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13/07/1978 | CJUE | N°13/78

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 13 juillet 1978., Joh. Eggers Sohn & Co. contre Freie Hansestadt Bremen., 13/07/1978, 13/78


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 13 JUILLET 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Vous avez souvent jugé (en dernier lieu le 29 juin 1978, affaire Dechmann, attendu no 8) qu'il ne vous appartenait pas, dans le cadre d'une procédure introduite sur la base de l'article 177 du traité, de vous prononcer sur la compatibilité de normes de droit interne avec des dispositions de droit communautaire, mais que, par contre, vous étiez compétents, dans ce cadre, pour fournir à la juridiction nationale to

us éléments d'interprétation relevant du droit communautaire, permettant à cette
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 13 JUILLET 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Vous avez souvent jugé (en dernier lieu le 29 juin 1978, affaire Dechmann, attendu no 8) qu'il ne vous appartenait pas, dans le cadre d'une procédure introduite sur la base de l'article 177 du traité, de vous prononcer sur la compatibilité de normes de droit interne avec des dispositions de droit communautaire, mais que, par contre, vous étiez compétents, dans ce cadre, pour fournir à la juridiction nationale tous éléments d'interprétation relevant du droit communautaire, permettant à cette
juridiction de juger de la compatibilité de ces normes internes avec la règle communautaire invoquée.

Le présent renvoi préjudiciel vous impose à nouveau ce difficile exercice. Pour mettre aussi complètement que possible le juge national en mesure de donner tout son effet utile au traité — en l'espèce, aux articles 30 à 36 et, accessoirement, 86 et 90 —, nous ne pourrons nous dispenser d'analyser, dans certaines de ses modalités, la norme interne ainsi que ses effets potentiels sinon réels. Vous nous avez vous-mêmes montré la voie en posant des questions très circonstanciées aux «parties au
principal» et en demandant au gouvernement de la république fédérale d'Allemagne et la Commission de produire certains documents qui ressemblent fort aux échanges préliminaires à une procédure en constatation de manquement.

Après avoir déclaré qu'elle examinait la «possibilité» d'un recours à l'article 169, possibilité qu'elle paraît avoir envisagée dès le mois de mai 1971, la Commission vient d'adresser in extremis, le 3 juillet 1978, sous la signature de son vice-président, une lettre au gouvernement fédéral dans laquelle elle constate qu'en arrêtant les dispositions en cause dans le litige au principal celui-ci a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 30 du traité. Elle se réserve,
après avoir pris connaissance des observations que ce gouvernement pourra lui fournir dans un délai d'un mois, le droit d'émettre, s'il y a lieu, l'avis motivé prévu par l'article 169 du traité. Le recours à une telle extrémité, toujours délicat, lui sera peut-être épargné si vous statuez avec la célérité qui vous est coutumière en matière préjudicielle.

Les faits qui sont à l'origine du litige au principal sont les suivants:

La requérante, société allemande de Brème, est un fabricant d'eau-de-vie de vin (Branntwein) qu'elle vend sous ses propres marques. A cette fin, cette société achète les distillais de vin nécessaires à ses fabrications, car elle ne dispose pas elle-même d'une distillerie propre; elle commercialise ses eaux-de-vie sans autre transformation ou traitement que leur vieillissement, leur coupage, c'est-à-dire l'adjonction à une eau-de-vie naturelle d'alcool éthylique provenant de la même matière que
celle dont est tirée l'eau-de-vie naturelle, la réduction de leur degré et leur marquage.

Au début de l'année 1976, elle a importé une certaine quantité de distillat de vin (Weindestillat) français sortant de l'alambic; pendant six mois au moins, elle a stocké ce distillat en fûts de chêne dans sa propre entreprise sous surveillance douanière et elle l'a ensuite transformé en eau-de-vie de vin (Branntwein aus Wein). Les chais de la ville de Brème sont en effet réputés pour le vieillissement.

Elle avait l'intention de vendre son produit, en Allemagne ou à l'étranger, sous la dénomination «eau-de-vie de vin de qualité» (Qualitätsbranntwein aus Wein) ou de «Weinbrand», sans autre indication de provenance, plus précisément sous l'appellation «Qualitätsbranntwein aus Wein Weinbrand (Anno 1773, Prominent Dreistern Royal». Selon l'article 40, paragraphe 1, 8), de la loi allemande sur le vin (Weingesetz) du 14 juillet 1971, elle ne pouvait utiliser cette désignation que si l'autorité
nationale compétente lui avait délivré un numéro de contrôle pour l'eau-de-vie ainsi fabriquée.

