CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
Présentées le 14 Février 1980
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I —
La présente affaire, renvoyée à votre troisième chambre, ne porte que sur une faible somme d'argent, mais, au-delà du cas d'espèce, elle est susceptible de concerner certaines catégories de travailleurs migrants. Elle pose des questions délicates qui nécessiteront des explications assez élaborées de notre part et nous regrettons que le gouvernement de la république d'Irlande, dont la législation est également en cause, n'ait pas présenté d'observations. Personne d'ailleurs n'a comparu pour la
requérante au principal.
Celle-ci était ce qu'il est convenu d'appeler une «personne âgée» (an elderly Irishwoman). Née le 30 avril 1911 en république d'Irlande, elle avait cotisé, de 1963 à 1972, au taux plein à l'assurance nationale de ce pays (Social Welfare Acts) en tant que travailleur salarié (employed worker). Elle n'est arrivée au Royaume-Uni que le 17 mars 1973, alors qu'elle approchait de 62 ans, et elle y a poursuivi son activité salariée. A ce moment, elle n'avait pas atteint l'âge normal de la retraite en
Irlande, qui est de 65 ans, mais elle avait dépassé l'âge légal de la pension au Royaume-Uni, qui est de 60 ans pour les femmes.
Le bureau local de l'assurance nationale du Royaume-Uni a néanmoins estimé que l'intéressée avait le droit de «choisir» de payer des cotisations au taux uniforme (full flat rate contributions) du régime national d'assurance (National Insurance Act 1965). Elle fut donc affiliée à ce régime, se vit attribuer un numéro national d'immatriculation et, pour autant que sa rémunération l'y obligeait, versa, du 16 avril 1973 au 29 septembre 1974, des cotisations de la classe I (class I contributions) pour un
total de 51 livres 16 pence et, en 1975-1976, au titre du Social Security Act de 1975, des cotisations fondées sur le revenu de la classe I, pour un total de 16 livres 74 pence. Elle fut par ailleurs assurée contre les accidents du travail (industrial injuries) et acquitta des cotisations à ce titre.
Il ressort du dossier qu'en février 1974 l'intéressée demanda que ses droits à pension de vieillesse fussent fixés. Mais le délégué aux assurances sociales (Insurance Officer) lui répondit, le 12 juillet 1974, qu'elle n'avait aucun droit à pension parce qu'elle n'avait pas versé au moins 104 cotisations avant l'âge de 60 ans.
Le 14 novembre 1975, en vue d'obtenir les indemnités pécuniaires de l'assurance maladie (sickness benefit), l'intéressée produisit au bureau local du Ministère de la santé et de la sécurité sociale (DHSS) un certificat médical daté du même jour, attestant qu'en raison d'une insuffisance du myocarde elle était incapable de travailler depuis le 12 novembre 1975 et qu'elle le resterait jusqu'au 21 novembre suivant.
Cette incapacité a duré jusqu'au 7 avril 1976 et au-delà et l'intéressée a réclamé de nouveau le bénéfice des prestations en espèces de l'assurance maladie, mais le litige au principal ne porte pas sur ces dernières demandes. Toutefois, la solution de celui-ci aura une incidence sur le sort de ses demandes ultérieures.
En effet, le 21 novembre 1975, le délégué aux assurances sociales a rejeté la demande présentée par l'intéressée le 14 novembre précédent au motif qu'à la date à laquelle elle avait commencé à relever de la sécurité sociale britannique elle avait plus de 60 ans et qu'elle n'avait pas droit à une pension de catégorie A (category A pension) sur la base de sa propre assurance (on her own insurance). Elle était donc censée avoir cessé d'exercer une activité salariée et pris sa retraite lorsqu'elle avait
quitté l'Irlande.
Le même sort fut réservé, le 13 septembre 1976, au recours que l'intéressée forma auprès du «local tribunal» de Bristol.
Elle fit appel de ce jugement auprès du National Insurance Commissioner et celui-ci vous a saisis, par jugement du 10 juillet 1979, de sept questions reproduites dans le rapport d'audience et concernant l'interprétation du règlement du Conseil no 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Le National Commissioner estime qu'une réponse aux questions qu'il a posées demeure nécessaire pour
sa propre décision, bien que l'intéressée soit décédée le 8 septembre 1979.
