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16/02/1978 | CJUE | N°54/77

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 16 février 1978., Antoon Herpels contre Commission des Communautés européennes., 16/02/1978, 54/77


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 16 FÉVRIER 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le sieur Antoon Herpels, de nationalité belge, né à Wevelgem le 24 janvier 1933, est entré au service de la Haute Autorité de la CECA, à Luxembourg, en septembre 1961, en qualité de fonctionnaire stagiaire de grade A 8. Avant son engagement, il avait résidé, pendant deux années, dans l'agglomération bruxelloise, à Ixelles. Il y avait d'ailleurs exercé une activité professionnelle, d'abord en tant que journaliste

à la radiodiffusion et télévision belge de langue néerlandaise, puis avait été attaché
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 16 FÉVRIER 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le sieur Antoon Herpels, de nationalité belge, né à Wevelgem le 24 janvier 1933, est entré au service de la Haute Autorité de la CECA, à Luxembourg, en septembre 1961, en qualité de fonctionnaire stagiaire de grade A 8. Avant son engagement, il avait résidé, pendant deux années, dans l'agglomération bruxelloise, à Ixelles. Il y avait d'ailleurs exercé une activité professionnelle, d'abord en tant que journaliste à la radiodiffusion et télévision belge de langue néerlandaise, puis avait été attaché
de presse au cabinet du premier ministre à Bruxelles.

Marié le 14 novembre 1959, il s'était fait inscrire dans la commune d'Ixelles et y avait déclaré, le 4 janvier 1961, la naissance de son premier enfant.

Ainsi, le lieu de sa résidence familiale, antérieur à son recrutement par la haute Autorité, était-il, sans conteste possible, fixé à Ixelles. Toutefois, le requérant a fait établir un certificat de résidence et de nationalité par le bourgmestre de Wevelgem, ville où résidaient toujours ses parents. Ce certificat, daté du 19 septembre 1961, précise que l'intéressé réside à Wevelgem depuis le 15 septembre 1961. Or, celui-ci est entré effectivement en fonctions à Luxembourg le 18 septembre 1961.

De toute façon, que l'on ait considéré à l'époque sa résidence antérieure effective à Ixelles ou son lieu d'origine à Wevelgem, le sieur Herpels, affecté à Luxembourg, devait légalement bénéficier de l'indemnité dite de séparation, remplacée depuis par l'indemnité de dépaysement.

C'est lors de sa mutation à Bruxelles, en juin 1968, au siège de la Commission, que le problème de la suppression de l'indemnité de dépaysement eût dû normalement se poser, en l'état des textes alors en vigueur et que nous examinerons plus loin. Mais le bénéfice de cette indemnité lui a été maintenu: deux hypothèses peuvent être envisagées pour expliquer ce maintien. Ou bien les services de la Commission ont considéré, à tort, que le lieu de résidence effective avant son entrée en fonctions à la
Haute Autorité était Wevelgem, localité distante de plus de vingt-cinq kilomètres de Bruxelles, lieu de sa nouvelle affectation, ou bien — et c'est l'hypothèse la plus probable — ces services ont fait une confusion entre le «lieu d'origine» du requérant, c'est-à-dire précisément Wevelgem, et le «lieu d'habitation» du moment du recrutement, c'est-à-dire Bruxelles, ces deux renseignements figurant au dossier de l'intéressé, sans interruption, de 1968 à 1976. Le maintien de l'indemnité de dépaysement
procéderait donc d'une erreur matérielle commise par les services de la Commission.

Cette situation aurait pu se perpétuer si une vérification opérée par la direction générale du contrôle financier n'avait mis en évidence l'irrégularité de cet élément de la situation financière du sieur Herpels et entraîné un refus de visa de cette direction.

