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01/02/1979 | CJUE | N°100/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 1 février 1979., Claudino Rossi contre Caisse de compensation pour allocations familiales des régions de Charleroi et Namur., 01/02/1979, 100/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GENERAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRESENTEES LE 1ER FÉVRIER 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La question préjudicielle qui vous est soumise en l'espèce concerne l'interprétation d'une des dispositions «anti-cumul» du règlement no 1408/71 relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants, et plus précisément de l'article 79, paragraphe 3, figurant dans le chapitre qui traite surtout des allocations familiales pour les enfants à charge des titulaires de pensions.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GENERAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRESENTEES LE 1ER FÉVRIER 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La question préjudicielle qui vous est soumise en l'espèce concerne l'interprétation d'une des dispositions «anti-cumul» du règlement no 1408/71 relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants, et plus précisément de l'article 79, paragraphe 3, figurant dans le chapitre qui traite surtout des allocations familiales pour les enfants à charge des titulaires de pensions.

Le demandeur au principal, M. Rossi, ressortissant italien, a travaillé d'abord en Italie comme agriculteur, puis en Belgique comme ouvrier, de 1948 à 1958. Atteint de maladie professionnelle, il a été admis, à partir de 1964, au bénéfice d'une pension d'invalidité qui lui est versée par l'institution belge compétente pour ce genre de prestations.

Outre la pension, il a également perçu en Belgique, jusqu'en février 1973, les allocations familiales pour ses deux filles. Mais à partir du mois de mars 1973, le paiement des allocations a été suspendu au motif que l'épouse du demandeur exerçait en Italie une activité professionnelle susceptible, selon l'institution belge, de lui ouvrir le droit aux allocations pour les enfants de l'institution italienne correspondante.

Mme Rossi a alors demandé à l'Istituto nazionale della previdenza sociale de lui verser les allocations en question. Mais par décision du 13 avril 1976, l'INPS a rejeté la demande en estimant que «la qualification de chef de famille, aux fins des allocations familiales concernant les enfants, appartient au père et ne peut être transférée à une autre personne lorsque le père n'est ni invalide ni chômeur».

Devant le refus des deux institutions de prévoyance, M. Rossi a saisi le tribunal du travail de Charleroi qui, par jugement du 19 avril 1978, a déféré à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes:

«1) Le fait que la législation italienne n'autorise pas, pour l'octroi des allocations familiales, le transfert de la qualité de chef de famille à l'épouse lorsque le mari est titulaire d'une pension ou d'une rente (Fonds des maladies professionnelles) à charge d'un autre État membre, rend-il inopérante l'application de l'article 79, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 du Conseil de la CEE?

En d'autres termes, l'institution belge doit-elle assumer la charge du paiement des allocations familiales même si un droit existe en Italie du fait de l'exercice d'une activité professionnelle d'un membre de la famille du pensionné ou du bénéficiaire d'une rente, mais que ce droit est imparfait à cause d'une particularité de la législation italienne?

2) En admettant que la position de l'autorité italienne ne soit plus légitime à l'heure actuelle en vertu des principes de la parité des droits entre l'homme et la femme, l'institution belge ne devrait-elle pas accorder la différence entre les montants des allocations familiales italiennes et belges, afin que soient sauvegardés les droits acquis en vertu de la législation du pays du dernier emploi et soient ainsi évitées des inégalités de traitements entre travailleurs qui ont dû satisfaire aux
mêmes conditions pour obtenir la pension ou la rente?»

2.  Pour comprendre la portée de l'article 79, paragraphe 3, du règlement no 1408/71, il faut d'abord tenir compte des règles sur la base desquelles les prestations pour les enfants à charge des titulaires de pensions ou de rentes (article 77, paragraphe 2) sont accordées. Lorsque, comme en l'espèce, la pension ou la rente est due au titre de la législation d'un seul État membre, les prestations sont accordées «conformément à la législation de l'État membre compétent pour la pension ou la rente»
(lettre a). Mais l'article 79, paragraphe 3, suivant, dispose que, lorsque les enfants ouvrent droit à des prestations ou à des allocations familiales au titre de la législation d'un État membre du fait de l'exercice d'une activité professionnelle, «le droit aux prestations dues en vertu des dispositions du paragraphe 2 et des articles 77 et 78 est suspendu».

