La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/03/1979 | CJUE | N°231/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 6 mars 1979., Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord., 06/03/1979, 231/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 6 MARS 1979

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le présent recours de l'article 169 du traité CEE constitue le cadre approprié pour trancher le problème abstrait qui vous avait été posé par la High Court, Queen's Bench Division, Commercial Court, de Londres. Il s'agissait de l'affaire Meijer, enregistrée le 19 mai 1978 sous le no 118/78, sur laquelle nous avons conclu le 22 novembre 1978 et qui est encore pendante devant vous. Le litige actuel met en présence les vr

ais protagonistes, c'est-à-dire la Commission, que l'article 155 du traité charge
de ve...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 6 MARS 1979

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le présent recours de l'article 169 du traité CEE constitue le cadre approprié pour trancher le problème abstrait qui vous avait été posé par la High Court, Queen's Bench Division, Commercial Court, de Londres. Il s'agissait de l'affaire Meijer, enregistrée le 19 mai 1978 sous le no 118/78, sur laquelle nous avons conclu le 22 novembre 1978 et qui est encore pendante devant vous. Le litige actuel met en présence les vrais protagonistes, c'est-à-dire la Commission, que l'article 155 du traité charge
de veiller à l'application de celui-ci, et le gouvernement du Royaume-Uni, auteur de la mesure qui fait grief, notamment, à la firme Meijer.

Avant l'ouverture de la procédure orale, le gouvernement français a demandé à intervenir, conformément à l'article 93 du règlement de procédure, au soutien des conclusions du gouvernement du Royaume-Uni. Par ordonnance du 15 janvier 1979, vous avez admis cette intervention et le gouvernement français a présenté des observations qui sont très voisines de celles qu'il a fait valoir en réponse à une requête de la Commission enregistrée sous le no 232/78, tendant à faire constater que la République
française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 et 30 du traité de Rome en continuant d'appliquer, après le 1er janvier 1978, un régime restrictif national à l'importation de viande ovine en provenance du Royaume-Uni.

Nous voudrions dès l'abord souligner le caractère objectif de cette intervention. En effet, on aurait pu penser que le gouvernement français, dont les intérêts économiques dans le secteur de la pomme de terre ne sont pas très différents de ceux du gouvernement néerlandais, aurait plutôt présenté des observations allant dans le même sens que celles de ce dernier. La France est, elle aussi, grosse productrice de pommes de terre et, lorsque les cours s'effondrent à Rotterdam, ils le font également à
Arras. De même, il est significatif que le gouvernement du Royaume-Uni ne soit pas intervenu au soutien des conclusions de la Commission dans l'affaire précitée, no 232/78, bien que ses intérêts dans ce secteur aillent dans le même sens que la thèse défendue par cette institution. Il apparaît donc que ces deux gouvernements partagent la même opinion sur l'interprétation qu'il convient de donner à l'article 60 de l'acte d'adhésion, quels que soient les intérêts économiques en cause.

Comme nous le disions à propos de l'affaire Meijer, les conclusions que nous avons présentées dans cette affaire préjugent nécessairement de notre position dans le présent litige dont l'examen ne peut nous conduire à modifier notre opinion quant à l'interprétation des dispositions en cause de l'acte d'adhésion. Aussi bien, la Commission a renoncé à user de son droit de répliquer, ce qui enlevait tout intérêt à une duplique du Royaume-Uni. Cependant, comme la Commission a présenté des observations
nouvelles à la suite du mémoire en intervention du gouvernement français, nous croyons devoir ajouter ce qui suit.

La Commission rappelle que, dès le mois de juillet 1975, elle a attiré, par lettre, l'attention des gouvernements de tous les États membres sur les conséquences découlant de l'arrêt Charmasson; son point de vue en matière de libre circulation des pommes de terre aurait été admis par tous les nouveaux États membres, à l'exception du Royaume-Uni. Mais, si la Commission a cru pouvoir tirer ces conséquences et si deux des nouveaux États membres se sont bien ralliés à son point de vue, c'est là une
circonstance de fait qui, en droit, n'a, à notre avis, aucune incidence sur l'interprétation qu'il convient de retenir de l'acte d'adhésion.

De même, la jurisprudence citée par la Commission (arrêt du 21 mars 1974, Irlande/Conseil, Recueil p. 285; arrêts du 31 octobre 1974, Centrafarm, Recueil p. 1147 et 1183; arrêt du 16 mars 1977, Commission/République française, Recueil p. 515) a trait soit à des produits couverts par une organisation de marchés, soit à des produits industriels, soit enfin à des restrictions à l'exportation d'un État membre originaire.