II —
Ces questions se ramènent en substance au point de savoir si une personne, qui était pleinement assurée à la sécurité sociale en république d'Irlande et qui s'est rendue au Royaume-Uni pour y exercer régulièrement une activité salariée après l'âge de 60 ans, où elle a versé des cotisations maladie et accidents du travail à raison de cette activité, doit être considérée comme assurée au Royaume-Uni au sens de l'article 1, a), du règlement en vue de bénéficier des prestations maladie en espèces,
lesdites prestations étant fonction du régime vieillesse au Royaume-Uni. Le juge voudrait ensuite savoir quelle est l'institution compétente pour déterminer le droit à prestations maladie de l'intéressée et quelles sont les dispositions communautaires applicables.
Pour comprendre la raison d'être de ces questions, il est nécessaire de fournir quelques explications sur le régime général vieillesse applicable à l'époque au Royaume-Uni, car le régime des indemnités pécuniaires pour maladie lui était étroitement rattaché. La situation est quelque peu compliquée du fait des changements intervenus le 5 avril 1975.
Cette date est importante à un double titre: d'une part, elle coïncide avec le commencement de l'année fiscale; d'autre part, elle marque l'entrée en vigueur de certaines dispositions du Social Security Act de 1975, loi qui a coordonné et modifié sur certains points les textes antérieurs. Tout en conservant l'esprit du régime précédent, ce texte comporte une novation importante concernant les personnes dans la situation de l'intéressée: à compter de la date en question, l'obligation de cotiser à
l'assurance accidents du travail a été supprimée, mais les salariés (employed earners) ont conservé le droit à des prestations en espèces pour accidents du travail (industrial injuries benefits), distinctes des prestations en espèces pour maladie, en cas de réalisation du risque accident. Le régime (scheme) d'assurance accidents du travail, jusque là autonome, a été assimilé au régime général (the national insurance scheme). Le caractère déjà unitaire du régime britannique de sécurité sociale s'en
est trouvé renforcé.
Au Royaume-Uni, l'âge légal (pensionable age) à partir duquel les salariés résidant dans ce pays peuvent prétendre à une pension nationale uniforme vieillesse (flat rate pension) est de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. En république d'Irlande, l'âge normal de la retraite est de 65 ans.
Les pensions de vieillesse se divisaient en deux groupes: la pension uniforme (flat rate pension) et la pension proportionnelle (graduated pension). Seule une pension du premier groupe entre en ligne de compte dans l'affaire au principal (pension de catégorie A, au sens des dispositions de la «section» 28 (1) (b) et de la Schedule 3, Part 1, paragraphe 5, de la loi de 1975).
Pour avoir droit à une telle pension, hormis la condition d'âge, il fallait:
1) que l'intéressé eût versé réellement à la sécurité sociale du Royaume-Uni au moins 156 cotisations uniformes (flat rate) et qu'une moyenne annuelle de 50 cotisations pût lui être créditée réellement ou fictivement (dans ce cas, on parle de «staggered contributions»); si l'intéressé ne pouvait être crédité que d'une moyenne annuelle de moins de 50 cotisations, mais de plus de 13 cotisations, il avait droit à une pension réduite;
2) que l'intéressé eût effectivement pris sa retraite, c'est-à-dire qu'il eût cessé d'exercer régulièrement une activité salariée. Le fait, pour un homme après 65 ans et pour une femme après 60 ans, de gagner moins d'une certaine somme par semaine à raison d'une activité salariée ne faisait pas obstacle à la jouissance d'une pension de retraite; mais cette condition était en tout cas réputée remplie à 70 ans pour les hommes et à 65 ans pour les femmes.
Lorsque, bien qu'ayant atteint l'âge de la retraite et ayant droit à une pension uniforme (flat rate), une personne continuait de travailler et de cotiser à l'assurance maladie, c'était évidemment parce qu'elle en attendait un avantage différé. Cet avantage consistait en ce que, au moment où cette personne prendrait finalement sa retraite, la pension dont elle espérait bénéficier à ce moment serait majorée en fonction de la période pendant laquelle elle aurait continué de cotiser (section 31 du
National Insurance Act de 1965). Le fait de continuer de cotiser à l'assurance maladie n'avait donc pas principalement pour objet ni pour effet de maintenir à l'assuré, par le biais des prestations en espèces, la capacité de gain qui lui aurait été garantie s'il avait cessé de travailler à l'âge de la retraite. Ces considérations ont pour objet de répondre à la question posée par la Cour et à laquelle il a été répondu à l'audience de procédure orale.
