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15/03/1979 | CJUE | N°117/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 15 mars 1979., Willy Orlandi contre Commission des Communautés européennes., 15/03/1979, 117/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 15 MARS 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La présente affaire concerne un fonctionnaire communautaire (précisément, Monsieur Orlandi) qui, ayant demandé en 1977 de participer à un concours général (COM/B/155) pour la constitution d'une réserve dans la catégorie B, n'a pas été admis aux épreuves écrites parce que le jury a estimé que ses titres n'étaient pas conformes aux qualifications requises par l'avis de concours.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 15 MARS 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La présente affaire concerne un fonctionnaire communautaire (précisément, Monsieur Orlandi) qui, ayant demandé en 1977 de participer à un concours général (COM/B/155) pour la constitution d'une réserve dans la catégorie B, n'a pas été admis aux épreuves écrites parce que le jury a estimé que ses titres n'étaient pas conformes aux qualifications requises par l'avis de concours.

Après cette décision, M. Orlandi a vainement écrit au président du jury en signalant que son diplôme des cours techniques secondaires supérieurs était considéré par les autorités belges comme équivalent au «diplôme d'humanité» et que, dans un concours précédent auquel il avait participé, le même diplôme avait été jugé conforme aux qualifications indiquées dans l'avis (qualifications identiques à celles prévues pour le concours suivant COM/B/155).

La réclamation introduite ensuite par l'intéressé au sens de l'article 90 du statut des fonctionnaires n'a pas non plus été accueillie par la Commission. En conséquence, M. Orlandi a formé le 17 mai 1978 le recours que nous examinons aujourd'hui en soutenant que la décision de l'exclure du concours était viciée pour défaut de motivation, violation de normes dérivées et détournement de pouvoir, et en concluant par conséquent à l'annulation de cette décision ainsi que de l'ensemble de la procédure
de concours, y compris les nominations des candidats considérés comme aptes.

2.  Une exception d'irrecevabilité pour tardiveté du recours a été soulevée par la Commission. Elle relève que selon la jurisprudence de la Cour de justice (arrêt du 14. 6. 1972, affaire 44/71, Marcato; 15. 3. 1973, affaire 37/72, Marcato; 16. 3. 1978, affaire 7/77, Wullerstorff respectivement dans les Recueils 1972, p. 427; 1973, p. 361 et 1978, p. 769) la procédure administrative visée à l'article 90 du statut du personnel n'a «pas de sens dans le cas d'un grief contre les décisions d'un jury de
concours, l'autorité investie du pouvoir de nomination manquant de moyens pour réformer ces décisions»; dès lors, dans l'hypothèse indiquée, l'article 91, paragraphe 2, du statut devrait être interprété en ce sens que le recours juridictionnel peut être formé directement sans réclamation administrative préalable. La Commission en a déduit que le délai de deux mois imparti aux fins de l'introduction du recours juridictionnel devait être calculé, en l'espèce, à partir du 26 septembre 1977,
c'est-à-dire à compter de la date de la notification à l'intéressé de la décision du jury de ne pas l'admettre aux épreuves écrites. Au contraire, le recours n'a été introduit que le 17 mai 1978; il y aurait donc eu lieu de le considérer comme irrecevable.

Cette thèse ne saurait être partagée. Il est vrai que la réclamation administrative introduite contre la décision d'un jury de concours ne peut produire aucun effet parce que l'autorité investie du pouvoir de nomination n'est pas compétente pour modifier les décisions adoptées par un jury dans le cadre de son pouvoir d'appréciation discrétionnaire (voir en ce sens en particulier l'arrêt précité rendu le 16. 3. 1978, dans l'affaire 7/77, Wüllerstorff, Recueil 1978, p. 769, attendus 7 à 9). Mais
on ne saurait tirer de cette prémisse la conséquence que le candidat qui, dans le respect de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, suit la voie de la réclamation administrative préalable et saisit ensuite la Cour de justice, est privé de la protection juridictionnelle. La jurisprudence de la Cour de justice doit être correctement comprise en ce sens que, même s'il n'est pas nécessaire d'introduire une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut lorsque des
griefs sont dirigés contre des décisions de jurys de concours, le respect de ces dispositions ne saurait néanmoins affecter en aucune façon le droit fondamental des candidats à faire valoir leurs moyens sur le plan juridictionnel.