Cette disposition anti-cumul a la même fonction que la règle analogue contenue dans l'article 76 qui concerne les travailleurs et les chômeurs. L'article 76 prévoit en effet que «le droit aux prestations ou allocations familiales dues en vertu des dispositions des articles 73 ou 74 est suspendu, si, en raison de l'exercice d'une activité professionnelle, des prestations ou allocations familiales sont également dues en vertu de la législation de l'État membre sur le territoire duquel les membres
de famille résident». Comme la Commission l'a observé, la différence entre les deux règles est négligeable: toutes deux envisagent l'hypothèse du cumul du droit aux allocations familiales du fait de l'exercice d'une activité professionnelle dans un autre État membre.

Cela étant, nous estimons que les principes de droit énoncés par la Cour de justice dans l'affaire Ragazzoni avec une référence directe à l'article 76 (arrêt rendu le 20 avril 1978 dans l'affaire134/77, Recueil 1978, p. 963) fournissent également les critères nécessaires pour interpréter l'article 79, paragraphe 3, et pour répondre à la première question posée par le juge au principal. Dans l'affaire précitée, la Cour a établi que la suspension du droit aux prestations et aux allocations
familiales prévue par l'article 76 du règlement no 1408/71 ne s'applique pas lorsque le père travaille à l'étranger dans un État membre et lorsque la mère, qui travaille comme salariée dans le pays de résidence des autres membres de la famille, n'a pas acquis, selon la législation de ce pays, le droit aux allocations familiales, soit parce que la qualité de chef de famille n'est reconnue qu'au père, soit parce que les conditions dont dépend l'attribution à la mère du droit de percevoir les
allocations ne sont pas remplies.

Dans l'affaire dont il s'agit ici, il importe peu que les lieux de résidence du père et de la mère soient différents ou coïncident, puisque le père est titulaire d'une pension. En effet, l'article 79, paragraphe 3, se limite, comme nous l'avons vu, à fixer la condition selon laquelle les enfants donnent droit à des prestations ou allocations familiales au titre de la législation d'un État membre (qui peut également être le pays de résidence du pensionné) du fait de l'exercice d'une activité
professionnelle (normalement, mais pas nécessairement, de la mère). Partant, la question décisive est de savoir si le droit aux allocations familiales pour les enfants a ou non été acquis, selon la législation de l'État dans lequel l'activité professionnelle de la mère est exercée, du fait de l'exercice de cette activité; si la réponse est négative, il est évident que la suspension prévue par l'article 79, paragraphe 3, n'intervient pas.

Nous avons vu qu'aux termes des dispositions italiennes applicables au moment de la demande adressée à l'INPS par Mme Rossi, le droit aux allocations familiales pour les enfants était dénié dans le cas de l'exercice d'une activité professionnelle de la mère, parce que la qualité de chef de famille n'était reconnue qu'au père. Par la suite, en application de la loi no 903 du 9 décembre 1977 (entrée en vigueur le 18 décembre 1977) la possibilité de percevoir les allocations familiales a été
reconnue, à son tour, à la femme qui exerce une activité professionnelle. Cela implique naturellement la nécessité d'une demande de l'intéressée et d'une déclaration de l'époux exprimant sa volonté de renoncer aux allocations pour les mêmes membres de la famille, dans le cas où il y a également droit et en bénéficie. Tant que ces conditions ne sont pas concrètement réunies, on ne peut pas dire que la femme qui exerce une activité professionnelle détient un droit au versement des allocations pour
les enfants: l'hypothèse négative envisagée précédemment aux fins de l'application de l'article 79, paragraphe 3, précité se réalise donc.

3.  La deuxième question posée par le tribunal de Charleroi pan de l'hypothèse selon laquelle la position de l'institution italienne de prévoyance sociale «n'est plus légitime à l'heure actuelle en vertu des principes de la parité des droits entre l'homme et la femme». Cette hypothèse est évidemment dépassée par la modification déjà signalée de la législation en Italie, modification qui devrait aujourd'hui permettre à Mme Rossi — si elle en faisait de nouveau la demande à l'INPS — d'obtenir les
allocations familiales pour ses enfants. Mais précisément pour cette raison — ainsi que pour l'intérêt général que revêt l'argument — nous pensons qu'il convient de répondre également à la deuxième question du juge au principal.

