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04/12/1980 | CJUE | N°797/79

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 4 décembre 1980., Anne-Marie Peuteman, épouse Alexis Tiberghien, contre Commission des Communautés européennes., 04/12/1980, 797/79


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 4 DÉCEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le recours que Madame Tiberghien a introduit par requête du 9 novembre 1979 soumet à votre examen un thème qui n'est pas nouveau: celui des conditions de légalité de la décision d'un jury de concours qui refuse d'admettre un dès candidats à participer aux épreuves d'un concours déterminé.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 4 DÉCEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le recours que Madame Tiberghien a introduit par requête du 9 novembre 1979 soumet à votre examen un thème qui n'est pas nouveau: celui des conditions de légalité de la décision d'un jury de concours qui refuse d'admettre un dès candidats à participer aux épreuves d'un concours déterminé.

Résumons brièvement les faits.

En juillet 1979, la requérante a présenté sa candidature au concours interne, sur titres, COM/BS/4/79, pour la constitution d'une réserve d'assistants de secrétariat adjoints de la carrière B 5/B 4. Elle n'a pas été admise à ce concours, le jury ayant estimé qu'elle ne possédait pas l'expérience professionnelle d'au moins 16 années dans des fonctions de la catégorie C, que l'avis exigeait des candidats qui n'avaient pas accompli des études du niveau de l'enseignement secondaire sanctionnées par
un diplôme. En présence de ce refus, Madame Tiberghien a d'abord demandé un réexamen de sa situation (par lettre du 22 août 1979) puis, ayant reçu une réponse négative, elle a introduit le présent recours. Elle soutient que le jury de concours a apprécié erronément son expérience professionnelle et qu'il a de plus omis de tenir compte de la qualification acquise par elle grâce à divers cours de perfectionnement dans le domaine spécifique de l'activité de secrétariat. Sur cette base, elle demande
que la décision de ne pas l'admettre au concours précité soit annulée.

2.  Aucun doute ne peut exister quant à la recevabilité du recours. La circonstance qu'une réclamation administrative contre la décision attaquée n'a pas été introduite selon la procédure fixée à l'article 90, paragraphe 2, du statuì des fonctionnaires n'a pas d'importance: en effet, comme notre Cour l'a déclaré de manière répétée, l'obligation de présenter la réclamation prévue à l'article 91, paragraphe 2, du statut sous peine d'irrecevabilité du recours consécutif devant la Cour «n'a ... pas de
sens dans le cas d'un grief contre les décisions d'un jury de concours, l'autorité investie du pouvoir de nomination manquant de moyens pour réformer ces décisions« (arrêt du 16 mars 1978 dans l'affaire 7/77, von Wüllerstorff et Urbair, Recueil 1978, p. 769, point 7 des motifs). Il s'ensuit que l'article 91 en question doit être interprété en ce sens que la condition de la réclamation administrative préalable «ne vise que les actes que l'autorité investie du pouvoir de nomination peut
éventuellement réformer», catégorie dans laquelle n'entrent pas les décisions concernant l'admission aux concours.

3.  Passons dès lors à l'examen du premier grief formulé par la requérante. Nous avons déjà dit qu'en l'absence d'un diplôme de fin d'études du niveau secondaire (que la requérante ne possède pas), l'avis de concours exigeait une expérience professionnelle spécifique (fonctions de secrétariat) d'une durée de 16 années. Simultanément il exigeait encore que le candidat ait été au service des Communautés, comme fonctionnaire ou autre agent, pendant une durée totale de 11 ans, mais les deux conditions
étaient posées d'une manière indépendante l'une de l'autre. En effet, l'avis ne précisait pas si et dans quelle mesure l'expérience professionnelle devait avoir été acquise éventuellement au service des Communautés. Selon nous, il faut donc estimer que suffisait, aux fins du concours, une expérience acquise en tout ou en partie dans le cadre de relations de travail avec des entités autres que les Communautés: les seuls éléments fixés dans l'avis concernaient la durée de cette expérience et la
nature des fonctions (qui étaient du reste décrites avec un certain degré d'ap-. proximation: «dans des fonctions de la catégorie C en tant que secrétaire de direction, secrétaire principale, secrétaire sténodactylographe ou dans des fonctions similaires»).

