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11/10/1979 | CJUE | N°219/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 11 octobre 1979., Hans Michaelis contre Commission des Communautés européennes., 11/10/1979, 219/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 11 OCTOBRE 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le présent litige a trait aux conditions d'application du coefficient correcteur aux pensions versées par les Communautés et, plus précisément, aux critères selon lesquels ce coefficient doit être fixé en application de l'article 82 du statut des fonctionnaires.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 11 OCTOBRE 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le présent litige a trait aux conditions d'application du coefficient correcteur aux pensions versées par les Communautés et, plus précisément, aux critères selon lesquels ce coefficient doit être fixé en application de l'article 82 du statut des fonctionnaires.

Monsieur Michaelis, fonctionnaire des Communautés depuis 1953, s'est vu retirer son emploi dans l'intérêt du service par décision de la Commission du 3 février 1971, prise en application de l'article 50 du statut. Ensuite, il s'est vu reconnaître le bénéfice du droit à la pension à partir du 1er septembre 1974. La direction du personnel l'a informé de tous les éléments sur lesquels était basé le calcul de sa pension et lui a transmis un questionnaire à compléter, que le requérant a renvoyé le
1er août 1974. A cette occasion, il a affirmé entre autres avoir sa résidence en la ville de Vallendar, en république fédérale d'Allemagne, déclaré, aux fins de la détermination du coefficient correcteur applicable, qu'il voulait établir son domicile dans cette même localité et demandé que sa pension lui soit versée en marks et portée au crédit de son compte courant postal, à Cologne. Sur le même document, le requérant a précisé, tout de suite après la déclaration relative au domicile, que «le
moment exact (du choix indiqué) était en discussion avec la direction du personnel».

Le 5 septembre 1974, la Commission notifiait au requérant le décompte détaillé de la pension de celui-ci, dans lequel il était précisé (à la page 3, point 7) qu'il serait fait application du coefficient correcteur relatif à la République fédérale.

Par lettre envoyée à la direction du personnel le 11 septembre 1977, M. Michaelis affirmait avoir renoncé momentanément à élire domicile en République fédérale et avoir toujours conservé son domicile à Bruxelles; en conséquence, il demandait le bénéfice du coefficient correcteur applicable à la Belgique, avec effet à partir de la date à laquelle il avait commencé à bénéficier de sa pension, c'est-à-dire à compter du 1er septembre 1974. Il a insisté sur ce problème de prise d'effet dans une
lettre du 26 septembre 1977. La direction du personnel finit par lui reconnaître l'application rétroactive du coefficient correcteur belge, mais seulement à partir du 1er janvier 1977, compte tenu du fait que le requérant avait indiqué pour la première fois avoir sa résidence à Bruxelles dans une déclaration du 29 janvier de la même année.

M. Michaelis forma une réclamation contre cette décision, en application de l'article 90 du statut, se plaignant de ce que le coefficient correcteur belge n'avait pas été appliqué à sa pension pour la période du 1er septembre 1974 au 31 décembre 1976. La Commission, par lettre du commissaire, M. Tugendhat, du12 juillet 1978, a rejeté sa réclamation. C'est contre cette prise de position défavorable que le requérant a formé le recours contentieux par acte du 2 octobre 1978.

2.  L'institution défenderesse a soulevé à titre préliminaire une exception d'irrecevabilité, motif pris de ce que le recours ne contiendrait pas «l'exposé sommaire des moyens invoqués», cela contrairement à la disposition de l'article 38, paragraphe 1, lettre c), du règlement de procédure. Cette exception est toutefois dénuée de fondement.

