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18/01/1979 | CJUE | N°128/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 18 janvier 1979., Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord., 18/01/1979, 128/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 18 JANVIER 1979

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le règlement du Conseil no 543/69, pris en vertu de l'article 75 du traité CEE, tendait à harmoniser certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports routiers, en particulier en ce qui concerne les conditions de travail des équipages et dans l'intérêt de la sécurité routière.

Il rendait, notamment, obligatoire la tenue, par les membres de l'équipage, d'un livret individuel de contr

ôle destiné à assurer le respect de la durée des temps de conduite et de repos journalier et heb...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 18 JANVIER 1979

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le règlement du Conseil no 543/69, pris en vertu de l'article 75 du traité CEE, tendait à harmoniser certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports routiers, en particulier en ce qui concerne les conditions de travail des équipages et dans l'intérêt de la sécurité routière.

Il rendait, notamment, obligatoire la tenue, par les membres de l'équipage, d'un livret individuel de contrôle destiné à assurer le respect de la durée des temps de conduite et de repos journalier et hebdomadaire.

Mais, dès l'adoption de ce texte, il était connu que l'emploi d'un appareil mécanique de contrôle: le tachygraphe, devrait, dans un proche avenir, être substitué au livret manuel de contrôle.

C'est pourquoi, sur proposition de la Commission, le Conseil a adopté, dès le 20 juillet 1970, le règlement no 1463/70 rendant obligatoires, sous réserve de certaines exceptions, l'installation et l'utilisation de tachygraphes dûment homologués sur les véhicules de transport par route de voyageurs ou de marchandises, immatriculés dans tout État membre.

Cette obligation devenait applicable à partir du 1er janvier 1975 aux véhicules immatriculés pour la première fois à compter de cette date et, quelle que soit la date de leur mise en service, à tous les véhicules effectuant des transports de matières dangereuses.

Ce n'est que le 1er janvier 1978 que les autres véhicules devaient être pourvus de cet appareil.

En vertu de l'article 21 du règlement (paragraphe 1):

«Les États membres arrêtent, en temps utile, après consultation de la Commission, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à l'exécution du présent règlement.

Ces dispositions portent, entre autres, sur l'organisation, la procédure et les instruments en matière de contrôle ainsi que sur les sanctions applicables en cas d'infraction.»

Les dispositions du règlement no 1463/70 ont été, une première fois, dans une certaine mesure, assouplies par un règlement ultérieur no 1787/73, spécialement pour tenir compte du fait que des tachygraphes conformes à certaines législations nationales avaient déjà été mis en service avant le 1er janvier 1975.

En ce qui concerne les nouveaux États membres et, particulièrement, le Royaume-Uni, l'acte d'adhésion (article 133 complété par le point 4 du titre III de l'annexe VII) a eu pour conséquence de retarder d'un an la mise en application du règlement no 1463/70, qui devait ainsi entrer en vigueur le 1er janvier 1976.

La Commission estime que le Royaume-Uni ne s'est pas acquitté complètement des obligations qui lui incombaient en vertu de la réglementation communautaire relative à l'utilisation des tachygraphes, en ce que, d'une part, il ne s'est pas conformé à la procédure de consultation prévue à l'article 21 du règlement et en ce que, d'autre part, il n'a mis en place qu'un régime de volontariat pour l'utilisation de ces appareils de contrôle, aussi bien pour les transports nationaux qu'internationaux.

C'est pourquoi, après un échange de correspondance entre la direction des transports de la Commission et la Représentation permanente du Royaume-Uni, des 30 janvier et 21 février 1976, la Commission a confirmé, le 25 juin suivant, au ministère des affaires étrangères et du Commonwealth qu'un régime «facultatif» en la matière n'était pas de nature à assurer l'application stricte du règlement no 1463/70.

Aussi demandait-elle au gouvernement du Royaume-Uni de modifier son projet de règlement interne en vue de le rendre conforme au droit communautaire applicable.

Cette initiative n'a pas obtenu les résultats escomptés, le gouvernement britannique ayant clairement confirmé sa volonté de ne pas se conformer intégralement à la législation communautaire pour des raisons pratiques, économiques et sociales.

Dans ces conditions, par avis motivé du 13 février 1978, la Commission a invité le Royaume-Uni à prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer au règlement no 1463/70. Le gouvernement britannique ayant répondu, le 14 avril suivant, qu'il n'entendait pas prendre, dans le délai fixé, les mesures exigées par la Commission, celle-ci a saisi la Cour de justice du présent recours en manquement fondé sur l'article 169 du traité.

La défense du Royaume-Uni est axée sur deux ordres de considérations.

