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14/12/1978 | CJUE | N°86/78

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'Avocat général Mayras présentées le 14 décembre 1978., SA des grandes distilleries Peureux contre directeur des Services fiscaux de la Haute-Saône et du territoire de Belfort., 14/12/1978, 86/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS

PRÉSENTÉES LE 14 DÉCEMBRE 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I. Nous nous permettrons de présenter en une fois nos conclusions sur ces deux affaires: aussi bien s'agit-il de questions qui vous sont posées par le même tribunal, qui sont nées à propos de litiges opposant la même société à la même administration, qui ont été discutées au cours de la même procédure orale et, enfin, qui portent sur un même régime national.


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS

PRÉSENTÉES LE 14 DÉCEMBRE 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I. Nous nous permettrons de présenter en une fois nos conclusions sur ces deux affaires: aussi bien s'agit-il de questions qui vous sont posées par le même tribunal, qui sont nées à propos de litiges opposant la même société à la même administration, qui ont été discutées au cours de la même procédure orale et, enfin, qui portent sur un même régime national.

C'est la première fois, à notre connaissance, que vous êtes amenés à connaître du régime économique de l'alcool en France. Il ne saurait être toutefois question, dans le cadre des présentes affaires préjudicielles, de faire une analyse exhaustive des dispositions extrêmement techniques de ce régime, d'autant que le gouvernement français n'a produit ni observations écrites, ni observations orales dans la deuxième affaire (119/78).

La gestion de ce régime incombe au Service des alcools, organisme par lequel l'État «contrôle, dirige ou influence sensiblement, directement ou indirectement, les importations ou les exportations entre les États membres» (article 37, paragraphe 1, deuxième alinéa, du traité CEE); il constitue un «monopole national présentant un caractère commercial» au sens du premier alinéa de ce paragraphe.

Ce régime était - et est encore - évidemment susceptible de recevoir des modifications dans le cadre des dispositions du traité CEE.

Le monopole attribué à l'État ne concerne pas la fabrication des alcools — à la différence du tabac — mais l'achat et la vente de certains alcools; par ce biais, la production est contrôlée et réglementée. L'État ne produit pas lui-même d'alcool éthylique, mais oblige les producteurs à lui céder leur production sous certaines conditions. En contrepartie, l'administration du monopole paie aux producteurs un prix dit «de prise en charge», calculé à partir du prix de base que l'administration fixe
de façon à couvrir le coût moyen de production d'un hectolitre d'alcool.

Certains alcools sont réservés à l'État et ne peuvent être achetés que par lui: il s'agit généralement des alcools rectifiés à haute teneur, des alcools d'industrie et de synthèse, des alcools de raisins, de pommes et de poires autres que ceux fabriqués par les bouilleurs de cru ou assortis d'une appellation d'origine contrôlée ou réglementée. Il existe donc une obligation de cession de la production de certains alcools non consommables en l'état, obligation qui est synonyme de monopole de
production.

Ce régime est réglé par l'article 358 du Code général des impôts, qui remonte à une loi du 13 janvier 1941 et qui est l'une des dispositions qui intéressent le juge national qui vous saisit. Il dispose:

«Est réservée à l'État, représenté par le Service des alcools, la production des alcools éthyliques, à l'exception:

1) des eaux-de-vie ne présentant pas le caractère de spiritueux rectifiés:

a) fabriqués par les bouilleurs de cru ou pour leur compte dans la limite de l'allocation en franchise;

b) provenant de la distillation des fruits frais autres que les pommes, poires et raisins ou leurs sous-produits;

c) ayant droit à une appellation d'origine contrôlée ou réglementée;

2) des genièvres…»

Le Service des alcools achète à des prix fixés par arrêté ministériel les alcools réservés dans les limites de certains contingents. Le monopole concerne également la vente des alcools réservés que le Service des alcools revend en l'état ou après rectification. L'application de ce régime est à l'origine d'une réglementation concernant la production et le transport d'alcool et les entreprises produisant des alcools pouvant relever du monopole sont soumises à la surveillance des contributions
indirectes.

Toutefois, par décision spéciale du Service des alcools, il est possible de disposer librement de certains alcools sous la réserve que nous allons préciser. Il s'agit notamment des eaux-de-vie assorties d'une appellation d'origine contrôlée ou réglementée et des eaux-de-vie provenant de la distillation de fruits frais (pommes, poires et raisins) ou de leurs sous-produits: s'il y a obligation de cession de la production de certains alcools consommables en l'état, à prix garanti et sans possibilité
de rachat, la commercialisation de ces eaux-de-vie est libre sous réserve du paiement d'une soulte.

En complément de l'interdiction d'importer des alcools en nature, le régime français comporte une interdiction de distiller «toute matière première importée», édictée par l'article 268 de l'annexe II au Code général des impôts (CGI), texte d'application revêtant la forme d'un décret en Conseil d'État no 74/91 du 6 février 1974 (article 2):

«Est interdite la distillation de toute matière première importée, à l'exception des fruits frais autres que les pommes, poires ou raisins.»

C'est la seconde disposition qui intéresse le juge national.

Venons-en à présent au régime de la soulte.

Avant 1974, le Code ne prévoyait pas de dérogation à l'obligation de cession de la production à l'État, édictée par l'article 358. A partir du 1er avril 1974 et jusqu'au 29 juillet 1977, les producteurs ont pu cependant être autorisés à s'affranchir du monopole de fabrication de l'État et à conserver la libre disposition de certaines eaux-de-vie, pourvu qu'ils acquittent une soulte.

Le décret du 6 février 1974 a en effet introduit un article 269 à l'annexe II du Code, ainsi rédigé:

«Le Service des alcools peut laisser aux producteurs, sur leur demande, la libre disposition de certains alcools réservés à l'État, moyennant le paiement d'une soulte dont le taux ne peut excéder la différence entre le prix de vente le plus élevé des alcools d'État et le prix d'achat le plus bas des alcools d'origine agricole produits dans le cadre des contingents au cours de la campagne précédente …»

Ce texte a été remplacé, en vertu du décret du 25 juillet 1977, avec effet au 29 juillet 1977, par les dispositions suivantes :

«Le Service des alcools peut laisser aux producteurs, sur leur demande, la libre disposition des alcools réservés à l'État, moyennant le paiement d'une soulte dont le taux ne peut excéder la différence entre le prix de vente le plus élevé des alcools d'État et le prix d'achat le plus bas des mêmes alcools acquis au cours de la campagne précédente. Ces règles sont également applicables aux importateurs de ces mêmes alcools originaires et en provenance des États membres de la Communauté économique
européenne ou originaires de pays tiers et mis en libre pratique dans un de ces États membres.»

Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 25 juillet 1977, portant prix de vente d'alcools réservés à l'État:

«les tarifs normaux de vente des alcools réservés à l'État sont … constitués par un prix de base et par un complément de prix égal à la soulte prévue par l'article 269 de l'annexe II du Code général des impôts».

La faculté de rachat a ainsi été étendue à tous les alcools réservés: les producteurs d'alcool éthylique peuvent disposer librement, sans autorisation préalable, de leur production moyennant paiement de la soulte. Il est constant que cet aménagement a été apporté pour tenir compte des dispositions de l'article 37 CEE.

II. Les deux litiges au principal, qui ont donné lieu aux présents renvois préjudiciels du tribunal de grande instance de Lure, sont nés dans les conditions suivantes: la société anonyme Distilleries Peureux n'est pas un «bouilleur de cru»: elle exploite à Fougerolles une importante industrie largement ouverte à la production des alcools de fruits; elle bénéficie du régime spécial des «distilleries industrielles de fruits à noyau et de macération de fruits à noyau». Pour ce faire, elle met en œuvre
soit des matières premières d'origine nationale, soit des fruits macérés dans l'alcool provenant des États de la Communauté ou d'autres pays.