Nous revenons maintenant aux prestations maladie en espèces.
En vertu des dispositions combinées des paragraphes 1 et 2 de l'article 14 du Social Security Act de 1975, l'intéressé doit, pour avoir droit à ces prestations, satisfaire aux conditions requises pour bénéficier d'une pension de retraite de la catégorie A.
Or, selon le juge de première instance, l'intéressée ne satisfaisait pas aux conclitions exigées d'une personne ayant dépassé l'âge de 60 ans: elle n'aurait eu vocation à une pension de vieillesse de catégorie A, sur la base de sa propre assurance, que si elle avait «pris sa retraite» (retired from regular employment) et introduit une demande à cet effet. Les cotisations versées par elle au Royaume-Uni ne lui étaient d'aucun secours parce qu'elle n'avait jamais été affiliée dans des conditions
légales au régime national d'assurance. En vertu des dispositions combinées des sections 4, 6, 14, 28, schedule 3, du Social Security Act de 1975, une femme ayant dépassé l'âge légal de la retraite (pensionable age) ne peut, ni ne doit, continuer à cotiser à l'assurance maladie, au cas où elle poursuit son activité salariée après l'âge de 60 ans, que si elle était déjà affiliée au Royaume-Uni avant d'avoir atteint cet âge.
D'ailleurs, les 16 livres 74 pence que l'intéressée avait versées «par erreur» en 1975-1976 en vertu du Social Security Act de 1975 lui avaient été remboursées et des pourparlers étaient en cours au moment où le National Commissioner a rendu sa décision pour que les 51 livres 16 pence qu'elle avait «indûment» versées au titre de cotisations pour prestations uniformes lui fussent restituées et il nous a été certifié à la barre que ce remboursement était intervenu depuis lors.
Par contre, les cotisations, d'ailleurs très minimes, versées en 1973-1974 et 1974-1975 au titre de l'assurance accidents du travail ne lui ont pas été reversées, car l'intéressée était obligée de s'en acquitter en vertu du National Insurance (Industrial Injuries) Act de 1965.
III —
L'Insurance Officer, tout du moins dans ses observations écrites, et plus encore la Commission considèrent que la plupart des questions qui vous sont posées ne sont ni pertinentes, ni nécessaires à la solution du litige. Cette attitude est quelque peu surprenante de la part du délégué aux assurances sociales, qui avait été consulté par le juge avant qu'il ne rédige les questions qu'il se proposait d'adresser à votre Cour, et surtout de la part de la Commission qui est, dans une large mesure, la
seule a pouvoir nous éclairer.
1. Comme le représentant de l'Insurance Officer l'a bien rappelé dans ses observations orales, le nœud du problème consiste à savoir si une personne dans la situation de l'intéressée doit être considérée comme un «travailleur» au sens de l'article 1, a), du règlement aux fins d'application des dispositions en matière de prestations maladie en espèces.
La Commission soutient qu'en l'absence d'harmonisation des conditions d'affiliation à la sécurité sociale dans les différents Etats membres cette question est du ressort exclusif des autorités nationales. Elle rapelle que le règlement no 1408/71 a uniquement pour objet la coordination des régimes nationaux de sécurité sociale et la libre circulation des prestations, mais non l'harmonisation des conditions d'affiliation.
Ce qui serait important, au regard du règlement n01408/71, ce ne serait pas tellement le fait d'exercer une activité salariée, avec les risques généraux ou spéciaux inhérents à cette activité (maladie, accidents du travail, etc.), mais celui d'être valablement affilié ou de payer des cotisations.
Si cette affirmation était exacte pour le règlement no 3, premier règlement du Conseil concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants, elle ne l'est certainement plus, sous une forme aussi absolue, pour le règlement no 1408/71. Certaines des dispositions de ce texte vont au-delà d'une simple coordination et, dans ses observations sur les affaires jointes Testa et Maggio, 41 et 121/79, le gouvernement de la république fédérale d'Allemagne a cité, à cet égard, l'article 69 en matière de
chômage.
De toute façon, cette conception restrictive ne peut être maintenue que si le règlement no 1408/1 a procédé correctement à la coordination requise et s'il n'aboutit pas à conférer aux intéressés des droits inférieurs à ceux qui découlaient pour eux des accords internationaux ou des conventions bilatérales liant les États membres avant son entrée en vigueur.