Tout d'abord, il n'est pas exact de dire que l'acte introductif d'instance ne contient pas l'exposé des moyens invoqués. Il ressort clairement du texte de la requête que l'intéressé fait grief à la Commission d'avoir violé l'article 82 du statut, lequel prévoit entre autres que la pension est affectée du coefficient correcteur applicable pour le pays de la Communauté où le titulaire de la pension déclare fixer son domicile. Cette thèse est amplement développée aux points 8 à 24 de la requête et
elle est reprise au point 41 du même document, où référence expresse est faite à l'article 82 du statut. D'autre part, il est bien connu que, selon la jurisprudence de la Cour, l'article 38, paragraphe 1, lettre c), du règlement de procédure doit être considéré comme ayant été respecté chaque fois que la requête est rédigée de manière telle qu'il est possible d'établir avec certitude l'essentiel des moyens et d'identifier les dispositions sur lesquelles l'action est fondée (voir, en dernier
lieu, l'arrêt du 14 mai 1975 dans l'affaire 74/74, CNTA/Commission, Recueil 1975, p. 533).

3.  Ensuite, la recevabilité du recours est également contestée sous l'angle du défaut de régularité de la réclamation administrative préalable. Nous savons qu'aux termes de l'article 91, paragraphe 2, du statut, un recours est recevable si «l'autorité investie du pouvoir de nomination a été préalablement saisie d'une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, et dans le délai y prévu». En l'espèce, la Commission a contesté le fait que la réclamation a été formée en temps utile dans la
lettre du 12 juillet 1978, par laquelle elle a rejeté la demande de M. Michaelis tendant à obtenir ex tunc le bénéfice du coefficient correcteur applicable à la Belgique. Elle a fait observer à ce sujet que la décision concernant la pension de l'intéressé a été notifiée à ce dernier le 5 septembre 1974 et que, déjà à cette époque, il avait été spécifié que la pension serait calculée compte tenu du coefficient correcteur applicable pour l'Allemagne. Aussi, la réclamation aurait-elle dû être
présentée dans un délai de trois mois à compter de cette date, et non trois ans (et même plus) après.

Cette argumentation de la défenderesse nous semble raisonnable et fondée. En fait, M. Michaelis a été informé le 5 septembre 1974 de ce que l'institution avait retenu comme «domicile déclaré», aux fins de la détermination du coefficient correcteur applicable, celui de Vallendar, en république fédérale d'Allemagne, indiqué dans la déclaration faite par le requérant le 1er août 1974. Il est vrai que l'administration a pour habitude de reproduire les éléments essentiels du décompte de la pension
dans le document analytique qui accompagne le versement mensuel de celle-ci, si bien qu'il serait possible de soutenir que la réclamation a été introduite dans les délais en mettant celle-ci en relation avec le dernier décompte communiqué à l'intéressé un mois avant. Mais il est facile d'objecter à cette thèse que les bulletins analytiques relatifs à la rémunération ou à la pension possèdent, en règle générale, un caractère répétitif par rapport à l'acte qui a déterminé initialement le montant
de celles-ci (ou qui l'a éventuellement modifié par la suite). Si l'on considère par conséquent que les actes purement «confirmatifs» ne peuvent être attaqués de façon autonome, selon la jurisprudence de la Cour, il nous semble qu'il faille exclure que le bulletin de rémunération, lequel ne contenait aucun élément nouveau par rapport à la désision du 5 septembre 1974 quant au coefficient applicable, puisse être considéré en l'espèce comme l'acte faisant l'objet de la réclamation. Rappelons à ce
propos l'arrêt de la Cour du 21 février 1974, dans les affaires jointes 15 à 33, 52, 53, 57-109, 116, 117, 123, 132 et 135-137/73, R. Kortner et autres/ Conseil, Commission et Parlement européen (Recueil 1974, p. 177): dans ces affaires, il s'agissait d'établir si, aux fins d'une réclamation formée contre le refus de l'administration de verser l'indemnité de dépaysement, le délai pouvait courir à compter de la date de transmission du bulletin de rémunération. La Cour a opté pour la solution
affirmative, mais à la condition que la décision adoptée par l'administration apparaisse clairement du document (attendus 18 et 19 des motifs) et pourvu que la décision elle-même n'ait pas été communiquée à l'avance à l'intéressé. En l'espèce, c'est précisément cette dernière situation qui s'est réalisée: le requérant a en effet reçu, immédiatement après que la pension lui avait été attribuée, communication de la décision de l'administration, dans laquelle se trouvait déterminé entre autres le
coefficient correcteur, si bien que les bulletins de rémunération qu'il a reçus par la suite étaient le simple reflet de cette décision initiale.