La société Peureux importe, fabrique et exporte tout à la fois des distillats de poire William.

Il semble que ce produit tire son nom de la «Bon-Chrétien Williams», variété de poirier à fruit de table (fruit à couteau), obtenue en Angleterre et qu'on doit greffer sur franc. On ne saisit par très bien le rapport entre ce fruit et l'«eau-de-vie de poire», puisque cette boisson, à la différence du poiré, est fabriquée à partir de poires âpres et rêches, à moins que la dénomination «eau-de-vie de poire William» ne provienne du fait que, dans certaines présentations de cette boisson, macère une
«poire William's».

Dans le commerce, on trouve notamment les «spécialités» suivantes, en bouteilles: Poire William 45o«La Duchesse», Poire William «Grundbacher», Poire William 45o«Klosterwald», Poire Williamine 43o«Morand», produit suisse.

Le distillat de poire titrant plus de 57o est notamment fabriqué en Italie. Dans ce pays, la Distillerie L. Psenner de Termeno (Bolzano) fabrique et commercialise de la «Fine Eau-de-vie de Poire William's» à 40o, en bouteilles de 0,75 litre, et un «distillat de poire William's» à 40o, en bouteilles de 0,50 litre, contenant une poire naturelle.

Il s'agit, semble-t-il, d'appellations simples ou de fantaisie qui, du moins en France, n'ont rien à voir avec les eaux-de-vie de ce fruit fabriquées de façon traditionnelle et artisanale dans certaines régions de l'est. Il n'existe pas, en général, d'appellation d'origine en matière de «poire William ou William's» en France; seules certaines spécialités alsaciennes bénéficient de ce régime.

En droit français, en effet, la dénomination «eau-de-vie de poire» tout court est réservée à l'eau-de-vie provenant exclusivement de la fermentation alcoolique et de la distillation de ce fruit. Le spiritueux ainsi visé perd tout droit à cette dénomination lorsque, par suite d'une rectification consécutive à la distillation, il a perdu son caractère spécifique.

Cette dénomination est toutefois applicable au mélange des eaux-de-vie entre elles ou avec des alcools de fruits ou avec de l'alcool d'industrie, à la condition que l'appellation employée pour désigner le mélange soit suivie d'un qualificatif différenciant ce mélange de l'eau-de-vie dont la dénomination est employée.

Il n'existe pas de définition communautaire de ce qu'il faut entendre par «eau-de-vie de poire». Toutefois, au sens de la proposition de règlement de la Commission portant organisation commune du marché de l'alcool éthylique d'origine agricole et dispositions complémentaires pour l'alcool éthylique d'origine non agricole ainsi que certains produits contenant de l'alcool, présentée au Conseil le 6 mars 1972, l'eau-de-vie de fruits à pépins est l'eau-de-vie obtenue par distillation exclusivement
des moûts fermentés de ces fruits, présentant à la sortie des appareils de distillation le degré maximum de 80o GL et satisfaisant aux exigences figurant dans le tableau des spécifications analytiques. Cette définition n'a pas été reprise dans la proposition modifiée de règlement de la Commission portant organisation commune des marchés dans le secteur de l'alcool éthylique d'origine agricole et dispositions complémentaires pour certains produits contenant de l'alcool éthylique, présentée au
Conseil le 7 décembre 1976.

La société Peureux a, par ailleurs, mis en distillation, en 1976, des «oranges conservées à l'alcool» importées d'Italie, semble-t-il, sous la position 20.06 B I du tarif douanier commun. Nous ne savons pas exactement sous quelle présentation ou dénomination cette mise en œuvre devait être commercialisée:

selon les observations de la société Peureux, elle visait à obtenir une liqueur «du type Cointreau». Comme vous savez, Messieurs, le vrai Cointreau est fabriqué à Angers. Ayant demandé à la direction des services fiscaux compétente (administration des contributions indirectes) de lui confirmer son droit à cet usage, celle-ci lui a fait savoir, le 1er mars 1977, que les dispositions de l'article 268 de l'annexe II du CGI faisaient obstacle à la mise en distillation, sur le territoire national, de
cette matière. Comme il lui est réclamé, du chef de cette distillation, le décuple des droits fraudés (soit plus de 17 millions de francs), la société Peureux a demandé au Tribunal de grande instance de Lure d'annuler cette décision de l'administration.

Passant, pour ainsi dire, à la contre-attaque, la société Peureux a, par ailleurs, assigné l'administration française en vue d'obtenir la restitution d'un montant total de 399435 francs qu'elle a acquitté entre le 6 février 1970 et le 6 octobre 1976 à titre de soulte perçue sur la distillation d'eau-de-vie de poire Williams de sa fabrication, dont elle avait demandé et obtenu la libre disposition.

Après avoir constaté que la demande de la requérante était prescrite pour les montants acquittés avant le 31 décembre 1974, le tribunal de grande instance de Lure vous saisit du point de savoir «si l'existence d'un monopole au profit de l'État français dans la fabrication de certaines eaux-de-vie telles que celle de poire Williams, entraînant la perception au profit de l'État, lorsque la disposition de telles eaux-de-vie est laissée aux producteurs, d'une soulte de rétrocession, est compatible,
depuis le 1er janvier 1975 ou une date ultérieure, avec les dispositions de l'article 37 du traité de Rome prohibant toute discrimination entre les ressortissants des États membres de la Communauté économique européenne dans les opérations d'importation et d'exportation» (affaire 86/78).

Ce même tribunal vous demande, dans le cadre de l'affaire 119/78, «si l'interdiction en France de la distillation de toute matière première importée, à l'exception des fruits frais autres que les pommes, poires et raisins (article 268 de l'annexe II du CGI) est compatible avec les articles 10 et 37 ou tout autre texte du traité de Rome sur la libre circulation et pratique des produits en provenance de pays tiers, notamment en ce qui concerne la distillation d'oranges macérées dans l'alcool en
provenance d'Italie».

Au sujet de ces deux questions, il convient encore de noter:

1) que, répondant le 19 avril 1978 à une question écrite, la Commission a fait savoir que l'examen de la réglementation découlant du décret no 77/842 du 25 juillet 1977 — qui devait d'ailleurs encore faire l'objet de mesures législatives — était toujours en cours. Nous ne savons pas où en est cet examen;

2) que l'interdiction de distillation d'oranges macérées dans l'alcool a fait l'objet, en décembre 1977, d'une prise de position de la Commission et qu'en l'absence d'une réponse satisfaisante du gouvernement français la Commission a décidé, au printemps de cette année, l'ouverture de la procédure prévue à l'article 169 du traité. Dans ses observations orales, la Commission a fait état de ce que, dans une lettre du 2 octobre 1978, les autorités françaises se seraient montrées conscientes de la
nécessité d'apporter les aménagements appropriés de caractère législatif à la réglementation concernée et de ce qu'un projet de loi serait en préparation.

III. Avant d'examiner l'incidence de l'article 37 du traité CEE sur la réglementation française en ce qu'elle institue une obligation de cession au monopole, avec la contrepartie du rachat de cette obligation que constitue la soulte, et en ce qu'elle interdit la distillation de toute matière première importée, à l'exception des fruits frais autres que les pommes, poires ou raisins, il convient de rechercher si cette disposition du traité proscrit ce qu'il est convenu d'appeler les «discriminations à
rebours», puisque la requérante au principal se plaint d'être victime d'une telle discrimination dans la première affaire, et si l'article 37 est encore opérant à l'égard de situations telles que celles dont est saisi le tribunal national dans les deux affaires au principal.

1. L'article 7 interdit, dans le domaine d'application du traité, toute discrimination exercée en raison de la nationalité, sans préjudice des dispositions particulières que ce dernier prévoit.