3.  Quant au fond, nous examinerons d'abord tous les griefs concernant l'insuffisance de la motivation.

La décision de non-admission aux épreuves du concours a été portée à la connaissance de l'intéressé par une lettre-formulaire, qui contenait une liste de quatre motifs et portait deux astérisques dans la case placée à côté du motif no 2 («vos titres ou diplômes n'ont pas été jugés conformes aux qualifications requises»). Nous avons déjà eu l'occasion d'observer dans deux cas analogues (conclusions présentées dans les affaires jointes 4, 19 et 28/78, Salerno, Authié et Massangioli, et dans
l'affaire 112/78, Kobor) que les décisions des jurys de ne pas admettre un candidat aux épreuves ne peuvent pas être considérées comme suffisamment motivées lorsqu'elles contiennent uniquement l'indication du défaut de l'une des qualifications requises par l'avis de concours. Ce point de vue a été partagé par la Cour, en dernier lieu, dans l'arrêt rendu le 30 novembre 1978 qui a statué sur les affaires précitées Salerno et autres. Or, il y a lieu de reconnaître que la formule utilisée dans la
lettre adressée par le jury à M. Orlandi n'est ni claire ni exhaustive, d'autant plus que les qualifications requises par l'avis de concours en ce qui concerne les titres ou diplômes avaient été décrites comme suit: «études du niveau de l'enseignement secondaire sanctionnées par un diplôme de fin d'études». La communication faite à l'intéressé pouvait donc signifier soit que les études suivies n'étaient pas du niveau voulu, soit qu'elles n'étaient pas sanctionnées par un diplôme de fin d'études,
soit enfin que le diplôme, bien qu'ayant été obtenu à l'issue d'un cycle d'études complet, était insuffisant pour d'autres raisons (comme cela s'est effectivement produit en l'espèce, bien qu'illégalement, à notre avis).

Il n'est pas possible d'établir avec certitude sur la base de la lettre précitée pour quel défaut de titre spécifique le candidat n'a pas été admis aux épreuves.

Nous estimons, d'autre part, que le grand nombre des candidats n'est pas, comme la Commission semble le laisser entendre, une circonstance permettant de justifier une motivation incomplète. Nous avons déjà déclaré dans l'affaire Salerno et autres que «les conséquences négatives liées au grand nombre de candidats ne doivent pas être supportées par les candidats», et que, pour les éviter, «l'autorité qui organise un concours a le devoir de se préparer de façon telle qu'elle puisse exercer sa tâche
en respectant pleinement les règles qui s'imposent à elle, même s'il y a des milliers de participants».

La nécessité d'une motivation suffisante des décisions des jurys a été reconnue par la Cour de justice dans les arrêts précités rendus le 14 juin 1972 dans l'affaire 44/71, Marcato, et le 15 mars 1973 dans l'affaire 37/72, Marcato, ainsi que dans l'arrêt rendu le 4 décembre 1975 dans l'affaire 31/75, Costacurta (Recueil 1975, p. 1563), et en dernier lieu dans l'arrêt du 30 novembre 1978, Salerno et autres. Cette orientation mérite d'être confirmée.

4.  Par un autre moyen du recours, le requérant a fait valoir que la décision attaquée comportait une violation du droit communautaire dérivé en ce qu'elle se fondait sur une interprétation erronée des dispositions de l'avis de concours (fondées sur l'annexe III du statut des fonctionnaires) relatives à l'appréciation préliminaire des titres aux fins de l'admission au concours.

Il est admis que le requérant est titulaire d'un diplôme des cours techniques secondaires supérieurs, section comptabilité, qui lui a été délivré le 12 juin 1971 par l'«Institut d'enseignement technique de l'État à Tournai». Le même diplôme atteste que son titulaire a suivi, pendant une période de trois ans, 1120 heures de cours dans un certain nombre de matières qui y sont énumérées. Le requérant est en outre titulaire d'un diplôme d'aide-comptable qui lui a été délivré le 24 juin 1959 par
l'«École de commerce du degré moyen» de Tournai, à l'issue d'un cycle de quatre années comportant au total 5320 heures de cours.