Le requérant invoque des arguments d'ordre procédural, afin de s'opposer à ce que la présentation en temps utile ou non de la réclamation administrative puisse être prise en considération. Il soutient que l'institution défenderesse n'a pas soulevé cette exception dans le mémoire en défense, comme le lui impose l'article 40, paragraphe 1, du règlement de procédure, mais l'a présentée pour la première fois dans le mémoire en duplique et que, par conséquent, ce moyen est irrecevable.

Nous jugeons cette argumentation sans fondement. Il est permis de douter tout d'abord du fait que la prétendue exception de tardiveté de la réclamation puisse être qualifiée de «moyen nouveau» au sens de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure, étant donné qu'il s'agit d'un élément figurant dans la lettre de rejet de la réclamation; et le requérant lui-mêne s'attarde à examiner dans l'acte introductif d'instance le problème du délai dans lequel la réclamation a été introduite, cela
précisément en relation avec ce qui est affirmé à ce propos dans la décision administrative de rejet. Mais, à part cela, il faut souligner que le dépôt de la réclamation administrative dans les délais prévus commande la recevabilité du recours juridictionnel, et que, selon la jurisprudence de la Cour, «la recevabilité de l'action doit être examinée d'office» (voir l'arrêt du 17 mars 1976 dans les affaires jointes 67-85/75, Lesieur Cotelle et Associés, 12e attendu des motifs, Recueil 1976,
p. 391). Il n'est pas douteux, selon nous, que ce principe puisse être invoqué dans le cas d'espèce; en fait, la norme qui fixé un délai pour la présentation d'une réclamation protège l'intérêt général des rapports juridiques entre les fonctionnaires et l'administration, et cet intérêt échappe nécessairement à la volonté des parties. Si cette considération est exacte, comme nous le croyons, il est hors de propos d'invoquer l'article 40, paragraphe 1, du règlement de procédure en relation avec
l'article 42, paragraphe 2, alinéa 1, du même texte: ces dispositions interdisant la présentation de moyens nouveaux en cours d'instance, se réfèrent de manière évidente à des demandes relevant de la volonté des parties et, partant, fixent des délais visant principalement à protéger la loyauté des débats et la réalité du contradictoire; en revanche, la forclusion ne saurait empêcher que la Cour s'occupe de la recevabilité du recours juridictionnel, laquelle doit être examinée d'office.

A notre avis, il y a donc lieu de constater que la réclamation a été présentée tardivement et que, en conséquence, le recours formé par M. Michaelis est irrecevable pour violation de l'article 91, paragraphe 2, premier tiret, du statut.

4.  L'avocat du requérant s'efforce de ramener le présent litige au cadre de l'article 41 de l'annexe VIII du statut; il vise également, par là, à surmonter l'obstacle d'ordre procédural que constitue l'exception d'irrecevabilité du recours, dont nous avons discuté jusqu'à présent.

Cet article prévoit (au premier alinéa) que «les pensions peuvent être révisées à tout moment en cas d'erreur ou d'omission de quelque nature que ce soit» et ajoute (au deuxième alinéa) que celles-ci «peuvent être modifiées ou supprimées si la concession a été faite dans des conditions contraires aux prescriptions du statut et de la présente annexe». Pour le requérant, cette norme permet au titulaire d'une pension de demander à tout moment, sans être lié par des délais de forclusion, la révision
et la modification de sa pension, et cela avec des effets rétroactifs illimités. Il est clair que si cette thèse était pertinente, la question de la recevabilité devrait être résolue dans un sens affirmatif.