Supposons donc qu'une mère qui exerce une activité professionnelle ait acquis le droit aux allocations familiales pour les enfants au titre de la législation italienne; dans ce cas, le père pourra-t-il demander à l'institution belge de payer la différence entre le montant des allocations versées au titre de la législation italienne et celui, éventuellement supérieur, dû au titre de la législation belge? En d'autres termes: la suspension prévue par l'article 79, paragraphe 3, précité du règlement
no 1408/71 sera-t-elle toujours et nécessairement totale ou pourra-t-elle être partielle dans le cas d'un montant inférieur des allocations perçues qui sont à la charge de l'autre État membre, sur le territoire duquel la mère exerce son activité professionnelle?

Sur cette question, diverses solutions ont été exposées par les intervenants dans la présente procédure.

Selon le gouvernement belge, aucune disposition du règlement no 1408/71 ne conférerait le droit à un complément d'allocations familiales à la charge d'un pays autre que celui qui est tenu de pourvoir au versement des allocations.

En revanche, le demandeur au principal a soutenu que puisque le versement des allocations pour les enfants entre dans le cadre de l'article 77 du règlement précité, l'application de l'article 79, paragraphe 3, ne saurait avoir pour effet de réduire le contenu du droit aux allocations du fait de l'application d'une disposition moins favorable de la loi du pays dans lequel la mère exerce son activité professionnelle. Au reste il n'apparaît pas clairement si, de l'avis du demandeur, l'obligation de
verser le complément des allocations se fonde sur la législation belge ou bien sur le droit communautaire.

La position que la Commission a adoptée à cet égard au cours de la phase de la procédure orale est plus claire. La Commission, qui avait initialement adopté la même thèse que le gouvernement belge, a ensuite soutenu que l'article 79, paragraphe 3, ne pouvait pas faire obstacle à l'application de la législation belge plus favorable et elle s'est référée à l'article 60, dernier alinéa, de l'arrêté royal du 19 décembre 1939 aux termes duquel «si les allocations familiales dues à un autre titre sont
inférieures à celles dont l'octroi est prévu par la présente loi, la personne qui est en droit d'invoquer celle-ci peut prétendre à la différence».

Enfin, selon la thèse avancée par le gouvernement italien, l'article 79, paragraphe 3, qui présuppose que le droit aux allocations familiales pour les enfants est régi par la législation de l'État débiteur de la pension ou de la rente (en vertu de l'article 77, paragraphe 2, a), ne pourrait en aucun cas conduire à l'application pure et simple d'une disposition moins favorable propre à la législation du pays dans lequel la mère exerce son activité professionnelle. En conséquence, l'article 79,
paragraphe 3, devrait être interprété en ce sens que la suspension est totale ou partielle selon que le montant des allocations se rattachant à la pension est égal (ou inférieur) ou supérieur au montant des allocations versées par l'autre État membre.

4.  A l'appui de la thèse soutenue par le gouvernement belge on pourrait invoquer un argument concernant la lettre de la disposition. L'article 79, paragraphe 3, parle de «suspension» sans adjectifs, de sorte qu'il semblerait logique d'en déduire qu'il a voulu se référer uniquement à la suspension totale, c'est-à-dire que le règlement prévoirait l'application alternative des deux législations en cause, indépendamment des conséquences éventuellement préjudiciables pour les droits acquis du
travailleur complémentaire, et ne permettrait pas l'application pour ainsi dire intégrée des deux législations aux fins de sauvegarder ces droits.

On peut opposer à cet argument strictement formel que la lettre de la disposition n'exclut cependant pas une interprétation différente, plus conforme aux principes généraux du système communautaire, interprétation que deux arguments pertinents nous conduisent à préférer.

Nous relevons, avant tout, que parmi les objectifs du règlement no 1408/71 figure, comme on le lit dans son septième considérant, celui d'appliquer l'article 51 du traité CEE de manière à «assurer aux travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté les droits et avantages acquis», sans que les dispositions du règlement «puissent entraîner des cumuls injustifiés». En conséquence, s'il est vrai que la législation communautaire en matière de sécurité sociale des travailleurs migrants
veille à éviter les enrichissements injustifiés de travailleurs du fait du concours de législations différentes, il est par ailleurs certain que ses objectifs ne comportent pas celui de déterminer et de rendre applicable dans les hypothèses de conflits des lois une seule législation à l'exclusion de toute autre, même lorsque cela porte préjudice aux droits acquis des travailleurs.