La question se pose donc de savoir si le traité prohibe, d'une façon générale, ce qu'il est convenu d'appeler les «discriminations à rebours».

Vous avez eu l'occasion de prendre position sur ce problème en matière de sécurité sociale. Dans votre arrêt Kenny du 28 juin 1978, vous avez jugé (attendu no 18) «qu'en interdisant à chaque État membre d'appliquer, dans le champ d'application du traité, son droit différemment en raison de la nationalité, les articles 7 et 48 ne visent pas les éventuelles disparités de traitement qui peuvent résulter, d'un État membre à l'autre, des divergences existant entre les législations des différents États
membres du moment que celles-ci affectent toutes personnes tombant sous leur application, selon des critères objectifs et sans égard à leur nationalité».

Nous avions nous-même estimé dans nos conclusions sur l'affaire Thieffry (Recueil 1977, p. 780) que l'article 52 du traité, en matière de libre établissement, était incompatible avec l'existence de telles discriminations, et M. l'avocat général Reischl (affaire Knoors, 115/78) ainsi que M. l'avocat général Warner (affaire Auer, 136/78) ont, avant-hier, défendu le même point de vue.

Dans le domaine qui intéresse le juge national, l'interdiction de l'article 7 est concrétisée par les dispositions de l'article 7 est concrétisée par les dispositions de l'article 37, paragraphe 1, et, subsidiairement, de l'article 95. A propos de l'article 37, paragraphe 2, M. l'avocat général Dutheillet de Lamothe avait estimé, dans ses conclusions sous l'affaire Cinzano (Recueil 1970, p. 1105) que cette disposition, «bien qu'interdisant toute mesure de discrimination nouvelle à l'encontre des
importateurs, ne fait pas obstacle à la suppression d'une discrimination qui existerait au détriment des producteurs nationaux».

De son côté, M. l'avocat général Warner, dans ses conclusions sous l'affaire Manghera (Recueil 1976, p. 108), estimait, compte tenu de la place de l'article 37 dans le chapitre relatif à l'élimination des restrictions quantitatives aux échanges, que la discrimination visée par l'article 37 «doit être la discrimination pratiquée à l'égard de produits fabriqués ou commercialisés par les ressortissants d'autres États membres».

A propos de l'article 95, vous avez jugé, par votre arrêt Steinike du 22 mars 1977, «que l'article 95 a pour objet d'éliminer les discriminations, directes ou indirectes, à l'égard des produits importés, mais non de placer ceux-ci dans une situation fiscale privilégiée par rapport aux produits nationaux» (Recueil 1977, attendu no 30, p. 615).

Pour notre part, nous inclinerions à penser que l'article 37, compte tenu des termes «dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés, l'exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des États membres», vise bien les discriminations en raison du lieu géographique de la production, quelle que soit la nationalité du produit. En effet, une discrimination à raison de l'origine des produits n'est pas moins critiquable qu'une discrimination à raison de la nationalité des
opérateurs; même si elle peut être qualifiée de «purement nationale», la discrimination n'est pas dépourvue de tout lien avec des éléments localisés dans un autre État membre; elle se situe donc dans un contexte communautaire. Nous ajouterons cependant aussitôt que la disparition des discriminations à rebours ne sera obtenue que dans le cadre d'une organisation commune des marchés ou par un rapprochement ou une harmonisation des législations.

2. Abordons à présent le point de savoir si l'article 37 est encore opérant.

Dans ses observations écrites, la Commission défend la thèse, comme elle l'avait déjà fait dans l'affaire Hansen, sur laquelle vous avez statué par arrêt du 10 octobre 1978, et comme elle le fait encore dans une autre affaire Hansen, 91/78, sur laquelle vous aurez à statuer prochainement, que, depuis la fin de la période de transition CEE, ce n'est plus l'article 37 qui est applicable pour ce qui concerne toutes les mesures non relatives aux droits exclusifs des monopoles, mais bien les articles 12,
30 à 34, 95 et, le cas échéant, 92. Subsidiairement, elle soutient que l'article 37 ne serait plus opérant parce que le régime français, s'il constitue encore un monopole de production, doit être réputé aménagé et ne constitue plus un monopole commercial au sens de cet article à la suite du décret no 77/842 du 25 juillet 1977. Seul le droit de production de l'alcool resterait soumis au monopole, sous réserve de sa compatibilité avec le principe de la libre circulation des produits entre les États
membres.

Pourtant, dans ses observations orales, elle déclare, sauf erreur de notre part, que, si, au mépris de l'article 37, paragraphe 1, des droits exclusifs d'importation, d'exportation et de commercialisation continuent à être exercés par un monopole national après la fin de la période de transition, cette disposition spéciale est d'application à l'égard des mesures qui, en l'absence d'un tel organisme, relèveraient normalement des articles 12, 30 ou 95.

Cette question a été examinée par M. l'avocat général Capotorti dans ses conclusions du 4 juillet 1978, pages 10 et 11, sous l'affaire Hansen (arrêt du 10 octobre 1978) précitée.

Vous n'avez pas encore explicitement pris position sur ce point, nous paraît-il, bien que, dans cet arrêt, vous ayez jugé (attendu no 13) «qu'il apparaît, dès lors, préférable d'examiner le problème soulevé par la juridiction nationale, en première ligne, sous l'angle de la règle fiscale de l'article 95, en raison de son caractère général, et non de l'article 37, spécifique au régime des monopoles nationaux; que cette méthode est d'autant plus justifiée que l'article 37 est fondé sur le même
principe que l'article 95, à savoir l'élimination de toute discrimination dans les échanges entre États membres».

Cependant, d'après votre arrêt Miritz du 17 février 1976 (Recueil p. 230, attendu no 8), «l'article 37, paragraphe 1, ne concerne pas exclusivement les restrictions quantitatives, mais interdit, à l'expiration de la période de transition, toute discrimination dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés entre les ressortissants des États membres; qu'il s'ensuit que son application n'est pas limitée aux importations et exportations faisant l'objet direct du monopole, mais s'étend à toute
action liée à l'existence de celui-ci et ayant une incidence sur les échanges entre États membres de produits déterminés, monopolisés ou non (formule directement reprise de l'attendu no 5 de votre arrêt Cinzano du 16 décembre 1970, Recueil p. 1096), et vise ainsi les impositions qui créeraient, au détriment des produits importés, des discriminations par rapport aux produits nationaux affectés par le monopole».

Le critère décisif à cet égard est le fait que certaines mesures se situant dans le contexte de l'existence du monopole ont des effets sur les échanges entre les États membres. Or, les mesures dont la requérante au principal critique l'incidence sur ces échanges sont liées directement à l'existence du monopole. Nous devons donc exprimer les plus extrêmes réserves sur la façon de voir de la Commission. Si la suppression des discriminations résultant directement des dispositions applicables aux
produits sous monopole pouvait être atteinte par les dispositions du traité qui interdisent les taxes ou mesures d'effet équivalant aux restrictions quantitatives (articles 30 à 34) ou les discriminations fiscales (article 95), l'article 37 serait inutile. C'est donc que la portée de cet article ne se réduit pas à la poursuite et à la réalisation de ce seul objectif: cette disposition tend à l'aménagement des monopoles, cet aménagement devant lui-même être, aux termes de son paragraphe 3, «adapté à
l'élimination, prévue aux articles 30 à 34 inclus, des restrictions quantitatives pour les mêmes produits».

La Commission témoigne elle-même d'un certain flottement sur la date à compter de laquelle cette transformation serait intervenue: en toute logique, c'est à compter du 1er janvier 1970 qu'elle aurait dû se produire. Or, selon la Commission, ce ne serait au mieux qu'à compter du mois de juillet 1977 qu'elle serait intervenue. De la réponse qu'elle a fournie le 13 décembre 1977 à une question écrite, il ressort que l'aménagement du régime économique français de l'alcool n'était pas, à cette date,
définitif et que son examen par la Commission n'était pas terminé.