Nous estimons en effet, avec M. le premier avocat général Jean-Pierre Warner, dans ses conclusions sur l'affaire Manzoni (Recueil 1977, p. 1670; arrêt du 13. 10. 1977, Recueil p. 1647), que la jurisprudence Duffy (arrêt du 10. 12. 1969, Recueil p. 597), selon laquelle les règlements communautaires ne sauraient réduire les droits que les travailleurs ont acquis en application de la législation nationale, doit être maintenue en dépit de l'arrêt Walder du 7 juin 1973 (Recueil p. 599) dont l'attendu
no 8 (p. 604) précise que le règlement no 1408/71 «se substitue, en ce qui concerne les personnes auxquelles il s'applique, aux conventions de sécurité sociale intervenues entre États membres qui ne sont pas mentionnées à l'article 6 ou à l'annexe D du règlement no 3 (les dispositions correspondantes du règlement no 1408/71 sont l'article 7 et l'annexe II), et ce même si l'application de ces conventions comporte, pour l'ayant droit aux prestations, des avantages supérieurs à ceux qui découlent
dudit règlement».
Si le règlement n'est pas susceptible de faire prendre en compte les périodes d'affiliation à la sécurité sociale dans un État membre (concrètement, en l'espèce, l'Irlande) pour permettre à une femme de continuer, après l'âge de 60 ans, à raison de son activité salariée, d'être assurée contre le risque maladie dans un autre État membre (en l'espèce, le Royaume-Uni), à moins qu'elle n'ait déjà été affiliée et qu'elle n'ait versé des cotisations dans ce dernier État avant d'atteindre cet âge, alors
que cette personne y a effectivement cotisé — encore que «par erreur» — à cette assurance ainsi qu'à l'assurance accidents du travail, on devrait, pour reprendre les termes employés par M. le premier avocat général Jean-Pierre Warner dans l'affaire Warry (Recueil 1977, p. 2103; arrêt du 9. 11. 1977, p. 2085), constater que le règlement a «de manière patente, sous cet angle, manqué son but» (it has glaringly failed in its purpose).
Le fait de cotiser à la sécurité sociale en vue d'obtenir des prestations en espèces est, sinon une obligation, du moins un droit à partir du moment où un travailleur continue d'exercer régulièrement une activité salariée et renonce, pour cette raison, à toucher la pension à laquelle il aurait en principe droit. Les prestations en espèces, dans ce cas, ne font que compenser la perte de gain résultant de l'ajournement de sa prise de pension.
La principale objection invoquée devant le National Commissioner et largement développée par la Commission consiste à dire que faire droit à la demande de l'intéressée comporterait une discrimination à rebours à l'égard des ressortissants britanniques qui auraient travaillé dans un État membre et qui reviendraient dans les mêmes conditions qu'elle au Royaume-Uni: il paraît qu'en ce cas ils se verraient opposer le même refus que celle-ci.
On peut se demander tout d'abord s'il n'est pas exceptionnel qu'un citoyen britannique reprenne une activité salariée, après avoir travaillé dans un autre État membre ou dans des pays tiers, après l'âge de 65 ans pour un homme et de 60 ans pour une femme et si cette absence apparente de discrimination ne défavorisait pas en fait, surtout, les ressortissants de la république d'Irlande parce que la plupart des salariés qui étaient susceptibles de venir travailler dans ces conditions au Royaume-Uni
étaient, parmi les ressortissants des États membres, des Irlandais.
À supposer qu'un tel refus soit opposé à un citoyen britannique, encore faudrait-il que ce refus fût conforme à la réglementation communautaire. A notre connaissance, le cas n'a jamais encore été soulevé ni soumis à votre Cour.
Enfin, à supposer qu'une discrimination à rebours découle effectivement de l'application du droit communautaire poulies ressortissants britanniques, une telle discrimination resterait l'affaire des Etats membres et ne s'opposerait pas à ce que les ressortissants des autres États soient — en apparence — mieux traités (voir la décision rendue le 14. 12. 1978 par le National Commissioner en considération de l'arrêt Kenny du 28. 6. 1978 (Recueil p. 1490).