Il ne nous semble pas toutefois que l'article 41 puisse être interprété dans le sens suggéré par le requérant. Cette disposition se limite à attribuer aux institutions la faculté de procéder à tout moment à la révision, à la modification ou à la révocation des pensions (respectivement «en cas d'erreur ou d'omission, de quelque nature que ce soit» ou en cas de concession faite dans des conditions contraires aux dispositions applicables en la matière). Il convient de souligner à cet égard que
l'organisme débiteur n'est pas tenu d'effectuer immédiatement la correction lorsqu'il rencontre une erreur ou constate que la liquidation est effectuée contrairement aux dispositions statutaires; cela peut se déduire de l'emploi du mot «peuvent», figurant dans les premier et second alinéas de l'article 41, et dont il est permis de conclure que toute détermination relève toujours de l'appréciation discrétionnaire de l'administration. Si tel est! c sens de la règle, nous croyons qu'il faut exclure
qu'elle représente un moyen spécial de tutelle des intérêts individuels. Les titulaires d'une pension qui ont à se plaindre d'erreurs dans le calcul des sommes qui leur sont versées à ce titre doivent, à notre avis, recourir aux moyens ordinaires, tant administratifs que juridictionnels, prévus aux articles 90 et 91 du statut. Il ne nous semble pas que l'article 41 tende à prévoir des moyens de recours différents des moyens ordinaires réglés au titre VII du statut, et concurrents avec ceux-ci.

Évidemment, rien n'empêche le titulaire d'une pension de signaler à l'administration, s'il le croit opportun, les erreurs, omissions et illégalités qu'il constate, en l'invitant à faire usage de la faculté que lui attribue l'article 41 et, par conséquent, à corriger l'inexactitude ou la situation contraire à la norme. Mais une démarche de ce genre revêt un caractère bien différent d'une réclamation ou d'un recours juridictionnel. D'un côté, en effet, la réclamation administrative prévue par
l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires constitue une phase qui doit nécessairement précéder le recours juridictionnel au sens de l'article 91, paragraphe 2, et à laquelle ne saurait être substituée une observation ou une demande basée sur l'article 41. D'un autre côté, nous avons déjà souligné que l'administration n'est pas tenue de faire usage de la faculté prévue par cette disposition et qu'elle n'est pas non plus obligée, dès lors, de donner suite aux observations ou à la
demande éventuelle dont nous venons de parler. Une initiative de ce genre pourrait tout au plus être assimilée à une demande visant à obtenir une décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination au sens de l'article 90, paragraphe 1; mais nous savons que, pour s'opposer au rejet d'une telle demande, l'intéressé doit présenter une réclamation régulière, ainsi qu'il résulte de la disposition de l'article 90, paragraphe 1. Par conséquent, loin de prévoir un recours substituable aux voies de
recours ordinaires, l'article 41 ne fait qu'ouvrir la voie à une demande à laquelle doit faire suite la procédure ordinaire en réclamation.

5.  Pour tenter d'étayer la thèse de la spécialité de la procédure qui serait fondée sur l'article 41, le requérant présente trois moyens dont aucun ne mérite toutefois d'être accueilli.

Un premier moyen est tiré du libellé de l'article 41. Cette disposition prévoyant la faculté de réviser et de modifier les pensions sans aucune restriction, il faudrait admettre l'hypothèse que l'intéressé prenne l'initiative de demander la révision ou la modification, en informant l'administration de l'erreur, de l'omission ou de la violation des dispositions statutaires qu'elle aurait commise à son estime. Nous avons déjà examiné cette hypothèse et exclu qu'elle puisse étayer l'idée selon
laquelle la norme en question instituerait une procédure spéciale non assortie d'un délai de forclusion, quel qu'il soit. Comme nous l'avons déjà fait observer, lorsque la pension a été fixée contrairement aux prescriptions statutaires, les moyens véritables et adéquats dont dispose l'intéressé restent les voies de droit ordinaires prévues par les articles 90 et 91, avec toutes les limitations dont elles sont assorties, y compris celles d'ordre temporel.

Tout aussi faible est le second moyen présenté par le requérant et qu'il tire de l'article 42 de l'annexe VIII. Cette dernière disposition édicte que les ayants droit d'un fonctionnaire décédé doivent demander la liquidation de leurs droits à pension dans l'année qui suit le décès du fonctionnaire, à peine d'être déchus des droits en question; il serait permis d'en déduire, a contrario, que pour le fonctionnaire, titulaire d'une pension, il n'existerait aucun délai de ce genre. Il nous semble
toutefois que l'article 42 possède un objet spécifique et limité et n'a rien à voir avec les instruments procéduraux que le statut reconnaît aux fonctionnaires pour la protection de leurs intérêts au regard de l'administration.