En premier lieu, il se refuse à admettre qu'il n'a pas consulté la Commission dans des conditions conformes à celles imposées par l'article 21 du règlement du Conseil en cause. Il invoque, à cet égard, le fait que, dès le 2 septembre 1975, c'est-à-dire avant même l'introduction obligatoire des tachygraphes, il a soumis à la Commission un mémorandum dans lequel il énumérait les «sérieux obstacles» auxquels se heurterait la mise en service obligatoire de ces appareils sur le plan national et rappelle
que, dans sa lettre du 25 février 1976, son Représentant permanent a communiqué à la direction des transports de la Commission l'ensemble des mesures envisagées par le gouvernement, en attirant l'attention de la Commission sur le fait que le texte interne proposé avait pour objet de créer un régime facultatif, ouvert tant au trafic national qu'international, susceptible de permettre l'utilisation des tachygraphes destinés, en ce cas, à se substituer aux livrets de contrôle antérieurement prévus.

Des règles détaillées étaient arrêtées, aussi bien pour la fourniture, l'emploi, le contrôle et la conservation des diagrammes de tachygraphes pour assurer le respect des temps de conduite et d'arrêt des conducteurs et des sanctions pénales étaient prévues à cet effet.

De même, des dispositions précises avaient d'ores et déjà été adoptées concernant la fabrication, l'étalonnage et le plombage du matériel.

Le texte ainsi rédigé ne correspondait manifestement pas aux prescriptions impératives du règlement no 1463/70; ainsi la Commission ne pouvait-elle que le rejeter, tout en assortissant sa réponse des observations qui eussent permis au gouvernement du Royaume-Uni — si toutefois celui-ci en avait tenu compte — de faire de nouvelles propositions, conformes, cette fois, à l'article 21 du règlement du Conseil.

Or, le défendeur admet lui-même que non seulement il n'en a rien fait, mais qu'il a conclu qu'en l'occurrence les «objectifs» fixés par le Conseil seraient plus aisément atteints au Royaume-Uni par les dispositions arrêtées par les autorités britanniques.

Cette argumentation ne peut, à notre avis, qu'être rejetée. La Commission ne soutient pas que le Royaume-Uni a totalement omis de la consulter sur la mise en œuvre du règlement no 1463/70. Mais, elle estime, à bon droit, que la consultation, qui n'a jamais porté sur l'application complète du règlement mais seulement sur des mesures partielles, comportant des omissions déterminantes, n'a, par là-même, pas été régulière au sens de l'article 21. Cette constatation procède d'ailleurs, à l'évidence, du
fait, reconnu par le gouvernement défendeur, que celui-ci a délibérément refusé de procéder à l'application complète de ce règlement.

Nous en déduisons, pour notre part, que le premier grief invoqué par la Commission est établi et que, de ce seul chef, le Royaume-Uni a manqué, partiellement au moins, aux obligations qui lui étaient légalement imposées par un texte communautaire, obligatoire en tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, aux termes mêmes de l'article 189 du traité.

Pour ce qui concerne le manquement à l'obligation de mettre effectivement en œuvre, au plus tard au 1er janvier 1976, les prescriptions du règlement no 1463/70, le Royaume-Uni, tout en rappelant qu'il a soutenu les objectifs de la politique commune en matière de transports par route, notamment en ce qu'ils ont trait à l'amélioration de la sécurité routière et au progrès social des travailleurs, invoque un ensemble de considérations tenant aux conséquences pratiques qu'à son avis n'aurait pas manqué
d'entraîner l'obligation d'installation des tachygraphes.

Le défendeur estime d'abord que, compte tenu de l'opposition déclarée des milieux professionnels et notamment des équipages, un risque sérieux de grève ne pouvait être écarté, dans un secteur important et sensible de l'économie.

Il ajoute que le coût de l'opération (cent millions de livres pour l'installation des appareils — quarante millions environ par an pour leur entretien) paraît prohibitif par rapport aux avantages qui pourraient en survenir.

En troisième lieu, le gouvernement britannique fait valoir qu'en réalité les véhicules effectuant des transports internationaux devant être équipés de tachygraphes, les autres États membres de la Communauté ne subiraient aucun préjudice du fait que l'installation de ces appareils n'est pas, en vertu de la législation interne, obligatoire pour les transports sur le territoire national.

Aucun de ces arguments, Messieurs, ne nous paraît pouvoir être retenu.

Il convient de rappeler, une fois encore, que le litige s'est élevé sur le terrain de l'application d'un règlement, obligatoire en toutes ses dispositions et applicable à une date déterminée — le 1er janvier 1976 — au Royaume-Uni, du moins pour certaines catégories de véhicules.

Des difficultés d'ordre interne, qu'elles soient de caractère politique, économique, financier ou social, ne peuvent être valablement opposées à la mise en œuvre d'un tel texte.