Mais il n'est pas nécessaire d'insister sur ces propos, car l'affiliation de la requérante nous paraît, jusqu'à preuve du contraire, parfaitement régulière. Nous nous excusons d'empiéter ici peut-être sur l'application du droit communautaire ou sur l'interprétation de conventions bilatérales dont vous avez jugé qu'elle n'était pas de votre compétence, bien que ces conventions fassent partie intégrante des règlements de sécurité sociale (article 95 du règlement no 1408/71 et article 11 du
règlement no 574/72). Une telle démarche nous paraît conforme à votre souci constant de sauvegarder les droits fondamentaux et à l'enseignement de M. le président A. M. Donner, selon lequel «il faut une interprétation fondée davantage sur l'analyse des cas d'espèce pour atteindre le but de l'article 177, qui est de promouvoir l'uniformité de l'application du droit communautaire. L'interprétation doit être donnée en tenant compte des circonstances pour laquelle elle est demandée; sinon, elle ne
fournit aucun éclaircissement et n'est, dans le meilleur des cas, qu'une sorte d'explication des dispositions communautaires qui n'apporte au juge national qu'une aide précaire et reste muette sur les points réellement litigieux». «L'évolution de la jurisprudence — ajoute M. le président A.M. Donner — s'oriente nettement vers une interprétation du cas concret».
Sous ce rapport, nous ferons les observations suivantes:
Certes, ni l'adhésion, même sans fraude, à un régime de protection sociale, ni le versement de cotisations ne peuvent créer un droit acquis s'opposant à ce que soit régularisée la situation d'un assuré en conformité avec les textes définissant son statut. Cependant, une institution de sécurité sociale ne peut remettre en question rétroactivement l'appartenance au régime des salariés d'une personne dont l'adhésion à ce régime a été admise par une décision administrative individuelle d'affiliation.
Nous n'entendons pas, certes, préjuger de la décision finale du Secretary of State, si c'est bien l'autorité compétente pour trancher cette question, autorité que le National Commissioner se réserve de saisir (section 93 (1) (b) du Social Security Act de 1975). Mais, comme nous l'avons rappelé dans l'exposé des faits, il faut bien constater qu'à son arrivée au Royaume-Uni l'intéressée fut enregistrée au régime national d'assurance sociale, se vit attribuer un numéro d'immatriculation et versa des
cotisations. Ce n'est qu'après coup, lorsqu'elle eut présenté sa demande de prestations maladie, que l'on s'avisa que les cotisations avaient été versées «a tort» et que des négociations s'ouvrirent pour les lui restituer. Il s'agirait là en tout cas d'une erreur de droit (mistake of law) et non d'une erreur de fait (mistake of fact).
Pour notre part, nous voyons la preuve que l'affiliation de la requérante a bel et bien fait l'objet d'une décision administrative, qui n'était pas après tout illégale, dans le fait que cette affiliation a été rendue possible par les dix-huit cotisations qui lui ont été créditées comme fictivement payées entre le début de l'année de cotisation (contribution year) et le début effectif de l'assurance obligatoire. Ceci paraît résulter des termes de l'accord relatif à la sécurité sociale, signé à
Londres le 29 mars 1960, entre le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et celui de la république d'Irlande (S I I960, no 707), auquel le National Commissioner fait discrètement allusion dans sa décision, mais sur lequel la Commission garde un silence total.
Cet accord joue également un rôle dans l'affaire Walsh, no 143/79, dont est saisie votre deuxième chambre, et nous nous permettons de le citer dans la traduction française qui en a été publiée au Recueil des traités, édité par le secrétariat des Nations unies (volume 371, p. 5 et suiv.):
«Ayant décidé de coopérer dans le domaine social,
Désireux de prendre des mesures pour que les personnes qui se rendent d'un pays dans l'autre bénéficient des prestations de sécurité sociale pour maladie, maternité, chômage, ainsi que des prestations de veuves et orphelins»,
les deux gouvernements sont notamment convenus, en matière de prestations de maladie, de la disposition suivante:
Article 7
«1) ... Si une personne assurée en vertu de la loi de l'un des deux pays se trouve clans l'autre pays, il est entendu que, aux fins de la prestation de maladie et de l'allocation de maternité ...,
a) les dispositions de la loi du premier pays ne lui sont pas applicables; et
b) dans l'application à l'intéressé des dispositions de la loi de l'autre pays, en vertu desquelles il pourra obtenir le taux le plus élevé de prestations,
...