Dans son troisième moyen, le requérant fait référence à l'article 85 du statut, lequel a trait à la «répétition de l'indu» ainsi qu'il résulte du titre même du chapitre 4. Cette disposition édicte que «toute somme indûment perçue donne lieu à répétition si le bénéficiaire a eu connaissance de l'irrégularité du versement ou si celle-ci était si évidente qu'il ne pouvait manquer d'en avoir connaissance». Selon l'avocat de M. Michaelis, il y aurait contradiction dans le fait que les règles
statutaires permettent à l'administration de répéter sans limite de temps les sommes indûment perçues par les fonctionnaires, tout en refusant aux fonctionnaires intéressés le recours à une procédure semblablement dépourvue de délais de forclusion en vue d'obtenir la révision ou la modification ex tunc de la pension dont ils sont bénéficiaires. Pour ne pas tomber dans cette contradiction, l'article 41 devrait être interprété comme étant une norme instituant une procédure spéciale, pouvant être
mise en oeuvre par l'individu sans limite de temps.

Ce raisonnement prête le flanc à la critique. On ne saurait, en effet, partager l'opinion selon laquelle les sommes indûment perçues par les fonctionnaires sont, en vertu de l'article 85 précité, susceptibles d'être répétées à quelque moment que ce soit. Sans avoir la prétention d'aborder le problème du régime de la prescription des droits de créance des institutions communautaires vis-à-vis de leurs fonctionnaires, nous nous limiterons à observer que, dans de nombreux ordres juridiques
nationaux, les créances résultant de la répétition de l'indu à l'endroit de fonctionnaires publics sont assimilées aux autres créances sous l'angle des délais dans lesquels ces droits peuvent être invoqués. Cela nous semble raisonnable et conforme au principe de la sécurité juridique. Si l'on exclut, par conséquent, la prescribilité du droit de créance de l'administration contre le fonctionnaire, la prémisse sur laquelle le requérant fonde son moyen vient se trouver en porte-à-faux et il s'avère
logique, et non pas contradictoire, qu'il y ait des délais de forclusion dans le cas où l'intéressé demande, avec effet rétroactif, une modification ou, en tout cas, une correction de la pension qui lui est allouée. L'étendue différente des délais concédés aux fonctionnaires-titulaires d'une pension, d'une part, et à l'administration, de l'autre, nous parait pouvoir se justifier par la considération que le comportement de l'administration bénéficie d'une présomption de légalité. D'autre part,
dans l'intérêt du fonctionnaire de bonne foi, le même article 85 introduit des limitations sensibles à la répétition de l'indu par l'administration, en établissant que celle-ci ne peut avoir lieu que «si le bénéficiaire (de la somme indûment versée) a eu connaissance de l'irrégularité du paiement ou si celle-ci était si évidente qu'il ne pouvait manquer d'en avoir connaissance».

6.  Les considérations qui précèdent confirment l'irrecevabilité du recours pour violation de l'article 91, paragraphe 2, premier tiret, du statut. Nous croyons néanmoins nécessaire d'examiner également les éléments de fond du litige, lesquels ont fait l'objet d'un large débat dans le cours de la procédure.

Il s'agit en substance d'établir si la Commission a violé l'article 82 du statut en appliquant à la pension de M. Michaelis le coefficient correcteur relatif à la république fédérale d'Allemagne. Le requérant reproche à la Commission d'avoir considéré la république fédérale comme son «domicile déclaré», bien qu'il n'ait pas fait de déclaration en ce sens.