Nous doutons fort, quant à nous, que tous les monopoles nationaux présentant un caractère commercial - le monopole français de l'alcool en particulier, comme du reste le monopole allemand, si nous pouvons nous permettre cette remarque - aient, dans la mesure où ils comportent une réglementation d'effet équivalant à une organisation nationale de marché, été aménagés de la façon indiquée par l'article 37, paragraphe 1, même au mois de juillet 1977, et qu'avec l'élimination des droits exclusifs
d'importation, d'exportation et de commercialisation les monopoles aient cessé d'exister en tant que tels.

Répondant, le 21 mai 1976, à une question écrite, la Commission déclarait qu'«étant donné que la France, à la suite des arrêts 45/75 (Rewe) et 91/75 (Miritz), n'a pas encore pris de mesures appropriées pour rendre son monopole des alcools conforme aux exigences du traité CEE, et notamment son article 37, la Commission, en date du 12 avril 1976, a entamé contre cet État membre la procédure d'infraction prévue à l'article 169 du traité». Aucun élément du dossier ne permet de savoir à quel stade se
trouve cette procédure.

Il nous paraît donc extrêmement dangereux de ranger l'article 37 au musée des dispositions inutiles. Mais, dans ce cas, cet article doit rester applicable dans son intégralité.

3. A cet égard, un aspect fondamental ne doit pas être perdu de vue: il est certain que le monopole français de l'alcool, à côté de son rôle fiscal sur lequel nous reviendrons, «comporte une réglementation destinée à faciliter l'écoulement ou la valorisation des produits agricoles» au sens de l'article 37, paragraphe 4. Il continue d'être obligé d'acheter, dans les limites de certains contingents, l'alcool éthylique agricole et d'en assurer l'écoulement et la valorisation pour garantir un certain
niveau de vie aux producteurs. Le 22 décembre 1969, la Commission estimait «qu'il serait impossible de dissocier l'aménagement définitif du monopole de l'établissement de l'organisation commune prévue pour l'alcool éthylique d'origine agricole». En réponse à une question parlementaire écrite, la Commission déclarait encore, le 28 avril 1971, que «l'aménagement définitif des monopoles français et allemand des alcools dépend de l'établissement d'une organisation commune des marchés de l'alcool
éthylique d'origine agricole». Nous partageons entièrement ce point de vue.

Il n'est point besoin de rappeler que l'organisation commune en question n'a toujours pas vu le jour et que le régime français des alcools n'a certainement pas encore été aménagé à ce jour de manière à ne plus présenter le caractère d'une organisation agricole nationale, avec les mesures de soutien à l'exportation qu'elle comporte notamment.

Nous n'en voulons pour preuve que les décisions de la Commission autorisant la perception d'une taxe destinée à compenser l'«affectation dans la concurrence» subie par les produits similaires des autres États membres du fait de la réglementation interne d'effet équivalant à une organisation nationale de marché que comporte le monopole français.

Dans son règlement no 1407/78 du 26 juin 1978, la Commission relève que «la différence entre les prix constatés sur le marché français et les marchés allemand, belge, luxembourgeois et néerlandais résulte notamment de la politique de prix pratiquée par les services des alcools en France, politique qui consiste à vendre des alcools d'origine agricole destinés à l'exportation à un prix moyen qui est nettement inférieur au prix du même alcool destiné à la consommation sur le marché intérieur
français; que, toutefois, échappent à cette politique de prix des alcools qui peuvent être laissés à la libre disposition des producteurs, sur leur demande, conformément à l'aménagement récent du régime économique de l'alcool en France»; constatant ensuite que le Conseil «n'a pas statué, en vertu de l'article 42 du traité, sur l'applicabilité à l'alcool éthylique d'origine agricole … des dispositions du traité relatives aux aides étatiques», ce qui ne sera effectivement fait, au mieux, que dans
le corps du règlement portant organisation commune des marchés de ce produit, et que, «si la France maintient son aide à l'exportation d'alcool, les difficultés en résultant ne peuvent être palliées que par la fixation, au titre de l'article 46 du traité, d'une taxe à l'égard des exportations françaises, destinée à rétablir l'équilibre».

Nous pensons, nous aussi, que la différence de prix dont la Commission fait état résulte de l'ensemble du régime français de l'alcool, régime qui, d'après la Commission, devrait être «neutre» depuis le 1er janvier 1970, le 1er avril 1974 ou le 29 juillet 1977.

Mais, avec tout le respect que nous devons à ta Commission, et selon sa thèse, nous ne pensons pas que l'autorisation de la perception d'une taxe compensatoire constitue le remède adéquat à cette situation.

S'il était exact, comme le soutient la Commission, que les entraves ou discriminations que comporte le régime français des alcools étaient directement contraires aux dispositions des articles 30 à 34 et 95 du traité depuis le 1er janvier 1970, le 1er avril 1974 ou le 29 juillet 1977, l'article 46 ne serait plus applicable depuis l'une de ces trois dates. Tel était, du moins jusqu'ici, l'avis des grands commentateurs. Vous avez expressément jugé, par arrêt du 20 avril 1978, Commissionnaires
Réunis, que «les articles 45 et 46 concernent expressément l'hypothèse du maintien provisoire, au cours de la période de transition, d'organisations nationales de marché en attendant qu'y soient substituées des organisations communes».

Par contre, ce recours à l'article 46 s'inscrit parfaitement dans la ligne de l'article 37, paragraphe 3, deuxième alinéa, qui dispose qu'«au cas où un produit n'est assujetti que dans un seul ou plusieurs États membres à un monopole national présentant un caractère commercial, la Commission peut autoriser les autres États membres à appliquer des mesures de sauvegarde dont elle détermine les conditions et modalités, aussi longtemps que l'adaptation prévue au paragraphe 1 n'a pas été réalisée».
Ceci nous paraît être la preuve que celle-ci n'a, en effet, pas été réalisée.

Nous ajouterons encore les considérations suivantes:

L'article 33 de la proposition de règlement sur l'alcool, présentée par la Commission au Conseil le 7 décembre 1976, interdit, en ce qui concerne l'alcool agricole, les monopoles de production et de commercialisation et, en ce qui concerne l'alcool non agricole, les monopoles de commercialisation, étant donné que, pour ce dernier produit, la production est le fait de firmes se trouvant en situation de concurrence. Or, si l'aménagement prévu par l'article 37 du traité était réalisé, on ne voit pas
l'utilité d'une telle disposition.

Enfin, le Conseil a bien marqué, par sa résolution du 28 décembre 1972, que, dans son esprit, les mesures destinées à assurer l'octroi effectif, conformément aux dispositions du protocole no 19 annexé à l'acte d'adhésion, de restitutions à l'exportation des boissons spiritueuses obtenues à partir de céréales devaient être adoptées simultanément avec le futur règlement relatif au secteur de l'alcool. L'absence d'une telle adoption ne signifie pas que ce protocole ait perdu tout intérêt.

Nous pensons donc que l'article 37, dans son ensemble, est toujours applicable et qu'il y a toujours lieu, en particulier, «d'assurer, dans l'application des règles de l'article 37, paragraphe 4, des garanties équivalentes pour l'emploi et le niveau de vie des producteurs intéressés, compte tenu du rythme des adaptations possibles et des spécialisations nécessaires», formule identique à celle qui est employée à l'article 43, paragraphe 3, a), pour qu'une organisation commune puisse être
substituée aux organisations nationales. Ceci nous paraît être le seul moyen d'échapper aux inextricables difficultés que soulève, au regard des dispositions du traité relatives aux conditions dans lesquelles une aide accordée par les États (articles 92 à 94) peut être considérée comme ayant été notifiée en temps utile à la Commission, ainsi qu'au regard des dispositions fiscales (articles 95 à 99), la budgétisation ou la «parafiscalisation» des régimes d'aides à l'alcool institués en France et
en république fédérale d'Allemagne pour pallier l'absence d'organisation commune de marchés tout en respectant la lettre des dispositions interdisant les restrictions quantitatives.