C'est dans ces conditions que, par note du 19 janvier 1976, le chef de la division «Droits individuels et privilèges» a informé le requérant que le montant de l'indemnité de dépaysement cesserait de lui être versé sans délai. En fait, le paiement de cette indemnité a été effectivement suspendu pour les mois de janvier et de février 1976, mais son montant a été versé à un compte d'attente. C'est seulement à partir de mars 1976 que l'indemnité a cessé d'être inscrite sur la fiche de paie de
l'intéressé.

A partir de ce moment, se développe une phase précontentieuse marquée par des réclamations du sieur Herpels et par deux réponses successives de la Commission.

Tout d'abord, le requérant a introduit, le 7 avril 1976, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, une première réclamation, enregistrée le 12 avril suivant et tendant à l'annulation, c'est-à-dire au retrait rétroactif de la décision initiale de suppression de l'indemnité de dépaysement.

Mais, dans le même temps, très exactement le 8 avril, le directeur général du personnel et de l'administration faisait savoir au requérant, après nouvel examen de sa situation, qu'il confirmait la décision initiale de suppression, mais décidait de lui octroyer «ad personam» une indemnité différentielle destinée à compenser la perte de l'indemnité de dépaysement jusqu'à son absorption par les augmentations de traitement à venir.

Contre cette décision, le requérant a alors introduit, le 28 juin 1976, une seconde réclamation tendant à l'annulation de la décision du directeur général.

Enfin, la Commission elle-même, sous la signature d'un de ses membres, a notifié au sieur Herpels une réponse à ses deux réclamations successives le 27 janvier 1977. Cette réponse confirme les décisions antérieures et précise que l'extinction progressive de l'indemnité différentielle ne sera fonction que des augmentations de traitement et non des majorations de rémunération pouvant éventuellement être justifiées par un accroissement de ses charges familiales.

A la suite de cette ultime et expresse décision, le requérant a saisi la Cour de justice d'un recours contentieux le 26 avril 1977.

A ce recours, la Commission oppose une exception générale d'irrecevabilité qui — à son point de vue — découlerait de la forclusion en vertu des dispositions de l'article 90 du statut.

La défenderesse se fonde sur le fait que seule la décision initiale, du 19 janvier 1976, avait un caractère décisoire et faisait grief au requérant. Cette décision, prise par le chef de la division «Droits individuels et privilèges» a été exécutée immédiatement par la suspension de l'indemnité de dépaysement; le sieur Herpels a formé contre cette décision une réclamation administrative dans le délai imparti par l'article 90.

Or, à défaut de réponse de la Commission, le rejet implicite de cette réclamation était acquis le 12 août 1976 et l'intéressé aurait dû se pourvoir devant la Cour au plus tard le 12 novembre suivant, soit dans les trois mois. Dès lors, son recours, enregistré le 27 avril 1977 seulement, serait tardif et, comme tel, irrecevable.

Nous ne pouvons adopter ce raisonnement. En effet, il méconnaît tout d'abord le fait que le 8 avril 1976, c'est-à-dire avant même l'enregistrement de la première réclamation administrative, le directeur général du personnel et de l'administration, après un nouvel examen approfondi de la situation du requérant, ne s'est pas borné à confirmer la décision du chef de la division compétente, mais a pris une nouvelle décision en allouant au sieur Herpels une indemnité différentielle à titre personnel.

Les deux éléments de cette décision nous paraissent indissociables; dès lors, celle-ci n'a pas un caractère purement confirmatif; elle apporte un élément nouveau et était de nature à préserver le délai du recours contentieux et à permettre au requérant de formuler une nouvelle réclamation au sens de l'article 90 du statut, ce qu'il n'a pas manqué de faire, cette nouvelle réclamation ayant été enregistrée le 30 juin suivant. Or, même en admettant que cette seconde réclamation ait été introduite «pour
autant que de besoin» et «sans préjudice» de la première, il demeure qu'elle était dirigée contre la décision prise sur nouvel examen par le directeur général du personnel et de l'administration. Dès lors, elle avait pour effet de rouvrir le délai du recours contentieux, jusqu'au 30 janvier 1977.