En résumant les faits au début de nos conclusions, nous avons rappelé que la Commission avait invité M. Michaelis à remplir un questionnaire relatif à une série d'informations qui lui étaient nécessaires pour la détermination de ses droits. La lettre de transmission accompagnant le questionnaire précisait entre autres, au paragraphe II, que, selon la disposition de l'article 82, paragraphe 1, deuxième alinéa, du statut, les pensions sont calculées sur la base du «coefficient correcteur fixé pour
le pays de la Communauté dans lequel le titulaire de la pension déclare fixer son propre domicile». Le requérant a rempli le questionnaire en indiquant avoir sa résidence à Vallendar, en République fédérale, et en déclarant choisir cette localité comme domicile Toutefois, au lieu de préciser la date à partir de laquelle ce choix devenait effectif (comme le formulaire l'exigeait), il a ajouté la phrase suivante: «Le moment exact est encore en discussion avec la direction du personnel». Par la
suite, l'administration lui a notifié, en date du 5 septembre 1974, la décision par laquelle elle définissait les éléments servant de base pour le calcul de la pension; parmi ces éléments se trouvait également mentionné (au point 7) le coefficient correcteur fixé pour la République fédérale, et cela aux fins des effets visés à l'article 82 du statut.

Par la suite, et cela jusqu'en 1977, la Commission a toujours versé au requérant la pension calculée selon le coefficient correcteur applicable pour la République fédérale.

Cela étant, il nous paraît indiscutable que le requérant a effectué la déclaration de domicile aux fins de la détermination du coefficient correcteur applicable en s'en tenant aux instructions fournies par la direction du personnel, conformément à l'article 82 du statut. Sous ce rapport, nous ne croyons pas qu'il soit possible d'attribuer de l'importance au fait que l'intéressé a omis d'indiquer la date de prise d'effet de sa propre élection de domicile. En réalité, l'annotation relative à la
discussion en cours avec la direction du personnel ne présentait — même dans l'esprit du requérant — aucun lien avec le problème du coefficient applicable. Ce qui a incité le requérant à faire cette annotation était probablement le souci d'éviter que les informations qu'il fournissait aux fins de la pension ne fassent interférence avec l'issue d'un autre litige pendant à l'époque (en 1974) avec l'administration et ayant trait à l'octroi de l'indemnité de réinstallation.

Par conséquent, la déclaration de domicile était exhaustive aux fins de la détermination du coefficient correcteur applicable; avec cette conséquence aussi que le comportement de l'administration, laquelle a pris pour base de calcul le coefficient correcteur allemand, ne saurait être critiqué sous ce rapport.

7.  Selon le requérant, l'article 82 du statut a été violé également à un autre égard: la Commission aurait appliqué à sa pension le coefficient correcteur relatif à l'Allemagne tout en sachant qu'il n'avait jamais transféré son propre domicile de Bruxelles à Vallendar.

Ce grief néglige, à mon avis, la disposition précise de l'article 82, paragraphe 1, alinéa 2 du statut. Cette norme établit, comme nous le savons, que les pensions sont calculées selon le coefficient correcteur relatif au pays de la Communauté «où le titulaire de la pension déclare fixer son domicile». Les termes dont s'est servi le législateur communautaire dans cette disposition («déclare fixer etc.») indiquent que, dans cette hypothèse, il a entendu donner prévalence au choix de l'intéressé.
Ce souci du législateur communautaire se trouve également en harmonie avec d'autres dispositions en matière de pension contenues à l'annexe VIII; nous citerons à cet égard l'article 45, alinéa 3, lequel prévoit que les prestations peuvent être payées «au choix des intéressés, soit dans la monnaie de leur pays d'origine, soit dans la monnaie du pays de leur résidence, soit dans la monnaie du siège de l'institution à laquelle appartenait le fonctionnaire». Nous ajouterons que la disposition de
l'article 82, paragraphe 1, est d'autant plus logique qu'il n'est pas rare que le titulaire d'une pension conserve son logement dans la ville où il travaillait en qualité de fonctionnaire communautaire, tout en possédant aussi une autre habitation dans le pays où se trouve le siège de sa nouvelle activité: hypothèse qui est précisément celle du cas de l'espèce. Dans une situation de ce genre, il est parfaitement justifié que le choix du domicile, qui importe aux fins du problème dont s'agit ici,
soit opéré par l'intéressé.