Certes, vous avez jugé, par votre arrêt Manghera du 3 février 1976 (Recueil p. 100) «que l'obligation imposée au paragraphe 1 (de l'article 37) vise à assurer le respect de la règle fondamentale de la libre circulation des marchandises dans l'ensemble du marché commun, en particulier par l'abolition des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent dans les échanges entre États membres» (attendu no 9); «que cette finalité ne serait pas atteinte si n'était pas assurée, dans un État
membre où existe un monopole commercial, la libre circulation, en provenance des autres États membres, de marchandises similaires à celles concernées par le monopole national» (attendu no 10).

Toutefois, l'aspect «organisation agricole de marché» était inexistant dans cette affaire; comme le disait M. l'avocat général Warner dans ses conclusions (Recueil 1976, p. 106), «aucun élément n'indique que le monopole italien du tabac existe, ou a jamais existé, d'une manière quelconque, dans l'intérêt des planteurs italiens de tabac». Or, cette composante agricole présente une importance fondamentale dans les présentes affaires.

Quelques jours plus tard, dans votre arrêt Rewe du 17 février 1976 (Recueil p. 197), vous avez jugé que «l'exclusion, à la fin de la période de transition, de toute discrimination dans ce domaine (c'est-à-dire dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés des marchandises produites ou commercialisées par les ressortissants des différents États membres) constitue une obligation de résultat précise dont l'exécution devait être facilitée, mais non conditionnée, par le caractère progressif
de l'aménagement prévu» (attendu no 24).

Dans l'arrêt Miritz, du même jour (Recueil p. 229-230), vous avez jugé que,«sans exiger l'abolition desdits monopoles, cette disposition prescrit impérativement leur aménagement de façon à assurer, à l'expiration de la période de transition, l'entière disparition des discriminations visées». Puis vous avez repris les termes de l'attendu no 9 de votre arrêt Manghera, en visant toutefois, au lieu des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent, les droits de douane et les taxes
d'effet équivalent.

Ces constatations ont été formulées à propos du monopole allemand de l'alcool, qui comporte bien une composante agricole (alcool de pommes de terre notamment). Ceci est-il transposable à un monopole tel que le monopole français de l'alcool, où la composante agricole nous paraît beaucoup plus importante (alcool de betteraves, prestations viniques)?

Vous avez admis, dans votre arrêt Hansen du 10 octobre 1978 (attendu no 16) «qu'en l'état actuel de son évolution et en l'absence d'une unification ou harmonisation des dispositions pertinentes, le droit communautaire n'interdit pas aux États membres d'accorder des avantages fiscaux, sous forme d'exonération ou de réduction de droits, à certains types d'alcools ou à certaines catégories de producteurs». Il nous semble que c'est là réintroduire, par le biais de l'article 95, les adaptations
prévues par l'article 37, paragraphe 4, et nous nous permettons d'élever quelques doutes sur la qualité du résultat ainsi obtenu.

Pour résumer nos explications à ce stade, nous estimons que l'on est conduit à examiner l'interdiction des discriminations ou des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au regard des dispositions spécifiques du traité relatives aux monopoles, c'est-à-dire au regard de l'article 37 pris dans son ensemble. L'application du paragraphe 2 de cet article à une mesure, même nouvelle, prise dans le cadre d'un régime de monopole ayant une fonction équivalant à celle d'une organisation
nationale de marché agricole doit se faire dans le respect de conditions énoncées à l'article 37, paragraphe 4.

IV. A supposer qu'à l'époque des faits qui intéressent le juge national l'exclusion de toute discrimination, même à rebours, édictée par l'article 37 fût «directement applicable», encore faudrait-il qu'il s'agisse de produits «similaires» compte tenu de la réglementation des appellations d'origine.

Il faudrait savoir, en effet, si le produit fabriqué par la requérante est similaire aux produits originaires ou en provenance des autres États membres (Italie) par rapport auxquels elle se prétend discriminée.

Une sombre querelle s'est instaurée à cet égard à la barre entre les représentants de la requérante et les agents et experts du gouvernement français et, pas plus que le juge rapporteur, nous ne sommes certain d'avoir parfaitement compris.

Selon le gouvernement français, de 1974 à 1977, l'alcool de poire William, à la sortie de l'alambic en France, était considéré comme de l'alcool matière première ou alcool brut, donc réservé. Laissé à la libre disposition du producteur, cet alcool était soumis à une soulte. Nous ne savons pas exactement pour quels produits la requérante «répète» le paiement de la soulte; il semble qu'il s'agisse de cet alcool ou d'une boisson à base de cet alcool, rendu propre à la consommation par adjonction
d'eau ou distillation au degré de consommation. S'il s'agit d'une boisson «spiritueuse», «se distinguant des alcools éthyliques par la présence de principes aromatiques ou de propriétés gustatives typiques», elle devrait être classée sous la position 22.09 CV, tandis que l'«alcool éthylique non dénaturé de moins de 80o» relève de la position 22.09 A.

L'«eau-de-vie de poire William» importée en vrac en France des pays de la CEE était également considérée comme matière première brute, donc soumise à la taxe compensatoire. Au contraire, importée en bouteilles, cette eau-de-vie devait être regardée comme de l'alcool utilisable ou consommable en l'état; à ce titre, elle n'aurait pas été soumise au paiement de la soulte si elle avait été fabriquée en France; elle était cependant soumise à taxe compensatoire à l'importation parce que ne méritant
pas l'appellation «eau-de-vie de bouche».

A l'appui de sa thèse, le gouvernement français cite le bulletin officiel des douanes françaises selon lequel «la notion de produits non utilisables ou consommables en l'état — qui est équivalente à celle de matières brutes — recouvre les produits susceptibles de concurrencer les alcools de l'État dans leurs débouchés. Sont considérés comme tels les alcools et eaux-de-vie dont le titre alcoométrique acquis est égal ou supérieur à 57o».

La Commission estime que ces critères ne sont pas valables. D'après elle, on ne classe pas un produit selon les récipients dans lesquels il est contenu. Sous cette forme, cette affirmation nous paraît inexacte. En effet, l'incidence du volume du récipient sur le taux des droits ressort directement du tableau du tarif douanier commun qui distingue, pour la position 22.09 A et C, selon que le produit est contenu dans des récipients de deux litres au plus ou de plus de deux litres.

Il nous paraît donc qu'il s'agit d'une distinction non seulement légale ou fiscale, mais encore technique, qualitative et locale et il n'est pas absurde de soutenir que l'expression «produit utilisable ou consommable en l'état, contenant de l'alcool éthylique» n'est pas forcément synonyme de l'expression «produit destiné à la consommation de bouche», car il existe des boissons comme le gin ou la vodka qui, selon le procédé de fabrication, sont considérées comme alcool éthylique d'origine
agricole ou comme boissons spiritueuses bien que présentant, pour le consommateur, des caractères organoleptiques semblables.

La solution de 1 affaire 86/78 suppose résolu au préalable le problème du classement tarifaire ou douanier de l'«eau-de-vie de poire William» importée des États membres et de l'«eau-de-vie de poire William» éventuellement exportée par la requérante. Selon celle-ci, la discrimination proviendrait du fait que le gouvernement français considère l'«eau-de-vie de poire William» comme de l'alcool brut lorsqu'elle est produite en France, alors qu'il considère le même produit comme boisson spiritueuse
lorsqu'il est importé. De toute façon, la juridiction nationale ne vous interroge pas sur ce point et, à moins que vous n'ordonniez une véritable mesure d'instruction, il lui appartiendra de déterminer si le produit en question est un alcool brut ou, au contraire, une «eau-de-vie de bouche».