En revanche, la Commission admet explicitement à présent qu'il n'y a pas, selon l'acte d'adhésion, une période de transition unique, mais plutôt un ensemble de mesures transitoires visant à faciliter l'adaptation des nouveaux États membres aux règles en vigueur dans les Communautés. Elle soutient toutefois qu'à l'époque de sa rédaction l'article 60 n'a pas été considéré comme constituant une mesure transitoire. Pas plus que l'agent du Royaume-Uni, nous ne saurions admettre cette affirmation: cet
article figure dans la quatrième partie de l'acte, précisément intitulée «Les mesures transitoires». Le paragraphe 1 de cet article n'applique les règles du traité en matière de libre circulation aux produits couverts par une organisation de marchés qu'à partir du 1er février 1973, et encore sous la réserve de l'institution de «montants compensatoires»; on ne pourrait parler d'«effet immédiat» que si cette application avait pris effet dès le 1er janvier 1973.

En définitive, et pour justifier sa thèse, la Commission soutient que les termes «jusqu'à la mise en application de l'organisation commune des marchés pour ces produits» ont un caractère superfétatoire. Ici encore, nous ne saurions nous rallier à ce point de vue: les rédacteurs de l'acte d'adhésion ont soigneusement pesé leurs mots. après de longues négociations.

Enfin, plus particulièrement dans ses observations orales, la Commission a entrepris de dissiper ce qu'elle appelle un certain nombre de «malentendus» dont procéderaient les remarques que nous avions faites dans nos conclusions précitées quant au défaut de parallélisme que nous avions cru pouvoir déceler entre la thèse qu'elle défend dans le cadre du présent litige et l'attitude qu'elle a adoptée au plan de ses propositions «législatives».

Sans vouloir prolonger une polémique déplacée au stade où nous sommes, ces précisions ne nous semblent pas affecter le raisonnement par nous développé, qui tendait à démontrer que, si des mesures transitoires communautaires étaient jugées nécessaires, même après l'instauration d'une organisation commune définitive de marchés, on ne pouvait, en l'absence d'une telle organisation, supprimer brutalement et sans transition l'organisation nationale existante. En effet, s'il est possible que l'on
considère, dans certains pays, que tout va pour le mieux et que le marché fonctionne bien, même sans organisation commune, une autre conception peut être légitimement partagée dans d'autres pavs.

Ce que nous voulions dire en analysant les travaux en cours à propos de l'établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des pommes de terre, de la viande ovine et de l'alcool éthylique d'origine agricole, c'est qu'une organisation commune de marchés était précisément jugée souhaitable par les instances communautaires responsables pour ces produits agricoles et que, par là même, on ne concevait pas, à cet échelon, que ces secteurs puissent fonctionner de manière satisfaisante,
au regard de la poursuite des objectifs énoncés par l'article 39 du traité, sur la seule base des règles générales relatives à la libre circulation des marchandises. Nous avons appris entretemps que la Commission avait retiré sa proposition portant organisation commune définitive de marchés dans le secteur de la viande ovine, mais cela ne change rien à l'affaire.

La Commission relève que, depuis le 1er janvier 1978, les écarts de prix des pommes de terre à la production se sont considérablement réduits dans tous les États membres et que l'abolition des restrictions imposées au Royaume-Uni n'aurait pas une incidence tellement dramatique pour les producteurs de ce pays. Mais, comme l'a fait remarquer avec à-propos l'agent du Royaume-Uni, il n'en allait pas ainsi au moment où la Commission a émis son avis motivé et il n'est nullement garanti qu'il en sera
toujours ainsi. De toute façon, l'interprétation de l'acte d'adhésion ne saurait pas plus dépendre d'une correspondance échangée avec les États membres que d'une conjoncture économique déterminée.

Rappelons, à cet égard, que les mesures prises par le Royaume-Uni faisaient partie intégrante d'une organisation nationale de marché à la date de l'adhésion. En réponse à une question que vous lui avez posée, la Commission a admis, comme elle l'avait du reste reconnu dans sa requête (p. 10, point 22), qu'«il se peut même que ces restrictions soient nécessaires pour assurer le maintien de l'organisation nationale sous sa forme actuelle, puisqu'il est probable que la suppression des restrictions à
l'importation en période excédentaire forcerait le gouvernement britannique à abandonner son système d'intervention». Cette réponse, tout en n'étant pas dépourvue d'une certaine amphibologie, ne saurait renverser la charge de la preuve qui incombe à la Commission. Nous ajouterons qu'un système national qui tendrait à assister directement les producteurs de pommes de terre au Royaume-Uni par le biais soit de prix minimaux, soit de «deficiency payments», soit d'aides plus ou moins opaques et notifiées
dans des conditions plus ou moins irrégulières, ne serait, du point de vue recherché par les exportateurs néerlandais, guère préférable au régime actuel.

