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25/10/1978 | CJUE | N°21/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 25 octobre 1978., Knud Oluf Delkvist contre Anklagemyndigheden., 25/10/1978, 21/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS

PRÉSENTÉES LE 25 OCTOBRE 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La directive du Conseil (74/562) du 12 novembre 1974 concernant l'accès à la profession de transporteur de voyageurs par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux énumère, en son article 2, les conditions que doivent remplir les personnes physiques ou entreprises qui désirent exercer cette profession. Dans la présente affaire, la seule condition en cause est celle de l'honorabilité du candidat, ex

igée au paragraphe 1 a), de cet article.

Le sieur Delkvist a obtenu des autorités ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS

PRÉSENTÉES LE 25 OCTOBRE 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La directive du Conseil (74/562) du 12 novembre 1974 concernant l'accès à la profession de transporteur de voyageurs par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux énumère, en son article 2, les conditions que doivent remplir les personnes physiques ou entreprises qui désirent exercer cette profession. Dans la présente affaire, la seule condition en cause est celle de l'honorabilité du candidat, exigée au paragraphe 1 a), de cet article.

Le sieur Delkvist a obtenu des autorités danoises compétentes sa première licence de transport de voyageurs par route (catégorie tourisme) le 11 novembre 1974. Cette autorisation était valable jusqu'au 30 septembre 1976.

Toutefois, lorsque l'intéressé en a demandé le renouvellement, la Commission nationale de contrôle des transports de voyageurs par route s'y est opposée, au motif que M. Delkvist ayant fait l'objet de plusieurs condamnations pénales, les faits délictueux qu'il avait commis étaient de nature à faire craindre qu'il n'abuse de sa position d'entrepreneur de transport de voyageurs.

En effet, selon l'article 78 du Code pénal danois, une condamnation pénale n'a pour conséquence automatique ni la déchéance des droits civils du condamné, ni l'interdiction d'exercer certaines activités professionnelles qui sont soumises à autorisation d'une autorité publique.

Une telle déchéance doit être prononcée expressément soit par la décision de condamnation elle-même, soit dans l'hypothèse où, l'autorité administrative compétente ayant refusé de délivrer l'autorisation d'exercer une profession réglementée, l'autorité judiciaire estime que l'infraction ou les infractions commises sont de nature à faire craindre un danger manifeste d'abus par le condamné de la profession qu'il désire exercer.

En l'espèce, le tribunal de première instance de Copenhague, saisi de la réclamation présentée par l'intéressé contre la décision de refus d'autorisation de transport routier de voyageurs, a constaté que celui-ci avait été condamné, depuis 1945, pour de nombreux délits et, plus particulièrement, depuis le 2 novembre 1977, inculpé de vols avec effraction dans plusieurs résidences secondaires, faits par lui reconnus et à raison desquels il a été incarcéré.

Toutefois, avant de faire application au sieur Delkvist des dispositions de l'article 78 du Code pénal, le juge danois a estimé nécessaire de vous saisir, conformément à l'article 177 du traité CEE, d'une série de questions préjudicielles.

La première de ces questions nous paraît déborder singulièrement le cadre du litige pendant devant le juge national. Celui-ci vous demande en effet si la directive du Conseil du 12 novembre 1974 est, dans son ensemble, conforme au droit et valide. Or, comme nous le verrons, les seules dispositions en cause de cette directive, qui requièrent interprétation, sont, d'une part, celle de l'article 2, paragraphe 1 a) touchant à la condition d'honorabilité; d'autre part, celle de l'article 4, paragraphe 1,
en vertu de laquelle «les personnes physiques et les entreprises qui justifient avoir été, avant le 1er janvier 1978, autorisées dans un État membre, en vertu d'une réglementation nationale, à exercer la profession de transporteur de voyageurs par route dans le domaine des transports nationaux et/ou internationaux sont dispensées de fournir la preuve qu'elles satisfont, selon le cas, aux dispositions prévues à l'article 2 et, notamment, à la condition d'honorabilité».

Cela étant précisé, il nous paraît, comme à la Commission, ne faire aucun doute que la directive en cause a été légalement et régulièrement arrêtée par le Conseil, conformément aux prescriptions de l'article 75 du traité. Au surplus, aucune contestation n'a été soulevée par les parties quant à sa validité.