V. Il ne sera cependant peut-être pas nécessaire de trancher tous ces points délicats pour les raisons suivantes:

Rappelons que l'affaire 86/78 a trait à la compatibilité avec le traité d'un régime national révolu, alors que la Commission n'a saisi la Cour d'aucun recours en manquement à ce sujet. Selon la requérante, ce régime était discriminatoire en raison du fait que les alcools, en provenance des États membres, qui n'auraient pas dû être astreints au paiement de la taxe (ou surtaxe) compensatoire, auraient été alors privilégiés par rapport aux alcools nationaux qui, pour pouvoir être «libérés», étaient
astreints au paiement d'une soulte. Dans la recommandation qu'elle a adressée à la France le 22 décembre 1969, la Commission avait attiré l'attention de ce pays sur le caractère discriminatoire de la surtaxe compensatoire frappant les alcools à l'importation en en demandant la suppression. Dans ce texte, qui ne lie pas (article 189) et qui est le seul instrument expressément prévu par l'article 37, paragraphe 6, pour la réalisation de l'adaptation prévue à cet article, texte qui n'a été publié
qu'après l'expiration de la période transitoire, la Commission expose que «l'ouverture inconditionnée du marché français aux produits des autres États membres, avant la mise en vigueur de l'organisation commune des marchés, pourrait … mettre en cause la vente de l'alcool éthylique français d'origine agricole, ainsi que la compétitivité des eaux-de-vie françaises et, par voie de conséquence, l'emploi et le niveau de vie des producteurs de certaines matières premières». Se référant à l'article 37,
paragraphe 4, elle déclarait qu'il pourrait être nécessaire de prendre des mesures particulières jusqu'à l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés et elle admettait la licéité de la perception d'une taxe compensatoire à l'importation de l'alcool et des boissons alcoolisées.

1. Selon la requérante, à partir du 1er janvier 1970, les producteurs des autres États membres auraient dû être libres d'exporter et de commercialiser leurs fabrications dans l'État du monopole, alors que les ressortissants de cet État demeuraient privés du droit de commercialiser librement leur production, tant dans leur propre État que dans les autres. Elle fait valoir que, la perception de la taxe (ou surtaxe) compensatoire étant illégale, les importateurs de produits étrangers n'auraient pas dû
la payer et que, si tel avait été le cas, la perception de la soulte sur les producteurs français constituait une discrimination.

Mais, la situation des fabricants et des importateurs des produits en cause, à la supposer similaire, ne nous paraît pas identique en fait. En effet, le droit dont disposaient les exportateurs des États membres originaires de la CEE d'exporter librement de l'alcool en France depuis le 1er janvier 1970, moyennant le versement des droits prévus, était purement théorique: il n'aurait pu être reconnu qu'à la suite des arrêts Rewe et Miritz, qui n'ont en tout cas aucun effet réglementaire ni
rétroactif. Les alcools en provenance des autres États membres, à l'égard desquels la requérante se prétend discriminée, étaient assujettis à d'autres contraintes. Jusqu'au 1er avril 1974, ils étaient soumis à la surtaxe compensatoire visée à la recommandation de la Commission de 1969.

2. Même après le 1er avril 1974 et jusqu'au 29 juillet 1977, l'importation des alcools éthyliques était subordonnée au paiement d'une surtaxe de compensation, toujours égale, pour l'alcool pur contenu dans le produit, «à la différence entre le prix d'achat le moins élevé pratiqué par le Service des alcools à la fin de la campagne précédente et le prix de vente des alcools destinés à l'usage correspondant», formule analogue à celle utilisée ultérieurement à l'article 269 de l'annexe II pour la
soulte. L'importation des produits «destinés à la consommation de bouche contenant de l'alcool éthylique» en provenance des États membres était, «lorsque le prix de vente minimum de l'alcool neutre pour la consommation de bouche dans le pays d'origine est inférieur au prix de vente pratiqué en France pour le même usage», soumise à une taxe compensatoire égale à la différence entre ces deux prix.

Il est possible que l'obligation imposée avant juillet 1977 aux producteurs de livrer la totalité de leur production à l'État les empêchait d'exporter cette production et affectait, au moins potentiellement, les échanges entre États membres. Le fait que l'État ne se porte acquéreur à un prix économiquement raisonnable que d'une partie de la production nationale, celle que le Service des alcools est disposé à écouler, peut entraîner un contingentement de fait de la production nationale. Par
ailleurs, si les producteurs de la CEE disposaient du droit de commercialiser librement leur production d'alcool en France, il en résulterait une discrimination en défaveur des producteurs français, faussant l'égalité dans la concurrence visée par le traité. Mais, tel n'est pas le cas. Il n'est pas exclu non plus que, compte tenu de la perception de la taxe compensatoire instaurée en 1974, le produit indigène fût placé, quant à son prix final, dans une position plus défavorable que le produit
importé comparable et que la taxe compensatoire augmentât lorsque, dans le cadre de sa politique de vente, l'administration du monopole fixait à un niveau particulièrement bas le prix de l'alcool vendu à des fins particulières et, en contrepartie, fixait le prix de vente de l'alcool de bouche à un niveau particulièrement élevé.

Mais, le gouvernement français fait observer qu'en l'absence d'organisation commune des marchés de l'alcool l'obligation de payer une soulte ne frappant que les alcools bruts (et non les alcools utilisables ou consommables en l'état) est compensée, pour les fabricants et utilisateurs français d'alcool national qui paient cette soulte à la différence des alcools utilisables ou consommables en l'état importés, par une garantie d'approvisionnement.

Sous l'angle de l'article 95, également envisagé par la Commission, il est interdit aux États membres de frapper le produit importé d'une imposition supérieure à celle qui s'applique au produit national similaire: à l'époque, les produits importés étaient frappés - à tort ou à raison - d'une imposition analogue à celle dont étaient frappés les produits nationaux. Il n'y avait donc, par le fait, aucune discrimination. Selon le gouvernement français, cet article n'interdit pas de frapper d'une même
imposition un produit importé et un produit national similaire, même si une partie de la charge frappant le produit national est affectée au financement d'un monopole d'État, tandis que celle frappant le produit importé est perçue au profit du budget général de l'État.

3. Mais, le tribunal national vous interroge également sur le caractère discriminatoire, après le 29 juillet 1977, du non-assujettissement à la soulte de l'alcool pur (matière première) contenu dans les boissons spiritueuses importées, alors que cet alcool, lorsqu'il est contenu dans les boissons spiritueuses fabriquées en France, y est assujetti. Bien que la réponse à cette question nous paraisse absolument inutile pour la solution du litige dont est saisi ce tribunal national et qu'il soit plus
opportun qu'elle fasse l'objet d'une procédure de manquement, nous ferons observer ceci:

La Commission constate que la soulte perçue par le Service des alcools en échange de la libre disposition laissée aux producteurs français des alcools réservés à l'État (et qui est égale au complément de prix perçu dans le cas de rétrocession par le Service des alcools, complément visé à l'article 2 de l'arrêté du 25 juillet 1977) est l'équivalent de la soulte perçue en France sur des alcools produits dans d'autres États membres et utilisés ou consommés en France. Dans la mesure où cette dernière
s'intègre dans le régime fiscal général applicable aux alcools utilisés ou consommés en France, elle ne constituerait pas un obstacle à la libre circulation des marchandises et serait conforme aux dispositions de l'article 95.

