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28/06/1979 | CJUE | N°9/79

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 28 juin 1979., Marianne Koschniske, épouse Wörsdorfer, contre Raad van Arbeid., 28/06/1979, 9/79


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 28 JUIN 1979

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Mme Koschniske, épouse Wörsdorfer, de nationalité allemande, a exercé une activité professionnelle en tant que salariée aux Pays-Bas en 1970, mais a dû y mettre un terme le 17 mars de la même année pour cause de maladie. Depuis le 14 avril 1971, elle bénéficie de versements en application de la loi néerlandaise sur l'assurance contre l'incapacité de travail, le taux de son invalidité ayant été fixé entre 80

et 100 %.
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 28 JUIN 1979

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Mme Koschniske, épouse Wörsdorfer, de nationalité allemande, a exercé une activité professionnelle en tant que salariée aux Pays-Bas en 1970, mais a dû y mettre un terme le 17 mars de la même année pour cause de maladie. Depuis le 14 avril 1971, elle bénéficie de versements en application de la loi néerlandaise sur l'assurance contre l'incapacité de travail, le taux de son invalidité ayant été fixé entre 80 et 100 %.

L'article 77, paragraphe 2, lettre a), du règlement no 1408/71 sur la sécurité sociale des travailleurs migrants dispose que les prestations pour enfants à charge de titulaires de pensions ou de rentes sont accordées, «quel que soit l'État membre sur le territoire duquel résident le titulaire de pensions ou de rentes ou les enfants, au titulaire d'une pension ou d'une rente due au titre de la législation d'un seul État membre, conformément à la législation de l'État membre compétent pour la
pension ou la rente». En vertu de cette disposition, Mme Koschniske a droit pour ses trois enfants, résidant avec elle et son époux en république fédérale d'Allemagne, aux allocations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent pour la prestation ou la rente, c'est-à-dire en l'espèce la législation néerlandaise.

Le Raad van Arbeid d'Hengelo a toutefois suspendu le paiement de ces allocations à partir du quatrième trimestre de l'année 1977 en application de l'article 10, paragraphe 1, lettre b), du règlement no 574/72, dans la version modifiée par le règlement no 878/73 du 26 mars 1973, puis par le règlement no 1209/76 du 30 avril 1976, motif pris de ce que le conjoint de l'intéressée exerçait une activité professionnelle en Allemagne et y percevait des allocations pour enfants à charge («Kindergeld»).

Le texte de l'article 10, paragraphe 1, est à présent ainsi rédigé:

«Le droit aux prestations ou allocations familiales dues en vertu de la législation d'un État membre selon laquelle l'acquisition du droit à ces prestations ou allocations n'est pas subordonnée à des conditions d'assurance ou d'emploi est suspendu lorsque, au cours d'une même période et pour le même membre de la famille:



b) des prestations sont dues en application des articles 77 ou 78 du règlement. Toutefois, si le titulaire de pension ou de rente ayant droit à prestations en vertu de l'article 77 du règlement, son conjoint ou la personne qui a la garde des orphelins pour lesquels des prestations sont dues en vertu de l'article 78 du règlement exercé une activité professionnelle sur le territoire dudit État membre, le droit aux allocations familiales dues en application des articles 77 ou 78 du règlement au
titre de la législation d'un autre État membre est suspendu; dans ce cas, l'intéressé bénéficie des prestations ou allocations familiales de l'État membre sur le territoire duquel résident les enfants, à la charge de cet État membre …»

Cette règle anticumul a été édictée pour tenir compte de la situation particulière existant dans les nouveaux États membres. Au Royaume-Uni, au Royaume de Danemark et en république d'Irlande, comme dans certains États membres originaires, le droit aux prestations ou allocations familiales est fondé sur la résidence des membres de la famille sur le territoire national; mais, contrairement à ce qui se passe dans les États membres originaires, leurs législations ne comportent pas de clause
anticumul.

C'est cette disposition qui a été appliquée à l'intéressée. M. Wörsdorfer est en effet salarié en Allemagne, État dans lequel le bénéfice des allocations familiales n'est pas subordonné à des conditions d'assurance ou d'emploi (paragraphe 1, no 1, de la loi «Bundeskindergeldgesetz» du 31 janvier 1975).