En janvier 1977, la requérante a donc demandé à l'autorité compétente de Brème l'octroi d'un numéro de contrôle pour son eau-de-vie. L'autorité en question lui octroya le numéro sollicité.

Cependant, ayant remarqué que la requérante s'était contentée de stocker le distillat de vin français en fûts de chêne pendant six mois avant de le baptiser «eau-de-vie de vin de qualité» ou «Weinbrand», cette autorité rapporta, en avril 1977, sa décision d'octroi au motif que les conditions requises par l'article 40, paragraphe 1) et 4), de la loi allemande pour pouvoir bénéficier de cette qualification faisaient défaut.

La requérante a alors introduit une réclamation contre cette décision au motif que les conditions ainsi exigées étaient incompatibles avec les articles 30 et suivants du traité.

L'autorité compétente a rejeté, en juin 1977, la réclamation de la requérante.

Celle-ci a intenté un recours contre cette décision auprès du tribunal administratif de la Ville hanséatique libre de Brème qui vous saisit des questions faisant l'objet du présent renvoi.

II — Se substituant à la loi sur le vin du 25 juillet 1930, la loi du 16 juillet 1969 fut elle-même remplacée par la loi du 16 juillet 1971«sur le vin, le vin de liqueur, le vin mousseux, les boissons à base de vin et l'eau-de-vie de vin». Le projet de texte qui est devenu cette loi a subi de profonds remaniements pour tenir compte des règlements nos 816 et 817/70 du Conseil du 28 avril 1970 achevant l'organisation commune des marchés dans le secteur du vin.

Dès consultations étroites ont eu lieu à ce sujet entre la Commission et le gouvernement fédéral, et la Commission avait été amenée à lui adresser, le 11 décembre 1968, une recommandation sur certains aspects de ce qui n'était alors qu'un projet de loi.

Un exposé exhaustif de la fabrication de l'eau-de-vie à partir du vin déborderait du cadre de la présente affaire. Bornons-nous à rappeler que, abstraction faite des questions d'appellation, pour pouvoir fabriquer une eau-de-vie de vin, il faut distiller du vin, du vin viné (Brennwein) — ces termes étant entendus au sens du règlement no 816/70, annexe II — du distillat brut (Rohbrand) ayant subi une première distillation, ou tout simplement utiliser du distillât de vin (au sens de l'article 4
du règlement du Conseil no 2893/74 du 18 novembre 1974) déjà élaboré ou une autre eau-de-vie de vin. Dans ce dernier cas, la «fabrication» ne comporte pas d'autres opérations que le vieillissement, le coupage, la réduction de degré des distillats ou eaux-de-vie utilisés et, éventuellement, une certaine «coloration» ou «aromatisation» dans la mesure permise par les réglementations nationales.

Le vin allemand ne se prêtant pas, en raison de son prix ou pour tout autre motif, à la fabrication de distillats, toutes les eaux-de-vie fabriquées en république fédérale d'Allemagne le sont à partir de vins ou de vins-vinés étrangers, de distillats ou eaux-de-vie étrangers. Même les véritables distilleries allemandes qui utilisent des distillats bruts (Rohbrand) d'importation se contentent de les «repasser» pour leur conférer la qualification d'«indigènes» qui, comme nous le verrons, est
requise par la loi, quitte à les couper dans la proportion autorisée avec des distillats ou eaux-de-vie étrangers «tels quels».

Le vin viné est du vin qui a été additionné d'eau-de-vie de vin et dont le titre alcoométrique acquis est compris entre 18 et 24o. Ce produit, qui est rangé sous la position 22.05 C du tarif douanier commun, est soumis exactement au même traitement douanier que l'alcool éthylique non dénaturé de moins de 80o, les eaux-de-vie, liqueurs et autres boissons spiritueuses de la position 22.09. Avant la mise en place intégrale du tarif douanier commun, la république fédérale d'Allemagne importait à
taux réduit des contingents considérables de vins vinés, destinés à la production d'eaux-de-vie, en provenance des pays tiers méditerranéens. Vous avez eu à connaître de cette situation dans l'affaire qui a donné lieu à votre arrêt du 4 juillet 1963, Gouvernement de la république fédérale d'Allemagne/Commission (Recueil p. 135). Le 22 mai 1978 encore, un contingent de 500000 hectolitres, ouvert pour les vins de raisins frais destinés à être vinés, originaires d'Algérie, a été réparti entre les
États membres (règlement no 1130/78 du Conseil du 22 mai 1978).