En second lieu, le règlement no 1408/71 ne saurait être interprété qu'à la lumière des principes énoncés dans l'article 51 du traité CEE en matière de sécurité sociale et, plus généralement, «à la lumière de son esprit et des objectifs du traité» (voir arrêt du 29 septembre 1976 dans l'affaire 17/76, Brack, Recueil 1976, p. 1429, 19e attendu). Or, la Cour de justice a déjà eu l'occasion d'affirmer que «le but des articles 48 à 51 du traité ne serait pas atteint mais méconnu si le travailleur,
pour user de la libre circulation qui lui est garantie, se voit imposer la perte des droits déjà acquis dans un des pays membres, sans les voir remplacer par des prestations au moins équivalentes» (arrêt rendu le 15 juillet 1964 dans l'affaire 100/63, Van der Veen, Recueil 1964, p. 1091). On peut citer dans le même sens les arrêts rendus le 9 juin 1964 dans l'affaire 92/63, Nonnenmacher, Recueil 1964, p. 557; le 10 décembre 1969 dans l'affaire 34/69, Caisse d'assurance vieillesse des
travailleurs salariés de Paris, Recueil 1969, p. 597; le 25 novembre 1975 dans l'affaire 50/75, Caisse de pension des employés privés, Recueil 1975, p. 1473.

Rappelons encore, en particulier, l'arrêt rendu le 21 octobre 1975 dans l'affaire 24/75, Petroni, Recueil 1975, p. 1149, dans lequel la Cour a déclaré que l'article 46, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 est incompatible avec l'article 51 du traité dans la mesure où il impose une limitation de cumul de deux prestations acquises dans différents États membres par une diminution du montant d'une prestation acquise en vertu de la seule législation nationale.

Pour sa part, l'arrêt rendu le 13 juillet 1976 dans l'affaire 19/76, Triches, Recueil 1976, p. 1243, a confirmé que «les mesures prises par le Conseil conformément à l'article 51 ne doivent pas avoir pour effet de priver un travailleur migrant d'un droit acquis selon la seule législation de l'État membre où il a travaillé».

Au cours des années plus récentes, cette tendance n'a fait que se consolider; c'est ce que démontrent, entre autres, les arrêts rendus le 3 février 1977 dans l'affaire 62/76, Strehl, Recueil 1977, p. 211, et le 13 octobre 1977 dans l'affaire 112/76, Manzoni, Recueil 1977, p. 1647.

5.  Les considérations que nous venons d'exposer nous conduisent à rejeter la thèse du gouvernement belge: l'interprétation que celui-ci soutient est en effet clairement incompatible tant avec l'esprit et les objectifs du règlement no 1408/71 qu'avec les principes qui peuvent être tirés des articles 48 à 51 du traité CEE (en particulier avec le principe selon lequel le travailleur ne peut recevoir, du fait des dispositions anti-cumul du règlement précité, un traitement moins favorable que celui que
la législation nationale d'un État membre déterminé lui accorde).

Il subsiste alors deux interprétations possibles de la disposition en cause. Selon la première interprétation, l'article 79, paragraphe 3, ne porterait pas atteinte à l'applicabilité d'éventuelles dispositions nationales plus favorables qui prévoient le versement de compléments lorsque le montant des allocations familiales versées dans un autre État membre est inférieur à celui des allocations payées dans l'État débiteur de la pension. Selon une interprétation différente, par contre, le droit
communautaire régirait de façon complète et autonome (c'est-à-dire indépendamment des législations nationales intéressées) le cas du cumul accompagné d'une disparité entre le montant des allocations familiales dans les deux pays, en reconnaissant au travailleur le droit de percevoir, à titre de complément, la différence entre les deux sommes de l'institution qui est tenue de lui verser la pension.

En l'espèce, tant l'une que l'autre interprétation nous portent à reconnaître au travailleur le droit de percevoir un complément des allocations de la part de l'institution belge. Mais en termes généraux, il y a lieu de tenir compte du fait que le droit au complément sera reconnu ou exclu selon que la législation de l'État qui verse des allocations plus élevées prévoit ou non le droit du travailleur de recevoir le complément. Dans la législation belge, cette prestation complémentaire est prévue,
mais dans d'autres législations une disposition spécifique en ce sens peut ne pas exister, ce qui a pour conséquence que le travailleur n'aura droit au complément que si l'on considère la législation communautaire comme source directe de ce droit.