Or, nous savons que la Commission elle-même, ayant évoqué le différend, a, le 27 janvier, c'est-à-dire avant l'expiration de ce délai, procédé à un nouvel examen des prétentions du requérant et a modifié les conditions d'attribution de l'indemnité différentielle qui lui était allouée dans un sens favorable aux intérêts de celui-ci.

Dès lors, le recours introduit devant la Cour le 26 avril 1977, soit moins de trois mois après cette décision explicite de la Commission, nous parait recevable.

Nous pouvons donc aborder le fond du litige en réservant, pour le moment, l'examen des conclusions tendant à l'allocation d'une indemnité de quinze mille francs belges correspondant à des honoraires d'avocat exposés pendant la phase précontentieuse.

Au préalable, il convient d'analyser les décisions attaquées, en ce qu'elles suppriment le bénéfice de l'indemnité de dépaysement. Ces décisions n'ont pas opéré le retrait rétroactif de cette indemnité; elles se bornent à l'abroger, c'est-à-dire à la supprimer pour l'avenir.

Il s'agit donc, en considération du premier moyen de la requête, d'examiner si une telle abrogation était légale. Ce premier moyen est tiré d'une prétendue violation de l'article 97, alinéa 4, du statut des fonctionnaires de la CECA, en vertu duquel le requérant aurait été en droit, lors de sa mutation à Bruxelles, de conserver le bénéfice de l'indemnité de dépaysement dont il avait bénéficié pendant la durée de son affectation à Luxembourg.

Aux termes de cette disposition, maintenue en vigueur par l'article 2, dernier alinéa, du règlement du Conseil commun aux trois Communautés, en date du 29 février 1968, «lorsqu'à la suite d'une modification de son lieu d'affectation le fonctionnaire intégré en vertu de l'article 93 (du nouveau statut) ne remplit plus les conditions fixées à l'article 4 de l'annexe VII pour bénéficier de l'indemnité de dépaysement, il en conserve cependant le bénéfice si l'application de l'ancien statut du personnel
de la CECA lui ouvrait droit au bénéfice de l'indemnité de séparation».

Il n'est pas contesté que cette disposition était applicable au requérant, ancien fonctionnaire de la CECA, mais encore faut-il que l'ancien statut lui eût donné droit au maintien de l'indemnité de dépaysement.

Et c'est sur ce point que la thèse de la Commission nous paraît devoir être suivie.

Le litige doit, en effet, être tranché en considération de l'article 9 de l'ancien règlement général de la Communauté Charbon-Acier, de 1956, qui dispose notamment:

paragraphe b) «les fonctionnaires qui, à la suite d'une nouvelle affectation, sont amenés à fixer leur résidence dans une localité située à une distance inférieure à 25 kilomètres du lieu où ils résidaient avant leur entrée en service perdent le droit à l'indemnité prévue au paragraphe a) ci-dessus»,

c'est-à-dire à l'indemnité de séparation, qualifiée ultérieurement d'indemnité de dépaysement.

Et l'article 47 du statut du personnel de la Communauté auquel se réfère cette disposition d'application précise en effet que le bénéfice de l'indemnité de séparation est accordé aux agents qui, avant leur entrée en fonctions (au service de la Communauté) résidaient, de façon constante, depuis plus de six mois, dans une localité située à une distance supérieure de 25 kilomètres du siège (de leur activité professionnelle).

Le rapprochement de ces dispositions a pour conséquence que, depuis sa mutation de Luxembourg à Bruxelles, en 1968, le requérant ne pouvait légalement prétendre au maintien de l'indemnité de dépaysement qu'à la condition que sa résidence, pendant les six mois précédant son entrée au service de la Haute Autorité, en septembre 1961, fût située à plus de 25 kilomètres de Bruxelles — lieu de son activité professionnelle — ce lieu d'affectation devant, tant en vertu de l'article 20 du statut des
fonctionnaires des Communautés européennes que conformément à l'article 47, paragraphe 3, du statut de la CECA, être seul pris en considération.