La requérante a déclaré, dans sa demande de participation au concours, avoir accompli des tâches de secrétaire pendant environ neuf années (de 1954 à 1964) auprès de divers employeurs, puis encore pendant neuf années et six mois au service de la Commission: elle s'est prévalue ainsi d'une période totale d'expérience supérieure aux seize années prévues dans l'avis. Dans sa communication à l'intéressée de la décision de ne pas l'admettre au concours, le jury n'a contesté ni la durée ni la qualité
de l'activité professionnelle exercée avant 1965; il s'est borné à exclure que la candidate remplissait la condition d'une expérience professionnelle d'au moins seize années. Il est vrai qu'au cours de la procédure orale, l'agent de l'institution défenderesse a déclaré — en réponse à une question du président — que la Commission «peut très difficilement admettre» que les fonctions accomplies par Madame Tiberghien alors qu'elle était au service de personnes privées aient été équivalentes aux
tâches typiques des fonctionnaires communautaires de grade C, comme l'avis de concours l'exigeait. Toutefois, outre le fait qu'une telle affirmation est ambiguë et tardive, elle contraste avec la position prise du côté de la Commission dans la lettre de Monsieur Desbois à la requérante du 24 septembre 1979 (annexe 25 à la requête), dans laquelle la décision du jury de concours a été expliquée dans les termes suivants: «Votre expérience auprès de la Commission en qualité de secrétaire
sténodactylographe, de niveau minimum C 3, pour la période allant du 1er février 1976 au 31 décembre 1978 (2 ans 1 mois), rajoutée à votre expérience analogue pour la période antérieure à votre entrée en service (du 8 octobre 1954 au 15 mars 1964 = 9 ans 6 mois), ne vous permet pas d'atteindre les 16 ans exigés». Cela démontre que l'expérience spécifique acquise auprès d'employeurs autres que la Commission, entre 1954 et 1964, avait été reconnue sans aucune difficulté.

4.  Au centre de la controverse se trouve par conséquent l'appréciation de l'expérience acquise par la requérante au service de la Commission durant la période allant de mars 1965 à février 1974. Madame Tiberghien prétend avoir exercé, dans la carrière C 3/C 2, des fonctions de secrétaire sténodactylographe du 1er février 1965 au 31 juillet 1974; pendant ces années, elle a toutefois été classée comme «commis», c'est-à-dire comme fonctionnaire accomplissant des tâches administratives plutôt que de
secrétariat. Cela explique la non-reconnaissance par le jury du concours de la période 1965-1974 lorsqu'il s'est agi d'apprécier la condition de l'expérience professionnelle de la requérante. Mais l'absence de correspondance entre les fonctions exercées réellement et le classement formel doit être imputée, selon la requérante, à une négligence de l'administration.

Pour mieux comprendre les termes de la question, il convient de rappeler qu'à la carrière dans les grades C 2 et C 3 correspondent, selon le statut des fonctionnaires (voir article 5, paragraphe 4, et annexe I), les emplois-types de «commis« et de «secrétaire sténodactylographe». Les fonctions inhérentes aux divers emplois-types sont décrites dans la décision de la Commission portant description des fonctions et des attributions des fonctionnaires (publiée au Courrier du personnel no 272 du 4
septembre 1973); ce texte clarifie que dans le cadre de la catégorie C, carrière C 2/C 3, le «commis» est un fonctionnaire d'exécution chargé de travaux administratifs pour lesquels il reçoit un minimum d'instructions et dont la réalisation «nécessite de sa part du jugement et de la méthode». Il manque, en revanche, une description des fonctions correspondant à l'emploi-type de secrétaire sténodactylographe; cela peut s'expliquer si l'on considère que la dénomination contient déjà une référence
suffisante à la nature des fonctions. Il s'agit en tout cas de deux types de tâches bien différents; c'est pourquoi l'administration exige, pour l'admission à des concours déterminés, que les candidats aient acquis une certaine expérience professionnelle dans l'un ou dans l'autre de ces secteurs d'activité, distinctement. Dans ces conditions, il est évident que tout fonctionnaire a intérêt à voir reconnue par l'administration l'activité professionnelle qu'il a exercée effectivement; de cette
reconnaissance peut en effet dépendre l'admission à des concours déterminés.