La Commission n'a pas contesté ces circonstances. Elle se borne à observer que le titre d'études de l'intéressé ne répond pas aux qualifications de l'avis de concours parce qu'il ne donne pas accès à l'université. Or, il nous semble que le texte de l'avis de concours n'autorise pas à une telle interprétation restrictive: en effet, comme nous l'avons vu, il était seulement prévu que le candidat devait avoir accompli des études du niveau de l'enseignement secondaire sanctionnées par un diplôme de
fins d'études. Dans le cadre des études secondaires, l'avis de concours ne distinguait pas entre celles qui donnent accès à l'université et celles qui, en revanche, s'achèvent par un titre professionnel constituant une fin en soi. Nous relevons que, compris dans ce sens plus large, l'avis de concours apparaît comme pleinement conforme aux dispositions de l'article 5, paragraphe 1, alinéa 3, du statut des fonctionnaires qui exige, pour l'encadrement de la catégorie B, «des connaissances du niveau
de l'enseignement secondaire» et ne mentionne pas, en fait, la possession de titres susceptibles de donner accès à l'université.

Dans le cas que nous examinons ici, l'avis de concours précisait également (point III B 2) que le jury, dans l'appréciation des diplômes, devait tenir compte des différentes structures d'enseignement existant dans les États membres. Cette disposition fournit, à notre avis, un autre argument permettant de considérer le titre du requérant comme approprié, étant donné que, selon l'ordre juridique belge, ce titre représente l'aboutissement d'un cycle complet d'études secondaires. Il ne nous semble
pas que l'on puisse attribuer une quelconque importance, précisément du point de vue de l'ordre juridique belge, au fait que le diplôme en question ait été délivré dans le cadre de cours du soir créés par l'État à des fins sociales: la loi belge du 7 juillet 1970, relative à la structure générale de l'enseignement supérieur, dispose en effet que l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur sont donnés «comme enseignement de plein exercice et comme enseignement de promotion sociale»
(article 1, paragraphe 1) et elle ne distingue pas, en ce qui concerne les contenus et les effets, entre les deux types de cours (ordinaires ou du soir) sous la forme desquels l'enseignement est dispensé. Cette approche globale de l'enseignement nous semble, entre autres, pleinement conforme au principe du droit aux études qui est aujourd'hui inclus dans la liste des droits de l'homme internationalement protégés.

Au reste, le fait que le diplôme obtenu à l'issue des cours du soir «de promotion sociale» n'est pas un titre mineur par rapport aux diplômes correspondants obtenus au terme des cours ordinaires, est confirmé par le fait qu'il est délivré par un jury d'État. Dans ce sens il est également significatif que l'État belge considère ce diplôme comme suffisant pour l'admission aux concours pour les emplois de niveau II de l'administration publique (voir la lettre du 3 novembre 1977 du «Ministère de
l'éducation nationale», belge, annexe 9 à la requête).

Il est vrai que pour définir les critères sur la base desquels les titres des candidats seraient appréciés, le jury avait décidé (comme cela ressort de la lettre de M. Tugendhat, annexe 12 de la requête) de déterminer cas par cas si les titres «ouvraient l'accès à l'université». Ce faisant, elle a cependant introduit arbitrairement à côté des critères fixés par l'avis de concours une nouvelle condition formelle d'admissibilité.

A l'appui de la thèse de l'illégalité du refus, le requérant attire l'attention sur la circonstance qu'à l'occasion d'un concours précédent ouvert en 1975, toujours pour pourvoir des postes d'assistants adjoints de la catégorie B (concours COM/B/139), le jury a jugé ses diplômes suffisants. Étant donné que l'avis de concours de 1975 était formulé exactement comme celui qui concerne le concours que nous examinons aujourd'hui, le fait qu'à un intervalle de deux ans, on dénie au même candidat la
possession d'un titre d'études appoprié, possession qui auparavant lui avait été régulièrement reconnue, ne manque pas de soulever de graves réserves.