Le juge «a quo» vous demande également si la directive s'impose directement aux tribunaux danois et «exerce une incidence» entre les citoyens et les autorités publiques de cet État.

A cet égard, il ressort, certes, de l'article 189, alinéa 3, du traité que les directives lient «tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant aux formes et aux moyens».

Mais, ce principe ne vous a pas empêchés de reconnaître l'effet direct de certaines directives — ou tout au moins de certaines de leurs dispositions — en ce que ces dispositions créent, au profit des particuliers, des droits subjectifs que ces derniers peuvent invoquer devant leurs juridictions nationales qui ont le devoir de les sauvegarder.

En ce sens, notamment, Mlle Van Duyn / Home Office, arrêt du 4 décembre 1974 (Recueil p. 1337).

Toutefois, en l'espèce, notons dès l'abord que la prescription essentiellement en cause de la directive 74/562 ne crée pas un droit au profit des particuliers, mais, au contraire, tend à mettre à leur charge une obligation.

Sans préjuger la solution que vous seriez appelés à retenir dans l'hypothèse où une telle obligation aurait un contenu communautaire autonome, nous constatons, en tout cas, que la condition d'honorabilité exigée par l'article 1, paragraphe 1, de la directive des candidats à l'exercice de la profession de transporteur de voyageurs par route n'est aucunement définie de façon précise par le texte communautaire.

Au contraire, en vertu du paragraphe 2 du même article, «jusqu'à coordination ultérieure, chaque État membre détermine les dispositions auxquelles le requérant et, le cas échéant, les personnes physiques visées au paragraphe 1 doivent satisfaire en matière d'honorabilité».

Une telle disposition marque clairement que le Conseil a entendu laisser aux seuls États membres le soin de définir la condition d'honorabilité, dont les critères et la procédure de constatation peuvent donc, jusqu'à l'intervention de règles ultérieures de coordination, différer d'un État à un autre.

Bien que la directive s'applique, sans aucun doute, au cas d'espèce, ainsi que le demande le tribunal national dans sa deuxième question, il résulte de ce que nous venons de dire que ce texte, en son article 2, paragraphe 1, n'a pas eu et ne pouvait d'ailleurs avoir pour effet de modifier le régime législatif danois relatif à la déchéance de certains droits, fixé par l'article 78, paragraphes 2 et 3, du Code pénal.

En d'autres termes, c'est à l'autorité judiciaire danoise compétente qu'il appartient d'apprécier, sur la base de ces dispositions, si les faits délictueux commis par l'intéressé peuvent faire craindre un danger manifeste d'abus dans l'exercice, par celui-ci, de la profession de transporteur routier de voyageurs.

A ce point de vue, quelles que soient les particularités de ce système, nous partageons l'opinion émise au nom du gouvernement néerlandais: l'objet des actes communautaires en la matière — règlements ou directives — est d'harmoniser les conditions d'accès à certaines activités professionnelles ainsi que leurs conditions d'exercice, comme c'est le cas notamment en matière de transport.

En revanche, ces actes ne concernent pas les législations pénales des États membres en vertu desquelles les tribunaux répressifs peuvent, le cas échéant, assortir une condamnation d'une peine, complémentaire ou accessoire, consistant dans l'interdiction d'exercer certaines activités professionnelles.

Pour répondre à la quatrième question posée par le juge «a quo», nous ne pensons pas que le système instauré par l'article 78 du Code pénal confère, à cet égard, à l'autorité judiciaire nationale une marge d'appréciation qui excéderait les limites de celle que la directive a laissée — ne serait-ce que provisoirement — aux États membres.

La circonstance que l'article 78 revête une «formulation négative», en d'autres termes que le système institué par cet article ait pour conséquence de ne prévoir la déchéance du droit d'exercer une activité professionnelle réglementée que dans la mesure où l'infraction pénale ou les infractions commises sont de nature à faire redouter un danger manifeste d'abus, par l'intéressé, dans l'exercice de la profession en cause, ne nous paraît pas contraire à la prescription de la directive communautaire en
matière d'honorabilité.