La loi allemande sur le vin comprend huit parties. Dans celle qui intéresse plus particulièrement le litige au principal (deuxième partie, «boissons à base de vin, eaux-de-vie de vin»), une distinction est opérée entre l'eau-de-vie de vin produite en territoire national («eau-de-vie indigène», article 36 du titre I), c'est-à-dire «fabriquée.» en République fédérale comme nous venons de l'indiquer, et l'eau-de-vie de vin de provenance étrangère (article 42 du titre II): cette expression vise
l'eau-de-vie dont la «fabrication» — toujours selon la même acception — a été effectuée à l'étranger.

A la différence des eaux-de-vie courantes indigènes, les eaux-de-vie étrangères de cette catégorie doivent porter l'indication du pays d'origine.

Pour mériter la qualification d'eau-de-vie de vin de qualité«Qualitätsbrannt-wein aus Wein» ou de «Weinbrand», avec les avantages de prix qu'une telle appellation comporte, les eaux-de-vie indigènes doivent, notamment, selon l'article 40, paragraphe 1, 1) et 4), satisfaire aux conditions suivantes:

1) qu'au moins 85 % du titre alcoométrique (Alkoholgehalt) (au sens de l'annexe I du règlement no 816/70) proviennent de distillat obtenu en territoire national par distillation;

2) que tout le distillat utilisé ait séjourné au moins six mois en fûts de chêne dans l'exploitation nationale qui a produit par distillation le distillat de vin obtenu sur le territoire national.

Il résulte des dispositions combinées de l'article 44, paragraphe 1, 1), et de l'article 40, paragraphe 1, 4), que pour bénéficier de l'appellation «Weinbrand», les eaux-de-vie de provenance étrangère doivent satisfaire aux conditions suivantes:

1) que 85 % au moins du titre alcoométrique du produit fini proviennent de la distillation en République fédérale;

2) que la totalité du distillat utilisé ait été stockée pendant six mois dans ses fûts de chêne dans l'exploitation ayant effectuée la distillation.

En vertu du dernier alinéa de l'article 44, paragraphe 1, l'appellation «Weinbrand» ne peut être combinée à celle d'«eau-de-vie de vin de qualité» qu'à condition que le produit ait droit à cette dernière appellation et que l'ensemble du processus de fabrication ait eu lieu dans un pays de langue allemande.

A défaut de remplir ces conditions, les eaux-de-vie de vin de provenance étrangère sont astreintes à l'adjonction pesante de l'indication du nom du pays de production ou de l'adjectif dérivé de ce nom.

C'est ce qu'on a appelé le principe de la «concentration de la fabrication dans la même entreprise» ou de la «responsabilité unique», le but du législateur étant de soumettre ces deux catégories d'alcools de bouche à un régime identique pour que les consommateurs bénéficient des mêmes garanties.

Selon la requérante au principal, en revanche, les distillats bruts (Rohbrand) importés par les distillateurs allemands seraient en réalité des distillats finis (fertiges Destillat) qui ne seraient qualifiés de «bruts» par les exportateurs que dans le but de se conformer à la législation allemande. L'effet le plus clair de ce régime serait que le distillat de vin (Weindestillat) importé par elle, qui aurait eu vocation à devenir de l'«eau-de-vie de vin de qualité» ou du «Weinbrand», sans
indication d'origine étrangère, pour peu qu'il eût subi une distillation factice en vue de satisfaire aux conditions requises par la loi allemande, est privé de ce bénéfice lorsqu'il est «traité» par des opérateurs qui, comme la requérante au principal, ne possèdent pas de distillerie propre et se contentent de le stocker dans leur établissement.

L'effet pratique de ces dispositions serait de faire obstacle à la libre circulation des distillats de vin; cet effet ne serait pas justifié par les dispositions de l'article 36 et il constituerait une discrimination entre les fabricants allemands de «Weinbrand» selon qu'ils possèdent ou non leur propre distillerie. Au total, le but et l'effet de cette réglementation seraient de favoriser les distillateurs nationaux en leur conférant, en pratique, le monopole des dénominations de qualité
prisées par les consommateurs.

III — Avant de passer à l'examen des questions posées, il convient de rappeler que la Commission a fait constater par votre arrêt du 20 février 1975, Commission/République fédérale d'Allemagne (Recueil p. 182) que les appellations d'origine et les indications de provenance doivent, pour être juridiquement protégées, désigner un produit provenant d'une zone géographique déterminée.

Ces dénominations ne remplissent leur fonction spécifique que si le produit qu'elles désignent possède effectivement des qualités et des caractères dus à la localisation géographique de sa provenance qui doit, plus spécialement lorsqu'il s'agit d'indication de provenance, imprimer au produit une qualité et des caractères spécifiques de nature à l'individualiser.