Or, l'exposé des faits que nous avons rappelé au début de nos conclusions nous porte à démontrer que la résidence personnelle et familiale du requérant était fixée à Bruxelles d'abord, dès la fin de ses études en 1959 et à partir du moment où il a commencé à avoir une activité professionnelle à la RTB (radiodiffusion et télévision belge de langue néerlandaise), puis au cabinet du premier ministre. Le fait qu'il ait fixé son domicile familial à Ixelles, commune de l'agglomération bruxelloise, en tout
cas à partir de son mariage, n'a rien changé à cette situation. Les pièces du dossier le confirment entièrement: c'est à Ixelles que, conformément à la loi nationale, il s'est fait inscrire sur les registres de la population; c'est dans cette même commune qu'est né son premier enfant.

Cette situation a duré environ deux ans, c'est-à-dire largement plus longtemps que la période de six mois visée à l'article 47 de l'ancien statut et c'est seulement lors de son affectation à Luxembourg, à raison de son recrutement à la CECA, que l'intéressé a quitté l'agglomération de Bruxelles. Il avait donc effectivement résidé, pendant cette période antérieure à son recrutement, à moins de 25 kilomètres du lieu de son affectation nouvelle en 1968.

Or, à cette démonstration qui s'appuie sur des éléments objectifs incontestables, le sieur Herpels se borne à opposer un certificat d'inscription sur les registres de la population dans la localité de Wevelgem, située à plus de 25 kilomètres de Bruxelles mais, comme nous le savons déjà, de ce certificat, rédigé le 19 septembre 1961, c'est-à-dire à une date à laquelle le requérant avait déjà pris ses fonctions à Luxembourg, il résulte seulement qu'il aurait résidé à Wevelgem pendant quelques jours
avant de gagner le lieu de sa première affectation.

En réalité, c'est d'ailleurs au domicile de ses parents qu'il s'est fait inscrire et, si Wevelgem doit être regardé comme étant son lieu d'origine, il ne fait aucun doute que cette localité n'était pas ou n'était plus, depuis deux années, le lieu de sa résidence effective, pas plus que celui de son activité professionnelle.

En admettant même que M. Herpels ait entendu faire valoir son intention de conserver un lien avec son lieu d'origine ainsi que ses attaches dans la commune où résident ses parents, cette simple intention ne saurait prévaloir contre les faits, surabondamment établis, desquels il résulte que sa résidence effective était, depuis 1959, fixée dans l'agglomération de Bruxelles.

Dès lors, il ne pouvait légalement prétendre, au regard des textes que nous avons cités, au maintien de l'indemnité de dépaysement lors de sa mutation à Bruxelles en 1968. Ce maintien était irrégulier. Il ne s'explique que par l'erreur matérielle commise par les services de la Commission.

Il est vrai, toutefois, que, dans une «note pour le dossier» émanant de la Haute Autorité de la CECA et datée de Luxembourg le 28 septembre 1961 sous le no E 3 (et non du 4 octobre 1961, comme il a été dit à l'audience), seul le «lieu d'origine» du requérant est explicitement mentionné comme étant situé à Wevelgem. Aucune référence au lieu de résidence de l'intéressé, antérieurement à son recrutement, ne se trouve dans cette note.

Les conseils du requérant y voient la preuve qu'au sens du statut de 1956 applicable aux fonctionnaires de la CECA il y avait assimilation totale entre le lieu d'origine et le lieu de résidence antérieure au recrutement.

Ce n'est qu'à partir des règlements du Conseil nos 11/62 et 31/62, fixant le statut général des fonctionnaires des trois Communautés, qu'une distinction aurait été faite entre le lieu d'origine et le lieu de recrutement défini comme étant l'endroit où l'intéressé avait sa résidence habituelle lors de son entrée en service. Cette distinction a été précisée par une note de service no 212 du 14 avril 1965.

