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21/05/1981 | CJUE | N°105/80

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 21 mai 1981., Hugues Desmedt contre Commission des Communautés européennes., 21/05/1981, 105/80


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI

PRÉSENTÉES LE 21 MAI 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La question à trancher dans cette affaire est de savoir si une personne ayant la qualité de fonctionnaire stagiaire dans une institution communautaire conserve ou non pendant la durée du stage, bien entendu en régime de suspension temporaire, les droits découlant d'un recrutement précédent comme «agent local» au service de la même institution.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI

PRÉSENTÉES LE 21 MAI 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La question à trancher dans cette affaire est de savoir si une personne ayant la qualité de fonctionnaire stagiaire dans une institution communautaire conserve ou non pendant la durée du stage, bien entendu en régime de suspension temporaire, les droits découlant d'un recrutement précédent comme «agent local» au service de la même institution.

Nous commencerons par une brève chronologie des faits. Par un contrat du 12 août 1974, M. Hugues Desmedt, ressortissant belge, a été engagé par la Commission des Communautés européennes à Bruxelles comme agent local à temps déterminé, pour la durée de six mois, et il a été chargé de remplir les fonctions de magasinier. Le contrat a été prorogé pour un temps indéterminé le 13 février 1975. Peu après, M. Desmedt a participé à un concours interne (le concours COM/C/8/75) en vue de la constitution
d'une liste de réserve de commis adjoints, carrière C 5/C 4, et, ayant été reconnu apte, il a été inscrit sur cette liste. Le 7 janvier 1977, il a été nommé fonctionnaire stagiaire et chargé de remplir ses fonctions en qualité d'opérateur au Centre de calcul à Luxembourg.

Malheureusement pour lui, le stage a eu une issue négative. Le rapport de l'administration relatif à la capacité de l'intéressé à remplir les tâches correspondant à ses fonctions, à son rendement et à son comportement dans le service — rapport prévu par l'article 34, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires — a mis en lumière de multiples insuffisances dans le rendement de M. Desmedt et a recommandé son licenciement. Par décision du 28 juin 1977, l'autorité du pouvoir de nomination a pris une
décision conforme à compter du 1er juillet 1977, (date prorogée ensuite jusqu'au 16 juillet 1977).

Le 15 septembre 1977, l'intéressé a introduit une réclamation contre cette décision, mais cette réclamation a été rejetée par l'administration par une lettre du 20 mars 1978 signée du commissaire Tugendhat. Entre-temps, M. Desmedt avait cité la Commission devant le tribunal du travail de Bruxelles, par acte de citation notifié le 15 décembre 1977, en soutenant que son rapport initial de travail en tant qu'agent local n'avait été que suspendu du fait de l'admission en stage comme opérateur du
Centre de calcul et en demandant par conséquent soit sa réintégration dans son ancien poste, soit le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis. Le juge belge, par jugement du 20 mars 1980, a soumis à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Y a-t-il compatibilité ou incompatibilité entre la qualité de fonctionnaire stagiaire des Communautés européennes, soumise au statut des fonctionnaires, publié au Journal officiel des Communautés européennes du 28 septembre 1972, C 100, pages 5 à 32, et plus particulièrement l'article 34 (8), et celle d'agent local soumise au droit privé de la législation nationale, publié au même Journal officiel des Communautés européennes du 28 septembre 1972, C 100, page 80 (articles 79 à 81); en l'espèce,
en ce qui concerne la législation belge, l'article 37 de la loi du 3 juillet 1978 et l'ancien article 14 des lois coordonnées d'emploi?»

2.  Il est opportun de souligner au préalable que la Cour, ayant été investie du pouvoir de connaître de la présente affaire sur la base de l'article 177 du traité CEE, est appelée à interpréter des règles de droit communautaire, et, en premier lieu, les dispositions de droit dérivé qui régissent le statut des fonctionnaires et déterminent le régime applicable aux autres agents des Communautés européennes. En revanche, elle ne devra pas s'occuper de l'interprétation des règles belges de droit du
travail, dans la mesure où elles s'appliquent au service rempli par le requérant comme agent local, et cela bien que la question du juge national fasse expressément référence, dans la partie finale, à des règles de ce genre. En somme, notre Cour devra uniquement établir sur la base de l'ordre juridique communautaire quels sont les effets de l'engagement d'une personne à titre de fonctionnaire stagiaire auprès d'une des institutions sur un précédent rapport de travail, de nature contractuelle,
qui liait cette personne à la même institution.