Sur ce point la Commission a affirmé que tout concours constitue une procédure en soi et qu'en conséquence les appréciations portées par différents jurys, même si elles concernent les mêmes candidats ne seraient pas comparables. La Commission a également soutenu que le nombre élevé des candidats, dans le concours dont il s'agit, l'a amené à rendre la sélection plus sévère à l'occasion du contrôle des conditions d'admission aux épreuves écrites. L'idée que tout concours a sa propre autonomie doit
certes être tout à fait partagée; mais il convient de rappeler que l'appréciation des épreuves est une chose tandis que l'appréciation des titres et des qualifications aux fins de l'admission aux épreuves en est une autre. Ainsi que la Cour de justice l'a affirmé dans les arrêts précités rendus le 14 juin 1972 dans l'affaire 44/71 et le 15 mars 1973 dans l'affaire 37/72, si le stade de l'appréciation des épreuves «est avant tout de nature comparative» et donc conditionné par le nombre des
candidats, le stade de l'examen préliminaire des candidats pour décider de leur admission aux épreuves «consiste … dans une confrontation des titres produits … avec les qualifications requises par l'avis de concours … cette confrontation se faisant sur la base de données objectives».

5.  Le requérant se plaint ensuite du fait que le jury l'a exclu des épreuves sans prendre en considération son expérience professionnelle et ce, en violation de l'article 5 du statut du personnel qui prévoit la qualification de l'expérience professionnelle alternativement aux connaissances de différents niveaux.

Effectivement, l'article 5 précité prévoit trois types de connaissances (de niveau universitaire, du niveau de l'enseignement secondaire et de l'enseignement moyen), ou alternativement, l'expérience professionnelle équivalente aux fins de l'encadrement respectivement dans les catégories A, B et C, tandis que l'avis de concours COM/B/155 exigeait, outre un diplôme, une expérience professionnelle d'au moins un an dans le domaine choisi par le candidat. On peut donc s'interroger sur la légalité
d'un avis de concours qui pose des conditions plus restrictives que celles qui sont prévues, en général, par le statut des fonctionnaires. Pourtant, nous remarquons d'abord que l'article 5 précité du statut n'a pas directement trait au domaine des conditions d'admission aux concours mais seulement à la classification des emplois en différentes catégories et aux critères sur lesquels cette classification se fonde. En outre, nous pensons que le critère fondamental qui doit guider la conduite de
l'administration dans cette matière est celui de l'intérêt du service: pour garantir cet intérêt, l'institution peut très bien fixer, dans l'avis d'un concours déterminé, des conditions d'admission plus restrictives que les conditions minimales indiquées dans le statut du personnel. Il nous semble qu'en l'espèce la Commission s'est appuyée sur ce critère en établissant l'avis de concours et que pour sa part, le jury a agi conformément à ce principe en interprétant à cet égard l'avis de concours
et en le mettant en oeuvre.

En conséquence nous ne pensons pas que ce prétendu vice d'illégalité existe.

Le grief de détournement de pouvoir que le requérant impute, au reste, à la Commission en termes assez généraux, ne nous semble pas non plus fondé. En effet, il ne ressort d'aucun élément que la Commission ait refusé l'admission aux épreuves de M. Orlandi pour poursuivre des objectifs autres que ceux qui sont liés à la nécessaire sélection entre les candidats.

6.  Les considérations qui précèdent nous amènent à conclure qu'il y a lieu de faire droit au. recours: d'une part parce que le jury n'a pas motivé de façon suffisante le refus d'admission, d'autre part, parce que le même jury a violé les dispositions de l'avis de concours relatives à la condition du titre d'études.

L'annulation doit cependant être limitée à la décision d'exclusion. En effet, puisqu'il s'agit d'un concours général organisé aux fins de la constitution d'une liste de réserve, l'exclusion du requérant n'a pas eu d'incidence sur l'admission aux épreuves des personnes qui, selon le jury, possédaient les qualifications nécessaires. En conséquence, comme la Cour l'a déjà affirmé dans les affaires Costacurta et Salerno, les droits du requérant «seront adéquatement protégés si le jury de concours
reconsidère sa décision, sans qu'il y ait lieu de mettre en cause l'ensemble du résultat du concours ou d'annuler les nominations intervenues à la suite de celui-ci».

Nous concluons donc en proposant à la Cour de faire partiellement droit au recours introduit par M. Orlandi, par acte du 17 mai 1978, et d'annuler, en ce qui le concerne, la décision refusant de l'admettre au concours COM/B/155 et de condamner la Commission aux dépens.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 117/78
Date de la décision : 15/03/1979
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Willy Orlandi
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Sørensen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:72

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