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16/03/1978 | CJUE | N°134/77

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 16 mars 1978., Silvio Ragazzoni contre Caisse de compensation pour allocations familiales "Assubel"., 16/03/1978, 134/77


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 16 MARS 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par ordonnance du 25 octobre 1977, le tribunal du travail de Bruxelles vous a soumis une demande d'interprétation de l'article 76 du règlement du Conseil no 1408/71 du 14 juin 1971, qui dispose:

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 16 MARS 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par ordonnance du 25 octobre 1977, le tribunal du travail de Bruxelles vous a soumis une demande d'interprétation de l'article 76 du règlement du Conseil no 1408/71 du 14 juin 1971, qui dispose:

«Le droit aux prestations ou allocations familiales dues en vertu des dispositions des articles 73 ou 74 est suspendu si, en raison de l'exercice d'une activité professionnelle, des prestations ou allocations familiales sont également dues en vertu de la législation de l'État membre sur le territoire duquel les membres de famille résident.»

Le demandeur dans l'instance au principal, M. Ragazzoni, effectue un travail salarié en Belgique et a demandé des allocations familiales pour les trois enfants à sa charge, demeurés en Italie avec leur mère. L'institution belge compétente a repoussé cette demande en invoquant l'article 76 cité, étant donné que l'épouse du demandeur effectue, elle aussi, un travail salarié en Italie et aurait donc, selon cette institution, le droit de demander les allocations familiales pour ses enfants dans ce
pays. A cette thèse, on a opposé que la législation italienne en vigueur au moment où le litige a surgi, n'attribuant pas la qualité de chef de famille à la mère qui n'est ni séparée ni abandonnée par le mari, excluait le droit de celle-ci de percevoir les allocations familiales pour ses enfants, et continuait de considérer ces derniers comme étant à la charge du père travailleur émigré. Nous observons que ce régime juridique, résultant des articles 1 et 3 du décret du président de la République
no 797 du 30 mai 1955, a été admis comme une donnée de fait par le juge belge dans la formulation de la question qu'il vous a posée. Nous ajoutons que, comme le tribunal du travail de Bruxelles l'a relevé avec raison, M. Ragazzoni ne pouvait pas demander le versement d'allocations familiales en Italie en vertu de la loi citée qui précise que les allocations familiales reviennent «aux chefs de famille qui accomplissent un travail salarié pour d'autres sur le territoire de la République». C'est
pourquoi, en fait, compte tenu de la réglementation italienne en vigueur jusqu'au mois de décembre de l'année dernière, les allocations familiales pour les enfants des conjoints Ragazzoni, ne pourraient en aucune manière être réclamées en Italie, si elles n'étaient pas versées par l'institution belge compétente.

2.  Examinons maintenant la fonction et la signification de l'article 76 du règlement no 1408/71. Nous estimons qu'il est important d'émettre à ce sujet trois considérations:

a) Cette disposition doit être lue dans le contexte du chapitre VII du règlement («Prestations et allocations familiales pour travailleurs et chômeurs») et en liaison surtout avec l'article 73, qui établit qu'un travailleur soumis à la législation d'un État membre autre que la France a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d'un autre État membre, aux prestations familiales prévues par législation du premier État, comme s'ils résidaient sur le territoire de
celui-ci. Il est clair que cette règle constitue le principe à appliquer toutes les fois que les membres de la famille d'un travailleur résident dans un État membre autre que celui où le travail est accompli. Il conviendra de noter qu'en l'espèce l'article 73 s'adapte parfaitement à la situation de M. Ragazzoni, tandis qu'il est inapplicable à celle de Mme Ragazzoni, qui ne demande et ne pourrait pas demander de prestations familiales pour son mari — seul membre de la famille à l'étranger —
qui évidemment n'est pas à sa charge.

Par rapport à l'article 73, l'article 76 fait figure d'exception; plus précisément, il contient, comme le titre l'indique expressément, «des règles de priorité en cas de cumul de droits à prestations ou allocations familiales en vertu des dispositions des articles 73 ou 74 et en raison de l'exercice d'une activité professionnelle dans le pays de résidence des membres de la famille».

b) La thèse défendue dans la présente affaire par le gouvernement belge, selon laquelle l'article 76 attribuerait la compétence exclusive, pour verser les allocations familiales, à l'État de résidence de la famille du travailleur émigré dans tous les cas où l'un des membres de la famille exerce une activité professionnelle dans le même État ne nous semble pas fondée. Elle est démentie tant par le titre, que nous venons de citer, de l'article 76, qui confirme sa nature de règle anticumul, que par
le fait que l'exercice d'une activité professionnelle dans l'État de résidence des membres de la famille ne suffit pas pour suspendre le droit attribué par l'article 73, mais qu'il faut en outre que les prestations familiales soient dues selon la loi de cet État. Nous observons encore que la priorité du principe résultant de l'article 73 se reflète également dans les termes de l'article 76 et en particulier dans l'emploi du concept de «suspension» du droit prévu par l'article 73.