Puis, en 1968, en vertu d'une communication au personnel, en date du 16 septembre, le lieu d'origine est seulement présumé être le lieu de recrutement, lequel est l'endroit où l'intéressé avait sa résidence habituelle lors de son entrée en service.

Or, en l'espèce, il faudrait se fonder exclusivement sur le statut de 1956 et décider qu'en 1961 la Haute Autorité avait pu valablement retenir le lieu d'origine du requérant, soit Wevelgem, comme étant également sa résidence habituelle et son centre d'intérêt au sens de l'ancien statut.

Mais, Messieurs, si ce raisonnement est fondé en ce qui concerne l'octroi de l'indemnité de séparation lors du recrutement du sieur Herpels par la Haute Autorité, à Luxembourg en 1961, il ne saurait être retenu à l'occasion de sa mutation à Bruxelles en juin 1968, opérée sous l'empire du statut de 1968. Certes, les fonctionnaires de la CECA intégrés en vertu de l'article 93 de ce statut conservent le bénéfice de l'indemnité de dépaysement «si l'application de l'ancien statut du personnel de la CECA
leur ouvrait droit au bénéfice de l'indemnité de séparation».

Mais, ainsi que nous l'avons rappelé, l'article 47 du statut précise que le bénéfice de l'indemnité de séparation n'est accordé qu'aux agents qui, avant leur entrée en fonctions, «résidaient de façon constante» depuis plus de 6 mois dans une localité située à une distance supérieure de 25 kilomètres du siège de leur activité. La notion de lieu d'origine n'intervient donc plus en cette hypothèse. Seule est retenue celle de résidence habituelle prolongée pendant une période supérieure à 6 mois avant
le recrutement.

C'est dire que la note du 28 septembre 1961, insérée au dossier personnel du requérant et qui ne vise que son lieu d'origine, ne peut avoir d'incidence sur la solution du litige.

C'est alors qu'il nous faut examiner les deuxième et troisième moyens de la requête, qui sont tirés de la violation d'un «droit acquis» et de la «confiance légitime». A cet égard, il est essentiel d'opérer, comme nous l'avons dit, une distinction entre l'abrogation, c'est-à-dire la suppression pour l'avenir d'un avantage irrégulièrement consenti, et le, retrait rétroactif d'un tel acte.

Si le retrait d'un acte illégal est soumis, dans les jurisprudences nationales, à une condition de délai: soit le délai du recours contentieux, soit un délai raisonnable, en revanche, la simple abrogation d'un avantage irrégulièrement alloué n'est soumise à aucune condition de cette nature.

La jurisprudence communautaire se dégage, à cet égard, de trois arrêts.

En premier lieu, par l'arrêt Algera et autres du 12 juillet 1957, affaires jointes 7/56 et 3 à 7/57 (Recueil 1957, p. 115), vous avez admis le principe de la révocation — c'est-à-dire du retrait d'un acte administratif illégal — «lorsque l'absence d'une base légale objective de cet acte affecte le droit subjectif de l'intéressé et justifie la révocation de l'acte», mais vous avez assorti ce retrait rétroactif de conditions de délai.

Dans l'arrêt Simon du 1er juin 1961, affaire 15/60 (Recueil 1960, p. 222), qui avait trait précisément à la suppression de l'indemnité de séparation antérieurement payée au requérant, vous avez, dans une situation très proche du présent litige, précisé votre position en ce qui concerne non plus l'annulation, mais la simple abrogation d'un acte individuel illégal:

Vous avez expressément jugé que, «si l'autorité administrative reconnaît qu'un certain bénéfice a été octroyé par suite de l'interprétation erronée d'un texte, elle a le pouvoir de modifier la situation antérieure; … le retrait pour motif d'illégalité, même s'il ne peut pas comporter, dans certains cas, en raison des droits acquis, un effet d'annulation ex tunc, entraîne toujours cet effet ex nunc».