Dans le cas qui nous occupe, la preuve existe que la requérante a accompli, du 1er février 1965 au 31 juillet 1974, des tâches de sténodactylographe; sur la demande de l'intéressée (en date du 28 février 1979), la Commission a reconnu cette circonstance de manière expresse dans une lettre du 21 novembre 1979 signée par le directeur général du personnel et de l'administration. Mais le jury du concours a nié, comme nous l'avons vu, que la requérante possédait l'expérience professionnelle en
question; cela résulte de la communication de la non-admission au concours, portant la date du 10 août 1979, ainsi que de la note postérieure, déjà citée, qui a été adressée à la requérante le 24 septembre 1979.

On remarquera par conséquent une divergence dans les appréciations expresses de l'administration en rapport avec le même objet, en deux occasions différentes, à très peu de temps de distance. La candidate a été lésée par le fait que la reconnaissance de son activité de secrétaire est intervenue immédiatement après l'achèvement du concours. Il faut dès lors se demander si la circonstance que l'administration n'a pas tenu compte de l'activité exercée effectivement par la requérante aux fins de
l'admission au concours implique un vice de la décision attaquée.

5.  A notre avis, le jury du concours aurait dû partir de la constatation que dans son acte de candidature la requérante avait indiqué avoir travaillé comme secrétaire pendant plus que neuf années au service de la Commission. Le fait qu'elle apparaissait au contraire avoir été classée dans l'emploi-type de secrétaire sténodactylographe pour une période beaucoup moins longue, et dans l'emploi de commis pour une période coïncidant pour une grande part avec celle indiquée dans l'acte de candidature,
aurait dû inciter le jury du concours à vérifier auprès de l'administration comment les choses se présentaient vraiment. En tout cas après que la requérante se fut plainte de l'appréciation erronée de son expérience professionnelle par lettre du 22 août 1979, en demandant que l'erreur soit rectifiée, la Commission aurait dû se rendre compte de la nécessité de procéder aux vérifications opportunes. Si elle l'avait fait, elle aurait trouvé dans le dossier personnel de Madame Tiberghien une ample
documentation sur les fonctions exercées effectivement par celle-ci et sur ses efforts pour obtenir la correspondance entre ses fonctions et leur qualification; en particulier la Commission aurait appris que déjà le 16 juillet précédent, l'intéressée avait demandé la «régularisation» de sa situation administrative, c'est-à-dire en fait la reconnaissance formelle des fonctions exercées réellement. Il n'y a aucun motif de douter qu'en réponse à une demande éventuelle du jury de concours,
l'administration aurait adopté la même position que celle qu'elle a prise ensuite, alors que le concours était achevé, dans la lettre déjà citée du 21 novembre 1979, adressée à la candidate, en reconnaissant finalement l'activité professionnelle exercée par celle-ci en qualité de secrétaire pendant plus que neuf années.

De son côté, l'administration avait l'obligation de fournir au jury du concours, et cela à temps, tous les éléments utiles pour l'appréciation de la candidate. Notre Cour a jugé, dans des cas analogues, que des omissions du genre de celles décrites ici vicient la décision de non-admission à un concours sous l'angle de la violation des formes substantielles. Nous rappellerons l'arrêt du 9 juin 1964 dans les affaires 94 et 96/63, Bernusset (Recueil 1964, p. 587), où la Cour a déclaré que les actes
de candidature doivent être appréciés «avec circonspection dans une matière qui requiert un examen aussi objectif que possible des mérites des candidats» et que l'autorité investie du pouvoir de nomination doit compléter «son information par la consultation des dossiers personnels des candidats». Nous rappellerons encore l'arrêt du 1er avril 1971 dans l'affaire 76/69, Rabe (Recueil 1971, p. 297), selon lequel l'absence de communication au jury, par l'administration, de documents relatifs aux
titres exigés pour l'admission des candidats au concours «constitue un vice de procédure que le requérant est fondé à invoquer» (voir en particulier les points 5 à 8 des motifs).