c) La thèse soutenue dans la présente affaire par le gouvernement italien, selon laquelle l'article 76 ne s'appliquerait que lorsque des prestations ou allocations familiales seraient dues, dans l'État de résidence des membres de la famille, pour l'exercice d'une activité professionnelle par le travailleur émigré lui-même qui a droit à ces prestations ou à ces allocations dans un autre État membre, ne nous paraît pas non plus fondée. Faisons abstraction de la rareté du cas d'une même personne
qui, en accomplissant simultanément deux travaux salariés dans deux États membres différents, est en mesure d'acquérir dans l'un et l'autre pays le droit au versement d'allocations familiales. Il reste toutefois le fait que l'article 76, qui parle «d'exercice d'une activité professionnelle» sans spécifier par qui, et dans un contexte où il est fait référence aux membres de la famille du travailleur, entend certainement inclure le cas, qui peut se présenter beaucoup plus facilement, où
l'activité professionnelle est accomplie par un des membres de la famille du travailleur. C'est en ce sens que s'est orientée également la Commission administrative des travailleurs migrants, dans une déclaration interprétative qui résulte du procès-verbal de sa 143e session, point 3.

3.  Ceci dit, pour répondre à la question posée par le tribunal du travail de Bruxelles, il suffit de mettre en lumière la signification de la seconde des deux considérations prévues par l'article 76 pour la suspension du droit aux prestations et aux allocations familiales. Nous avons déjà relevé que la première de ces conditions est que l'un des membres de la famille exerce une activité rémunérée dans l'État membre où les membres de la famille sont établis. La seconde condition est que les
prestations ou les allocations soient «dues» selon la loi de cet État. Nous ne pensons pas qu'il soit possible de partager le point de vue du demandeur selon lequel le terme «dues» devrait être entendu comme équivalent de «versées»; la condition en question ne va pas jusqu'à exiger le versement effectif des prestations ou allocations familiales. Nous croyons, en revanche, que, pour pouvoir considérer les allocations familiales comme dues, la loi de l'État de résidence des membres de la famille
doit reconnaître le droit au versement d'allocations en faveur de la personne qui travaille dans cet État et que toutes les conditions nécessaires pour que la personne intéressée puisse faire valoir ce droit doivent être remplies concrètement.

4.  Si cette interprétation est correcte, il nous semble qu'elle permet de résoudre également le problème soulevé par l'adoption, en Italie, d'une nouvelle réglementation en ce qui concerne le droit de l'épouse de percevoir des allocations familiales pour les enfants. Nous nous référons précisément à l'article 9 de la loi no 903 du 9 décembre 1977, entrée en vigueur le 18 décembre 1977, en vertu de laquelle les allocations familiales peuvent être versées alternativement à l'épouse qui travaille,
mais doivent en tout cas être versées au parent avec lequel l'enfant vit, dans le cas de demande des deux parents.

Étant donné que cette disposition a été adoptée environ trois ans après le début de l'activité rémunérée de M. Ragazzoni en Belgique et étant donné surtout le fait que la situation à laquelle se réfère le tribunal du travail de Bruxelles est régie par la législation italienne qui a précédé la loi citée no 903 de 1977, on pourrait certainement, pour cette affaire, faire abstraction du changement récent de législation en Italie. Toutefois nous observons qu'en vertu de la disposition à laquelle
nous nous référons, le droit au versement d'allocations familiales ne naîtra, à l'égard de la femme mariée à un travailleur étranger qui, à son tour, a droit aux allocations pour ses enfants à charge, que s'il y a une demande de la femme qui travaille ou éventuellement une demande des deux parents; il ne naîtra absolument pas si la demande des allocations n'est formulée que par le père. Dans ce second cas, par conséquent, aux fins de l'article 76 du règlement no 1408/71, les allocations
familiales ne seront pas dues à la mère qui travaille, en application de l'article 9 cité de la loi no 903 de 1977.

5.  Nous concluons en vous proposant de répondre à la demande formulée par le tribunal du travail de Bruxelles en déclarant:

La suspension du droit aux allocations familiales, prévue par l'article 76 du règlement no 1408/71, n'est pas applicable lorsque le père travaille à l'étranger dans un État membre, tandis que la mère effectue un travail salarié dans le pays de résidence des autres membres de la famille et n'a pas, selon la loi de ce pays, acquis le droit au versement d'allocations familiales, soit parce que la qualité de chef de famille n'est reconnue, qu'au père, soit, en tout cas, parce que les conditions dont
dépend l'attribution à la mère du droit au versement des allocations ne sont pas remplies.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 134/77
Date de la décision : 16/03/1978
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique.

Allocations familiales.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Silvio Ragazzoni
Défendeurs : Caisse de compensation pour allocations familiales "Assubel".

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Touffait

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:74

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