3.  Il est nécessaire d'indiquer brièvement le régime juridique applicable à la période de stage des fonctionnaires européens. A cet égard, le statut des fonctionnaires établit (à l'article 34, paragraphe 1) que: «Tout fonctionnaire, à l'exception des fonctionnaires des grades Al et A 2, est tenu d'effectuer un stage avant de pouvoir être titularisé»; puis il ajoute (au paragraphe 2, alinéa 1, du même article) que le fonctionnaire stagiaire qui n'a pas fait preuve de qualités suffisantes pour être
titularisé est licencié. La période de stage et la nomination successive (ou le licenciement) du fonctionnaire constituent les phases finales de la procédure d'engagement, qui se déroule en plusieurs étapes et qui est régie par le chapitre I du titre III du statut (articles 27 à 34).

En ce qui concerne le régime juridique des agents locaux, nous rappelons en premier lieu que, selon l'article 4 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes, «est considéré comme agent local ... l'agent engagé conformément aux usages locaux, en vue d'exécuter des tâches manuelles ou de service dans un emploi non prévu au tableau des effectifs annexé à la section du budget afférente à chaque institution, et rémunéré sur les crédits globaux ouverts à cet effet à cette section
du budget». Comme on le voit, la notion d'agent local est mise en relation avec les fonctions remplies; il doit s'agir de tâches non prévues au tableau des effectifs annexé au budget. Mais l'aspect qui intéresse davantage le présent litige est celui de l'engagement: il doit se faire «conformément aux usages locaux».

Les articles 79 à 81 du même régime tracent ensuite les traits essentiels du régime juridique des agents locaux, que l'on peut résumer dans les points suivants: les agents sont engagés sur la base d'un contrat; chaque institution définit par ses règles propres «les conditions d'emploi des agents locaux, notamment en ce qui concerne: a) les modalités de leur engagement et de la résiliation de l'engagement; b) les congés; c) leur rémunération». Toutefois, ces conditions doivent être fixées «sur la
base de la réglementation et des usages existant au lieu où l'agent est appelé à exercer ses fonctions». Les charges de l'institution communautaire en matière de sécurité sociale sont assimilées à celles imposées aux entrepreneurs par la loi locale. Quant aux litiges entre l'institution et l'agent, ils sont soumis au juge compétent sur la base de la loi du lieu où l'agent accomplit son service; ce qui apparaît conforme au critère général indiqué par l'article 183 du traité CEE (selon lequel,
«sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice par le présent traité, les litiges auxquels la Communauté est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales»).

La réglementation du rapport de travail des agents locaux a donc une nature «mixte» en ce sens que des sources communautaires et des sources nationales concourent à la constituer. Il est vrai que, selon l'article 4 cité du régime applicable aux autres agents, l'engagement des agents locaux doit être conforme aux usages locaux et que les règles de ce régime ainsi que les dispositions adoptées par l'institution qui engage l'agent local sont rappelées dans le contrat individuel de travail, de sorte
que l'on pourrait parler d'une réglementation essentiellement nationale et de droit privé, en faisant dépendre la force obligatoire de la réglementation communautaire, dans les relations entre chaque institution et ses agents locaux, du lait qu'elle est reconnue dans le contrat. Mais nous n'excluons pas que l'on puisse parvenir à des conclusions différentes, en se fondant sur le fait que la réglementation en question a été établie unilatéralement et d'une manière générale pour tous les rapports
de travail des agents locaux par la Communauté et, dans le cadre de celle-ci, par chaque institution communautaire intéressée. Si l'on adopte cette ligne de raisonnement, la fonction de la loi locale paraît être, d'une part, de mettre une limite au pouvoir normatif attribué aux institutions (en l'emportant ainsi sur d'éventuelles dispositions incompatibles introduites par ces dernières) et, d'autre part, de régler toutes les questions non couvertes par la réglementation communautaire. Mais
quelle que soit la manière dont on résout le problème de qualification examiné, il nous semble indubitable que les dispositions en matière d'agents locaux adoptées par chaque institution font partie de cette réglementation, et qu'il faut donc, dans notre affaire, tenir compte également de la réglementation adoptée par la Commission le 14 mai 1971 pour fixer les conditions d'emploi de ses agents locaux en service à Bruxelles.