Une zone de provenance définie en fonction de l'étendue du territoire national ou d'un critère linguistique ne saurait suffire à constituer un milieu géographique au sens précité, apte à justifier une indication de provenance, d'autant plus que les produits en question (vins mousseux et eaux-de-vie de vin) peuvent être fabriqués à partir de produits de base de provenance indéterminée.

Vous avez expressément jugé que la dénomination «Weinbrand» était de nature purement générique et que le fait de réserver la protection prévue pour les indications de provenance aux eaux-de-vie produites dans un quelconque pays sur l'ensemble duquel l'allemand était langue officielle revenait à introduire une mesure nouvelle comportant des effets équivalant à des restrictions quantitatives, arbitraire et non justifiée au regard de l'article 36.

Il est vrai que cette affaire avait trait à l'appellation des eaux-de-vie étrangères, tandis que c'est un autre volet de cette loi, dans celles de ses dispositions qui ont trait à l'appellation des eaux-de-vie indigènes, qui est à présent en cause: il s'agit de savoir si les exigences posées par une législation telle que la législation allemande pour que les eaux-de-vie indigènes puissent mériter une appellation de qualité sont justifiées par l'article 36. Toutefois, il existe une connexité
étroite entre ces deux volets puisqu'aussi bien les conditions litigieuses posées par l'article 40, paragraphe 1, 1) et 4), pour les appellations des eaux-de-vie indigènes sont substantiellement les mêmes que les conditions posées par l'article 44, paragraphe 1, 2) et 3), pour les appellations des eaux-de-vie étrangères.

Il est vrai encore que la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe a relevé, dans un arrêt du 7 janvier 1976, que le ministre fédéral de la jeunesse, de la famille et de la santé avait «demandé» aux autorités responsables de l'exécution de la réglementation vinicole de veiller à ce que l'arrêt de la Cour de justice du 20 février 1975 soit respecté et qu'elle a constaté que la «règle attaquée», c'est-à-dire l'article 44, paragraphe 1, 3), «n'était plus appliquée» ou, tout du moins, qu'elle
l'était sans discrimination.

Pourtant, la Commission, par lettre du 16 juillet 1976 adressée, sous la signature de son président, au gouvernement de la République fédérale, a fait savoir à ce dernier qu'il était nécessaire, en vue de garantir la «sécurité du droit» que «la situation juridique soit dès maintenant entièrement redressée, l'arrêt ayant été rendu il y-a déjà plus de quinze mois. Il ne suffit pas, poursuivait cette lettre, d'adresser aux services des instructions internes les invitant à ne plus appliquer les
dispositions reconnues comme contraires au droit communautaire pour supprimer, aux yeux des intéressés et du grand public, l'apparence de légalité de textes toujours en vigueur d'un point de vue formel». La Commission rappelait expressément au gouvernement fédéral les obligations qui lui incombent en vertu des articles 171 et 5 du traité. Elle ajoutait qu'elle est tenue de contrôler le respect de ces obligations et, le cas échéant, d'exercer les compétences que lui confère le traité en vertu
des articles 155, 169 et suivants. Elle vient maintenant de franchir un pas de plus en adressant au gouvernement allemand sa lettre du 3 juillet 1978.

Les exigences posées par l'article 44 ayant été clairement condamnées par votre arrêt du 20 février 1975, on pourrait se demander s'il ne résulte pas déjà du rapprochement de cet arrêt et de la présente demande préjudicielle que la République fédérale n'a toujours pas donné suite à cet arrêt.

Cependant, comme le gouvernement fédéral affirme que, «respectant les termes de l'article 171, il a pris les mesures que comportait l'exécution de l'arrêt de la Cour» du 20 février 1975, que la Commission ne vous a pas encore formellement saisis du manquement que constituerait une telle inobservation et que vous n'êtes pas appelés, dans la présente procédure, à constater que la République fédérale a manqué à ses obligations en ne donnant pas suite à votre arrêt, nous ne pouvons en rester là.

IV — Ainsi que le font le gouvernement allemand et la Commission dans leurs observations respectives, nous pensons qu'il convient de regrouper et d'examiner ensemble les deux premières questions-relatives à la mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives résultant de la «dénomination indirecte de provenance» instituée par la loi allemande.