En substance, cete jurisprudence s'inspire du principe selon lequel, s'agissant pour un jury de concours d'évaluer les candidatures de personnes qui ont déjà effectué du service auprès des institutions communautaires, ce jury doit utiliser tous les éléments d'appréciation que l'administration possède et qui peuvent être trouvés dans les dossiers personnels (dont l'examen est en tout cas indispensable) ou ailleurs. Lorsqu'il se présente alors des situations personnelles dont certains aspects sont
douteux — comme en cas de contraste entre le travail effectué réellement et la classification formelle de l'emploi —, l'administration est tenue d'adopter une attitude précise, en écartant ces doutes à temps, de manière à ce que le jury de concours puisse prendre les décisions relatives à l'admission sur la base d'éléments solides et définitifs. Il s'ensuit logiquement que toute décision adoptée sans une connaissance complète des éléments concernant chaque candidat est viciée pour violation des
formes substantielles.

A notre avis, c'est sur la base de ces critères que doit être résolu aussi le cas que nous discutons. La décision par laquelle le jury n'a pas admis la requérante au concours doit être jugée atteinte d'un vice, pour violation des formes substantielles, et être par conséquent annulée.

6.  Il ne nous semble pas, en revanche, que la décision litigieuse ait enfreint l'article 24 du statut des fonctionnaires, comme la requérante le prétend par son deuxième moyen. Cet article dispose, aux alinéas 3 et 4, que les Communautés «facilitent le perfectionnement professionnel du fonctionnaire dans la mesure où celui-ci est compatible avec les exigences du bon fonctionnement des services et conforme à leurs propres intérêts» et qu'«il est tenu compte également de ce perfectionnement pour le
déroulement de la carrière». Selon la thèse de Madame Tiberghien, le jury du concours n'a pas tenu compte, dans l'appréciation de son expérience professionnelle, des connaissances acquises par elle en suivant divers cours de perfectionnement en 1973 et 1974, ce qui serait en contradiction avec l'obligation susvisée de l'administration de tenir compte du perfectionnement professionnel acquis par les fonctionnaires aux fins de leur carrière.

En réalité, la non-reconnaissance de l'expérience professionnelle de secrétaire acquise par la requérante auprès de la Commission pendant une période de plus de neuf années n'a rien à voir avec l'obligation de tenir compte de la participation du fonctionnaire à des cours de perfectionnement. Nous savons que, dans notre cas, l'avis de concours exigeait une expérience de secrétariat acquise par l'exercice de fonctions correspondantes durant un certain nombre d'années; la participation à des cours
de perfectionnement n'aurait pas pu suppléer l'absence éventuelle d'une telle expérience. Et il convient d'ajouter encore que l'obligation de l'administration de tenir compte du perfectionnement professionnel acquis par un fonctionnaire est formulée dans le statut en relation avec le déroulement de la carrière (voir l'alinéa 4 de l'article 24), tandis que dans notre cas la requérante demandait à participer à un concours donnant accès à une carrière autre que celle dans le cadre de laquelle elle
exerçait son activité. Il s'agit là d'un motif supplémentaire pour exclure la possibilité d'invoquer utilement l'article 24 du statut.

7.  Pour toutes les considérations qui précèdent, nous sommes d'avis que le recours mérite d'être accueilli. En conséquence, nous proposons à la Cour d'annuler la décision de la Commission du 10 août 1979, par laquelle la requérante n'a pas été admise à participer au concours interne, sur titres, pour assistants de secrétariat adjoints COM/BS/4/79, et de condamner en outre l'institution défenderesse au paiement des frais du litige exposés par la requérante.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 797/79
Date de la décision : 04/12/1980
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires - Régime des concours.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Anne-Marie Peuteman, épouse Alexis Tiberghien,
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1980:281

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