Nous n'irons pas jusqu'à affirmer que la déclaration de l'intéressé, dont il est question à l'article 82, continue d'être déterminante pour établir le coefficient correcteur applicable lors même que la situation objective est contraire à la situation déclarée par l'intéressé, c'est-à-dire lorsque l'intéressé n'a pas établi son domicile dans le pays indiqué. En fait, l'article 43 impose aux bénéficiaires des pensions l'obligation de fournir les preuves écrites qui peuvent être exigées ainsi que
celle de «notifier à l'institution … tout élément susceptible de modifier leurs droits à prestation». Deux hypothèses peuvent donc se présenter: soit le pensionné procède à cette notification, soit l'administration parvient par d'autres moyens à la connaissance que l'intéressé n'est pas domicilié à l'endroit indiqué. Si la notification en question est faite, et dès l'instant où celle-ci est opérée, l'administration est mise en mesure d'agir, et il semble raisonnable d'admettre dans pareil cas un
devoir de l'administration d'agir de manière conforme en compensation de l'obligation imposée à l'intéressé; cela d'autant plus qu'une nouvelle notification relative au domicile équivaut à une nouvelle déclaration de choix. Mais, précisément de ce fait, la nouvelle notification peut seulement avoir effet ex nunc; autrement, elle méconnaîtrait l'effet de la première déclaration et constituerait l'expression d'un pouvoir illimité du titulaire de pension d'obtenir que soit révisé le coefficient
correcteur qui lui a initialement été attribué. Si, en revanche, en l'absence de notification, c'est l'administration qui découvre la différence existant entre la déclaration du titulaire de pension et la réalité, l'article 41 du statut donne toujours à celle-ci la faculté de procéder à la révision de la pension, mais dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire qui, comme nous l'avons dit, est sauvegardé par l'article 41.

Les considérations qui précèdent nous ont permis de clarifier le cadre normatif auquel doivent être ramenés les griefs articulés par le requérant. En substance, notre point de vue est que l'administration, lorsqu'elle apprend de manière indirecte que le domicile réel du titulaire de pension est différent de celui déclaré par celui-ci, a la faculté, mais non pas l'obligation, de procéder aux rectifications nécessaires, sans que le retard ou l'omission de ces interventions puisse lui être reproché
par l'intéressé. Celui-ci, outre les voies de recours ordinaires, a seulement la possibilité de provoquer une révision ex nunc du coefficient correcteur en informant l'institution, conformément à l'article 43, qu'il a fixé son domicile dans un autre pays.

Il est permis de douter en tout cas que, dans notre hypothèse, l'administration ait eu connaissance du fait que le requérant était domicilié en Belgique et non en République fédérale. L'argument principal qu'il invoque à l'appui de cette thèse est le suivant: la Commission, par décision du 20 juin 1974, a rejeté sa demande en obtention de l'indemnité de réinstallation (visée à l'article 6 de l'annexe VII du statut), motif pris de ce qu'il n'avait pas prouvé (comme il aurait dû le faire) qu'il
s'était établi avec sa famille en République fédérale; en outre, dans la même décision, le directeur du personnel donnait acte de ce que le requérant avait maintenu sa résidence à Bruxelles. Ce raisonnement laisse sous-entendre que les conditions requises pour obtenir l'indemnité de réinstallation, d'une part, et pour déterminer le coefficient correcteur, de l'autre, sont les mêmes; mais nous ne pouvons partager cette opinion. En fait, alors que l'article 82 du statut fonde, comme nous l'avons
vu, la détermination du coefficient correcteur sur la déclaration de l'intéressé indiquant qu'il établit son domicile dans un certain pays, l'article 6 de l'annexe VII subordonne l'octroi de l'indemnité au transfert effectif du domicile du lieu d'affectation dans une localité différente, d'autant que le paragraphe 4 de la même disposition prévoit que l'indemnité «est versée sur justification de la réinstallation du fonctionnaire et de sa famille» dans la localité différente de son lieu
d'affectation. Il n'y a donc pas contradiction entre la décision de l'administration considérant que l'établissement de la famille de l'intéressé dans la nouvelle localité n'est pas suffisamment démontré et le comportement de cette même administration qui tend à considérer comme faisant foi, aux fins de la détermination du coefficient correcteur applicable, une déclaration de domicile faite antérieurement, même si celle-ci se réfère précisément à la localité où le titulaire de pension a soutenu,
sans réussir à en administrer la preuve, s'être établi avec sa famille. Ici aussi, la possibilité de pendre une double résidence, dont une seule possède caractère familial, ne doit pas être perdue de vue. Il ne nous semble donc pas qu'il soit permis d'affirmer, sur la base de l'argumentation que nous venons de reproduire, que dans notre cas, l'administration avait la certitude qu'il n'y avait pas correspondance entre la déclaration de domicile et la situation de fait.

