l'article dont il s'agit.

Dans l'hypothèse réglementée au paragraphe 1, il est logique que, avant d'accepter le transfert de leurs propres fonds dans les caisses d'une autre organisation de prévoyance, les Communautés aient la possibilité de se mettre d'accord avec les autorités dont un tel organisme dépend sur les conditions permettant d'effectuer valablement un transfert, dans le but indiqué; et il est opportun que ces autorités conservent leur liberté d'appréciation tant que l'accord n'a pas été réalisé. Au contraire,
la situation envisagée au paragraphe 2 est différente: dans celle-ci, ce sont les Communautés qui déterminent les effets, dans le cadre de leur propre régime de pension, du transfert des droits à pension acquis dans un État membre par le fonctionnaire. En outre, comme nous l'avons vu, la création au profit des fonctionnaires de la faculté prévue au paragraphe 2 correspond à un intérêt propre des Communautés elles-mêmes. C'est donc à juste titre qu'on n'a pas voulu subordonner la mise en oeuvre
de la disposition en question au libre consentement de chaque État membre.

L'idée au parallélisme entre les deux paragraphes de l'article 11 nous semble donc contredite par l'existence d'éléments de différenciation significatifs. Le gouvernement belge trouve toutefois dans la formulation du paragraphe 2 un autre aspect qui plaide en faveur de sa thèse, et c'est le fait que les administrations, les organisations nationales et les entreprises sont mentionnées à côté des organisations internationales, par une formule unique servant à désigner le précédent employeur du
fonctionnaire. Dans les rapports entre les Communautés et les organisations internationales, la mise en oeuvre du système de transfert des droits à pension présuppose nécessairement un accord: le défendeur en tire argument pour affirmer que l'accord est implicitement requis par la règle également lorsque l'employeur précédent était l'administration d'un État membre ou une organisation ou entreprise en dépendant. Nous pensons toutefois qu'il est possible de répondre que la nécessité d'un accord
avec les organisations internationales résulte du fait que, à la différence des États membres, ces dernières ne sont pas soumises aux règles communautaires; or, c'est justement cette différence de situation à l'égard des Communautés — et en particulier l'existence, à la charge des États membres, de l'obligation générale résultant de l'article 5 du traité CEE cité — qui explique les différences dans les rapports qui se créent entre les Communautés et les organisations internationales et les
Communautés et les États membres, en vue de la mise en œuvre de l'article 11, paragraphe 2, annexe VIII du statut des fonctionnaires.

4.  Le représentant du gouvernement belge a évoqué pour finir des difficultés d'ordre technique qui empêcheraient toute forme de transfert d'un régime de pension belge à un régime de prévoyance ne relevant pas de la souveraineté belge, ce qui est le cas du régime communautaire, bien que des modalités de transfert (ou au moins de prise en considération, pour le calcul de la pension, de services accomplis antérieurement) soient au contraire expressément prévues par la réglementation belge en cas de
passage d'un fonctionnaire de l'administration belge à un emploi dans le secteur privé. En développant son argument, le représentant belge s'est référé entre autres à l'impossibilité de définir, avant le moment de la retraite effective, la valeur du droit acquis par le fonctionnaire, étant donné que le système belge des pensions n'est pas fondé sur le versement de contributions individuelles, et compte tenu en outre de la possibilité de modifications législatives dans le sens d'une augmentation
ou d'une diminution des droits eux-mêmes. Il ne nous semble toutefois pas que cette situation représente un obstacle insurmontable à la mise en oeuvre de l'obligation résultant de la règle controversée, et nous soulignons en toute hypothèse qu'aucun État membre ne peut se prévaloir de difficultés inhérentes à son système interne pour se soustraire au respect des règles communautaires. Il incombe au législateur belge de trouver le moyen permettant l'exercice de la faculté accordée par la
disposition en cause aux fonctionnaires communautaires ayant précédemment exercé des fonctions dans le cadre d'un système de pension belge.

En ce qui concerne les préoccupations exprimées par le gouvernement belge, il nous semble opportun de répéter que l'article 11, paragraphe 2, se borne à imposer une coordination entre les régimes de prévoyance nationaux et le régime de pension communautaire, essentiellement pour éviter aux agents des Communautés de perdre les droits à pension qu'ils auraient conservés s'ils avaient continué à travailler dans leur État membre d'origine. Bien que la règle considérée en soi soit applicable
également dans l'hypothèse d'un fonctionnaire ayant déjà effectué, dans l'État dont il vient, un nombre d'années de service suffisant pour pouvoir revendiquer un droit à pension dans cet État, la disposition revêt une importance pratique surtout dans le cas où le fonctionnaire n'a pas encore acquis, au moment où il passe de l'emploi national à l'emploi communautaire, une ancienneté suffisante pour pouvoir prétendre à une pension, de telle sorte qu'en l'absence d'une prise en considération des
années de travail précédentes par le système de pension communautaire, il finirait par en perdre le bénéfice.

Une dernière précision nous semble encore utile. L'article 11, paragraphe 2, ne présuppose pas l'uniformité des régimes de pension nationaux, pas plus qu'il ne vise à l'introduire; au contraire, n'affecte aucunement les systèmes de pension d'ancienneté pourvu que les mesures nécessaires pour garantir l'exercice efficace de la faculté reconnue aux fonctionnaires communautaires soient prises dans chaque État. Cela signifie que les États membres conservent une marge d'appréciation importante en ce
qui concerne le genre de mesures qu'ils peuvent estimer plus compatibles avec leur système et en même temps suffisantes pour mettre en oeuvre la règle du statut. Ce choix finit en pratique par se fonder également sur des consultations et des ententes avec la Commission, mais il reste bien établi qu'aucun État n'est libre de refuser son concours pour la mise en oeuvre du mécanisme de transfert prévu ou de prétendre que ce mécanisme est paralysé par la difficulté de l'harmoniser avec son propre
système de prévoyance.

5.  Pour toutes ces raisons, nous estimons qu'il convient d'accueillir le recours formé par la Commission contre le royaume de Belgique par acte du 9 juin 1980. Nous concluons donc en proposant à la Cour de déclarer que cet État, en se refusant à adopter les dispositions nationales nécessaires à la mise en œuvre de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés, a violé les obligations qui lui incombent en vertu de cette règle, ainsi que de l'article 5 du
traité CEE. Le défendeur doit en conséquence être condamné aux dépens.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 137/80
Date de la décision : 24/06/1981
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires - Transfert des droits à pension.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Chloros

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1981:147

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