ii) les assurances, les cotisations de la catégorie appropriée payées ou créditées à son compte et les prestations de maladie ou allocations de maternité payées ou réclamées dans le premier pays seront assimilées respectivement à des assurances, à des cotisations de la catégorie appropriée payées ou créditées à son compte et à des prestations de maladie ou allocations de maternité payées ou réclamées dans cet autre pays:
Toutefois:
aa) s'agissant d'une personne qui a été assurée en vertu de la loi de la république d'Irlande, qui se trouve en Grande-Bretagne, le taux auquel toute prestation de maladie ou allocation' de maternité (y compris toute majoration) sera payable en vertu de l'alinéa b, ii), du présent paragraphe ne dépassera pas le taux auquel elles auraient été payables (en dehors de toute disposition relative aux doubles prestations) en application des dispositions de la loi de la république d'Irlande si
l'intéressé était demeuré dans ledit pays et s'était pleinement acquitté des cotisations prévues par ladite loi; il n'en sera autrement que si cette personne a versé un minimum de treize cotisations hebdomadaires en vertu de la loi de Grande-Bretagne depuis la date de sa dernière arrivée en Grande-Bretagne, si elle a versé ou crédité à son compte un minimum de vingt-six cotisations en vertu de ladite loi pour l'année de cotisation correspondante ou si, réclamant la prestation ou
l'allocation pour une journée comprise dans une période d'interruption de travail au sens défini par la loi de Grande-Bretagne, elle avait droit, avant la date de sa dernière arrivée en Grande-Bretagne, à une prestation de maladie ou à une allocation de maternité en vertu de ladite loi pour une journée comprise dans ladite période;»...
L'acte d'adhésion (article 29, annexe I, IX. Politique Sociale), sous la rubrique «Dispositions de conventions de sécurité sociale qui restent applicables nonobstant l'article 6 du règlement», comporte, sous le point 30, Irlande-Royaume-Uni, la mention «Néant». C'est donc qu'en principe l'accord de 1960 cessait d'être applicable. Mais les modifications apportées par l'acte d'adhésion au règlement no 1408/71 ne sont entrées en vigueur que le 1er avril 1973. Nous ignorons s'il a été mis fin à cet
accord, mais il est certain qu'il restait applicable à l'intéressée au moment où elle est arrivée au Royaume-Uni le 17 mars 1973.
En ce qui concerne la période postérieure au 1er avril 1973, il y a lieu de noter ce qui suit:
«Considérant que les changements apportés à la législation du Royaume-Uni (il s'agit du Social Security Act de 1975) nécessitent des modalités particulières d'application des règles relatives à la totalisation des périodes, afin de permettre la prise en considération, pour la détermination du droit aux prestations prévues par cette législation, des périodes accomplies dans les autres États membres ...»,
le règlement du Conseil no 1209/76 du 30 avril 1976 a, par son article 1, paragraphe 2, sous a), point ii), introduit dans l'annexe II du règlement no 1408/71 (Dispositions de conventions de sécurité sociale qui restent applicables nonobstant l'article 6 du règlement), point 30, partie A, «l'article 8 de l'accord Irlande-Royaume-Uni du 14 septembre 1971 sur la sécurité sociale», afin de permettre l'utilisation, pour le calcul des pensions de vieillesse ou de survie dans un des deux pays, des
cotisations fictives accordées dans l'autre pays dans le cadre de l'assurance maladie. Le législateur communautaire a ainsi comblé une lacune de la réglementation pour les travailleurs de ces États en ce qui concerne l'utilisation et le transfert des cotisations fictives versées dans le cadre de l'assurance maladie pour le calcul des pensions de vieillesse ou de survie. Cette disposition est entrée en vigueur rétroac-tivement\c1er avril 1973.
On peut encore citer, dans le même esprit, les considérants du règlement no 2595/77 du Conseil du 21 novembre 1977, qui visent à «permettre ň un travailleur titulaire d'une pension ou d'une rente au titre de la législation d'un État membre et occupé sur le territoire d'un autre État membre d'être assuré sous la législation de cet État, même si celle-ci dispense les titulaires de pension ou de rente de l'affiliation obligatoire», ainsi qu'à «permettre, sans restriction, à un travailleur de
bénéficier de la pension ou de la rente acquise au titre de la législation d'un État membre et de surseoir à la liquidation de sa pension ou de sa rente dans un autre État membre en vue de bénéficier de l'augmentation du montant de cette pension ou de cette rente qui résulte de ce sursis».