4.  Examinons maintenant la question posée par le juge belge. Il demande si la simple suspension du statut d'agent local à la suite de l'admission comme stagiaire par la même institution communautaire est compatible avec la qualité de fonctionnaire stagiaire. Dans la mesure où l'on se fonde sur les règles du statut des fonctionnaires concernant la période de stage, la réponse doit être affirmative: le régime juridique de la période de stage ne nous semble pas du tout incompatible avec la
conservation simultanée d'un précédent rapport de travail simplement suspendu. Au contraire, le caractère temporaire et le résultat incertain de la période de stage justifient, du point de vue de la protection du travailleur — critère dont s'inspire la réglementation du travail dans tous les ordres juridiques — la solution consistant à ne pas interrompre de manière définitive un rapport de travail précédent, mais à se limiter à le suspendre. Si, ensuite, nous nous référons aux principes généraux
du régime de la fonction publique européenne, nous constatons que le seul principe auquel il soit possible, par hypothèse, de faire référence est le devoir de fidélité du fonctionnaire envers l'institution, exprimé dans les articles 11 à 19 du statut. Toutefois, nous ne pensons pas que la conservation du rapport précédent puisse être considérée comme contraire au devoir de fidélité, lorsque, comme en l'espèce, le rapport suspendu subsiste avec la même institution auprès de laquelle le
fonctionnaire est appelé à accomplir sa période de stage. Une situation de ce genre exclut qu'il y ait conflit, fût-il virtuel, entre l'intérêt de l'administration et la conservation, en régime de suspension, du rapport initial. On pourrait même arriver à dire que l'intérêt du fonctionnaire stagiaire à conserver, en suspens, le précédent rapport de travail coïncide avec celui de l'administration à maintenir un lien avec une personne qui, en sa qualité d'agent local, a acquis une certaine
expérience professionnelle spécifique dans le cadre de ses services.

Il faut en second lieu tenir compte des dispositions du régime applicable aux autres agents et en particulier de celles concernant les agents locaux. Mais aucune d'elles n'établit — directement ou indirectement — que la conservation du régime suspendu du statut d'agent local est incompatible avec la qualité de fonctionnaire stagiaire. En ce cas également, l'incompatibilité pourrait, dans l'abstrait, apparaître par rapport au devoir de fidélité, mais en référence, cette fois, à la qualité d'agent
local et non plus à celle de fonctionnaire. Toutefois, nous excluons que le fait d'accepter la qualité de fonctionnaire stagiaire implique dans un cas comme celui-ci la violation du devoir de fidélité, qui doit être considéré comme liant l'agent local, même en régime de suspension du rapport. La considération émise antérieurement, c'est-à-dire le fait que le fonctionnaire stagiaire dépende de la même institution qui l'avait engagé comme agent local, s'applique ici.

En troisième lieu, il faut examiner la réglementation adoptée par la Commission pour fixer les conditions d'emploi de ses agents locaux en service à Bruxelles. Or, il est significatif que le cas de la suspension de l'exécution du contrat soit prévu par plus d'un article (article 12, paragraphe IV, article 22, paragraphe 1, a), article 22 bis, paragraphe 1), et qu'en particulier l'article 12, paragraphe 4, envisage cette suspension «dans les cas prévus par la législation belge en matière de
contrat de travail ou de contrat d'emploi», en faisant ensuite suivre des exemples (comme le montre l'adverbe «notamment» ...). Cette règle contient un véritable renvoi à la loi locale et entraîne l'applicabilité aux agents locaux du bénéfice de la suspension de leur rapport de travail toutes les fois qu'elle est admise dans l'ordre juridique belge. Naturellement, la constatation de ce point en l'espèce appartient au juge du fond.

5.  Pour toutes les considérations développées jusqu'ici, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la question formulée par le tribunal du travail de Bruxelles, par ordonnance du 20 mars 1980:

En vertu du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et du régime applicable aux autres agents de ces Communautés, rien n'empêche qu'un travailleur, lié à une institution communautaire par un rapport contractuel en qualité d'agent local, et ultérieurement nommé fonctionnaire stagiaire au service de la même institution, conserve, durant la période de stage, le statut précédent, en régime de suspension. Selon la réglementation des conditions d'emploi des agents locaux de la Commission
en service à Bruxelles, la suspension en question doit être considérée comme autorisée toutes les fois que la loi locale l'admet.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 105/80
Date de la décision : 21/05/1981
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique.

Contrat d'agent local et statut du personnel.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Hugues Desmedt
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1981:116

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