Il s'agit, certes, d'un système libéral, dont le but est de faire prévaloir les chances de réinsertion sociale des condamnés jugés amendables, mais la directive n'exclut nullement un tel régime.

Il vous est ensuite demandé s'il y a lieu, en l'espèce, de faire application des dispositions transitoires de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, aux termes duquel:

«les personnes physiques (et les entreprises) qui justifient avoir été, avant le 1er janvier 1978, autorisées dans un État membre, en vertu d'une réglementation nationale, à exercer la profession de transporteur de voyageurs par route sont dispensées de fournir la preuve qu'elles satisfont, selon le cas, aux dispositions prévues à l'article 2.»

Cette disposition, qui a pour objet de protéger les «droits acquis» des transporteurs routiers dans l'hypothèse où l'application de la directive dans tel ou tel État membre aurait pour effet de soumettre l'exercice de la profession à des condition plus rigoureuses, ne doit cependant pas, à notre avis, être interprétée comme déliant ceux de ces transporteurs qui auraient obtenu antérieurement une autorisation de la condition d'honorabilité exigée par l'article 2, paragraphe 1. Ces personnes sont
seulement dispensées de fournir elles-mêmes la preuve qu'elles satisfont à cette condition. Mais il appartient à l'autorité administrative compétente, sous le contrôle du juge, d'apprécier d'office si elle est ou non remplie. A cet égard, il convient en effet de rapprocher de l'article 4, paragraphe 1, la disposition qui figure à l'article 5, paragraphe 2, et selon laquelle «les États membres assurent que les autorités compétentes retirent l'autorisation d'exercer la profession de transporteur de
voyageurs si elles constatent qu'il n'est pas satisfait aux dispositions de l'article 2, paragraphe 1 …» (notamment à la condition d'honorabilité prévue sous la lettre a) de ce texte).

Dès lors, saisi à la suite du refus opposé au sieur Delkvist par la Commission nationale de contrôle du renouvellement de l'autorisation qui lui avait été antérieurement délivrée, le juge compétent pouvait faire usage, à l'encontre de l'intéressé, des dispositions de l'article 78 du Code pénal danois.

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit:

1) qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que la validité de la directive du Conseil 74/562 du 12 novembre 1974, concernant l'accès à la profession de transporteur de voyageurs par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux, serait affectée;

2) que la disposition figurant à l'article 2, paragraphe 1 a), de ladite directive est dépourvue d'effet direct dans les rapports juridiques entre les États membres et leurs ressortissants;

3) que les dispositions de l'article 2, paragraphe 1 a), et paragraphe 2, de la directive susmentionnée ne peuvent avoir pour effet de modifier ou d'abroger l'article 78, paragraphe 2, du Code pénal danois en vertu duquel la déchéance de certains droits ne peut être prononcée que si les faits délictueux commis sont de nature à faire craindre un danger manifeste d'abus dans l'exercice, par l'intéressé, de son activité professionnelle; que les dispositions susmentionnées du Code pénal danois doivent
être regardées comme satisfaisant à la condition d'honorabilité qu'il appartient aux États membres d'exiger de leurs nationaux demandeurs d'une autorisation d'exercer la profession de transporteur de voyageurs par route, au sens de l'article 2, paragraphe 1 a), de la directive du Conseil 74/562;

4) qu'au sens de l'article 4, paragraphe 1, de ladite directive les personnes qui avaient obtenu, avant le 1 janvier 1978, une autorisation d'exercer la profession de transporteur de voyageurs par route sont dispensées de fournir elles-mêmes la preuve qu'elles satisfont à la condition d'honorabilité prévue par l'article 2, paragraphe 1 a), de la directive; que toutefois, en vertu de l'article 5, paragraphe 2, de ce texte, il appartient aux autorités compétentes des États membres de vérifier d'office
si ladite condition est effectivement remplie, sur la base de la législation nationale applicable.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 21/78
Date de la décision : 25/10/1978
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Københavns Byret - Danemark.

Transport de voyageurs par route.

Transports


Parties
Demandeurs : Knud Oluf Delkvist
Défendeurs : Anklagemyndigheden.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:188

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