Les distillats de vin fabriqués dans les États membres peuvent être importés sans aucune restriction quantitative en République fédérale. Mais, abstraction faite d'un pourcentage de 15 % du titre alcoométrique, le distillat de vin étranger ne peut être directement utilisé que pour la fabrication d'eau-de-vie étrangère, le «Weinbrand» tout court ne pouvant, à concurrence de 85 % du titre alcoométrique, être fabriqué qu'à partir de distillât de vin «nationalisé».

Les importations de distillats d'autres États membres ne se développeront pas de la même façon selon que cette réglementation s'applique ou ne s'applique pas. Les eaux-de-vie de qualité ou le Weinbrand indigènes se vendent plus chers que les eaux-de-vie étrangères, à l'exception bien entendu des appellations telles que le cognac et l'armagnac, et le prix en est «fait» par les fabricants de ces eaux-de-vie indigènes, tandis que, si les distillats étrangers pouvaient être «transformés» sans
autres conditions particulières, l'eau-de-vie fabriquée directement à partir de ces distillats serait susceptible de concurrencer les eaux-de-vie de qualité indigènes et la demande portant sur ces distillats étrangers s'en trouverait accrue.

Du reste, le gouvernement allemand ne conteste pas sérieusement que la réglementation en question, même si elle n'affecte pas le volume total des importations de distillats étrangers en République fédérale, a une incidence sur la «structure» de ces importations.

Le vrai problème est de savoir si l'effet restrictif inhérent à une réglementation nationale de ce genre est indispensable à la réalisation des objectifs — en soi légitimes — visés par cette réglementation ou si cet effet est disproportionné par rapport au but poursuivi.

Nous avons souvent eu l'occasion de le dire: une telle recherche ne peut être impartialement et compétemment menée à bonne fin que par la Commission, sous votre contrôle. En l'espèce, votre arrêt du 2 février 1975 et les observations de la Commission fournissent de sérieuses présomptions qu'il en va bien ainsi.

Le gouvernement allemand fait valoir que la réservation de la dénomination «Weinbrand» à des produits de haute qualité répond à l'objectif d'améliorer cette qualité dans la mesure où le consommateur a tendance à voir dans un alcool ainsi dénommé un produit plus noble qu'un «brandy» quelconque. La différenciation ainsi établie serait indispensable à la réalisation d'un tel objectif. La concentration du processus de distillation et de stockage dans une seule et même exploitation — qui
constituerait un facteur déterminant (le traitement et la fabrication ultérieurs restant possibles dans une autre exploitation) — aurait pour but de permettre aux services officiels compétents de contrôler ces opérations.

Notons que 1 article 36 n envisage pas, à strictement parler, la promotion de la qualité des produits. Cependant, comme dans l'esprit du gouvernement allemand cette promotion de la qualité est associée à la protection de la santé des personnes, nous nous placerons dans le cadre de cette disposition.

1) Le gouvernement allemand fait grand cas de ce que la Commission aurait, dans sa recommandation du 11 décembre 1968, concernant le «projet de loi viticole allemand», «approuvé en son temps le principe de l'entière fabrication dans la même entreprise».

Le fait que la Commission se soit déclarée d'accord avec ce principe ne nous paraît nullement ressortir de cette recommandation. Elle fait observer que sa prise de position concernait uniquement les «boissons à base de vin». S'agissant du «Weinbrand», la Commission était et est toujours d'avis que l'exigence posée par la législation allemande — à la différence du produit ordinaire «eau-de-vie de vin» (article 38, paragraphe 1) — de fabrication du produit de base, à savoir la distillation et
le vieillissement du distillât sur le territoire national et dans la même entreprise nationale (article 40, paragraphe 1, 1) et 4), ne se justifie pas.

En revanche, elle ne s'opposerait pas à l'exigence que «le traitement du distillat et les opérations ultérieures de production de l'eau-de-vie ainsi que le traitement destiné à rendre le produit consommable aient été effectués dans la même exploitation» (article 40, paragraphe 1, 2). Tout ce qu'elle prétend, c'est qu'au stade de l'utilisation du distillat en vue de la production d'eau-de-vie il ne devrait pas y avoir de restriction à la libre circulation des produits de base.

De toute façon depuis le 12 décembre 1968, les dispositions de la loi allemande ont été remaniées sur de nombreux points et le fait que la Commission n'ait expressément émis de réserve qu'à propos de l'article 8 du projet (qui prévoyait l'interdiction de fabriquer, conserver, transvaser ou mettre en bouteilles les vins étrangers dans les mêmes locaux que ceux où les vins allemands sont fabriqués) ne lui interdisait pas, dix ans après, compte tenu de l'évolution du droit et de la
jurisprudence communautaires, de réviser son appréciation.