Auparavant, pour autant qu'on puisse en juger au vu du dossier, les allocations familiales néerlandaises n'étaient pas versées en totalité, mais, en application de l'article 10, paragraphe 1, lettre b), du règlement no 574/72, uniquement dans la mesure où elles excédaient les allocations familiales allemandes.

Mme Koschniske a intenté un recours contre la décision de suspension la concernant devant le Raad van Beroep de Zwolle. Estimant qu'une question d'interprétation du droit communautaire se posait, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de vous soumettre, en application de l'article 177 du traité CEE, la question de savoir si l'expression «son conjoint» («diens echtgenote» en néerlandais) employée à l'article 10, paragraphe 1, lettre b), du règlement no 574/72 s'applique également au
père des enfants. Le doute de cette juridiction provient de ce que le terme utilisé dans la version néerlandaise du règlement du Conseil (echtgenote) comme correspondant au terme français «conjoint» ne vise sémantiquement qu'une personne de sexe féminin.

II — Une réponse affirmative à cette question ne saurait faire de doute.

La version néerlandaise du texte est la seule à ne pas utiliser un terme incluant les deux sexes. Le texte anglais utilise le mot «spouse» et le texte allemand le terme «Ehegatte». Or, comme la Cour l'a déjà jugé à plusieurs reprises (notamment dans son arrêt van der Vecht du 5. 12. 1967, Recueil p. 456), «la nécessité d'une interprétation uniforme des règlements communautaires exclut que ledit texte soit considéré isolément, mais exige, en cas de doute, qu'il soit interprété et appliqué à la
lumière des versions établies dans les trois autres langues».

La référence à une autre disposition du règlement no 1408/71 aurait pu éclairer le juge national. Le paragraphe 3 bis de l'annexe V, point E (Irlande) de ce règlement, ajouté par règlement du Conseil no 1392/74 du 4 juin 1974, dispose:

«Toutefois, lorsque le conjoint du travailleur ou la personne qui a la garde des enfants exerce une activité professionnelle en Irlande, les prestations servies aux membres de la famille restent à la charge de l'institution irlandaise dans la mesure où le droit auxdites prestations serait ouvert en application de la seule législation irlandaise.»

Or, le terme «conjoint» a été, cette fois, rendu par «echtgenoot», c'est-à-dire mari ou père. Il résulte du rapprochement de ces dispositions des règlements nos 1408/71 et 574/72 que le terme français «conjoint» est ambivalent, même dans la version néerlandaise.

Une réponse négative aboutirait au surplus à suspendre le droit aux allocations familiales dues en application de l'article 77 du règlement no 1408/71 lorsque le titulaire de la pension ou de la rente est du sexe masculin et, au contraire, à le maintenir lorsqu'il est du sexe féminin. Pareille discrimination nous parait à l'évidence contraire au principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes, exprimé à l'article 119 du traité CEE en matière d'égalité de rémunération pour un même
travail et étendu au domaine de la sécurité sociale par la directive du Conseil no 79/7 du 19 décembre 1978.

Il serait en outre contraire au but de l'article 10, qui est d'éviter un cumul d'allocations familiales pour les mêmes enfants, de ne permettre ce résultat que si c'est le père qui est le titulaire de la pension ou de la rente.

En réponse à la question posée, nous concluons à ce que vous disiez pour droit que, par l'expression «son conjoint» figurant à l'article 10, paragraphe 1, lettre b), du règlement no 574/72, il y a lieu d'entendre aussi bien l'épouse que l'époux d'un travailleur qui a droit aux prestations pour enfants à charge en vertu de l'article 77, paragraphe 2, lettre a), du règlement no 1408/71, étant entendu que l'institution compétente ne peut suspendre le versement de ces prestations que jusqu'à concurrence
du montant effectivement perçu au titre de la législation d'un autre État membre.

Nous pensons également qu'il serait de bonne administration que la version néerlandaise du règlement du Conseil soit rectifiée en ce sens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 9/79
Date de la décision : 28/06/1979
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep Zwolle - Pays-Bas.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Marianne Koschniske, épouse Wörsdorfer,
Défendeurs : Raad van Arbeid.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:176

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