En d'autres termes, la soulte du nouvel alinéa premier de l'article 269 serait la contrepartie d'un régime d'aide accordée en faveur de la production ou du commerce de l'alcool national d'origine agricole. Nous doutons fort cependant que les conditions de l'article 93, troisième paragraphe, deuxième et troisième phrases, aient été respectées, alors que, dans la ligne de votre arrêt Miritz, il devrait exister, depuis le 1er janvier 1970, dans les États membres originaires, un régime de
«libre-échange» en matière d'alcool éthylique d'origine agricole et que l'article 4 du règlement no 26 du Conseil du 4 avril 1962 devrait avoir cessé, lui aussi, d'être opérant.

La «discrimination» tient au fait, selon la requérante au principal, que les producteurs français demeurent tenus de céder leur production au monopole, sauf paiement de la soulte, alors que les producteurs des autres États membres originaires se sont vu reconnaître la liberté d'exporter en France. Même si le droit exclusif d'importation et d'exportation a été supprimé, le monopole, grâce à l'obligation de livraison imposée aux producteurs nationaux, influencerait directement ou indirectement les
échanges. Mais, cette situation trouve sa source première dans l'obligation d'achat à prix garanti, accompagnée de l'obligation de cession imposée aux producteurs nationaux: seule la suppression de cette obligation, qui est la contrepartie du monopole d'achat du Service des alcools, pourrait éliminer toute possibilité de discrimination à rebours. Or, à notre avis, une telle suppression affecterait l'existence même du monopole et entraînerait son abolition, alors que l'existence des monopoles et
expressément réservée par l'article 222.

Au demeurant, ce problème fait encore l'objet des négociations relatives à l'établissement d'une organisation commune des marchés de l'alcool éthylique. Bien que la question n'ait pas été envisagée sous cet angle dans le cadre des présentes affaires, il n'est pas contestable que le Service français des alcools constitue sinon un «service d'intérêt économique général», du moins «présente le caractère d'un monopole fiscal», au sens de l'article 90, paragraphe 2. La mission d'un tel monopole est de
parvenir, entre autres, au rendement fiscal maximum compatible avec l'équilibre optimum des ressources et des besoins en alcool. La suppression pure et simple de l'obligation de cession ferait échec à l'accomplissement, en droit ou en fait, de la mission qui a été impartie à ce service. La question de savoir si le maintien de cette obligation affecte le développement des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté reste naturellement ouverte. Mais, c'est là une appréciation
délicate, car elle est liée à des considérations de santé publique. En effet, il s'agit de concilier des objectifs parfaitement contradictoires, d'un côté maximaliser les recettes fiscales provenant de la production et de la consommation d'alcool, favoriser la libre circulation de ce produit et, de l'autre, il ne faut pas perdre de vue que le régime économique de l'alcool n'est pas sans incidence sur la politique sanitaire et qu'un débordement de la production d'alcool éthylique irait à
l'encontre de la recherche - difficile - d'un équilibre entre rentrée fiscale et santé publique. Il est indéniable que les droits de toute nature sur l'alcool, à côté d'un objectif d'organisation de marché et de rendement fiscal, se justifient par des impératifs de santé publique, notamment dans les nouveaux États membres.

Pour résumer nos observations en ce qui concerne la première affaire, nous estimons que, si, pendant la période 1974/1977 utilement considérée par le juge national, les fabricants nationaux supportaient la soulte en ce qui concerne les produits utilisables et consommables en l'état contenant de l'alcool libéré, cette charge serait au moins compensée par la taxe à laquelle étaient soumis les produits similaires importés des autres États membres. Le fait que ces contraintes ou conditions auraient
été contraires au traité ne peut être utilement invoqué par la requérante au principal, la validité de ces contraintes au regard du droit communautaire n'ayant jamais été soumise à la Cour ni par recours direct, ni à titre préjudiciel.

Le même raisonnement vaut en ce qui concerne la prétendue discrimination résultant de ce que les alcools libérés français ou les boissons spiritueuses françaises contenant de l'alcool libéré auraient été moins compétitifs sur les marchés extérieurs par suite de l'instauration de cette soulte: en cas d'exportation de ces produits, la soulte grevant l'alcool national libéré contenu dans ces produits n'était pas perçue ou était remboursée.

VI. 1. Alors que la requérante prétend être dicriminée par rapport aux importateurs nationaux de «distillais de poire Williams» (affaire 86/78), elle se plaint, dans l'affaire 119/78, d'être défavorisée par rapport aux liquoristes nationaux, producteurs de Cointreau véritable. Il semble - nous employons cette formule prudente en l'absence de toute autre précision au dossier - qu'elle avait l'intention de procéder à une opération de «repassage d'alcool», opération qui n'est pas une simple
transformation, car le repassage de liquides alcooliques s'analyse en une remise en distillation aboutissant à la fabrication de produits différents au sens de la réglementation française, ou en une remise en distillation de matières premières pour produire ou fabriquer un nouvel alcool rectifié à haute teneur. Or, la production des alcools rectifiés de haute teneur est réservée à l'État en vertu de l'article 358 du Code général des impôts dont nous avons parlé plus haut.

Le litige au principal n'est donc pas sans rappeler l'affaire Miritz. Dans cette espèce, il s'agissait d'un lot de distillats d'écorces d'agrumes ou d'extraits concentrés de diverses substances aromatiques en solution d'alcool importés d'Italie, produits relevant de la position tarifaire 33.04, qui servent de base dans la fabrication de boissons de la position 22.06. Une interdiction d'importation existait en république fédérale d'Allemagne avant l'adoption d'une loi du 23 décembre 1970, le
monopole allemand ayant le droit exclusif d'importer l'alcool éthylique et les produits qui en contiennent. Avant cette loi, le rôle de la taxe compensatoire allemande était assuré par ce droit exclusif qui se traduisait en pratique par une interdiction d'importation, à l'exception de certains produits. Toutefois, à la différence de la présente affaire, ce qui était en cause ce n'était pas l'interdiction de mettre en oeuvre ce produit, mais le recouvrement du montant de la taxe compensatoire
instituée par la législation allemande à raison de la teneur en alcool de la marchandise.

Selon la requérante au principal, il s'agirait non de matières premières (macérations) alcooligènes, mais, de matières premières (macérations) alcooliques destinées à la production d'alcools ou d'eaux-de-vie. En effet, des fruits dont la fermentation a été arrêtée du fait de leur immersion dans un alcool de degré élevé ne sont pas des matières premières alcooligènes: il s'agit d'une macération alcoolique. Mais, dans ce cas, l'on aurait affaire à un produit ayant subi une adjonction d'alcool
éthylique non dénaturé de moins de 80o, d'origine agricole, produit relevant de la position 22.09 B, «préparations alcooliques composées (dites extraits concentrés)», dont il est prévu qu'elles doivent être régies par la future organisation commune des marchés.

Il se pose donc, comme dans l'affaire précédente, une question préalable de classement.

Il n'existe pas encore de notion communautaire de «matières premières» alcooliques ou alcooligènes. Par ailleurs, vous avez jugé, dans votre arrêt Hansen du 10 octobre 1978, que:

«En l'état actuel de son évolution et en l'absence d'une unification ou d'une harmonisation des dispositions pertimentes, le droit communautaire n'interdit pas aux États membres d'accorder des avantages fiscaux, sous forme d'exonération ou de réduction de droits, à certains types d'alcools ou à certaines catégories de producteurs;

des facilités fiscales de ce genre peuvent servir, en effet, des fins économiques ou sociales légitimes, telles que l'utilisation par la distillerie de matières premières déterminées, le maintien de la production d'alcools typiques de haute qualité, ou le maintien de certaines catégories d'exploitations, telles que les distilleries agricoles» (attendu no 16);

«Des problèmes délicats d'assimilation peuvent se poser dans ce contexte, compte tenu des facteurs auxquels les différentes législations nationales ont rattaché l'octroi des avantages fiscaux en question, tels que la nature des matières premières , les caractéristiques techniques des installations, les procédés de distillation, les modalités d'imposition et les méthodes du contrôle fiscal» (attendu no 18).