Les autres éléments invoqués par le requérant à l'appui de sa thèse, selon laquelle l'administration a toujours su qu'il n'avait pas effectivement quitté la Belgique, ne sont pas de nature à nous amener à modifier la conclusion à laquelle nous sommes parvenu jusqu'à présent. C'est ainsi que la notification que le requérant a faite à la Commission, le 26 janvier 1976, relativement à sa propre situation familiale, n'est guère concluante. En effet, elle porte deux adresses, une première à
Bruxelles, une seconde à Vallendar et, par conséquent, elle ne pouvait évidemment pas contribuer à clarifier la situation. Ce n'est que la déclaration du 29 janvier 1977, laquelle portait comme seule adresse celle de Bruxelles, qui permit de mettre fin à l'ambiguïté existante; aussi la Commission en tint-elle correctement compte en faisant rétroagir l'application du coefficient correcteur belge à la date du 1er janvier 1977. De plus, la circonstance que le requérant ait exercé les fonctions
d'expert de la Commission de manière presque ininterrompue du 29 septembre 1971 au 31 octobre 1976, avec pour mission de présenter un rapport sur la politique européenne d'approvisionnement en matières premières, ne nous parait pas particulièrement significative. Il n'apparaît pas, en effet, que cette mission lui imposait une présence constante à Bruxelles. D'autre part, au cours de la même période, le requérant, ayant demandé l'indemnité de réinstallation, présenta à la Commission deux
certificats de résidence délivrés par la police de Vallendar, respectivement les 7 octobre 1971 et 27 mars 1974 (voir le mémoire en duplique de la Commission, p. 4). Rappelons enfin que M. Michaelis exerce depuis longtemps les fonctions de professeur à l'université de Cologne, cité dans laquelle la pension lui était versée.

8.  A titre subsidiaire, le requérant soutient que l'administration a réalisé un enrichissement sans cause à son préjudice en appliquant à sa pension le coefficient allemand au lieu du coefficient belge. Aussi demande-t-il à ce titre une somme égale à la différence qui aurait été payée en moins (et indûment retenue par la Commission) au cours de la période comprise entre le 1er septembre 1974 et le 31 décembre 1976.

Cette demande ne saurait, à notre avis, être accueillie. A supposer même que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause puisse être exercée dans certains cas contre les institutions (il s'agit d'un point douteux), il resterait à surmonter l'obstacle tenant à la nature traditionnellement subsidiaire de ce type d'action. Il est bien connu, en effet, que celle-ci ne peut être exercée qu'à défaut d'autres moyens. Or, il est évident que, dans notre cas, le requérant pouvait sauvegarder ses
propres intérêts en mettant en œuvre les moyens de recours ordinaires prévus par les articles 90 et 91 du statut et qu'il manque, partant, la condition préalable essentielle pour pouvoir invoquer l'enrichissement sans cause.

9.  Nous conclurons par conséquent en proposant à la Cour de déclarer irrecevable ou, à tout le moins, non fondé le recours formé contre la Commission par M. Michaelis par acte du 2 octobre 1978. Vu la nature du litige, chacune des parties supportera ses propres dépens.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 219/78
Date de la décision : 11/10/1979
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Coefficient correcteur.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Hans Michaelis
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Mackenzie Stuart

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:234

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