2) Le gouvernement fédéral soutient ensuite que l'effet restrictif à l'importation des distillats de vin proviendrait de la disparité des législations nationales en matière d'appellation contrôlée ou de protection des consommateurs et que le seul remède à cette restriction résiderait dans le rapprochement desdites législations, conformément à l'article 100 du traité, et dans l'instauration d'un «régime communautaire des eaux-de-vie de qualité».

Il est exact qu'il n'existe pas de définition communautaire de ce qu'il faut entendre par «eau-de-vie de vin». Une dénomination commune ne pourra éventuellement être trouvée que dans le cadre d'une organisation commune du marché des alcools, excluant toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté (article 40, 3).

Nous disons «éventuellement», car le règlement no 7 bis du Conseil du 18 décembre 1959 (JO no 7 du 30 janvier 1961, p. 71) a expressément rejeté du domaine de la politique agricole commune les «eaux-de-vie, liqueurs et autres boissons spiritueuses, préparations alcooliques composées (dites extraits concentrés) pour la fabrication de boissons», et le traité ne paraît pas avoir prévu les pouvoirs requis pour arrêter, dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur de
l'alcool éthylique d'origine agricole, une définition des eaux-de-vie.

3) Le point crucial est donc de savoir si la protection des producteurs contre la concurrence déloyale et des consommateurs contre les confusions et les tromperies, qui peuvent avoir une incidence sur la santé publique, autorise les États membres à organiser comme ils l'entendent le régime des appellations des eaux-de-vie de vin et la protection de ces appellations, et si l'absence d'une «marque communautaire de qualité» justifie l'instauration d'une «appellation nationale de qualité»,
nonobstant les restrictions ostensibles au commerce entre les États membres qu'entraîne cette protection.

A la différence de la législation française, selon laquelle la protection du cognac et de l'armagnac est assurée sur les mêmes bases que celle des vins réputés, la législation allemande ne vise pas à la promotion de produits réputés pour leur origine, parce que la République fédérale ne produit pas d'eaux-de-vie ayant la même notoriété et répondant à des spécifications géographiques précises.

Le terme «Weinbrand» a été forgé au début du siècle pour remplacer l'appellation «cognac», alors usuelle pour les eaux-de-vie de ce genre, mais réservée par l'article 275 du traité de Versailles, et désigner les eaux-de-vie destinées à la consommation et élaborées en Allemagne selon la même méthode que le cognac. Comme le terme «Weinbrand» l'appellation «eau-de-vie de vin de qualité» désigne simplement une certaine catégorie d'eaux-de-vie et ne comporte aucune indication quant à la région
d'élaboration ou à la provenance géographique des matières de base utilisées: c'est une indication «générique» ou «de nature».

Le professeur Robert Plaisant, qui avait fourni une consultation au gouvernement allemand dans l'affaire 12/74, constatait déjà (Le droit des appellations d'origine, l'appellation «cognac», 1974, p. 148 et suiv.) que les appellations et autres indications concernant les eaux-de-vie de vin de provenance étrangère visées à l'article 44 de la loi allemande ne constituaient pas des appellations d'origine, ni des indications de provenance.

Le fait qu'un produit soit fabriqué dans un État membre déterminé ne justifie pas qu'il soit prévu pour ce produit une dénomination particulière, distincte de celle qui est adoptée pour les mêmes produits dans d'autres États membres, sauf dans le cas où il s'agit d'une appellation d'origine ou d'une indication de provenance géographique. Vous en avez ainsi jugé pour le «Sekt» dans l'affaire 12/74.

Une telle différence de traitement est de nature à déprécier, dans l'esprit du consommateur, les eaux-de-vie de qualité fabriquées dans d'autres États membres. La dénomination «Qualitätsbranntwein aus Wein», alourdie par l'indication du pays d'origine, donne en effet à penser qu'il ne s'agit pas d'un produit équivalant au «Weinbrand»; le fait que la dénomination «eau-de-vie de vin de qualité» puisse aussi désigner le produit indigène est sans commune mesure avec le fait que la dénomination
«Weinbrand» est interdite aux produits étrangers.

On ne peut objecter que, dans l'esprit des consommateurs allemands, le terme «Weinbrand» se rapporte à un produit fabriqué en Allemagne. En effet, la réglementation antérieure autorisait l'emploi de la dénomination «Weinbrand» pour les eaux-de-vie étrangères; la réglementation actuelle prévoit elle-même une exception en faveur des pays producteurs «sur toute l'étendue desquels l'allemand est la langue officielle».