Il n'y a donc eu aucune solution de continuité dans l'assujettissement de l'intéressée à la sécurité sociale et c'est parce qu'elle pouvait et devait être valablement affiliée au Royaume-Uni que dix-huit cotisations légales (statutory contributions) lui ont été fictivement créditées dans ce pays (awarded as stagger credits). Ce n'est qu'après l'introduction de sa demande que l'on s'est avisé qu'après tout son affiliation était «erronée».
Le représentant de l'Insurance Officer a reconnu à l'audience de plaidoirie que l'intéressée était un travailleur aux fins des prestations de l'assurance accidents du travail et, en conséquence, qu'elle devait être considérée comme assurée pour tous les risques couverts par l'assurance nationale. La Commission, toutefois, considère que ce point peut rester en dehors du débat. Nous estimons, bien au contraire, que cet clément est décisif — il a fait l'objet d'une question spécifique du National
Commissioner — et que, si l'intéressée ne devait pas déjà être reconnue comme assurée aux fins des prestations maladie pour les raisons que nous avons indiquées, le fait qu'elle ait vocation aux prestations accidents du travail est suffisant pour la faire considérer comme ayant vocation aux prestations maladie en espèces. Selon la législation du Royaume-Uni, un salarié qui verse des cotisations est assuré non pas pour une prestation particulière, mais pour toutes les prestations contributives
prévues par cette législation, bien que le droit à une prestation particulière soit subordonné à la satisfaction des condition de cotisations prévues pour cette prestation. Si, au lieu de tomber malade, l'intéressée avait été victime d'un accident du travail, elle aurait eu droit à une indemnité (industrial injury benefit) supérieure aux prestations uniformes de maladie; or, dans la mesure où les prestations accidents du travail et maladie visent à suppléer à une perte de salaire résultant de
l'incapacité de travail, elles participent de la même nature. Cette conséquence, ajoutait l'Insurance Officer, est conforme aux conclusions que nous avions présentées le 13 juillet 1976 dans l'affaire Brack (Recueil 1976, p. 1456; arrêt du 29. 9. 1976, Recueil p. 1430).
Nous prendrons acte de ce qu'en définitive l'Insurance Officer a admis, avec une loyauté à laquelle nous rendons hommage, qu'il ne mettait pas en doute que l'intéressée fût un travailleur aux fins des prestations maladie en espèces et qu'il avait lui-même reconnu ce point devant le National Commissioner. Nous partirons donc de la prémisse qu'une personne dans le cas de l'intéressée était valablement affiliée à l'assurance nationale du Royaume-Uni et c'est sur cette base que nous examinerons
brièvement le reste des questions qui vous sont posées.
2. Ces questions reviennent en substance à savoir si, dans ce cas, l'institution compétente pour déterminer le droit à prestations maladie est celle du Royaume-Uni et, dans l'affirmative, quelles sont les dispositions qui doivent être appliquées.
Le problème de l'affiliation de l'intéressée étant réglé, il nous semble évident que [l'«institution compétente» en pareil cas est celle du Royaume-Uni puisque, selon l'article 1 (o) (i) du règlement no 1408/71, ce terme désigne «l'institution à laquelle l'intéressée est affiliée au moment de la demande de prestations». En vertu de l'article 4, paragraphe 2, et de l'annexe II du règlement du Conseil no 574/72, l'institution compétente au Royaume-Uni pour les prestations maladie en espèces est, en
ce qui concerne la Grande-Bretagne, le ministère de la santé et de la sécurité sociale (Department of Health and Social Security).
Nous ajouterons que, si d'aventure l'institution britannique avait eu des doutes sur sa compétence, il lui eût appartenu, en vertu de l'article 86 du règlement, de transmettre sans délai la demande de l'intéressée à l'institution compétente, soit directement, soit par l'intermédiaire des autorités compétentes des États membres concernés.
Si, comme nous vous le proposons, vous apportez une réponse affirmative à ces deux premières questions, la question no 3, qui vise le cas du travailleur qui n'est assuré qu'au regard des accidents du travail, devient sans objet. Il reste par contre nécessaire de prendre position sur les quatre dernières questions; ce n'est, en effet, qu'au cas où l'institution compétente serait celle de la république d'Irlande que ces questions seraient sans objet.