Le tribunal national a dit pour droit que les «oranges macérées dans l'alcool» en cause, en tant que destinées à la distillation, sont des matières premières au sens de l'article 268 de l'annexe II et il semble que ce soit parce que les fruits ont été enrichis avec de l'alcool autre que de l'alcool agricole de provenance nationale que l'administration refuse l'autorisation sollicitée par la requérante: il s'agirait d'un alcool originaire de pays tiers ou d'un alcool fabriqué dans un État
membre à partir de matières premières originaires de cet État membre ou de pays tiers, mais nous ne savons pas avec certitude quelle en est la nature et l'origine.

2. Rappelons qu'en France, aux termes de l'article 268 de l'annexe II au Code général des impôts:

1) il est permis de distiller les fruits frais importés autres que pommes, poires et raisins;

2) il est interdit de distiller les pommes, poires et raisins frais importés;

3) il est interdit de distiller d'autres «matières premières» importées.

Dès l'abord, nous devons exprimer certains doutes sur la compatibilité de l'interdiction de distiller des fruits frais, au moins en ce qui concerne les poires, avec les adjudications permanentes ouvertes par l'organisme d'intervention italien (AIMA) pour la cession de poires retirées du marché aux industries de distillation, comme celle qui fait l'objet de l'avis publié au Journal officiel du 10 juin 1978, alors que le règlement no 1562/70 de la Commission du 31 juillet 1970, sur la base
duquel a été organisée une telle adjudication, prévoit «l'égalité de traitement de tout intéressé dans la Communauté» et la possibilité pour «toute industrie de faire une offre», pourvu que le produit attribué soit transformé en alcool titrant plus de 80o.

3. Mais, le tribunal national a constaté que, comme les oranges macérées dans l'alcool sont importées, l'impossibilité de les distiller met en jeu la libre circulation des marchandises dans le marché commun et l'interdiction de toute discrimination entre ressortissants des États membres (article 37).

Par conséquent, même si la requérante se voyait reconnaître le droit d'importer le produit en cause - et l'administration admet qu'elle a théoriquement ce droit - elle ne pourrait le mettre en oeuvre comme elle l'entend.

Le libellé de la question qui vous est posée est quelque peu obscur. En effet, l'article 10 est relatif aux produits en provenance des pays tiers et se trouvant en libre pratique dans un État membre et nous ne voyons pas très bien l'intérêt de la question relative à cet article aux fins de la solution du litige national, à moins de supposer un «détournement de trafic» par l'Italie, par exemple si les oranges provenaient en réalité d'Espagne et avaient fait l'objet d'adjonction d'alcool, soit
en Espagne, soit en Italie, que cet alcool provienne de matières premières italiennes ou étrangères. La question doit donc être reformulée de la façon suivante: les articles 10 et 37 ou toute autre disposition du traité font-ils obstacle à une mesure nationale prohibant dans un État membre la distillation de matières premières originaires d'un autre État membre ou mises en libre pratique dans cet État après importation des pays tiers?

La requérante au principal déduit de la jurisprudence Miritz que l'interdiction de distiller des matières premières (alcooliques), liée à l'existence du monopole, ferait obstacle à l'importation de ces matières premières en provenance d'autres États membres et constituerait, dès lors, une discrimination dans la mesure où les mêmes matières premières peuvent être distillées librement lorsqu'elles sont d'origine française. Mises en libre pratique après importation des pays tiers, ces matières
auraient acquitté les droits ou prélèvements prévus à la position 20.06 B I et la requérante voudrait pouvoir librement distiller ce qu'elle appelle des «spiritueux composés», sans se soustraire au paiement du «droit de consommation».

Nous retrouvons ici la même question: la suppression de cette interdiction n'entraînerait-elle pas, à terme, au moins pour partie, la disparition du monopole, alors que l'article 37 n'en exige que l'aménagement, dans les conditions prévues au paragraphe 4? Nous ne pouvons que répéter les doutes que nous avons exprimés plus haut. Nous rappellerons au surplus que, s'agissant d'alcool en l'état ou contenu dans d'autres produits, importé de pays non membres des Communautés européennes, les
dispositions de la directive du Conseil 69/74 du 4 mars 1969, concernant l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives au régime des entrepôts douaniers, ainsi que de la directive du Conseil 71/235 du 21 juin 1971, concernant l'harmonisation des dispositions nationales relatives aux manipulations usuelles pouvant être effectuées dans les entrepôts douaniers et dans les zones franches, trouvent application.

Si, comme le propose la Commission, on se place sous l'angle du régime général des articles 30 et suivants du traité, encore faudrait-il, pour que cette interdiction ne soit pas justifiée, qu'elle ne s'applique pas aux produits nationaux «similaires» et que ceux-ci puissent être librement mis en oeuvre. Il appartiendra au juge national de vérifier si c'est le cas.

Dans cette hypothèse, et pour le cas où les «matières premières» en cause ne seraient pas une «préparation alcoolique composée» de la position 22.09, l'interdiction de distiller, des oranges macérées dans l'alcool en provenance d'Italie ou en provenance de pays tiers après avoir été mises en libre pratique en Italie nous paraît contraire au droit communautaire.

4. A l'origine, les fruits prépares ou conservés avec alcool ne relevaient pas de l'organisation commune des marchés des fruits et légumes. De même, les fruits autrement préparés ou conservés, avec ou sans addition d'alcool et avec addition de sucre, n'étaient pas couverts par la directive de la Commission 66/683 du 7 novembre 1966, portant élimination de toute différence de traitement entre les produits nationaux et les produits qui, en vertu des articles 9 et 10 du traité, doivent être admis à
la libre circulation. De toute façon, cette directive, en vertu de son article 3, n'était pas applicable aux dispositions relevant de l'article 37, paragraphe 1, du traité ou faisant partie d'une organisation nationale de marché agricole. L'article 5 de la directive 70/50 de la Commission du 22 décembe 1969 a la même teneur.

Mais les «oranges macérées dans l'alcool» sont couvertes par le règlement no 516/77 du Conseil du 14 mars 1977, portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes et, sauf dispositions contraires ou dérogation décidée par le Conseil sur proposition de la Commission, l'interdiction de distiller en question est contraire, depuis le 1er avril 1977, à l'article 13, paragraphe 2, de ce texte.

Nous concluons à ce qu'il soit répondu aux questions posées que:

Au mois de mars 1977, la notion de «discrimination dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés entre les ressortissants des États membres» au sens de l'article 37 du traité CEE ne visait pas la perception au profit d'un monopole d'État d'une soulte de rétrocession qui grève certaines matières premières alcooliques lorsque la libre disposition en est laissée aux producteurs et à laquelle ont été également assujettis les produits similaires originaires des autres États membres, ni une
interdiction de distiller indistinctement applicable dans un État membre aux matières premières provenant d'un État tiers après mise en libre pratique dans un autre État membre et aux mêmes matières premières nationales.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 86/78
Date de la décision : 14/12/1978
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Lure - France.

Monopole français de l'alcool.

Mesures d'effet équivalent

Restrictions quantitatives

Libre circulation des marchandises

Monopoles d'État à caractère commercial

Agriculture et Pêche

Fiscalité

Impositions intérieures

Alcool


Parties
Demandeurs : SA des grandes distilleries Peureux
Défendeurs : directeur des Services fiscaux de la Haute-Saône et du territoire de Belfort.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Mertens de Wilmars

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:233

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