On ne saurait non plus soutenir que les propriétés qui déterminent la qualité «Weinbrand» dépendent essentiellement de la transformation et, en particulier, de l'endroit où un même procédé de distillation, de vieillissement ou de coupage a eu lieu. Le gouvernement allemand fait valoir que, «lors de la seconde distillation, appelée distillation fine (Feinbrand), le spécialiste distingue la tête, le cœur et la queue de distillat alcoolique… Seule l'eau-de-vie de cœur — ce que l'on appelle le
«cœur» — est utilisée dans le cas de produits de qualité pour la fabrication du «Weinbrand». C'est là ce qui donnerait à cette eau-de-vie son «flair» particulier. Nous avouons, Messieurs, ne pas avoir cette connaissance de spécialiste et nous pensons qu'il conviendrait de «boire» avant de croire.

Mais on ne saurait affirmer que la «repasse» des distillats importés confère à l'eau-de-vie ainsi «confectionnée» des caractères organoleptiques appréciés des consommateurs: s'il est possible, même au regard de la loi allemande, de couper à concurrence de 15 % de la «richesse alcoolique» l'eau-de-vie ainsi nationalisée avec les distillats étrangers «tels quels», il faut croire que ces derniers ne prêtent à aucune objection ni du point de vue de la qualité, ni du point de vue de la santé
publique.

Il existe déjà une disposition susceptible d'assurer la protection recherchée par la loi: selon l'article 42, alinéa 1, une eau-de-vie étrangère ne peut être importée que si elle répond aux critères en vigueur dans le pays producteur et si elle est munie d'un titre de mouvement délivré par les services officiels de répression des fraudes de ce pays. Le fait que l'eau-de-vie ait subi une préparation la rendant consommable hors du pays producteur ou qu'elle ait été stockée en fûts de chêne
sans subir de transvasement ne constitue pas, aux termes mêmes de cette disposition, un obstacle à son importation en territoire national.

4) Le gouvernement fédéral allègue qu'il n'y aurait aucune discrimination entre les eaux-de-vie, qu'elles soient indigènes ou étrangères, la même exigence de «distillation et de stockage sur place dans une même entreprise» étant indistinctement applicable aux produits nationaux et importés.

Mais, selon votre jurisprudence (en dernier lieu, arrêt du 24 janvier 1978, Van Tiggele, Recueil p. 39), même des mesures indistinctement applicables à des produits nationaux et à des produits importés dans un État membre peuvent constituer des mesures ayant un effet équivalant à des restrictions quantitatives au sens des articles 30 et suivants si elles ont pour effet de réduire les importations provenant d'autres États membres.

Si la finition du distillat importé, c'est-à-dire sa dilution, sa coloration et son aromatisation en vue de le rendre propre à la consommation, est admise dans l'entreprise d'un distillateur national, en dehors donc du pays de fabrication du distillât, il n'apparaît pas qu'un risque d'altération puisse exister lorsque la même opération de finition est effectuée dans une entreprise telle que celle de la requérante.

Il n'y aurait vraiment absence de discrimination, comme le soutient le gouvernement allemand, que si, en République fédérale, une eau-de-vie indigène de qualité ne pouvait pas être élaborée par un fabricant allemand à partir de distillats provenant d'autres distilleries allemandes, et que si, toujours en République fédérale, le stockage de distillât ne pouvait non plus être effectué par d'autres distillateurs que le fabricant. Or, ces deux possibilités existent. L'interdiction de coupage et de
«traitement» ne s'applique qu'aux produits importés des États membres, alors qu'il est loisible à une distillerie allemande de couper ou de traiter des distillats de ses succursales situées, en Allemagne, en des lieux différents. Par conséquent, de l'aveu même du gouvernement allemand, le principe de la «concentration de la fabrication dans une même exploitation» souffre des exceptions «en raison de rigueurs particulières, eu égard aux structures moyennes traditionnelles des exploitations».

Pour nous résumer sur ce point, nous pensons que des mesures du genre de celles de l'espèce, sous couleur d'être indistinctement applicables aux produits nationaux et importés, «déprécient un produit importé, notamment en provoquant une diminution de sa valeur intrinsèque, ou le renchérissent», «elles font obstacle à l'achat par des particuliers des seuls produits importés ou incitent à l'achat des seuls produits nationaux ou encore imposent cet achat ou lui accordent une préférence; «elles
réservent aux seuls produits nationaux des dénominations ne constituant pas des appellations d'origine ou des indications de provenance», au sens du paragraphe 3, f), k) et s), de la directive de la Commission du 22 décembre 1969, fondée sur les dispositions de l'article 33, paragraphe 7.