En matière de prestations maladie, l'article 18, paragraphe 1, dans la version de l'article 1, paragraphe 3, du règlement du Conseil no 2864/72 du 19 décembre 1972, dispose que «l'institution compétente d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'assurance, d'emploi ou de résidence, tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance, d'emploi ou de résidence accomplies sous
la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes accomplies sous la législation qu'elle applique».
Pour ce qui est des personnes se trouvant dans la situation de l'intéressée, la législation britannique ne subordonnait pas l'acquisition du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'assurance, d'emploi ou de résidence: le taux de la prestation de maladie est fixé au taux auquel la pension de vieillesse aurait été due, pourvu que ces personnes eussent droit à bénéficier d'une pension de vieillesse uniforme (flat rate), c'est-à-dire qu'elles aient versé un minimum de treize
cotisations hebdomadaires en vertu de la loi de la Grande-Bretagne depuis la date de leur dernière arrivée dans ce pays ou qu'elles aient versé un minimum (ou qu'elles aient été créditées d'un minimum) de vingt-six cotisations en vertu de ladite loi pour l'année de cotisation correspondante.
En matière de vieillesse, l'article 45, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 (dans la version de l'article 1, paragraphe 13, du règlement no 2864/72 précité), dispose que «l'institution d'un Etat membre dont la législation subordonne l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'assurance ou de résidence tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance ou de résidence accomplies sous la législation de tout État membre,
comme s'il s'agissait de périodes accomplies sous la législation qu'elle applique».
Sur la base des dispositions combinées du paragraphe 17, ajouté à l'annexe V, b), point «I. Royaume-Uni», par l'article 1, paragraphe 4, sous b), point ii), du règlement du Conseil no 1209/76, qui porte effet rétroactif au 6 avril 1975, ainsi que des dispositions de l'annexe 3, partie I, paragraphe 5, du Social Security Act de 1975, l'institution compétente de Grande-Bretagne tient compte des périodes d'assurance ou de résidence accomplies sous la législation des autres Etats membres aux fins de
l'ouverture d'un droit à pension sous sa propre législation.
Aussi longtemps que le Secretary of State n'a pas rapporté — si tant est que cela soit légal du point de vue communautaire — la décision en vertu de laquelle l'intéressée se trouvait affiliée au régime national d'assurance au Royaume-Uni, les cotisations versées en Irlande par celle-ci doivent être prises en compte par l'institution compétente en vertu des dispositions de l'article 46, paragraphe 2, en vue du calcul de sa pension.
Toutefois, dans la mesure où le montant obtenu sur la base de l'article 46 serait le même que celui obtenu sur base du calcul de l'article 18, il n'y aurait pas lieu de distinguer entre les deux hypothèses.
Parvenu au terme de cette analyse, nous avouons notre embarras pour formuler les réponses utiles aux questions du National Commissioner, étant donné que ni l'Insurancc Officer, ni la Commission n'ont proposé de texte précis.
Nous conclurons, cependant, de la manière suivante:
1) En ce qui concerne le Royaume-Uni, les dispositions du règlement du Conseil no 1408/71 sont entrées en vigueur le 1er avril 1973.
2) Un travailleur qui, au moment où il demande à bénéficier des prestations de maladie, est immatriculé au régime national d'assurance d'un État membre et qui paie des cotisations à plein tarif à l'institution compétente de cet État est assuré auprès de cette institution au sens de l'article 1 (0) (i) du règlement no 1408/71 dans le cadre tant de l'article 18 que de l'article 46 de ce règlement, aussi longtemps que son affiliation n'a pas été régulièrement rapportée par l'autorité compétente.
3) Un travailleur qui n'est assuré auprès de l'institution d'un État membre qu'au regard des accidents du travail doit être considéré comme assuré auprès de cette institution au sens de l'article 1 (0) (i) du règlement aux fins de l'article 18.
4) Pour le calcul, au Royaume-Uni, tant du montant de la pension de vieillesse que de celui des prestations de maladie, il y avait lieu de tenir compte des dispositions de l'article 1, paragraphes 3 et 13, du règlement no 2864/72 du Conseil, ainsi que des dispositions de l'article 1, paragraphe 2, a), ii), et paragraphe 4, b), ii), du règlement no 1209/76 du Conseil.