C'était admettre que l'abrogation, la suppression, pour l'avenir, d'un avantage irrégulièrement octroyé était toujours possible, sans condition de délai.

Cette distinction a été reprise récemment par l'arrêt Elz du 24 juin 1976, affaire 56/76 (Recueil 1976, p. 1097). Le requérant contestait le refus du maintien d'un avantage antérieurement accordé pendant huit années. Vous avez jugé que «le retrait ex nunc, c'est-à-dire l'abrogation d'un tel bénéfice, fondé sur une situation irrégulière au regard du statut, ne saurait porter atteinte au principe du respect des droits acquis».

Au bénéfice de cette jurisprudence, nous sommes d'accord avec la Commission pour affirmer qu'aucun droit acquis de manière intangible ne peut trouver sa source dans un acte irrégulier et que l'exigence d'un délai raisonnable ne peut être admise que dans le cas d'un retrait rétroactif.

Nous estimons donc également que la circonstance du maintien irrégulier de l'indemnité de dépaysement au bénéfice du sieur Herpels pendant plus de sept ans ne saurait priver l'administration du droit de l'abroger, que cette situation ait trouvé sa source dans une simple tolérance ou négligence administrative ou qu'elle ait fait l'objet d'un acte irrégulier au regard des dispositions applicables du statut.

Il nous reste à examiner la recevabilité et, subsidiairement, le bien-fondé des conclusions du recours tendant à l'octroi d'une indemnité de quinze mille francs belges, destinée à compenser les frais d'assistance juridique que le requérant a exposés au cours de la phase précontentieuse, c'est-à-dire en vue d'établir les réclamations qu'il a adressées à la Commission.

Ce chef de demande est invoqué pour la première fois dans le recours contentieux. Il n'apparaît ni dans la première, ni dans la seconde des réclamations administratives. Or, il est sans aucun lien direct avec le litige principal tendant au maintien de l'indemnité de dépaysement. Il constitue une demande nouvelle, fondée sur une cause juridique distincte. Dès lors, la procédure prévue par l'article 90 n'ayant pas été suivie, à cet égard, lesdites conclusions en indemnité ne sont pas recevables.

Si vous ne partagiez pas cette opinion, il vous faudrait, à notre avis, rejeter ces prétentions comme mal fondées. Tout d'abord, en effet, les frais imputables à la consultation d'un avocat au stade des réclamations administratives doivent être distingués des honoraires d'avocat exposés à l'occasion de la procédure contentieuse portée devant la Cour de justice et sur lesquels celle-ci doit statuer, en vertu du règlement de procédure, en fixant les dépens.

Alors que, pour introduire un recours direct devant votre juridiction, le ministère d'avocat est obligatoire, l'intervention d'un conseil juridique ne l'est nullement dans la phase précontentieuse organisée par l'article 90 du statut. Il s'agit au contraire d'un débat entre le fonctionnaire, agissant personnellement, et l'administration. La rédaction de la ou des réclamations préalables à la saisine de la Cour est le fait de l'agent lui-même. En pratique, c'est ainsi que se déroule normalement cette
phase administrative.

Si l'on ne peut, de toute évidence, interdire à un fonctionnaire de s'assurer, dès cette phase, les conseils d'un avocat, c'est de sa propre initiative et ce choix ne peut, en aucun cas, être imputé à l'institution concernée.

D'ailleurs, s'agissant en l'espèce d'une action en responsabilité, encore faudrait-il qu'il existe un lien de causalité entre le prétendu dommage causé et une action fautive de l'institution. Il n'en est rien à l'évidence et les conclusions en indemnité de ce chef ne peuvent donc qu'être rejetées.

Nous concluons, par ces motifs:

— au rejet du recours,

— et à ce que, par application de l'article 70 du règlement de procédure, chacune des parties supporte ses propres dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 54/77
Date de la décision : 16/02/1978
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Antoon Herpels
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:28

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