Il est clair que l'interprétation suggérée par la Commission laisserait subsister des cas dans lesquels, précisément du fait de l'application de l'article 79, paragraphe 3, le travailleur ne pourrait pas conserver les droits acquis dans l'État où il a exercé son activité et serait donc amené à bénéficier d'un traitement moins favorable.

Une telle conclusion ne nous semble pas conforme aux objectifs de l'article 79, paragraphe 3, interprété à la lumière des principes généraux rappelés ci-dessus. En effet, l'article 79, paragraphe 3, a pour fonction d'éliminer le risque d'une application tout à fait cumulative de deux régimes nationaux: mais pour atteindre ce résultat, il ne nous semble pas nécessaire d'aller jusqu'au sacrifice des droits acquis qui sont compatibles avec l'application de la règle anti-cumul. Au contraire, les
principes généraux imposent de concilier la nécessité d'éviter le cumul avec celle de garantir le respect des droits acquis.

Par ailleurs, le principe de l'égalité de traitement des travailleurs qui ont dû satisfaire aux mêmes conditions pour obtenir la pension va dans le même sens. Ce principe serait en effet compromis si l'on admettait qu'un travailleur puisse être assujetti, sur le plan de la sécurité sociale, à un traitement moins favorable que d'autres travailleurs qui ont exercé la même activité dans l'État qui versait la pension, du seul fait que la législation d'un autre État membre prévoit le versement
d'allocations de même nature et pour le même motif, mais d'un montant inférieur.

En conséquence, si tels sont les critères sur la base desquels il faut interpréter la réglementation communautaire relative au cumul, il ne nous semble pas possible d'adhérer à une thèse qui réduit l'article 79, paragraphe 3, à une disposition de conflit et qui ne tient pas compte de la nécessité d'assurer en tout cas au travailleur le traitement le plus favorable et la sauvegarde des droits acquis.

A notre avis il convient donc de préférer une interprétation qui permette de concilier l'article 79, paragraphe 3, avec les principes généraux, c'est-à-dire l'interprétation qui reconnaît à la disposition en cause la fonction de suspendre le versement des allocations familiales pour les enfants qui sont à la charge de l'institution qui verse la pension au père, d'une manière totale lorsque les allocations sont d'un montant égal ou inférieur à celui des allocations qui sont versées dans le pays
où la mère exerce son activité professionnelle, mais partiellement lorsque les premières allocations sont d'un montant supérieur aux secondes.

6.  Partant, nous concluons en proposant à la Cour de répondre comme suit aux deux questions formulées par le tribunal du travail de Charleroi dans son jugement du 19 avril 1978:

1) Au sens de l'article 79, paragraphe 3, du règlement du Conseil no 1408/71, la suspension du droit aux allocations familiales pour les enfants à la charge du père qui est titulaire d'une pension au titre de la législation d'un État membre n'est pas applicable si la mère n'a pas acquis le droit à ces mêmes allocations en vertu de la législation d'un autre État membre du fait qu'elle exerce une activité professionnelle ou parce que la qualité de chef de famille n'est reconnue qu'au père ou, en
tout cas, parce que les conditions dont dépend l'attribution à la mère du droit de percevoir les allocations ne sont pas réalisées.

2) Lorsque les allocations familiales pour les enfants liées à une pension en application de l'article 77 du règlement no 1408/71 du Conseil sont d'un montant supérieur à celui des allocations qui sont versées dans le pays où la mère exerce une activité professionnelle, le titulaire de la pension a le droit de recevoir, en dépit de la suspension prévue par l'article 79, paragraphe 3, dudit règlement, un complément égal à la différence entre le montant plus élevé des allocations prévues par la
législation de l'État dans lequel la pension est versée et le montant inférieur des allocations versées dans l'autre État membre.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 100/78
Date de la décision : 01/02/1979
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi - Belgique.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Claudino Rossi
Défendeurs : Caisse de compensation pour allocations familiales des régions de Charleroi et Namur.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Touffait

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:25

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