C'est ce que vous avez jugé de façon constante, et récemment encore par votre arrêt du 11 avril 1978 (affaire 100/77, Commission/République italienne, Recueil p. 879) par lequel vous avez notamment déclaré que «la défenderesse — qui ne conteste pas les manquements reprochés — ne saurait exciper de difficultés internes ou de dispositions de son ordre juridique national pour justifier le non-respect des obligations et délais résultant de directives communautaires».

Ce raisonnement vaut, a fortiori, pour l'application d'un règlement.

En soutenant que son comportement n'aurait causé aucun préjudice aux autres États membres et à la Communauté elle-même, la thèse défendue par le Royaume-Uni revient à admettre qu'un État membre aurait le pouvoir, même à l'égard d'un règlement, d'apprécier la mesure dans laquelle il doit remplir les obligations qui lui incombent en vertu du traité et qu'il pourrait être délié de ces obligations alors que son attitude ne porterait aucun préjudice à ses partenaires ou à la Communauté.

Mais l'article 189 du traité s'oppose manifestement à une telle interprétation qui mettrait en péril l'ensemble du régime d'application obligatoire des règlements, opposable à tout État membre.

Au surplus, rien n'est moins évident que l'absence, alléguée par le Royaume-Uni, de tout préjudice. Les conditions de la concurrence entre transporteurs routiers des différents États membres sont, en effet, nécessairement affectées si, dans l'un de ces États, la réglementation interne permet aux transporteurs de se soustraire aux frais d'installation et d'utilisation des tachygraphes, ne serait-ce que pour les transports intérieurs.

Ajoutons qu'il ressort de la réponse à la question posée par la Cour que les organisations professionnelles des six États membres originaires de la Communauté ne se sont pas montrées opposées, en principe, à la substitution du tachygraphe au livret individuel de contrôle, primitivement prévu par le règlement no 543/69. Tout au plus, ont-elles manifesté leur souci de voir différer les dates de mise en vigueur de l'utilisation de ces appareils pour certaines catégories de véhicules et réclamé que
soient purement et simplement exemptées certaines autres catégories.

Ces demandes ont, en définitive, été en partie satisfaites par les assouplissements que le Conseil a apportés, en dernier lieu, au règlement no 1463/70 par son règlement no 2828/77.

En ce qui concerne le Danemark, la Commission croit pouvoir signaler qu'aucune difficulté sérieuse ne s'est élevée, encore que le gouvernement de ce pays ait particulièrement contribué à l'adoption de ce dernier règlement.

En Irlande, en revanche, l'opposition des transporteurs et de leur personnel avait conduit le gouvernement à différer l'adoption des mesures nécessaires à l'application du règlement no 1463/70 aux transports intérieurs. Mais, après intervention de la Commission, le gouvernement irlandais s'est finalement incliné, en se déclarant disposé à adopter la réglementation requise et en respectant à cet égard un calendrier approuvé par la Commission.

En définitive, seul le Royaume-Uni a pris et a maintenu une décision négative, en refusant de rendre obligatoire l'utilisation des tachygraphes. Il a non seulement fait connaître clairement sa position à la Commission, mais l'a rendue publique, en indiquant sans ambages aux syndicats concernés sa volonté de ne pas prendre les mesures, notamment législatives, nécessaires à cet effet, au moins pour les transports nationaux.

La même position a été prise devant le Parlement ainsi qu'à la télévision.

Nous nous trouvons donc en face d'un refus manifeste, publiquement exprimé et confirmé, d'un État membre de s'acquitter - au moins partiellement — des obligations qui lui étaient légalement imposées.

A partir du moment où, comme elle en avait le pouvoir, la Commission a saisi la Cour d'une action en manquement au titre de l'article 169 du traité, nous esti mons, contrairement à ce que soutient le gouvernement du Royaume-Uni, que le traité ne vous permet pas d'exonérer cet État membre de tout ou partie desdites obligations, fût-ce pour des raisons d'équité.

Une telle dispense serait contraire au principe même de l'égalité de traitement des États membres.

D'ailleurs, les moyens de défense employés par le gouvernement défendeur ne démontrent pas que le Royaume-Uni ait fait un effort sérieux pour s'acquitter de ses obligations.

Nous concluons donc a ce que vous déclariez qu'en ayant refusé d'adopter, dans le délai qui lui était imparti. certaines des mesures législatives, réglementaires ou administratives à prendre en vue de l'applica tion du règlement du Conseil no 1463/70 relatif à l'utilisation du tachygraphe dans le domaine des transports par route, y compris les transports nationaux, et en ayant négligé de consulter la Commission sur les mesures en cause, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en
vertu du traité, et notamment à celles que lui impose l'article 23, paragraphe 1, dudit règlement modifié.

Nous concluons également à ce que le gouvernement du Royaume-Uni soit condamné aux dépens de l'instance.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 128/78
Date de la décision : 18/01/1979
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Tachygraphe.

Rapprochement des législations

Transports

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1979:9

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