L'objectif de la protection de la santé publique (article 36) et de l'«établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun» (article 3, f)) ou de la «garantie de la loyauté dans la concurrence» (préambule du traité) ne saurait justifier la création d'un régime qui tend à assurer le succès des appellations nationales dans le pays et à l'étranger et qui est «susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce
intracommunautaire», en conséquence, un tel régime «est à considérer comme une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives», au sens de votre arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (Recueil p. 837).

V — Enfin, la requérante au principal ayant fait valoir que la dénomination «eau-de-vie de vin de qualité» ou «Weinbrand» et la réglementation connexe ont pour effet de concentrer les importations de distillats sur un petit nombre d'entreprises «financièrement très solides, qui ont en pratique le monopole de la distillation», le tribunal national vous interroge sur la compatibilité de la réglementation allemande au regard des dispositions de l'article 86, alinéa 1, b), et de l'article 90, 1).

Compte tenu de ce que nous venons de dire du point de vue de la liberté de circulation, nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire d'entrer longuement dans cette discussion.

Dans la mesure ou une réglementation telle que celle de l'espèce serait justifiée par les dispositions de l'article 36 du traité, elle ne serait pas contraire à l'article 86 pour le seul motif qu'elle avantagerait un groupe d'entreprises détenant une position dominante sur le marché, si elle n'a pas été utilisée comme instrument de l'exploitation abusive d'une telle position. Comme l'affaire Hoffmann-La Roche (arrêt du 23 mai 1978), la présente affaire se situe dans le cadre de l'interprétation
à titre préjudiciel; il ne vous appartient donc pas d'examiner si toutes les conditions nécessaires pour qu'il y ait violation de l'article 86 sont remplies en l'espèce. L'application de cet article, ainsi du reste que de l'article 90, est soumise à des conditions de procédure particulières et il n'est pas plus possible de confondre le genre de l'article 86 avec celui de l'article 177 qu'il ne l'est de confondre recours en manquement et renvoi préjudiciel.

Nous nous abstiendrons de même de rechercher si un régime favorisant, spécialement ou exclusivement, certaines catégories d'entreprises par rapport à l'ensemble des producteurs du secteur peut constituer une mesure visée par l'article 90.

Les eaux-de-vie de vin ne constituent pas un «produit agricole» au sens du traité et les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence, et notamment l'article 90, leur sont applicables. Il est bien connu, par ailleurs, que les distilleries allemandes obtiennent des subventions gouvernementales. Cependant, ainsi que le rappelait M. l'avocat général Capotorti le 4 juillet dernier dans ses conclusions sous l'affaire Hansen à propos des aides accordées par les États figurant au chapitre
consacré aux règles de concurrence, la réglementation relative aux droits spéciaux ou exclusifs accordés aux entreprises publiques ou autres présente des caractères particuliers, tant par rapport à la réglementation sur la libre circulation des marchandises qu'au regard des dispositions fiscales du traité.

Étant donné que l'article 90 qu'invoque la requérante au principal se réfère lui-même, notamment, aux dispositions des articles 92 à 94, les conditions mises par l'article 93 pour que l'article 90 engendre des droits subjectifs au profit des justiciables ne se trouvent pas réalisées (arrêt du 19 juin 1973, Capolongo, Recueil p. 613).

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit que:

— est à considérer comme une mesure restreignant le commerce entre États membres et comme incompatible avec les articles 30 et suivants du traité une réglementation d'un État membre aménagée de telle manière qu'elle subordonne le bénéfice de la dénomination nationale «eau-de-vie de vin de qualité» à la double condition que:

— 85 % au moins de la richesse alcoolique du produit fini proviennent de la distillation, dans cet État, de distillats de vin importés des autres États membres, et que

— tout le distillat ainsi utilisé ait reposé dans des fûts de chêne, pendant six mois au moins, dans l'exploitation nationale qui a obtenu le distillat de vin national par distillation.

Les dispositions de l'article 36 ne justifient pas une telle réglementation lorsqu'elle dépasse le cadre de ce qui est strictement nécessaire à l'État membre en question pour protéger raisonnablement la santé et la vie des personnes ainsi que la loyauté dans la concurrence.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 13/78
Date de la décision : 13/07/1978
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht der Freien Hansestadt Bremen - Allemagne.

Dénominations de qualité pour eaux-de-vie.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Joh. Eggers Sohn & Co.
Défendeurs : Freie Hansestadt Bremen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Mertens de Wilmars

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:158

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