Rappelons ad abundantiam les arguments principaux qui prouvent, à notre avis, que, lors des négociations qui ont abouti à l'adhésion, les rédacteurs de l'article 9 de l'acte se sont délibérément écartés de la rédaction de l'article 8, paragraphe 7, du traité de Rome:

Une période de cinq ans (1er janvier 1973-1er janvier 1978) aurait été beaucoup plus brève que le terme de douze ans fixé par les dispositions correspondantes du traité CEE; par comparaison, il serait actuellement prévu une période de dix ans pour l'adhésion de l'Espagne.

Le choix des termes retenus pour la rédaction de l'article 9 de l'acte impose une interprétation plus souple que pour ceux employés à l'article 8 du traité CEE. Comme l'a laissé entrevoir l'agent du gouvernement français, le présent litige aura peut-être pour résultat que, dans les négociations relatives à l'élargissement, les rédacteurs feront, au moins dans le secteur de l'agriculture, beaucoup plus explicitement dépendre le passage d'une étape à l'autre non pas de l'échéance automatique d'une
date, mais de la constatation que l'essentiel des objectifs spécifiquement fixés pour chaque étape a été effectivement atteint et que les engagements pris ont été tenus, au besoin en recourant systématiquement à des clauses de sauvegarde ou en reportant sine die certaines actions.

Tout le système de la quatrième partie de l'acte d'adhésion repose sur un ensemble de mesures «transitoires» spécifiques. Bien entendu, ceci ne veut pas dire que, selon cette interprétation, les mesures adoptées par le Royaume-Uni pourront être indéfiniment maintenues. Ce ne serait le cas que si certains États membres persistaient, à partir d'une position de force, à ne vouloir que d'une organisation commune n'offrant pas de garanties équivalentes pour l'emploi et le niveau de vie des producteurs
des pays disposant d'une organisation nationale. Dans ce domaine comme dans d'autres, des compromis devront être trouvés, et nous ne doutons pas que les responsables politiques fassent preuve de l'imagination nécessaire.

En attendant, il est inévitable que des disparités persistent entre les États originaires et les nouveaux États membres, mais cette situation résulte non de l'acte d'adhésion, mais de la jurisprudence Charmasson.

En résulterait-il pour autant que les anciens États membres pourraient légitimement prendre des mesures de rétorsion à l'égard des pommes de terre en provenance du Royaume-Uni?

Au plan de la réciprocité, une telle situation pourrait se justifier par la considération que les États originaires n'ont assumé, à l'égard des nouveaux États, que des obligations équivalentes et que le rythme et les modalités d'élimination des restrictions quantitatives doivent être les mêmes pour tous.

Nous croyons toutefois qu'il n'est pas nécessaire, aux fins de la solution du présent litige, d'approfondir cette question qui reste hautement académique puisqu'il nous paraît exclu que les producteurs du Royaume-Uni puissent venir:concurrencer, sur leur propre terrain, les producteurs néerlandais et que la guerre des pommes de terre n'aura sans doute pas lieu.

Pour les motifs que nous avons déjà eu l'honneur d'exposer, nous estimons donc que l'article 60, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion continue de produire ses effets juisqu'à la mise en place d'une organisation commune de marchés dans le secteur de la pomme de terre, l'article 9 de cet acte n'ayant pas eu pour objet ni pour effet d'instituer une période de transition d'un caractère uniforme, mais seulement de prévoir certaines mesures transitoires qui n'expirent à la fin de l'année 1977 que lorsque
des dates, délais ou dispositons particulières n'en ont pas disposé autrement, conformément au paragraphe 2 de cet article. En conséquence, l'applicabilité de l'article 60, paragraphe 2, qui constitue une disposition particulière au sens de l'article 9, paragraphe 2, de cet acte n'est pas limitée dans le temps au 31 décembre 1977.

Nous concluons au rejet de la requête et à ce que les dépens, y compris ceux de l'intervention, soient mis à la charge de la Commission.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 231/78
Date de la décision : 06/03/1979
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Pommes de terre.

Adhésion

Libre circulation des marchandises

Pommes de terre

Restrictions quantitatives

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:56

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award